Surveillance du sujet Antigène HBs positif non traité

Introduction

La prévalence de l’antigène HBs a été récemment estimée en France à 0.68% [1]. Ce sont donc environ 300000 personnes quien France sont porteuses de ce virus, situation qui les expose à une évolution vers la cirrhose et le carcinome hépatocellulaire. Ces chiffres, plus élevés que ceux qui ont été admis jusqu’à présent, ont pour corollaire une augmentation du risque, pour les sujets non vaccinés, d’être contaminés par le virus de l’hépatite B (VHB). La moitié des sujets reconnus comme positifs pour l’antigène HBs connaissait leur statut vis-à-vis de ce virus [1]. Il convient donc d’organiser de façon urgente dans notre pays un dépistage ciblé de l’hépatite B (Tableau I). Une fois l’antigène HBs trouvé positif, se pose le problème de la prise en charge de ces patients qui ne sont pas tous traités (Tableau II). Nous n’envisagerons dans cet article que la situation d’infection chronique par le VHB, définie par la présence de l’Antigène HBs pendant plus de 6 mois.

TABLEAU I
QUI DÉPISTER ?

Sujets contacts d’un malade ayant une hépatite B
Sujets ayant une augmentation des transaminases
Sujets ayant des facteurs de risque d’infection :

  • Transfusion sanguine
  • Toxicomanie
  • Exposition nosocomiale
  • Incarcération
  • Migrant, zone d’endémie
  • Partenaires sexuels multiples

Profils d’infection par le VHB

L’atteinte hépatique, au cours de l’infection chronique par le VHB, est induite par une réponse immunitaire à médiation cellulaire. Trois étapes caractérisent la progression de la maladie, une phase initiale d’immunotolérance (réplication très active, AgHBepositif, taux d’ADN viral élevé et de transaminases, normal ou sub normal), une phase intermédiaire d’immuno-élimination (diminution de la réplication virale) où l’hépatite chronique peut aboutir à lacirrhose (incidence annuelle de 1,3 à 5,9%) et ses complications et enfin, une phase de portage inactif du virus (anti HBe positif, taux d’ADN viral faible ou indétectable et de transaminases, toujours normal) [2, 3]. La seconde phase est caractérisée par une augmentation du taux des transaminases et une baisse de la réplication virale. Cette phase peut s’accompagner d’une séroconversion HBe. Cette séroconversion spontanée, dont l’incidenceest de 8 à 15%, survient souvent au stade tardif des lésions. L’émergence d’un virus B mutant s’accompagne elle aussi d’une disparition de l’antigène HBe. Dans cette situation, différente de la séroconversion HBe spontanée; la perte de l’antigène HBe ne s’accompagne pas d’une normalisation du taux des transaminases. En l’absencede séroconversion HBe spontanée et d’une normalisation durable du taux des transaminases, l’indication du traitement repose, selon la conférence européenne de consensus [4], sur le résultat de la ponction biopsie hépatique. Ne sont traités que les malades qui ont une activité et/ou une fibrose modérée à sévère [4]. Les malades atteints de cirrhose et ceux qui présentent une maladie très active et une réplication virale intense feront l’objet du dépistage du carcinome hépatocellulaire par échographie tous les 6 mois [5]. Ceux qui présentent une activité et une fibrose minime doivent être surveillés tous les 3 à 6 mois (Ag HBe, transaminases et ADN du VHB par PCR quantitative). Les marqueurs indirects sériques (Fibrotest) [5] ou physiques (Fibroscan) [6] de fibrose sont toujours en cours d’évaluation dans l’infection chronique àVHB. Ils ont l’intérêt d’être facilement répétables et pourraient être, chez ces malades, une aide à la décision thérapeutique. Les patients en situation d’immuno tolérance (Ag HBe positif, taux d’ADN viral élevé) ou de portage inactif (Anti HBe positif, taux d’ADN viralfaible ou indétectable) ne sont habituellement pas traités (Tableau I). Il seront suivis par des tests biochimiques (taux des transaminases) et virologiques (Ag HBe,antiHBeet ADN du VHB). Le suivi du taux de l’ADN du VHB doit êtrequantitatif utilisant un test sensible comme la PCR quantitative (seuil< 103 copies) ou très sensible : PCR à temps réel (seuil <102 copies) (Cobas taqmanou real art LC PCR (Tableau III). Ces tests ont remplacéles premiers tests moins sensibles comme l’hybridation moléculaire (seuil 106 copies) ou les tests d’amplification (bdna) de première génération (seuil < 7 105 copies) (Tableau III).

Le stade d’immunotolérance

Le stade d’immunotolérance est le premier stade d’une infection à virus B sauvage. Il correspond à une situation de tolérance immunitaire marquée par une réplication virale très intense et une faible agressivité hépatique [2, 3]. A ce stade, l’antigène HBs est positif, associé à l’anticorps anti HBc et à l’antigène HBe. Le taux des transaminases est normal, ou proche de la valeur normale, et l’ADN du VHB est fortement ou très fortement positif. La durée de cette phased’immunotolérance est probablement influencée par le mode de transmission et par la zone d’endémie. Son histoire naturelle est mal connue. Les enfants asiatiques qui ont acquis le virus par transmission périnéale ont une phase d’immunotolérance qui peut durer de 10 à 30 ans. Par contre, les individus qui ont acquis l’infection virale pendant l’adolescence ou à l’âge adulte, ont une phase d’immunotolérance réduite.

Les recommandations américaines récentes [8] ont préconisé que les patients tolérants pour le VHB, définis par un taux de transaminases normal et d’ADN du VHB >105 copies/ml, fassent l’objet d’une biopsie hépatique et soient traités en cas de lésions significatives. Néanmoins, un travail français [9] réalisé chez 47 patients immunotolérants,a montré que la biopsie ne montrait que des lésions minimes (fibrose = F1) chez 42/47 patients en l’absence d’autre facteur de risque (obésité,alcool). Une perte de tolérance est survenue à 4 ans chez un tiers des patients. Elle se caractérise le plus souvent, par le passage rapide à une forme active. Durant la phase d’immunotolérance, il n’est pas logique de déclencher un traitement pour plusieurs raisons. Les traitements de l’hépatite chronique B (interféron pégylé, lamivudine, adéfovir) disponibles, sont d’autant plus efficaces que le niveau de l’activité des transaminases est élevé, habituellement supérieur à 5 fois les valeurs normales [10]. L’utilisation des analogues de nucléosides ou de nucléotides se heurte, à plus ou moins long terme, à l’apparition presque inéluctable de mutations de résistance. Enfin, l’histologie hépatique habituellement peu sévère, n’incite pas à traiter ces patients. Ainsi, il paraît logique d’attendre avant de traiter ces patients et de les surveiller à l’aide d’un bilan biologique (transaminases), virologique (ADN du VHB par PCR quantitative), et éventuellement histologique (PBH ou marqueurs indirects de fibrose). Il ne faut pas oublier de dépister et de vacciner l’ensemble de l’entourage familial d’un sujet en phase d’immunotolérance qui est particulièrement contagieux, compte tenu de l’intensité de sa réplication virale. Il n’a pas été émis de recommandations sur le contrôle de l’efficacité de la vaccination de l’entourage familial, mais il paraît logique de réaliser un titrage de l’anti HBs chez toutes les personnes de l’entourage d’un sujet Ag HBs positif un mois après la dernière injection vaccinale.

Le portage inactif du virus de l’hépatite B

Le portage inactif du VHB est défini par un antigène HBs positif, un antigène HBe négatif, des anticorps anti HBc et anti HBe positifs, un taux de transaminases strictement normal à tous les examens, un taux d’ADN viral Bbas <105 copies/ml ou indétectable et un foie histologiquement normal [2]. Le diagnostic différentiel essentiel du portage inactif du VHB est l’infection à virus B mutant (Ag HBenégatif) qui se caractérisepar une fluctuation du taux des transaminases (souvent normal par période) et une faible multiplication virale, parfois indétectable, par les méthodes de quantification de l’ADN, peu sensibles comme l’hybridation moléculaire [11]. Il faut donc avoir recours à une technique sensible, telle que l’amplification génique (PCR quantitative), pour différencier les sujets porteurs inactifs du VHB de ceux qui ont une hépatite chronique à virus B mutant [10]. La surveillance du taux des transaminases et de l’ADN du VHB (à trois reprises) pendant la première année est indispensable pour affirmer le portage inactif [4]. Quatre vingt-cinq patients reconnus comme porteurs inactifs du VHB (Ag HBe négatif, transaminases normales et ADN du VHB négatif par une méthode d’hybridation moléculaire) ont été suivis en moyenne pendant 3 ans. La virémie moyenne était de 1 300 copies/ml (200 –179 000), 98% des porteurs inactifs avaient une virémie <105 copies/ml et seulement 16% un ADN indétectable [12]. Quand la biopsie hépatique était faite, elle montrait toujours des lésions minimes. La charge virale n’a pas varié pendant toutela durée du suivi [12]. Ainsi, la plupart des porteurs inactifs du VHB se caractérisent par une charge virale faible <104 copies/ml [12]. Il existe un consensus pour ne pas traiter un sujet porteur inactif du VHB [4]. Le pronostic de ce portage est habituellement très bon [3, 13, 14]. A ce stade, les études de suivi à long terme, jusqu’à 29 ans, ont montré que la maladie demeurait le plus souvent inactive [14]. Le risque d’hépatocarcinome est exceptionnel [3, 7, 13, 14] si bien que la surveillance par échographie tous les 6 mois nous paraît exagérée, une fois le diagnostic établi de façon formelle.

La complication que l’on craint le plus est une réactivation virale. Spontanément très rare, elle peut être provoquée par l’arrêt de toute chimiothérapie et de tout traitement immunosuppresseur. De gravité variée [15], elle peut être fatale [16]. De la même façon, des cas de réactivations sévères ont été rapportés au cours d’un traitement par anti TNF alpha. Il est donc recommandé, chez le sujet porteur du VHB, d’entourer tout traitement susceptible d’induire une modification de la réponse immune par une prescription de lamivudine dès le début de ce traitement et au moins 6 mois après son arrêt [17]. Enfin,comme pour tout sujet porteur de l’antigène HBs, il convient de vacciner l’entourage après vérification du statut sérologiquede chacun des membres de la famille. Il est logique de contrôler l’efficacité de cette vaccination un mois après la dernière injection (titrage de l’anticorps anti HBs), et tout particulièrement s’il existe chez les personnes de l’entourage des facteurs de moins bonne réponse à la vaccination comme un âge de plus de 25 ans, un sexe masculin, une obésité.

Conclusion

L’efficacité des traitements antiviraux est différente en fonction de l’histoire naturelle et du type de virus considéré, sauvage (Ag HBepositif) ou mutant (Ag HBenégatif), prédominant en France aujourd’hui [18]. La phase d’immunotolérance est la première phase de l’hépatite chronique à virus B sauvage. A ce stade, il est inutile de traiter le patient, mais il est utile de surveiller le taux des transaminases et l’ADN du VHB par une méthode de PCR quantitative environ tous les 3 à 6 mois, une histologie hépatique ou un marqueur indirect de fibrose dès que l’on assiste à une ascension des transaminases ou une diminution de l’ADN du VHB. Dans cette situation, l’indication du traitement dépend des lésions histologiques. Devant des lésions minimes, il est logique mais pas toujours confortable d’attendre. Il faut néanmoins continuer de surveiller ces patients à l’aide d’un bilan biologique, virologique et éventuellement histologique. Devant une forme très active ou une cirrhose, il faut réaliser une échographie tous les 6 mois.

La surveillance à 3 reprises pendant un an du taux des transaminases et de l’ADN viral par PCR quantitative permet le diagnostic différentiel entre portage inactif et hépatite chronique à virus B mutant ou réactivation. Enfin, il convient de vacciner l’entourage d’un porteur de l’Antigène HBs après vérification de son statut virologique et de rappeler que le premier traitement de l’hépatite chronique B est préventif, reposant sur la généralisation de la vaccination qui aujourd’hui, est défaillante dans notre pays et tout particulièrement auprès des nourrissons.

RÉFÉRENCES

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