Endoscopie interventionnelle et MICI
Introduction
Chez les patients atteints de maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI), l’endoscopie peut être utilisée pour le diagnostic d’extension et de sévérité de la maladie, l’appréciation de l’efficacité des traitements et le dépistage de la dysplasie et du cancer. La capsule endoscopique, maintenant complétée par l’entéroscopie double-ballon (EDB) permet de mettre à disposition le potentiel de l’endoscopie pour les atteintes de l’ensemble de l’intestin grêle et du côlon.
A ce jour, la place de l’endoscopie interventionnelle dans les MICI se limite principalement à 2 situations particulières : le traitement des sténoses intestinales «cicatricielles» et la résection ou mucosectomie endoscopique des lésions dysplasiques.
Traitement endoscopique des sténoses intestinales
Les MICI sont des affections inflammatoires chroniques du tube digestif, caractérisées par une évolution clinique cyclique et une inflammation intestinale, segmentaire transmurale pour la maladie de Crohn, pouvant se compliquer fréquemment de sténose intestinale, intrinsèque ou au niveau d’un site d’anastomose, et préférentiellement muqueuse au cours de la rectocolite hémorragique (RCH), où les sténoses sont plus rares. Lorsque les patients atteints de maladie de Crohn sont suivis jusqu’à 10 ans après le diagnostic, près de 30% développent un phénotype sténosant selon la classification de Vienne [1, 2]. Une augmentation du gradient de pression au niveau de la sténose peut contribuer à l’apparition de fistules internes sur la partie proximale de la zone sténosée, faisant des sténoses l’une des complications les plus importantes au cours de la maladie de Crohn [3].
» Exploration d’une sténose
La suspicion clinique d’une sténose intestinale doit être documentée par un ou plusieurs examens radiologiques qui permettront d’orienter l’attitude thérapeutique. Idéalement, ces explorations devraient préciser la localisation, la longueur et le diamètre de la sténose, le retentissement sur l’intestin d’amont, l’existence de complications associées telles abcès ou fistule, et enfin la nature inflammatoire ou cicatricielle de la sténose.
EXPLORATION RADIOLOGIQUE D’UNE STENOSE DU GRELE
Le transit baryté du grêle a longtemps été l’examen morphologique de référence de l’intestin grêle. Sa sensibilité et sa spécificité à détecter les lésions iléales de la MC sont de l’ordre de 90%. Les limites de cet examen résident dans son incapacité à explorer la paroi intestinale et détecter des complications à type d’abcès, dans sa qualité de réalisation variable, liée à l’expérience des radiologues, de moins en moins formés à cette technique. De plus, les avancées techniques spectaculaires dans le domaine de l’imagerie en coupe permettent maintenant une exploration du grêle et de sa paroi par tomodensitométrie (entéro-scanner) et résonance magnétique (entéro-IRM) [4].
L’entéro-scanner nécessite un remplissage intestinal au mieux par sonde naso-jéjunale et utilisation d’un entéroclyser™. Il s’agit d’un examen de réalisation relativement simple. Sa comparaison à l’iléocoloscopie, chez les patients atteints ou suspects de MC, a montré une sensibilité de 87% et une spécificité de 100% pour la détection d’une atteinte iléale [5]. L’épaississement des parois intestinales, la sclérolipomatose et, en cas de sténose inflammatoire, la vasodilatation dans les mésos («signe du peigne») sont caractéristiques. La présence d’une occlusion et de son origine anatomique (segment impliqué), ou l’existence d’un abcès péri-intestinal, sont également visibles. Les limites de l’entéro-scanner sont sa tolérance médiocre (nausées) et l’irradiation importante.
L’entéro-IRM a pour avantages de ne pas entraîner d’irradiation, ni d’injection d’iode, d’être réalisable pendant la grossesse et de ne nécessiter une distension intestinale que par simple prise orale de Mannitol ou de méthylcellulose [6, 7], même si certaines équipes préconisent encore la pose d’une sonde d’entéroclyse. L’intérêt majeur de cet examen semble être sa capacité à préciser la nature inflammatoire ou fibreuse des sténoses. En effet, un rehaussement par le gadolinium au temps T1 tardif serait associé au caractère inflammatoire d’une sténose, ce qui permet théoriquement de guider le traitement, médicamenteux en cas de sténose inflammatoire, instrumental, endoscopique ou chirurgical en cas de sténose cicatricielle [7]. Cet examen, même s’il est prometteur, reste encore peu répandu du fait de la faible disponibilité des appareils, de la non expertise des radiologues et de la durée nécessaire à l’interprétation des images.
L’échographie transpariétale n’était pas un examen classiquement recommandé en cas de MC, du fait de l’expertise nécessaire à la reconnaissance des lésions. Dans des mains entraînées, sa sensibilité et sa spécificité sont élevées, de 75-94% et de 67-100%, respectivement [8]. De nouvelles techniques d’échographie avec prise orale de polyéthylène glycol ou couplée à un doppler de l’artère mésentérique supérieure permettent d’améliorer le rendement diagnostique de cet examen, notamment en cas de sténose (PEG) et pour affirmer son caractère inflammatoire ou cicatriciel (doppler) [9].
La présence d’une sténose intestinale, ou sa suspicion, est une contre-indication à la réalisation d’un examen par vidéocapsule endoscopique (VCE), en raison du risque d’incarcération de la capsule. En cas de sténose iléale, cet examen n’a donc aucune place.
EXPLORATION RADIOLOGIQUE D’UNE STENOSE DU COLON
L’exploration radiologique classique est le lavement baryté, au mieux à la baryte fluide sous faible pression. Il apporte pour les sténoses rectale ou colique des informations similaires à celles du transit du grêle, mais est de réalisation et d’interprétation bien plus facile. Plus récemment, a été proposé le coloscanner, qui apporte en plus des informations sur la paroi colique et son environnement.
EXPLORATION ENDOSCOPIQUE DES STENOSES
En fait, l’examen de référence est l’endoscopie, qui permet d’affirmer l’existence ou non d’une sténose (nombreux faux positifs de l’imagerie), de préciser sa nature bénigne ou maligne par la réalisation de biopsies, d’apprécier son caractère franchissable ou non, et d’effectuer si besoin, un traitement endoscopique.
» Traitement des sténoses
Le traitement des sténoses inflammatoires est d’abord et avant tout médicamenteux; celui des sténoses fibreuses est classiquement chirurgical (résection intestinale ou stricturoplastie) [10]. La limite de la chirurgie réside dans sa morbidité et le risque de récidive [11, 12]. Certaines caractéristiques de la sténose ne permettent pas d’envisager un traitement endoscopique : sténose inaccessible en endoscopie, de plus en plus rare depuis l’avènement de l’entéroscopie double ballon qui permet théoriquement d’explorer la totalité de l’intestin grêle, sténoses longues (>6cm), multiples ou associées à des complications telles fistules ou abcès.
Dans tous les autres cas, on peut envisager un traitement endoscopique (dilatations hydrostatiques au ballonnet ou prothèses extractibles). Les sténoses anastomotiques sont l’indication de choix, car souvent courtes et axiales, donc faciles à cathétériser, alors que les sténoses de la valvule de Bauhin, sont excentrées et donc difficiles à traiter en raison de l’angulation de l’iléon terminal. Il faut insister sur le fait que seul le caractère symptomatique d’une sténose implique la réalisation d’un geste, alors qu’une image radiologique isolée de sténose ne doit pas inciter à proposer un traitement.
TRAITEMENTS ENDOSCOPIQUES
Dilatation au ballonnet
– Procédure
La dilatation est généralement effectuée après préparation colique au PEG® dans les mêmes conditions que pour une coloscopie classique. La dilatation doit, au mieux, être réalisée en salle de scopie pour permettre une opacification de la sténose, notamment pour exclure une fistule interne au niveau du site de la sténose, qui représente une contre-indication à la dilatation. A noter que la présence d’ulcérations ne contre-indique pas la dilatation endoscopique en cas de MICI.
Les ballonnets actuels sont équipés d’un fil-guide (CRE balloon dilator, Boston Scientific, NATICK, Massachusetts, USA) avec des diamètres disponibles de 12, 15, 18 et 20 mm. La sélection de la taille du ballonnet dépend de l’importance de la sténose. Le ballonnet le plus souvent utilisé est celui de 20 mm de diamètre permettant la dilatation la plus large. Le but de la dilatation est d’augmenter progressivement le diamètre de la lumière intestinale.
Le ballonnet muni de son fil guide est glissé par le canal opérateur de l’endoscope. Il est introduit dans la sténose sous contrôle de la vue, puis gonflé à l’eau sous contrôle manométrique, à une pression fonction du dispositif utilisé pendant 1 à 2 minutes. La dilatation s’accompagne souvent d’une déchirure radiaire de la sténose, volontiers hémorragique, témoignant de son efficacité. La dilatation peut être répétée plusieurs fois au cours d’une même séance sans qu’il soit essentiel de tenter le franchissement de la sténose entre chaque dilatation, ce geste étant probablement à risque de complication. Cependant, il est clair que si le résultat est meilleur lorsque la dilatation est effectuée avec un ballonnet de large diamètre, le risque de complication est plus élevé [13].
Lorsque la longueur de la sténose dépasse 5-6 cm, certains auteurs proposent des dilatations de proche en proche, probablement plus risquées. Il est prudent, avant la première dilatation, d’effectuer des biopsies au site de la sténose pour éliminer une tumeur, surtout en cas de sténose rectale ou colique (cf infra). Après chaque procédure, il est prudent d’effectuer un contrôle radioscopique pour s’assurer de l’absence de perforation. Il est prudent de garder le patient en hospitalisation la nuit qui suit l’examen.
– Résultats
Les résultats à court terme sont bons, avec un taux de succès immédiat allant de 70 à 100% [13-15]; les échecs étant liés aux sténoses très serrées (< 1mm) ou surtout à des problèmes d’angulation. A distance, l’efficacité de la dilation s’estompe, avec une récidive des symptômes dans 40 à 53% des cas à 1 an et dans 62 à 70% des cas à 5 ans [14-16]. La plupart des équipes proposent une nouvelle dilatation en cas de récidive symptomatique à distance de la première. Ainsi, dans notre expérience, 18% et 8% des patients ont eu respectivement 2 et 3 séances de dilatations, avec un délai variable entre deux dilatations de 5 à 18 mois [15].
Une étude autrichienne récente a évalué l’efficacité de la dilatation endoscopique au ballonnet à moyen et long terme chez 46 patients consécutifs posant le problème d’une sténose intestinale associée à une maladie de Crohn [16]. Le plan de l’étude envisageait jusqu’à 4 traitements endoscopiques dans les 2 premiers mois, jusqu’à amélioration des symptômes, et des dilatations ultérieures éventuelles, en fonction de la nécessité clinique. Dans 15% des cas (7/46), la dilatation n’était pas possible pour un problème technique (n = 2), la présence de fistules internes (n = 3) ou l’absence de sténose (n = 2).
Ces contre-indications n’ont été mises en évidence que grâce à la réalisation de l’examen sous contrôle radioscopique. Trente-neuf patients ont eu au moins une dilatation. Le siège de la sténose était l’anastomose iléo-colique chez 23/39 (59%) patients et des zones non anastomotiques dans 16 (41%) cas. Après la dilatation initiale (médiane 1, extrêmes interquartile 1 2), la sténose était franchie chez 37/39 (95%) patients. Avec un suivi médian de 21 mois (3-98), 24/39 (62%) patients ont nécessité une nouvelle dilatation. Onze (28%) patients ont eu une résection chirurgicale. Le taux cumulé de patients ne nécessitant pas de dilatations successives à 6, 12, 24 et 36 mois était respectivement de 68%, 48%, 36% et 31%; le taux cumulé de patients ne nécessitant pas de chirurgie était de 97%, 91%, 84% et 75%.
– Tolérance
Le risque de complications des dilatations varie de 0 à 15%. Au premier rang, figure la perforation, qui ne nécessite pas systématiquement un traitement chirurgical [13-16]. Les hémorragies sont également décrites (0 à 1,5% de risque par séance de dilatation) [13-16]. Dans l’étude la plus récente, 2 perforations et une hémorragie sévère ont été observées sur les 73 procédures effectuées (4%) [16]. La perforation est généralement causée par les forces exercées lors du passage de l’endoscope, notamment chez les patients qui n’ont pas eu de résection intestinale antérieure et en cas de sténose du côlon ascendant. Certaines équipes ont rapporté des taux de complications moins importants mais avec des ballonnets n’excédant pas 18 mm; des taux plus élevés de complications étant observés en utilisant des ballonnets plus larges (jusqu’à 25 mm) et des dilatations plus fréquentes, jusqu’à 6 par séances.
Une cause possible de perforation est la présence de fistules non détectées avant la procédure, ce risque étant minimisé par l’administration per-endoscopique d’un produit de contraste sous contrôle radioscopique.
– Les injections locales de corticoïdes
Elles ont été proposées par certaines équipes (triamcinolone retard injectée aux quatre quadrants, 1.0 ml tous les 2 cm après la dilatation initiale), en complément de la dilatation endoscopique, avec de bons résultats, et surtout l’absence de re-sténose (50% des malades en rémission après une seule séance avec un suivi médian de 16,4 mois), mais les petits effectifs de ces séries rétrospectives et l’absence d’essais randomisés ne permettent pas d’affirmer l’intérêt réel de cette technique [17, 18]. Les injections locales de corticoïdes ne semblent pas majorer le risque de complications [17].
– Conclusion
La dilatation endoscopique au ballonnet est une méthode sûre et efficace pour traiter les sténoses associées à la maladie de Crohn. Un taux élevé de récidive symptomatique est observé, habituellement dans l’année qui suit la dilatation, mais le recours à une intervention chirurgicale peut être reporté chez plus de 3/4 des patients. Il est essentiel de pouvoir disposer d’études prospectives pour mieux identifier les patients susceptibles de bénéficier de ces procédures. Il n’a pas été démontré qu’un traitement médical (budésonide, immunosuppresseur) au décours du geste endoscopique permettait de prévenir la récidive des symptômes obstructifs.
Le traitement par prothèses extractibles
– Généralités
Des auteurs japonais ont rapportés il y a quelques années des résultats encourageants après mise en place de prothèses métalliques auto-expansibles couvertes, précédées de dilatations au ballonnet, en cas de sténoses fibreuses intestinales (colique et iléo-colique), avec une morbidité immédiate quasi-nulle [19]. Le suivi sans récidive a été de 3 et 4, 5 ans, malgré une migration spontanée des prothèses (récupérées par voie trans-anale) entre 1 et 5 mois après leur mise en place [20], ce qui suggère un effet persistant à long terme de cette «stricturoplastie endoscopique», associant dilatation et prothèse métallique, une fois l’activité de la maladie contrôlée par des traitements immunosuppresseurs (corticoïdes puis azathioprine).
Plus récemment, ont été mises au point de nouvelles prothèses expansibles en nitinol, extractibles et couvertes, conçues pour réduire les risques de complications et faciliter leur mise en place. Le film de polyuréthane recouvrant la partie métallique, permettrait de minimiser les phénomènes d’obstruction secondaires au développement d’un tissu de granulation et de fibrose, et de retirer la prothèse par traction sous endoscopie. Le caractère couvert de la prothèse permet de les proposer même en cas de fistule associée à la sténose, éventuellement en association à un traitement médical, notamment par anti-TNFalpha [10].
– Procédure
La pose de ces prothèses débute par une endoscopie classique où, une fois la sténose repérée, un fil-guide à extrémité souple est introduit par le canal opérateur, franchissant la sténose et poussé le plus loin possible dans la lumière intestinale, sous contrôle radioscopique. En fonction de la sténose, une prothèse d’une longueur de 4 à 10 cm est choisie, de sorte que la totalité de la sténose est enjambée, avec un dépassement de part et d’autre de la sténose d’au moins 1 à 1,5 cm. Le cathéter d’introduction de la prothèse est lubrifié à son extrémité, puis est poussé le long du fil guide sous contrôle radioscopique, soit à travers le canal opérateur de l’endoscope, soit après retrait de l’endoscope, le fil guide étant laissé en place, selon le type de prothèse utilisée. Le cathéter est positionné au niveau de la sténose entre les repères opaques, la sténose étant placée au centre des repères. Une fois le bon positionnement obtenu, la prothèse est déployée sous contrôle radioscopique, tout en la maintenant au centre des repères opaques. Le système d’introduction (fil-guide et cathéter) est ensuite retiré. Le déploiement de la prothèse est obtenu en quelques secondes, mais n’est complet qu’en 24 à 72 heures.
– Résultats
Nous avons rapporté notre expérience préliminaire dans l’utilisation de prothèses totalement couvertes et extractibles chez 7 patients souffrant de sténoses anastomotiques de maladie de Crohn récidivant malgré un traitement par dilatation endoscopique [21]. La mise en place a été possible chez 6/7 malades, le seul échec noté concernant un malade ayant une sténose > 6 cm de long. Une migration spontanée précoce (≤ 3 jours) a été observée chez 4 malades et une prothèse a été retirée à 3 semaines. Au total, sur les 6 patients traités, un a été opéré à deux semaines pour un syndrome occlusif (après migration du stent), un a été opéré à 5 semaines pour un syndrome occlusif sur incarcération de la prothèse, un était de nouveau symptomatique à 12 mois et 3 malades étaient asymptomatiques (dont 2 traités par infliximab) à long terme (15-22 mois) [21]. Ce traitement endoscopique pourrait donc être intéressant, mais des améliorations techniques sont nécessaires. Pour limiter le risque de migration précoce, nous évaluons actuellement des prothèses dont une extrémité est couverte et pas l’autre, avec des extractions secondaires à 3 semaines pour limiter le risque d’incarcération.
LE TRAITEMENT CHIRURGICAL
Résection intestinale
Si la place de la chirurgie est fréquemment remise en question par l’apparition de nouveaux traitements médicamenteux, et par les progrès constants des techniques instrumentales, elle reste pour de nombreuses équipes, un traitement de choix des sténoses intestinales réfractaires aux corticoïdes. Le risque cumulé de première résection intestinale est évalué à 24% et 49% respectivement après 1 et 10 ans d’évolution de la MC [22]. Plusieurs études ayant évalué le suivi à long terme après résection iléale, indiquent que les patients ont 50% de chance de ne plus avoir recours à la chirurgie [23, 24]. En cas de sténose du grêle, certaines équipes préconisent une exploration du grêle per-opératoire en déroulant le grêle sur un ballonnet, afin de détecter d’éventuelles sténoses associées passées inaperçues au cours du bilan morphologique pré-opératoire. La chirurgie par coelioscopie est possible en cas de sténose iléale ou caecale, avec un meilleur confort post-opératoire que la laparotomie, mais n’est pas recommandée pour les cas complexes [25, 26], sauf dans les centres experts. Le risque de récidive post-opératoire est élevé, de l’ordre de 25% par an [27], et les risques cumulés de deuxième et troisième résection sont de 31 et 28% à 10 ans et de 48 et 54% à 20 ans [22]. Parmi les facteurs associés à un risque accru de récidive, l’existence d’un tabagisme actif a été trouvé dans plusieurs études, notamment chez la femme, le taux de récidive postopératoire étant en moyenne, multiplié par 2 [28]. Les résections itératives pouvant conduire à une insuffisance intestinale par syndrome de grêle court [29], l’indication d’une résection doit toujours être portée avec prudence, et le suivi post-opératoire, la stratégie de prévention de la récidive et l’obtention d’un sevrage tabagique chez les fumeurs, doivent donc être des objectifs prioritaires.
Stricturoplastie
Les stricturoplasties peuvent être proposées en cas de sténoses courtes (<10cm), nombreuses et espacées de plus de 20 cm, afin d’éviter une résection étendue de grêle, ou en cas de sténose survenant chez un malade déjà opéré et menacé d’un syndrome de grêle court à plus long terme [12, 30, 31].
CAS PARTICULIER DES STENOSES COLIQUES OU RECTALES AU COURS DE LA RCH
La fréquence des sténoses au cours de la RCH varie de 3% à 11% [32, 33]. Leur pathogénie est incertaine : elles pourraient correspondre à un processus fibrotique ou à une hypertrophie musculaire. Surtout, elles peuvent être liées au développement d’un cancer infiltrant. En effet, si le plus souvent, les sténoses sont bénignes, dans 7% à 47% des cas, un cancer est trouvé à leur niveau lors de la colectomie [32-34]. En d’autres termes, environ 25% des cancers colo-rectaux compliquant une RCH se manifestent par une sténose. Certains facteurs plaident pour le caractère malin d’une sténose mais aucun n’est spécifique [32]. Dans la série de Gumaste et al. [32], les critères en faveur de la malignité étaient : a) la survenue de la sténose après 20 ans d’évolution de la maladie (62% de cancers dans ce cas); b) sa localisation en amont de l’angle colique gauche (80% de cancers dans ce cas versus 47% dans le côlon sigmoïde et 0% à 10% dans une autre localisation); c) la présence de symptômes obstructifs (100% de cancers versus 14% en l’absence de symptômes).
Ainsi, un processus néoplasique doit être éliminé par tous les moyens en présence d’une sténose. Des biopsies multiples doivent être pratiquées dans la sténose et à ses extrémités. Le reste du côlon doit être soigneusement examiné et biopsié à la recherche de dysplasie ou de cancer. Un traitement endoscopique (dilatation ou prothèse) ne peut être envisagé que si l’on a éliminé formellement la présence d’une dysplasie ou d’un cancer; sinon, l’indication de la colectomie ou proctocolectomie doit être retenue, d’autant plus si la sténose est proximale à l’angle colique gauche, si elle est symptomatique ou survient après 20 ans d’évolution de la maladie [35].
Traitement endoscopique des lésions dysplasiques au cours de la RCH
» Généralités
Le risque de cancer colo-rectal est augmenté au cours de la RCH [36]. Selon une méta-analyse, ce risque est de 2%, 8% et 18% après respectivement 10, 20 et 30 ans d’évolution de la maladie [37]. Le risque est surtout marqué en cas de pancolite; en cas de colite gauche, le risque est plus faible et débute plus tardivement. En cas de rectite ou de recto-sigmoïdite, le risque n’est pas augmenté.
Les patients ayant une RCH et un risque élevé de développer un cancer colorectal doivent être inclus dans un programme de surveillance endoscopique, dont le but est de dépister la survenue d’une dysplasie ou d’un cancer à un stade précoce.
» Dépistage endoscopique de la dysplasie
MATERIEL REQUIS
La réalisation d’une endoscopie pour dépistage de la dysplasie doit répondre à certaines conditions : a) malade en rémission clinique; b) préparation colique rigoureuse; c) cathéter-spray pour réalisation d’une panchromoendoscopie à l’indigo-carmin (nous utilisons une concentration de 0,25%, certains auteurs utilisent une concentration plus faible); d) schéma précis d’étiquetage des prélèvements systématiques et ciblés; e) au mieux disposer d’un coloscope zoom (optique grossissante x100) pour reconnaître les lésions et les classer selon Kudo (Fig. 1); le zoom permet également de s’assurer, après résection de la lésion, de la disparition de tout résidu dysplasique macroscopique; la muqueuse adjacente à la lésion traitée doit être biopsiée et tatouée pour mieux repérer les risques de récidive; f) connaître les lésions susceptibles d’être retrouvées; g) disposer de tout le matériel requis pour le traitement endoscopique d’éventuelles lésions.
Figure 1. – Classification de Kudo : La classification de Kudo repose sur l’aspect des « puits glandulaires ».
A. Le Type I, arrondi normal et le type II, étoilé correspondent à des aspects normaux.
B. Le type III, tubulaire ou arrondi, le type IV, cérébelleux et le type V où il y’a absence de structures, correspondent à des aspects suspects.
Cette classification de Kudo n’est pas spécifique du cancer colique sur MICI, mais s’applique à tous les cancers coliques.
SÉMIOLOGIE DES LÉSIONS ET CONDUITE A TENIR
Les différentes lésions recherchées lors du dépistage de la dysplasie au cours de la RCH sont représentées sur la figure 2.
Figure 2. – Aspects endoscopiques des lésions retrouvées lors du dépistage de la dysplasie.
A. DALM (dysplasia associated lesion or mass), caractérisées par la présence de lésions dysplasiques au sein d’une muqueuse dysplasique ;
B. les polypes adénomateux sur muqueuse normale ;
C. les ALM (adenoma-like lesion) correspondant à des polypes adénomateux sur muqueuse inflammatoire ;
D. les pseudopolypes correspondant à une muqueuse inflammatoire en l’absence de dysplasie.
Très rarement, dans moins de 5% des cas, la dysplasie est trouvée sur des lésions surélevées appelées dysplasia-associated lesion or mass (DALM) [38, 39]. Les DALM siègent dans une zone préalablement atteinte par la colite; ce sont des lésions dysplasiques développées sur une muqueuse inflammatoire et dysplasique; ainsi, le composant exophytique (lésion ou masse) n’est qu’une partie de la zone dysplasique. La mise en évidence de la dysplasie sur la lésion, mais également à proximité d’elle permettra de la rattacher formellement à une DALM et de la distinguer d’un polype sporadique en dysplasie, également dénommée ALM pour adenoma-like mass [38, 39]. Les DALM ont un aspect suspect lorsqu’elles sont sessiles ou nodulaires, étendues en plaques, larges aux limites irrégulières, de consistance ferme ou dure. Elles peuvent cependant apparaître sous forme de lésions sessiles plus discrètes [38-40].
La découverte d’une dysplasie de haut grade (DHG) ou de bas grade (DBG) sur une DALM doit conduire à une proctocolectomie [35]; sa découverte sur une lésion surélevée ressemblant à un adénome banal nécessite une simple polypectomie [39-41]. Il est parfois difficile de faire la différence entre une vraie DALM et un polype adénomateux sporadique; dans ce cas, la conduite à tenir n’est pas consensuelle [40, 42-43]. Le siège et l’aspect de la lésion surélevée, l’existence d’une dysplasie au voisinage de celle-ci permettent le plus souvent de distinguer une DALM d’un simple polype sporadique. En cas de DALM, un cancer sera trouvé dans près de 50% des cas sur la pièce de colectomie [44].
Les DALM doivent être distinguées des pseudo-polypes inflammatoires (qui ne sont jamais dysplasiques) lorsqu’ils sont épais et surtout des polypes adénomateux sporadiques. Ceci est facile lorsque le polype est pédiculé et situé en amont d’une zone atteinte par la colite, mais peut être difficile lorsque le polype est sessile et situé sur un segment colique atteint par la RCH. La distinction est d’importance puisque les polypes adénomateux sporadiques, survenant de façon fortuite chez un patient ayant par ailleurs une RCH, ne constituent pas un marqueur de développement d’une muqueuse à risque de cancer et ne nécessitent qu’une simple polypectomie. La validité de cette mesure a été confirmée par des études prospectives ou rétrospectives au cours desquelles, en l’absence de DALM, une simple polypectomie a été réalisée. Le suivi régulier de ces patients a confirmé l’absence de survenue de carcinome [39, 40-42, 45, 46]. La conduite à tenir face à ces lésions est récapitulée sur la figure 3.
Figure 3. – Conduite à tenir en fonction des lésions retrouvées en endoscopie et anatomopathologie.
En présence d’une lésion polypoïde, un protocole rigoureux doit s’appliquer : l’endoscopiste doit d’abord préciser si la lésion siège dans une zone atteinte macroscopiquement par la RCH et, si ce n’est pas le cas, réaliser des prélèvements à la recherche d’une atteinte microscopique. Après polypectomie ou à défaut biopsies, s’il s’avère que la lésion dysplasique siège dans une zone non atteinte macroscopiquement et histologiquement par la colite, il s’agit a priori d’un adénome sporadique ne nécessitant que la surveillance habituelle à ce type de lésion [39, 40]. Lorsque la lésion polypoïde siège dans une zone atteinte ou préalablement atteinte par la colite, et si elle ressemble à un polype sporadique (lésion pédiculée ou sessile mesurant moins de 2 cm, régulière et non dure), une polypectomie ou à défaut des biopsies exérèse doivent être pratiquées et des biopsies doivent être réalisées au pourtour de la lésion et à distance sur le côlon [35]. L’endoscopiste doit mettre dans des pots séparés, bien étiquetés, d’une part, le polype réséqué ou les prélèvements effectués sur la lésion surélevée et d’autre part, ceux réalisés à son pourtour; il doit aussi pratiquer de nombreux prélèvements tout le long du côlon à la recherche de dysplasie en muqueuse plane. Il peut également tatouer la zone afin d’en faciliter le suivi endoscopique [35].
La polypectomie est suffisante dans cette situation à condition :
– que la lésion soit un simple adénome et ait été enlevée totalement ou puisse l’être ultérieurement [46, 47];
– qu’il n’y ait pas de dysplasie à la base du polype [47, 48];
– qu’il n’y ait pas d’autres zones dysplasiques dans le côlon [39, 46-48];
– que le côlon puisse être surveillé facilement (patient compliant, absence de nombreux pseudo-polypes) et éventuellement de façon rapprochée si la lésion n’a pas été réséquée totalement [43, 46];
– pour certains, que le patient ait un âge compatible avec un adénome sporadique, une lésion polypoïde dysplasique survenant avant 40 ans étant suspecte de DALM [40, 42, 46].
Parfois la lésion surélevée en dysplasie n’a pas en endoscopie l’aspect caractéristique d’un polype sporadique, notamment lorsque sa base d’implantation est large et irrégulière. Dans ce cas, l’aspect peut être celui d’une nappe villeuse et la lésion n’est classiquement pas résécable. Si une dysplasie a été trouvée au pourtour et à distance de la lésion, il convient de considérer la lésion comme une DALM et de pratiquer une proctocolectomie [35].
Dans un travail récent, Hurlstone DP et al. ont proposé une mucosectomie pour les lésions planes retrouvées par panchromoendoscopie au cours de la RCH, et n’ont pas retrouvé de différence dans le suivi par rapport à leur cohorte de patients non-RCH [49]. Ces données, si elles étaient confirmées, pourraient changer de façon significative, la prise en charge des lésions dysplasiques au cours des MICI, et conduire à réaliser plus largement des mucosectomies endoscopiques. La tolérance au traitement était satisfaisante.
Autres traitements endoscopiques des MICI
L’injection locale d’infliximab a été proposée dans le traitement des ulcérations anastomotiques au cours de la maladie de Crohn [50]. Huit patients ont reçu, lors d’une endoscopie, l’injection locale d’une solution d’infliximab (20 mg/ml, 0.5 à 1 ml, 5 à 10 injections lors d’une séance), soit une dose médiane de 30 mg d’infliximab (extrême 8-60). 3 patients ont eu une deuxième séance d’injections à la semaine 2 et 4 patients ont reçu des injections aux semaines 2 et 6. La tolérance au traitement était satisfaisante dans tous les cas. A 6 semaines, les scores endoscopiques étaient améliorés chez 3/8 patients, les scores histologiques améliorés chez 4/8 patients, aggravés chez 3/8 et inchangés chez 1/8 patient. Sept/8 patients ont eu une diminution du nombre et de l’étendue des lésions. Il s’agissait d’une étude pilote, en ouvert, avec des résultats globalement décevants. Le traitement local endoscopique peut paraître, de prime abord, séduisant (diminution des effets secondaires systémiques, diminution du risque de réaction d’allergie, d’infections opportunistes et autres) mais il n’en demeure pas moins que le risque de telles procédures n’est pas connu, d’autant que dans cette étude pilote, l’apparition d’anticorps anti-infliximab n’a même pas été mesurée.
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