Sténose des voies biliaires l’histologie est-elle nécessaire ?
» Objectifs pédagogiques
- Connaître la fréquence des sténoses bénignes et malignes?
- Savoir évoquer le caractère malin d’une sténose.
- Comment obtenir la preuve histologique?
» Sommaire
Pourquoi faire un diagnostic histologique?
- Arguments épidémiologiques.
- Rôle du diagnostic dans la prise en charge médicale.
- Problème des fausses sténoses malignes («malignant masquerade»).
- Diagnostic de malignité «non adénocarcinomateux».
Comment faire un diagnostic histologique?
- Brossage.
- Amélioration des performances par biopsie ou ponction à l’aiguille.
- Rôle de la ponction sous échoendoscopie (EUS-FNA).
- Comparaison aux autres méthodes IDUS, TDM, cholangioscopie.
- Rôle et difficultés de l’examen anatomopathologique.
Quand faire un diagnostic histologique?
- Chez quel patient suspecter une sténose maligne? (avec et sans cholangite sclérosante).
- Chez un patient résécable?
- Chez un patient non résécable?
Introduction
Les progrès concernant le traitement du cholangiocarcinome sont rares alors que le taux de résécabilité reste proche de 20%. Néanmoins, l’apparition de chimiothérapies efficaces ou de la photothérapie dynamique a amélioré la prise en charge des situations palliatives. Ce type de traitement doit cependant reposer sur la preuve d’un résultat histologique. Alors que l’obtention d’une histologie a radicalement transformé la prise en charge palliative des cancers du pancréas, le rôle d’une preuve histologique au cours d’une sténose biliaire demeure discuté eu égard aux performances modestes des prélèvements réalisés. Les objectifs de cette mise au point sont d’expliquer, au cours d’une sténose biliaire supposée maligne, les raisons de l’obtention d’une histologie, les modalités de l’obtention de cette histologie et les indications de la recherche d’une preuve histologique.
Pourquoi rechercher une preuve histologique?
» Arguments épidémiologiques
Le cholangiocarcinome (CC) est une tumeur rare mais dont l’incidence semble en augmentation. Aux USA, l’incidence est comprise entre 3500 et 5000 cas annuels [1, 2]. Les deux tiers des CC atteignent les voies biliaires extra-hépatiques (VBEH) et un tiers les voies biliaires intrahépatiques (VBIH). Au cours des trente dernières années, l’incidence a augmenté de façon différente pour les CC intra-hépatiques et extra-hépatiques. Ainsi aux USA, l’incidence des CC des VBIH a augmenté de 0,32/100000 à 0,85/100000 des années 1975-79 à 1995-99 [1, 2]. Dans le même temps, l’incidence des CC des VBEH a diminué de 1,08/100000 à 0,82/100000. L’influence de cette incidence, différente selon la localisation du CC, a un impact certain sur les modalités d’obtention d’une preuve histologique. La mortalité du CC ajustée par l’âge a également augmenté entre 1973 et 1997, passant de 0,07 à 0,69 [3]. Tous ces éléments contribuent à accroître la motivation du clinicien pour obtenir la preuve du caractère néoplasique d’une sténose supposée maligne de la voie biliaire.
» Rôle du diagnostic dans la prise en charge médicale
L’impact de l’obtention d’une preuve histologique de CC est conditionné en situation palliative par l’apport récent des traitements chimiothérapiques ou de la thérapie photodynamique. Ainsi, des études récentes ont confirmé une augmentation de l’espérance de vie des patients traités par des dérivés du carboplatine ou par la gemcitabine même si des études randomisées de phase III sont en cours [4].
Deux études prospectives randomisées, certes avec un effectif limité (< 39 patients) ont démontré une survie médiane augmentée chez les patients traités par thérapie photodynamique associée à la mise en place d’une prothèse par voie endoscopique ou radiologique [5, 6].
» Problème des fausses sténoses malignes («malignant masquerade»)
Le diagnostic de malignité en cas de sténose supposée maligne des VBIH ou VBEH est difficile à établir. Ainsi, plusieurs séries ont trouvé une proportion de sténose bénigne variant entre 8 et 13% dans des séries de patients opérés pour résection de sténose maligne de la VB [7-9]. Des critères clinico-biologiques ont été établis avec une valeur prédictive positive de 95% pour les CC du hile hépatique ictère nu progressif, absence de lithiase biliaire, absence d’antécédent de chirurgie biliaire, âge > 60 ans, dilatation isolée des VBIH, sténose isolée de la convergence… Néanmoins, la combinaison de ces tests présente une sensibilité et une valeur prédictive négative insuffisantes si bien que leur valeur en pratique clinique reste discutable. Trois séries ont recensé la nature des sténoses bénignes interprétées en pré-opératoire comme des sténoses malignes («malignant masquerade»)[7-9]. Ces séries ont respectivement analysé des sténoses bénignes chez des patients opérés dans 22/275 cas, 14/220 cas, 14/278 cas (6,5% en moyenne). Cinq diagnostics différents étaient identifiés pancréatite ou cholangite lympho-plasmocytaire sclérosante (c’est-à-dire autoimmune) (3/50), cholangite sclérosante primitive (3/50), maladie granulomateuse (3/50), fibrose ou inflammation non spécifique (36/50), lithiase biliaire (6/50). Le principal diagnostic retrouvé est donc celui d’une fibrose avec une inflammation intense mimant une sténose serrée néoplasique. Il est probable que bon nombre de ces sténoses correspondent en réalité à des causes auto-immunes mais l’absence d’immunomarquage IgG4 ou de critères anatomo-pathologiques récemment établis n’a sans doute pas permis de classer correctement ces lésions [10, 11].
» Diagnostic de malignité «non adénocarcinomateux»
Enfin, le dernier intérêt de l’obtention d’une histologie au cours d’une sténose des VBEH ou VBIH n’est pas seulement de distinguer une sténose bénigne d’une sténose maligne mais aussi de différencier au sein des sténoses malignes, les différents types de carcinome. Le type histologique le plus représenté est l’adénocarcinome dans 95% des cas mais celui-ci peut être plus ou moins différencié ou comporter un contingent mucineux [1, 4]. Les 5% restants correspondent généralement à un carcinome épidermoïde mais aussi à des métastases biliaires, parfois de cancer digestif.
Comment obtenir une preuve histologique?
» Brossage endocanalaire
La technique standard consiste à passer une brosse avec un cathéter de 6Fr au travers de la sténose biliaire au cours d’une CPRE, sous contrôle radioscopique, la brosse étant munie de repères radio-opaques [12]. D’une manière générale, il vaut mieux passer la brosse sur fil guide pour ne pas faire de faux trajets et parce que le brossage peut induire une hémobilie et un œdème rendant parfois difficile la canulation du trajet sténotique. La brosse doit ensuite être passée sur des lames de cytologie ou conventionnelles ou bien doit être coupée et mise dans un pot de formol ou de préparation pour cytologie mono couche (Thin Prep®) [13].
Les performances diagnostiques de la cytologie endocanalaire sont modestes avec une sensibilité variant entre 33 et 57% [12, 14]. Dans 7 études totalisant 837 patients, la sensibilité était de 42% (33-57%), la spécificité 98% (90-100%); la valeur prédictive positive (VPP) 98% (94-100%), la VPN 43% (8-62%). Ces chiffres appellent quelques commentaires s’il y a peu de faux positifs (c’est-à-dire que quand un résultat revient positif, on peut être à peu près sûr de l’existence d’un cancer), un résultat négatif correspond plus d’une fois sur deux à un faux négatif (VPN 43%). La limite du brossage réside dans le grand nombre de faux négatifs et plusieurs dispositifs ont été proposés pour améliorer ses performances. Le rôle d’une dilatation préalable a été discuté dans deux études mais il semble que l’accroissement de la précision diagnostique soit surtout le fait de brossages répétés [12]. Une autre étude a comparé le brossage à la ponction endocanalaire à l’aiguille après dilatation avec une sensibilité respectivement de 57% et 85% [12]. Des dispositifs spéciaux ont également été proposés pour améliorer le rendement de la cytologie. L’extracteur de Soehendra a été évalué dans deux études avec des bons résultats dans une étude et une sensibilité plus faible que le brossage conventionnel dans une autre (25% vs 42%) [12]. JMDumonceau a présenté récemment une nouvelle Dormia donnant des résultats prometteurs [15]. Le taux de complication dans les 7 séries rapportées est faible avec une seule perforation avec fuite biliaire due à un faux trajet de la brosse [12].
» Amélioration des performances par biopsie ou ponction à l’aiguille
La biopsie endobiliaire a été développée pour accroître les performances de la cytologie par brossage. Elle est réalisée sous contrôle scopique à l’aide d’une pince pédiatrique. De fait, ses performances semblent supérieures[12]. Dans 6 études totalisant 502 patients, la sensibilité était de 56% (43-81%), la spécificité 97% (90-100%), la valeur prédictive positive (VPP) 97% (94-100%), la VPN 51% (31-69%). Les complications sont plus fréquentes qu’avec le brossage conventionnel en l’absence de guidage par fil guide hémorragie parfois sévère et perforation [12]. En réalité, de meilleures performances diagnostiques sont obtenues en combinant ces techniques. Six études ont confirmé que l’association du brossage à la biopsie par pince ou par aspiration à l’aiguille était supérieure à une seule de ces techniques. L’association des trois techniques, brossage, biopsie endocanalaire, aspiration intracanalaire à l’aiguille fine semble être la technique la plus performante avec une sensibilité entre 69% et 82% dans trois études [12].
» Rôle de la ponction sous échoendoscopie (EUS-FNA)
Toutes ces méthodes supposent un abord intracanalaire de la tumeur biliaire avec donc une morbidité non négligeable et un risque d’infection ultérieur pouvant gêner la mise en œuvre d’une chirurgie de résection R0. L’apparition de la ponction sous échoendoscopie à l’aiguille fine (EUS-FNA) des tumeurs biliaires a ouvert de nouvelles perspectives. La ponction est pratiquée sur des masses associées aux tumeurs biliaires et sur des adénopathies. Six études ont évalué les performances de l’EUS-FNA parmi 211sténoses biliaires [17-21]. Elles ne précisaient pas toujours le siège de la ponction, la présence d’une masse. Une masse ponctionnable était présente chez 39 à 100% des patients. La sensibilité variait entre 25 et 83% (moyenne 59%), tous types de sténose biliaire confondus chez des patients avec un recueil cytologique endobiliaire préalablement négatif. La spécificité, VPP et VPN étaient respectivement mesurées à 100%, 90% (70-100%), 45% (29-57%). Il ressort de ces études, une meilleure sensibilité que pour les techniques dites conventionnelles, une excellente spécificité mais toujours un défaut de valeur prédictive négative conduisant soit à répéter le prélèvement soit à le combiner avec une autre technique [14, 17-21].
» Comparaison aux autres méthodes IDUS, TDM, cholangioscopie
Peu d’études ont comparé les prélèvements histologiques endocanalaires ou sous échoendoscopie entre eux ou avec d’autres techniques. L’étude de Th.Rösch a comparé l’EUS-FNA avec le brossage et la biopsie conventionnelle, ces derniers ayant une sensibilité supérieure à l’EUS-FNA (75% vs 25%) en «intention de traiter» [16]. L’auteur concluait à une supériorité de la combinaison de ces techniques. Une série a comparé récemment la ponction guidée sous scanner avec l’EUS-FNA[22] pour des lésions hépatiques avec des performances similaires pour les lésions anatomiquement accessibles à la ponction sous échoendoscopie. Une étude a comparé l’échographie endocanalaire par minisonde, l’échoendoscopie sans ponction et les prélèvements histologiques par voie endocanalaire [23]. L’échographie intracanalaire améliorait significativement les performances de l’histologie sous CPRE et était plus performante que l’échoendoscopie conventionnelle. Dans ce travail, l’EUS-FNA n’était pas évaluée. La cholangioscopie per-orale semblait améliorer la précision diagnostique de la cytologie endocanalaire de 78 à 93% dans une étude japonaise [24].
» Rôle et difficultés de l’examen anatomopathologique
Quelle que soit la méthode d’abord, les limites du prélèvement histologique des sténoses biliaires sont essentiellement représentées par le nombre de faux négatif avec une VPN < 50%. La qualité de l’analyse anatomo-pathologique ou cytologique est donc essentielle d’autant que les cellules néoplasiques sont souvent noyées dans un stroma fibreux important [1, 25]. L’expérience de l’anatomopathologiste constitue un point essentiel avec un quasi doublement de la sensibilité (49% à 89%) [25]. Une étude sur 149patients n’a pas montré de supériorité de la cytologie monocouche (Thinprep®) par rapport à la cytologie conventionnelle ce qui a été confirmé dans d’autres études de plus faible effectif [12, 13, 25]. La cytométrie de flux pourrait augmenter la sensibilité mais au détriment de la spécificité avec une évaluation insuffisante [1, 12, 13,25]. Les techniques de biologie moléculaire comme la p53 ou la recherche d’un codon K-ras donnent des résultats contradictoires et décevants [1, 4, 25]. Deux techniques plus récentes sont en cours d’évaluation DIA (digital image analysis) et FISH (Fluorescent in situ hybridization) [1,4,25]. Ces deux techniques ont pour objectif d’identifier une aneuploïdie, témoin d’une instabilité chromosomique et donc de cancer. Le FISH serait plus sensible que la cytologie conventionnelle et l’association DIA/FISH permettrait d’obtenir les meilleures valeurs de sensibilité [1, 4, 25]. La réalisation «en routine» de ces techniques nécessite une évaluation plus importante et la prise en compte du coût de ces techniques.
Quand réaliser un prélèvement histologique ?
» Chez quels patients suspecter une sténose maligne ?
Chez les malades sans facteurs de risque particulier, la combinaison d’éléments clinico-biologiques permet de suspecter un CC du hile hépatique ictère nu progressif, absence de lithiase biliaire, absence d’antécédent de chirurgie biliaire, âge > 60 ans, dilatation isolée des VBIH, sténose isolée de la convergence. Néanmoins, des CC des VBEH peuvent se présenter avec des douleurs de l’hypocondre droit, de la fièvre en l’absence d’angiocholite [4]. La plupart des patients n’ont pas de facteur de risque connu, les plus connus étant dans l’ordre la cholangite sclérosante primitive, les kystes du cholédoque.
L’hépatite C est aussi un facteur de risque récemment identifié[1]. Le CC est redouté au cours de l’évolution d’une CSP et ce risque est évalué à 1,5% par an après le début de la maladie cholestatique [1]. En réalité 30% des CC sont diagnostiqués dans les deux ans qui suivent le début de la CSP et le risque de CC ne semble pas associé à la durée de la CSP. Les éléments évocateurs sont une brusque dégradation du bilan hépatique, une sténose dominante avec rétrodilatation [1, 4].
» Faut-il réaliser les prélèvements histologiques chez un patient résécable et/ou non résécable?
La réponse la plus simple concerne les patients non résécables. Compte tenu du risque et de la longueur des traitements palliatifs, qu’ils soient endoscopique, radiologique, chimiothérapique, il semble indispensable d’obtenir une preuve histologique en combinant brossage/biopsie endocanalaire au cours du geste de désobstruction biliaire endoscopique et ponction sous échoendoscopie. Il paraît raisonnable d’appliquer chez les patients suspects de CC les mêmes règles que chez les patients suspects de cancer du pancréas.
En ce qui concerne les patients résécables, la valeur prédictive négative inférieure à 50% ne plaide pas en faveur d’un prélèvement histologique préalable surtout par voie endocanalaire qui risque de compliquer la tâche du chirurgien. La ponction sous échoendoscopie peut se discuter mais on ne connaît pas son risque de dissémination dans cette indication et sa faible valeur prédictive négative en altère l’intérêt. La seule discussion concerne les patients à haut risque opératoire du fait de la co-morbidité ou de la lourdeur de l’intervention programmée. Dans ce cas, après discussion médico-chirurgicale, un prélèvement combinant au moins deux méthodes pour élever sa VPN, peut être proposé.
Les objectifs pédagogiques en quelques lignes
» Connaître la fréquence des sténoses bénignes et malignes?
La fréquence des sténoses bénignes chez des patients opérés pour cholangiocarcinome varie de 8 à 13%. Ces sténoses bénignes correspondent le plus souvent à des lésions de fibrose et d’infiltrat inflammatoire intense, peut-être en partie d’origine auto-immune.
» Savoir évoquer le caractère malin d’une sténose?
Les critères prédictifs de malignité d’une sténose sont un âge > 60 ans, l’absence de chirurgie biliaire antérieure ou de lithiase biliaire, un ictère nu progressif, la normalité de la voie biliaire sous-jacente. Ces critères ont une VPP de 95% mais ne permettent pas d’écarter avec certitude une sténose bénigne.
» Comment obtenir la preuve histologique?
Les prélèvements endobiliaires de sténose suspecte ont une sensibilité entre 30 et 57% et une VPN de moins de 50% qui doit contraindre à répéter le prélèvement en cas de négativité. Ces prélèvements ont une performance diagnostique maximale en associant le brossage à la biopsie endocanalaire. La ponction sous échoendoscopie de masse ou d’adénopathie semble avoir une sensibilité supérieure aux manœuvres intrabiliaires mais sa VPN reste insuffisante. L’expérience de l’anatomopathologiste semble pour l’instant plus décisive que les nouvelles techniques de biologie moléculaire ou de cytologie monocouche.
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