Maladie Périodique (ou Fièvre méditerranéenne familiale, FMF)

Introduction

La fièvre méditerranéenne familiale (FMF) est considérée comme le prototype des maladies «auto-inflammatoires». Le nom de «auto-inflammatoire» a été créé pour caractériser un groupe de pathologies liées à un déficit de l’immunité innée par analogie aux maladies auto-immunes liées à un déficit de l’immunité acquise [10]. Il s’agit d’une maladie génétique autosomique récessive répandue dans certaines populations, particulièrement chez les Arméniens, les Turcs, les arabes et les juifs d’Afrique du Nord. La première description de la FMF est apparue dans la littérature médicale dès le début du siècle. Le nom actuel de fièvre méditerranéenne familiale est plus répandu que celui de maladie périodique, utilisé plutôt en France [5].

Ses manifestations cliniques sont paroxystiques et apparemment sans cause apparente. La fièvre, maître symptôme, dure environ 48 heures et s’accompagne de douleurs abdominales et thoraciques traduisant l’inflammation des séreuses. Les crises sont suivies d’une période de latence de durée variable pendant laquelle le patient reste le plus souvent asymptomatique. C’est l’amylose secondaire qui domine le pronostic du fait de la gravité de la néphropathie. Sa survenue plus fréquente dans certaines ethnies pourrait être sous l’influence conjointe de facteurs d’environnements et de facteurs génétiques en recherche d’identification. Introduite en 1972, la colchicine est toujours le traitement de référence de la FMF. En prise orale continue, elle prévient la survenue des crises chez la majorité des patients ainsi que le développement de l’amylose secondaire. Maladie à début essentiellement pédiatrique, la FMF n’était autrefois évoquée que par élimination sur la base d’arguments cliniques rétrospectifs et/ou de tests thérapeutiques. Le retard diagnostique était la règle et les patients subissaient nombre d’explorations inutiles.

L’identification du gène MEFV (pour Mediterranean FeVer) en 1997, par un consortium français [17] et un consortium international [18], a permis la mise au point du premier diagnostic de certitude en révélant des mutations chez 70% des patients présentant une FMF typique. De plus, les études fonctionnelles de la protéine correspondante (pyrine pour fièvre, dénommée aussi marenostrine pour mare nostrum) ont été le point de départ de découvertes sur la régulation de l’inflammation et de l’apoptose. En effet, cette protéine intervient dans la voie signalétique des caspases aboutissant entre autres, à l’activation du facteur de transcription pléïotropique NF-αB et à la synthèse d’interleukine 1, qui est une cytokine pro-inflammatoire très pyrogène.

Histoire naturelle de la maladie

» Le début

La FMF est une maladie majoritairement pédiatrique. Les premières manifestations de la FMF apparaissent en moyenne à l’âge de 4 ans et dans 80% des cas avant l’âge de 20 ans. Un début plus exceptionnel, au cours de la première année de vie ou après l’âge de 50 ans, doit faire discuter une autre cause de fièvre périodique.

» Les crises

La FMF est caractérisée par des accès aigus, en apparence auto-déclenchés, et entrecoupés de phases de latence.

La crise survient brusquement et atteint rapidement son acmé. Elle est souvent précédée de prodromes irritabilité, fatigue, sensation de malaise, endolorissement abdominal vague avec attitude voûtée caractéristique chez le jeune enfant, et parfois constipation. Les crises sont variables en fréquence et en durée d’un patient à un autre et chez un même patient. Le terme de fièvre récurrente est donc mieux adapté que «périodique». Des facteurs déclenchant sont parfois retrouvés émotion, stress (peur d’un examen par exemple), activité physique inhabituelle, examen para-clinique invasif, menstruations chez 17% des patientes.

Entre les crises, l’état général est conservé mais chez certains enfants, leur répétition est responsable d’un retard staturo-pondéral et de troubles psychologiques avec anxiété et irritabilité.

» Evolution

L’évolution de la FMF est imprévisible et différente selon les patients. Après une phase de latence de 3 à 4 ans en moyenne, les crises s’installent pendant toute la vie avec une tendance vers l’extinction définitive avec l’âge. Le profil des crises peut varier dans le temps chez un même patient ce qui rend difficile la description d’un profil-type. Certains patients ont très peu de crises et/ou des crises très atténuées qui rendent leur vie tout à fait supportable d’autant que les signes ont tendance à diminuer après 40 ans. D’autres, vivant un véritable «état de mal périodique», ont des crises sévères quasi quotidiennes et insensibles aux thérapeutiques. Dans tous les cas de figure, de longues rémissions sont possibles. Le pronostic dépend essentiellement de la survenue d’une amylose qui semble liée à la sévérité de la maladie âge de début, intensité et fréquence des crises, et à l’ethnie d’origine du patient.

Sur quels éléments cliniques évoquer la FMF ?

» La fièvre

La fièvre typique s’élève brutalement à 39-40° C et s’accompagne de frissons lui ayant valu le qualificatif de «pseudo-palustre». Elle dure en moyenne 48-72 heures avec une défervescence progressive durant quelques heures. Son caractère isolé n’est cependant pas exceptionnel et l’interrogatoire doit rechercher dans cette situation en plus des frissons, une sensation de froid précédent la phase de sudation et un caractère répétitif. Des poussées fébriles de bas grade, passant inaperçues ou durant seulement quelques heures sont aussi possibles.

» Les signes abdominaux

Ils constituent avec la fièvre, les signes cardinaux de la FMF, présents chez 85 à 90% des malades. La symptomatologie est très aiguë avec une douleur brusque localisée à l’épigastre et qui diffuse secondairement à l’hypochondre droit, la fosse iliaque droite puis à l’ensemble de l’abdomen. Le patient a une attitude prostrée évitant le moindre changement de position. Des signes digestifs à type d’anorexie, de constipation, de nausées et plus exceptionnellement de vomissements sont associés. A ce stade, l’examen abdominal montre une distension diffuse avec une sensibilité à la palpation qui révèle une défense ou parfois une contracture, localisée ou généralisée. Si une radiographie d’abdomen sans préparation est pratiquée, elle montre une distension digestive avec parfois des niveaux hydro-aériques faisant redouter une occlusion intestinale.

Ce tableau très impressionnant et surtout lorsqu’il est inaugural, peut appeler des interventions chirurgicales (en particulier des appendicectomies) inutiles. Le taux d’appendicectomies est élevé chez ces patients périodiques 50% en 1964 [15], mais semble diminuer avec une meilleure reconnaissance de la maladie 15% dans une série marseillaise de l’année 2000 [7]. Quand une laparotomie est pratiquée en crise, elle montre une congestion péritonéale avec épanchement de liquide trouble stérile contenant de la fibrine et des leucocytes. L’appendice et le reste des organes sont en règle normaux. Des brides et des adhérences péritonéales peuvent résulter de l’organisation de l’exsudat produit lors de la crise inflammatoire et être dans de rares cas, à l’origine d’occlusions intestinales.

L’examen histologique du péritoine en crise montre une inflammation associant congestion vasculaire, œdème et infiltrat de cellules mononucléées et des polynucléaires. En l’absence d’intervention, la douleur cède en six àdouze heures. Sa disparition est complète en 24 à 48 heures, accompagnée souvent d’une diarrhée transitoire.
Les crises abdominales peuvent être atypiques par leur intensité réduite à type de gène abdominale plutôt que de franche douleur ou par leur localisation avec possibilité de crises pelviennes évoquant une urgence urinaire ou gynécologique.

Lorsque la FMF est connue et que la crise abdominale est typique, le patient peut reconnaître ses symptômes ce qui permet d’attendre les quelques heures critiques avant de prendre une décision d’intervention chirurgicale. L’état général conservé et la présence d’un signe d’accompagnement extra abdominal comme une douleur thoracique ou une arthrite peuvent permettre de reconnaître plus aisément la FMF.

Dans les autres situations où une urgence chirurgicale ne peut être éliminée, se discute l’utilité d’une imagerie complémentaire. L’échographie abdominale, examen simple et non irradiant, manque malheureusement de spécificité dans ce contexte. Pour certains, le scanner abdominal peut être utile car il permet de vérifier la normalité de l’appendice et l’absence d’occlusion intestinale. Il peut montrer d’autres signes évocateurs d’une crise de FMF plutôt que d’une urgence chirurgicale chez un sujet sain comme un épanchement péritonéal de faible abondance (70%), des adénopathies mésentériques (45%) et une splénomégalie (20%) [23].

» Les signes articulaires

Les signes articulaires de la FMF incluent des arthralgies et des arthrites dont la distribution peut être oligoarticulaire (80% des cas) ou polyarticulaire (20%). Ils inaugurent la maladie une fois sur quatre, posant alors chez un enfant le problème du diagnostic différentiel avec une arthrite juvénile idiopathique ou en fonction du contexte, avec un rhumatisme articulaire aigu.

Les formes récurrentes monoarticulaires et celles avec atteinte simultanée de deux articulations sont de loin les plus fréquentes, les articulations les plus touchées étant les genoux et les chevilles. Les attaques articulaires débutent brutalement avec une douleur atteignant son paroxysme en moins de 12 heures et régressant en moins de 24 heures. L’impotence fonctionnelle et les signes inflammatoires locaux persistent pendant environ deux semaines. Ces crises aiguës concernent parfois les grosses articulations des membres inférieurs dont parfois les articulations sacro-iliaques et les métatarsophalangiennes. Elles n’entraînent en général pas d’érosions osseuses et/ou de destruction articulaire.

Les atteintes polyarticulaires peuvent intéresser des articulations plus serrées comme les doigts, les poignets et les temporo-mandibulaires; leur évolution est plus prolongée durant 6 à 12 semaines. Les radiographies pratiquées montrent essentiellement un œdème des parties molles, et une discrète déminéralisation osseuse qui n’est que transitoire.

Des arthropathies prolongées sont rapportées mais elles ne dépassent pas 5% de l’ensemble des atteintes articulaires liées à la FMF. Elles siègent surtout aux hanches et aux genoux (75% des cas), pouvant durer pendant des semaines ou des mois mais ne laissant généralement pas de séquelles articulaires. Toutefois, des évolutions très rapides vers la destruction articulaire ont été rapportées, en particulier au niveau des hanches avec coxite radiologique pincement de l’interligne, déminéralisation de voisinage pouvant évoluer vers une condensation secondaire et un remaniement arthrosique des berges. Une nécrose aseptique ischémique de la tête fémorale est aussi possible. Ces manifestations peu communes doivent faire rechercher une maladie associée, en particulier une spondyloarthropathie HLA B27 négative ou une colopathie inflammatoire. Le traitement des arthropathies prolongées est difficile car les AINS et les corticoïdes ne sont pas efficaces. Le traitement chirurgical, synovectomie ou une mise en place de prothèse, peut être le seul recours devant une destruction articulaire accélérée et/ou une impotence fonctionnelle absolue.

» Les signes musculaires

Les myalgies ainsi que des douleurs des plantes et des talons sont présentes chez environ 20% des malades.
Les myalgies spontanées atteignent surtout les mollets qui sont douloureux à la pression et peuvent être augmentés de volume, tendus et chauds. Ces myalgies régressent spontanément en quelques heures ou jours sans qu’aucun traitement ne soit réellement efficace. Les enzymes musculaires sont normales ou très peu modifiées avec élévation parfois discrète de la lactico-déshydrogénase (LDH). L’imagerie et la biopsie musculaire sont normales.

Les myalgies induites par l’effort et surtout par l’endurance sont les plus fréquentes. Elles surviennent en général le soir, sont d’intensité modérée et disparaissent spontanément en quelques heures.
Le syndrome des myalgies fébriles prolongées survient presque toujours chez des patients dont la FMF est connue et traitée par la colchicine. Les douleurs musculaires sont intenses et diffuses confinant le patient au lit. Bien qu’exceptionnelles, les myalgies fébriles prolongées doivent être reconnues pour éviter au patient des explorations inutiles et instaurer rapidement une courte corticothérapie qui est le seul traitement efficace.

» Les signes pleuraux

Ils sont présents chez 50% des patients souffrant de FMF, et se traduisent par une douleur basithoracique unilatérale (gauche le plus souvent) associée une polypnée superficielle. Les signes respiratoires prédominent chez le très jeune enfant qui n’exprime qu’exceptionnellement une douleur thoracique. L’irradiation des douleurs à l’épaule ou à la base thoracique controlatérale est possible. L’auscultation en crise peut retrouver une diminution du murmure vésiculaire. La radiographie du thorax montre rarement une lame d’épanchement pleural et/ou une bande d’atélectasie persistant entre deux et dix jours. Les crises pleurales accompagnent les crises abdominales qui peuvent les masquer, et suivent leur évolution en 24 à 48 heures.

» Les signes cutanés

Quand ils sont soigneusement recherchés, ils sont présents chez un patient sur deux.
La plaque érysipélatoïde est la plus caractéristique parce qu’elle n’est observée dans aucune autre maladie auto-inflammatoire. Souvent déclenchée par la marche ou la station debout prolongée, elle siège au-dessous du genou région pré tibiale, dorsale du pied et péri malléolaire. Son aspect est érythémateux, induré, chaud et douloureux. De grande taille (15 à 50 cm?), elle ne peut passer inaperçue du malade et constitue un élément anamnestique majeur pour le diagnostic de FMF. Sa durée est d’environ 3 à 4 jours.

D’autres types d’érythèmes uniques ou multiples correspondant à des placards cellulo-dermiques sont décrits au niveau du tronc, des quatre membres, du visage et du cou.

Des poussées d’œdèmes indolores «non inflammatoires», du visage, du dos des mains, des mollets font partie intégrante des signes cutanés de la FMF.

Des accès urticariens accompagnant les crises sont parfois rapportés.
La survenue de lésions muqueuses (aphtose buccale, ou bucco-génitale), de nodules sous-cutanés (ou d’érythème noueux) et de purpura vasculaire infiltré et déclive relie cliniquement la FMF aux vascularites systémiques purpura rhumatoïde, PAN, maladie de Behçet et colites inflammatoires.

» Spléno-hépatomégalie

Une splénomégalie est constatée chez 25% des malades entre les crises. Elle est beaucoup plus fréquente chez l’enfant (14-53%). Elle est pratiquement constante en cas d’amylose.

Une hépatomégalie est détectée chez 15 à 55% des patients, le plus souvent en rapport avec une stéatose hépatique, quand il n’y a pas d’amylose.

» Manifestations paroxystiques diverses

La péricardite est une complication bien connue de la FMF mais elle est relativement rare avec une prévalence estimée à 0,7%.

Signes neurologiques méningites aseptiques récurrentes chez des malades céphalalgiques ou non, ayant été prévenues efficacement par la colchicine. Quelques rares patients ont présenté des crises comitiales
Orchite Sa fréquence est diversement rapportée (5-20% des patients mâles) selon les auteurs. Son évolution est spontanément régressive en 48-72heures; les complications ischémiques sont exceptionnelles.

Des manifestations oculaires à type d’épisclérites et d’uvéites antérieures ou totales ont été rapportées. Leur évolution a été régressive sous traitement par colchicine et corticoïdes.

» Complication vers l’amylose

L’amylose est la complication évolutive la plus grave de la FMF car elle conduit rapidement à l’insuffisance rénale terminale et au décès du patient. Sa survenue serait favorisée par l’homozygotie M694V dans le gène MEFV [14] et par des mutations homozygotes d’un autre gène, le gène SAA [2]. En principe, elle survient après plusieurs années d’évolution (10 à 15 ans en moyenne) et son incidence est largement en corrélation avec l’âge des patients puisque 75% des cas sont diagnostiqués après 43 ans. Cependant dans sa globalité, elle atteint surtout des sujets jeunes de moins de 40 ans. Elle peut exceptionnellement apparaître très tôt dans l’enfance, avant les manifestations cliniques de la FMF (amylose de type II), mais la réalité de cette situation est aujourd’hui discutée car pour la plupart, ces sujets ont des taux sériques élevés de protéines inflammatoires et en particulier de protéine SAA. Sa fréquence est variable en fonction des ethnies et en fonction du lieu de vie des patients, plus fréquente chez les Turcs (60%) et les juifs Sépharades (27%) que chez les Arméniens et les Ashkénazes.
Le mode de révélation habituel de l’amylose est une protéinurie non sélective s’aggravant progressivement vers un syndrome néphrotique et une insuffisance rénale sur une période de 2 à 17 ans. A la phase d’état, une hépatomégalie et une splénomégalie sont présentes dans plus de 70% des cas. L’infiltration intestinale est très fréquente, rarement manifestée par un syndrome de malabsorption. La plus longue survie des patients grâce à l’hémodialyse et à la transplantation fait apparaître d’autres localisations extra rénales de l’amylose comme des goitres et des valvulopathies amyloïdes. Le diagnostic de l’amylose est confirmé dans 80% des cas par la biopsie rénale et/ou rectale (moins nécessairement médullaire) après coloration par le rouge Congo qui met en évidence des dépôts biréfringents.

La dialyse et la transplantation rénale permettent d’allonger la survie des patients périodiques.

Sur quels éléments biologiques évoquer la FMF?

Comme pour la clinique, les modifications biologiques sont paroxystiques; cependant, leur normalisation complète entre les poussées n’est pas la règle.

» Syndrome inflammatoire biologique non spécifique

Il est caractéristique au moment des poussées. Les anomalies les plus constantes touchent certaines protéines de phase aiguë protéine C-réactive, fibrinogène, protéine SAA et vitesse de sédimentation qui est supérieure à 20mm/h. 25% des patients gardent une protéine C-réactive, un fibrinogène, une VS et une protéine SAA élevée en phase inter-critique. Une inflammation sub-aiguë persistante peut aussi être observée chez des collatéraux du premier degré des patients, cliniquement asymptomatiques. L’effet de la colchicine, très partiel sur les anomalies biologiques, n’affecterait que les taux de protéine C-réactive lors des poussées.

» Sur le plan hématologique

La leucocytose peut atteindre 20000/mm3 mais elle est inconstante et de durée brève (< 24 h). Les taux de plaquettes et d’hémoglobine restent normaux.

Données génétiques

» Mode de transmission

La FMF est considérée comme une maladie de transmission récessive autosomique [13]. Le risque pour un couple porteur d’avoir un enfant atteint est donc de un quart. Ce risque est à moduler en fonction de la pénétrance des mutations, définie comme la probabilité d’être affecté si on possède une mutation dans le cas des maladies à transmission dominante, ou deux mutations pour une maladie récessive.

Il n’est pas rare cependant de constater un aspect de pseudo-dominance, c’est-à-dire une transmission d’aspect vertical. Il faut alors penser à rechercher une consanguinité ou une forte endogamie, union préférentielle au sein d’une même population à risque, ces deux causes augmentant considérablement la probabilité de coexistence de deux allèles mutés chez les individus issus de telles familles.

A l’inverse, dans les petites familles, il n’est pas rare de ne retrouver aucune notion familiale, et la notion de cas sporadique ne doit pas faire éliminer la possibilité d’une FMF.

» Le gène de la FMF

Le gène MEFV est localisé sur le bras court du chromosome 16, en 16p13.3 [12]. De taille moyenne, environ 14kilobases, il comprend 10 exons. Une centaine de variants de séquences a été répertoriée dans le registre internet des mutations auto-inflammatoires (Infevers) http//fmf.igh.cnrs.fr/infevers/ [19]. Il convient de noter que tous les variants du gène n’ont pas le même effet sur le tableau clinique des patients. Pour une bonne interprétation du test génétique, il faut différencier

LES MUTATIONS PATHOGENES

L’exemple type est M694V dans l’exon10, transformant la méthionine en position 694 en valine. Bien qu’il n’y ait eu encore aucune étude fonctionnelle, la quasi-systématique association d’un tableau typique de FMF avec cette mutation lorsqu’elle est en double dose, permet d’affirmer qu’il s’agit d’une mutation vraie. La grande majorité des mutations FMF est ponctuelle, de type substitution. A ce jour n’ont été rapportées que trois petites délétions ne décalant pas le cadre de lecture, et une mutation aboutissant à la création d’un codon stop (Y688X).

LES MUTATIONS A FAIBLE PENETRANCE OU POLYMORPHISMES FONCTIONNELS

Il s’agit de variants plus ou moins associés à une symptomatologie de FMF. Ils ont une prévalence élevée dans la population générale. E148Q dans l’exon 2 du gène MEFV fait couler beaucoup d’encre. Ce variant est alternativement considéré comme une mutation vraie ou un polymorphisme.

Des polymorphismes simples, changeant (R202Q) ou non (P706P) l’acide aminé codé, ont aussi été décrits dans le gène MEFV.

» Le diagnostic moléculaire

Le test génétique constitue le seul élément biologique spécifique de la maladie périodique et devrait progressivement se substituer à de grosses explorations lourdes et coûteuses, et pourrait se faire de plus en plus tôt dans l’évolution de la maladie. Il faut cependant souligner que l’outil moléculaire n’a pas révolutionné le diagnostic de la FMF autant qu’on l’attendait.

Il n’y a pas de méthode consensuelle à ce jour. Les stratégies moléculaires dépendent des habitudes et du savoir-faire des laboratoires, allant du criblage exhaustif de certains exons par séquençage aux techniques de détection spécifique de mutations. Trois trousses commercialisées ne permettent d’analyser qu’un nombre limité de mutations. Les cinq mutations les plus fréquentes sont systématiquement explorées dans presque tous les laboratoires car elles rendent compte à elles seules de plus de 80% des cas de FMF dans les populations à risque.

La découverte de deux mutations signe un diagnostic «positif», sous réserve de confirmation que ces deux mutations ne sont pas portées par le même chromosome (cas des allèles complexes). Ce phasage peut se faire aisément par l’analyse de l’ADN parental. Si les deux mutations sont alléliques (en cis), la confirmation génétique du diagnostic de FMF implique l’identification d’une troisième mutation sur l’autre chromosome (en trans). La non détection de deux mutations par l’utilisation d’un test génétique limité à un criblage partiel du gène MEFV ne doit pas être considérée comme un test «négatif». Dans ce cas, le test doit être interprété comme «non contributif», et le diagnostic de FMF ne peut être formellement exclu.

L’analyse du gène est précieuse principalement dans les formes pauci symptomatiques. Beaucoup discutent l’intérêt du test génétique dans les populations non méditerranéennes en raison du faible taux de découverte de mutations chez ces patients. Chez les non atteints, certains prônent l’analyse de tous les membres de la fratrie lorsque le diagnostic est confirmé génétiquement chez le propositus. D’autres suggèrent de tester de façon systématique tous les couples d’origine juive non ashkénaze, arménienne, arabe ou turque, en raison du taux particulièrement élevé (1 sur 3 à 1 sur 10) de porteurs sains dans ces populations. L’intérêt de tester les non atteints est la surveillance, notamment de la fonction rénale, avant l’apparition potentielle des symptômes. Cette indication dépasse malheureusement les possibilités financières et organisationnelles de la plupart des laboratoires. A cette limite, se rajoute naturellement une dimension éthique. Il n’y a pas de consensus quant à la conduite à tenir dans le cas de découverte fortuite d’une FMF génétique non exprimée cliniquement chez un individu faut-il traiter ou simplement surveiller?

Diagnostic prénatal et pré-implantatoire ne sont naturellement pas indiqués dans cette pathologie, qui bien que très invalidante, n’obère pas de façon majeure le pronostic fonctionnel du patient, et qui bénéficie d’un traitement très efficace.

» Corrélations phénotype-génotype

De grandes variations peuvent exister dans la présentation clinique des patients, non seulement entre des malades de différentes origines ethniques, mais aussi de même génotype MEFV, voire au sein d’une même famille. Ces différences peuvent être en partie expliquées par l’hétérogénéité génétique (allélique et de locus), les gènes modificateurs, et les facteurs environnementaux.

Toutes les mutations dans le gène MEFV n’ont pas un effet pathogène équivalent. La mutation M694V est réputée la plus sévère (âge de début plus précoce, plus de signes articulaires et cutanés, risque important d’amylose rénale). Cette observation a été répétitivement faite chez les juifs, les Arméniens, et les arabes. L’association de M694V à une forme plus grave de la maladie est controversée chez les Turcs. V726A et E148Q ont globalement un effet modéré.

Des analyses de liaison génétique dans une population turque ont montré l’existence de familles FMF non liées au gène MEFV [1]. Cette étude initiale n’a jamais été suivie de la découverte du gène en cause dans ces familles. Ala lueur des données récentes, il est possible que ces patients souffrent d’une autre fièvre périodique.
Les gènes modificateurs sont des facteurs génétiques à effet modéré qui ne sont pas indispensables pour la survenue de la maladie. Deux équipes françaises ont montré l’existence de gènes pouvant influencer l’évolution de la maladie indépendamment de MEFV.

MICA (Major Histocompatibility Complex class I chain A) et forme clinique de la maladie L’effet de M694V sur le début de la maladie est aggravé si les patients possèdent aussi l’allèleA9 dans la région transmembranaire de MICA, alors que les patients présentent moins de crises lorsqu’ils ont hérité de l’allèle A4. Ce locus ne semble pas avoir d’effet sur le risque d’amylose rénale.

SAA (Sérum Amyloid A) et amylose rénale Les accès répétés d’inflammation peuvent conduire à une synthèse excessive de SAA par le foie, entraînant une élévation des taux sériques et une formation d’agrégats dans les tissus, principalement les reins, sous forme de dépôts amyloïdes. Les patients homozygotes pour l’allèle alpha du gène SAA ont un risque élevé d’amylose rénale, indépendamment du génotype MEFV.

» Physiopathologie

MEFV est exprimé principalement dans les cellules sanguines inflammatoires, polymorphonucléaires et monocytes activés. L’élucidation de la structure secondaire de marenostrine/pyrine a révélé que son extrémité amino terminale contenait un domaine à 6 hélices alpha, maintenant appelé PYrin-Domain (PYD) [9]. PYD représente le 4e membre de la superfamille des DDF (Death Domain Fold), qui comprend un ensemble de protéines impliquées dans la régulation de l’apoptose, de NF-αB et de certaines cytokines. Le domaine PYD est aussi contenu dans la cryopyrine responsable de CAPS. Ce domaine est utilisé par une protéine adaptatrice qui lie la caspase 1 qui, lorsqu’elle est activée, induit la production et sécrétion de l’interleukine 1, un puissant pyrogène. Le rôle de la protéine sauvage serait de promouvoir l’apoptose des cellules, ou de moduler la synthèse de cytokines après un stimulus inflammatoire. Le domaine B30.2 à l’autre extrémité de marenostrine/pyrine dans lequel est localisée la majorité des mutations associées à la FMF pourrait avoir cette fonction de détection de certains composants des parois bactériennes appelés PAMPs. Les mutations dans MEFV auraient un effet gain de fonction acquis durant l’évolution pour détecter un spectre plus large de PAMPs que la protéine sauvage. Une meilleure réponse immunologique aux pathogènes pourrait conférer un avantage sélectif aux porteurs de mutation, hypothèse étayée par l’observation d’une prévalence particulièrement élevée des hétérozygotes dans les populations méditerranéennes[16].

Diagnostic différentiel

L’éventail du diagnostic différentiel de la FMF est large, et la prise en compte des antécédents familiaux, du contexte ethnique, de certaines particularités symptomatiques et les récidives à distance sont des éléments d’orientation vers une FMF.

Les premières crises fébriles souvent isolées chez l’enfant évoquent en premier lieu des viroses respiratoires ou des infections des voies urinaires.

Les crises articulaires peuvent mimer une arthrite septique ou une arthrite juvénile idiopathique.

La première crise abdominale peut mimer une urgence chirurgicale.

L’association d’une fièvre, d’un rash purpurique infiltré palpable, et d’une hématurie, si fréquente chez l’enfant évoque en premier lieu un purpura rhumatoïde.

L’association, fièvre récurrente, douleurs abdominales, signes articulaires et cutanés est commune à d’autres maladies auto-inflammatoires.

Le tableau le plus fréquent à l’âge pédiatrique est celui associant une fièvre élevée durant 72 heures, insensible aux antibiotiques, s’accompagnant de frissons, d’adénopathies cervicales douloureuses, d’une odynophagie et parfois d’aphtose buccale, se reproduisant régulièrement tous les 28 jours en moyenne de telle sorte que les parents peuvent en prédire la survenue. Il s’agit du syndrome pFAPA (periodic Fever Adenitis Pharyngitis, and Aphtosis) décrit par Marshall en 1987 [8] dont il existe des formes familiales mais dont la cause n’a pas encore été identifiée. Plus de 90% des patients guérissent après une amygdalectomie.

Le début des crises dans la première année de vie, l’effet inducteur des vaccinations, la répétition d’infections de la sphère ORL, ainsi que l’existence de céphalées chroniques associées à des adénopathies cervicales et à une éruption urticarienne doit évoquer une maladie exceptionnelle le déficit en mévalonate kinase, anciennement appelé syndrome hyper-IgD et rapporté initialement chez des Hollandais[20]. Le diagnostic est confirmé par l’excrétion accrue mais discrète d’acide mévalonique dans les urines au cours des pics fébriles et/ou par la diminution de l’activité de la mévalonate kinase dans des lymphocytes circulants. L’élévation des IgD est inconstante chez le jeune enfant. Le diagnostic moléculaire permet d’identifier la nature des mutations mais n’est pas indispensable pour affirmer le diagnostic qui repose sur un test biochimique.

Une fièvre désarticulée associée à des éruptions urticariennes (parfois déclenchées par le froid), des signes articulaires de degrés divers et des signes neurologiques (méningite chronique et troubles neuro-sensoriels) peuvent entrer dans le vaste cadre neurologique des déficits en CIAS1 (CAPS syndrome urticaire familiale au froid, syndrome de Muckle et Wells, CINCA) [3, 6].

Le déficit en TNFR1 (TRAPS) se manifeste plus souvent chez l’adulte par des fièvres récurrentes de durée variable pouvant atteindre 21 jours avec comme signes particuliers, un œdème périorbitaire, une plaque érythémateuse et une myalgie localisée correspondant à une fasciite monocytaire. Comme la FMF, elle peut se compliquer d’amylose (28% des cas).

Traitement

Il n’y a à ce jour aucun traitement curatif de la FMF.

» Traitement préventif des crises

La colchicine a été introduite en 1972 [4] pour traiter la FMF. Quand elle est donnée quotidiennement à des doses comprises entre 0,5 et 2 mg/jour, indépendamment du poids et de l’âge du patient, elle permet de faire disparaître complètement les crises dans la moitié des cas et de réduire leur fréquence et/ou leur intensité dans 25% des cas. Il est habituel de la prescrire en augmentant graduellement la dose jusqu’à obtention d’une réponse clinique. En cas de non-réponse à la colchicine, il est impératif de s’assurer que le patient l’a prise régulièrement et que la dose prescrite a été suffisante. La tolérance du traitement par colchicine est généralement bonne. Quelques patients ressentent des troubles digestifs avec des selles fréquentes ou diarrhéiques.

Chez l’enfant, l’impact du traitement continu sur la croissance staturo-pondérale est plutôt favorable dans la mesure où il permet de limiter le nombre de crises.

» Traitement curatif des crises

Un traitement symptomatique par anti-inflammatoires non stéroïdiens et antalgiques à débuter dès les premiers symptômes de la crise, est généralement prescrit mais il ne permet, en général, qu’un contrôle partiel des symptômes.

» Traitement de l’amylose

La colchicine administrée quotidiennement est le seul traitement préventif efficace de l’amylose [11]. Son action sur l’amylose déclarée est partielle et permet parfois de limiter l’évolution des malades protéinuriques vers l’insuffisance rénale terminale [21, 22]. Des posologies supérieures à 1,5 mg/j de colchicine ont permis la régression totale de la protéinurie voire une régression histologique des lésions chez quelques patients. La poursuite du traitement par colchicine à une dose plus faible, adaptée à la situation d’insuffisance rénale, est indispensable dans ces deux situations car elle permet d’éviter la récidive de l’amylose sur le rein transplanté.

RÉFÉRENCES

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