Traitement des rectites radiques chroniques hémorragiques les forces en présence …

« La nature est comme le joueur de viole dont la musique conduit et règle les danseurs nous, médecins et chirurgiens, nous sommes les danseurs et nous devons danser en mesure quand la nature joue de la viole.»

Henri de Mondeville [1]

Introduction

La radiothérapie occupe une place grandissante dans le traitement des cancers des organes pelvi-périnéaux. Malgré les précautions apportées à sa réalisation, des complications locales peuvent survenir, liées aux effets des radiations ionisantes sur les tissus. Le rectum est tout particulièrement exposé en raison de sa position fixe dans le pelvis. Deux types de complications rectales ont été ainsi décrits. Elles diffèrent selon leur chronologie de survenue et leur évolution. Pendant la radiothérapie, ou durant les jours suivant son arrêt, plus de la moitié des patients ont des lésions superficielles, concernant surtout la muqueuse. Elles se manifestent essentiellement par des exonérations impérieuses, des épreintes et des douleurs. Ces rectites précoces («coup de soleil rectal») sont en général transitoires et régressent spontanément en quelques semaines, sans séquelle fonctionnelle. Elles n’imposent l’arrêt momentané du traitement que dans moins de 1% des cas. Du reste, elles sont mal connues des gastro-entérologues car leur prise en charge est assurée dans la majorité des cas par les radiothérapeutes. En revanche, des rectites tardives, plus profondes, intéressant toute l’épaisseur de la paroi digestive, concernent au premier chef les gastro-entérologues. Elles surviennent jusque chez 20% des patients, en général entre 6 et 24 mois après la radiothérapie, mais parfois au-delà de dix ans. Leurs manifestations cliniques principales sont des exonérations répétées et impérieuses, un ténesme, des faux besoins glaireux et, surtout, des saignements. Ces saignements peuvent s’avérer invalidants par leur inconfort clinique et leur retentissement hématologique, pouvant nécessiter une supplémentation martiale, voire des transfusions globulaires. De surcroît, leur histoire naturelle est fluctuante et imprévisible mais leur arrêt spontané semble peu fréquent, en particulier lorsqu’ils sont importants [2-4].

Cette mise au point a pour but de rappeler les principaux traitements disponibles à ce jour dans ces rectites radiques chroniques hémorragiques et de déterminer leur place réelle en pratique. En revanche, nous n’aborderons pas le traitement chirurgical car il est difficile en raison de l’importante fibrose du tissu radique et dangereux en raison du risque de reprise du processus radique. Il ne doit donc être proposé qu’en dernier recours après l’échec des diverses thérapeutiques qui vont être détaillées et/ou dans le cadre particulier des sténoses et fistules ano-recto-génito-urinaires invalidantes [2-4].

La physio-pathologie

La physio-pathologie des lésions radiques chroniques est complexe. Elle fait notamment intervenir une artérite oblitérante progressive et la constitution d’une fibrose interstitielle atteignant toute l’épaisseur de la paroi rectale. Les lésions ischémiques, ainsi induites, sont chroniques et irréversibles. De surcroît, elles peuvent continuer à évoluer pendant des années après la radiothérapie, avec une possible tendance à l’extension. Elles génèrent une néovascularisation superficielle sous la forme de télangiectasies muqueuses qui sont responsables de saignements. Des ulcérations peuvent également se manifester par des saignements, voire s’étendre en profondeur, au-delà de la musculeuse, et se fistuliser. La fibrose entraîne enfin une rigidité pariétale et peut conduire à une sténose de la lumière digestive [2-4].

Les facteurs de risque

Le risque de survenue de ces rectites chroniques augmente avant tout avec la dose d’irradiation administrée et la dose-seuil serait de 45 grays. Le risque est également influencé par le volume irradié, le mode de radiothérapie (irradiation externe ou curiethérapie), le fractionnement dans le temps et l’étalement de la dose. De même, une rectite radique précoce sévère, ayant induit une nécrose tissulaire, pourrait être la cause directe de survenue d’une rectite tardive chronique. Un geste chirurgical abdomino-pelvien, l’administration concomitante d’une chimiothérapie, une surcharge pondérale, le diabète sucré, l’hypertension artérielle, l’athérosclérose, l’âge (vieillissement tissulaire) et/ou une possible hypersensibilité aux radiations ionisantes d’origine génétique seraient aussi des facteurs possiblement aggravants [2-4].

L’aspect endoscopique

L’aspect endoscopique de la paroi rectale est variable. La muqueuse peut être dépolie, blanchâtre et parsemée de télangiectasies prenant l’aspect de néovaisseaux plus ou moins réguliers, dilatés et fragiles. Elle peut également être congestive, friable et hémorragique au moindre contact. Dans la plupart des cas, cet aspect endoscopique est suffisamment évocateur du diagnostic de rectite radique chronique pour que les biopsies soient inutiles.

D’autres lésions peuvent être associées comme des ulcérations, mais aussi une sténose, une microrectie et/ou des fistules ano-recto-génito-urinaires [2-4].

Le diagnostic différentiel

Les autres causes de rectites, notamment infectieuses ou inflammatoires, posent rarement des problèmes de diagnostic différentiel tant l’anamnèse est évocatrice du diagnostic de rectite radique chronique. En revanche, l’éventualité de la persistance ou de la récidive de la maladie néoplasique initiale doit rester à l’esprit en cas d’ulcération ou de sténose. Cette situation est d’autant plus embarrassante que les tissus radiques sont trompeurs par leur dureté, que les biopsies sont délicates en raison du risque de nécrose extensive et que l’aspect de tels tissus est d’interprétation difficile en imagerie (endosonographie, tomodensitométrie, résonance magnétique). La tomographie par émission de positons peut alors s’avérer utile en permettant la distinction entre du tissu tumoral évolutif et du tissu cicatriciel post-radique.

Par ailleurs, la recto-sigmoïdoscopie ou la coloscopie permet de rechercher une atteinte radique associée du côlon d’amont et/ou de l’iléon (d’où l’importance d’avoir connaissance du volume irradié), et de s’assurer de l’absence d’autre cause de saignements [2-5].

L’arsenal thérapeutique

» Le traitement médical

LES TOPIQUES

Les corticoïdes sont souvent recommandés en France où nous disposons de la bétaméthasone en solution (Betnésol®) et de l’hydrocortisone en mousse (Colofoam®) qui a du reste l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans cette indication. Pourtant, leur mode d’action n’est pas établi et ils n’ont fait l’objet que de rares études ouvertes peu détaillées [2-4, 6]. Seule une étude prospective, contrôlée, randomisée, a démontré que l’utilisation de la mousse était préférable en raison d’une meilleure tolérance locale[7].

Le sucralfate (Ulcar®) est un sel d’aluminium adhérant à la muqueuse qui pourrait agir en diminuant la production locale de prostaglandines. Il a fait l’objet d’au moins six études ouvertes, cumulant une cinquantaine de patients, le plus souvent à la dose de 2 g dans 20 ml d’eau administrés matin et soir[2-4, 6]. En outre, une étude prospective, contrôlée, randomisée, réalisée en double aveugle, a démontré que l’amélioration clinique, concernant notamment les saignements, était significativement plus prononcée chez des patients traités par des lavements de sucralfate associés à un placebo per os versus des patients traités par des lavements de prednisolone associés à de la sulfasalazine per os [8]. Cela étant dit, en France, le sucralfate n’a pas l’AMM dans les rectites radiques.

Les dérivés salicylés ont été testés en raison de leur efficacité connue dans les rectites inflammatoires. Toutefois, la sulfasalazine et l’acide 5-amino-salicylique ont fait l’objet d’études ouvertes non convaincantes [2-4, 6]. En outre, ces molécules n’ont pas non plus l’AMM dans les rectites radiques.

Les acides gras à chaînes courtes ont été testés en raison de leur effet trophique sur la muqueuse digestive. Les lavements étaient en général composés de 60 mmol d’acétate, 30 mmol de propionate et 40 mmol de butyrate. Deux études ouvertes ont été publiées cumulant 13 patients [2-4, 6]. De plus, une étude prospective, contrôlée, randomisée, réalisée en double aveugle, a montré un effet bénéfique significatif sur les saignements de l’administration de deux lavements quotidiens d’acides gras à chaînes courtes versus un placebo [9]. Mais, une autre étude prospective, contrôlée, randomisée, également réalisée en double aveugle, n’a pas mis en évidence de différence significative entre des lavements de butyrate et un placebo [10]. De surcroît, les acides gras à chaînes courtes sont compliqués à utiliser en pratique quotidienne (nécessité d’une préparation magistrale) et n’ont pas l’AMM dans les rectites radiques.

LES MEDICAMENTS PAR VOIE ORALE

Les données disponibles concernant l’efficacité des médicaments par voie orale sur les saignements des rectites radiques chroniques sont embryonnaires. Parmi les produits disponibles en France, la cholestyramine, des associations œstro-progestatives [2-4, 6] et la thalidomide [11] ont fait l’objet de cas cliniques isolés. Les vitamines E etC ont été testées en association, en raison de leur effet anti-oxydant, dans le cadre d’une étude ouverte rétrospective avec un effet significatif sur les saignements [2-4, 6]. La vitamineA a été testée, en raison de son effet pro-cicatrisant, dans une étude prospective, contrôlée, randomisée, réalisée en double aveugle, qui a démontré sa possible action, notamment sur les saignements, versus un placebo [12]. Enfin, une étude prospective, contrôlée, randomisée, a montré que la diminution des saignements était significativement plus importante chez des patients traités par un lavement quotidien de bétaméthasone en solution associé à de la mésalazine per os et à du métronidazole per os versus des patients traités par un lavement quotidien de bétaméthasone en solution associé à de la mésalazine per os seule[13].

» Le traitement endoscopique

LA PHOTOCOAGULATION LASER

Le laser ND YAG a été testé, pour la première fois, en 1982, dans une recto-sigmoïdite radique. Son efficacité dans les rectites radiques hémorragiques a ensuite été confirmée par plusieurs études ouvertes cumulant une centaine de patients. Des effets indésirables ont toutefois été rapportés douleurs abdominales, iléus temporaire, prostatite aiguë, ténesme, sténose rectale, ulcérations rectales creusantes, fistule recto-vaginale.
Le laser argon a également été testé dans le cadre d’études ouvertes cumulant une vingtaine de patients. Il était considéré comme plus sûr que le laserND YAG en raison de son pouvoir de pénétration moins important[2-6, 14].

LA THERMOCOAGULATION ET L’ELECTROCOAGULATION

La sonde chauffante et la sonde bipolaire (BICAP®) ont été les premiers matériels utilisés [2-6]. L’électrocoagulation au plasma d’argon, plus récente, a connu un essor sans précédent depuis son apparition, il y a un peu plus de dix ans. Cette technique permet en effet une électrocoagulation monopolaire sans contact avec la muqueuse traitée par le biais d’un gaz inerte, incolore, non inflammable et non toxique. L’argon, sert de conducteur et est extériorisé à l’extrémité d’un cathéter flexible contenant une électrode de tungstène qui délivre un courant électrique à haute fréquence. Il assure ainsi l’interface entre l’électrode et les tissus, et l’énergie électrique qu’il leur transmet permet alors leur coagulation [15].

En pratique, l’électrocoagulation au plasma d’argon est réalisable sans anesthésie, mais cette dernière s’avère parfois préférable, notamment en cas de distension recto-colique douloureuse et/ou en cas de lésions proches de la jonction ano-rectale dont le traitement peut s’avérer désagréable. La puissance de tir est en général supérieure à 40 W afin de permettre un bon déclenchement du tir mais il vaut mieux ne pas dépasser 50 à 60 W afin de limiter le risque de complication. Le débit de gaz est le plus souvent réglé entre 0,6 et 2 l/mn mais il peut être augmenté au-delà si cela aide au déclenchement de l’arc vers des zones d’accès difficiles. Toutefois, il y a alors un risque de mauvaise tolérance en raison de la quantité importante de gaz insufflée. L’application peut se faire point par point en cas de télangiectasies localisées et peu nombreuses, ou par balayage en cas de télangiectasies nombreuses et/ou de rectite congestive diffuse. La coagulation ainsi obtenue est homogène en surface et, en principe, limitée en profondeur (2-3mm). Le rectum, mais aussi le sigmoïde, peuvent bénéficier de la technique. Plusieurs séances sont souvent nécessaires avec une corrélation entre le nombre de séances nécessaires et l’étendue des lésions à traiter. Cependant, un délai minimal de quelques semaines entre deux séances est préférable afin de laisser un temps de cicatrisation suffisant [15, 16].

La première publication concernant cette technique date de 1994. Depuis cette époque, de nombreuses études ouvertes cumulant au moins 300 patients ont rapporté des taux d’efficacité de plus de 80% sur les saignements après 1 à 3 séances en moyenne (extrêmes de 1 à 8) (Tableau I) [2-4, 6, 17-23]. Cette efficacité a permis à la technique de rapidement occuper le devant de la scène et ce, sans aucune étude contrôlée par rapport aux autres techniques endoscopiques [24].

TABLEAU I
PRINCIPALES ÉTUDES AYANT ÉVALUÉ LA COAGULATION AU PLASMA D’ARGON DANS LES RECTITES RADIQUES CHRONIQUES HÉMORRAGIQUES

Premier auteur
Année
Nombre de patients
Arrêt complet
des saignements
n (%)
Arrêt partiel
des saignements
n (%)
Total

%

Fantin AC 1999 7 7(100) 0 100
Silva RA 1999 28 96
Tam W 2000 15 100
Kaassis M 2000 16 7(44) 9(56) 100
Rolachon A 2000 12 83
Tjandra JJ 2001 12 6(50) 4(33) 83
Smith S 2001 7 5 (71) 2 (29) 100
Taïeb S 2001 11 9(82) 2 (18) 100
Villavicencio RT 2002 21 14 (67) 6 (29) 95
Venkatesh KS 2002 40 39 (97,5) 97,5
Ravizza D 2003 27 82
Canard JM 2003 30 87
Ben-SoussanE 2004 27 92
Sebastian S 2004 25 21 (84) 4 (16) 100
Dees J 2006 48 98

En principe, l’électrocoagulation au plasma d’argon expose à un risque moins important de complications que la photocoagulation laser en raison de sa moindre pénétration tissulaire. Cependant, quelques complications ont été décrites, notamment de la fièvre avec bactériémie, des troubles urinaires, des ulcérations muqueuses, des hémorragies par chute d’escarre, des sténoses rectales, des microrecties, des fistules recto-vaginales et quelques perforations coliques [2-4, 6, 17-23]. Cette dernière complication a été attribuée à une accumulation endoluminale de gaz coliques (hydrogène et méthane) dont l’explosion aurait été favorisée par une préparation insuffisante par des lavements de Normacol®. De fait, il est actuellement recommandé de recourir à une préparation colique préalable parfaite par voie orale (PEG ou Fleet® Phospho-soda) [21].

De surcroît, l’électrocoagulation au plasma d’argon peut s’avérer inefficace, notamment en cas de saignements abondants qui «absorbent» et rendent inopérants le courant électrique. De même, certaines lésions radiques du bas rectum ainsi que les rectites congestives diffuses très étendues sont d’autres limites de la technique [17-20, 22, 23].

» La formaline

La formaline est un mélange de formaldéhyde et d’eau distillée. La concentration habituellement préconisée est de 4%. L’utilisation récente de cette solution dans les rectites radiques hémorragiques a été inspirée par l’expérience des urologues qui en administraient pour traiter les cystites radiques hémorragiques. Elle agirait par un effet sclérosant sur les néovaisseaux hémorragiques.

En pratique, la formaline est utilisée en irrigations ou en tamponnements. Un simple lavement évacuateur préalable est suffisant. La procédure est le plus souvent réalisée sous anesthésie loco-régionale ou générale. En cas d’irrigations, le temps de contact avec la muqueuse est à chaque fois de quelques secondes à quelques minutes avec un temps total de 5 à 30 minutes. Certains utilisent des sondes de Foley à ballonnet afin de protéger la muqueuse du sigmoïde et/ou du canal anal. En cas de tamponnements, on utilise des compresses imbibées, montées sur une pince et appliquées à travers un rectoscope ou des écarteurs. Le contact entre le tampon et la muqueuse rectale est maintenu jusqu’à arrêt du saignement avec des moyennes de 2 à 3 minutes par application. Quelle que soit la méthode, la plupart des auteurs préconisent ensuite un rinçage du rectum par du sérum physiologique. Une à trois séances s’avèrent suffisantes dans la plupart des cas.

Depuis les irrigations de formaline administrées pour la première fois en 1986, des études ouvertes cumulant au moins 80 patients ont rapporté des taux d’efficacité de plus de 85% sur les saignements (Tableau II) [2-4, 6, 25-28]. Les tamponnements de formaline ont été proposés pour la première fois en 1993. Depuis cette époque, des études ouvertes cumulant au moins 300 patients ont rapporté des taux d’efficacité de plus de 70% sur les saignements (Tableau III) [2-4, 6,29-34].

TABLEAU II
PRINCIPALES ÉTUDES AYANT ÉVALUÉ LES IRRIGATIONS DE FORMALINE
DANS LES RECTITES RADIQUES CHRONIQUES HÉMORRAGIQUES

Premier auteur
Année
Nombre de patients
Arrêt complet
des saignements
n (%)
Arrêt partiel
des saignements
n (%)
Total

%

Saclarides TJ
 
1996 16 13 (81) 3 (19) 100
Counter SF 1999 11 11 (100) 0 100
Ouwendijk R 2002 8 8(100) 0 100
Luna-Pérez P 2002 20 18 (90) 0 90
Tsujinaka S 2005 4 4 (100) 0 100
Cullen SN 2006 20 17 (85) 0 85

TABLEAU III
PRINCIPALES ÉTUDES AYANT ÉVALUÉ LES TAMPONNEMENTS DE FORMALINE
DANS LES RECTITES RADIQUES CHRONIQUES HÉMORRAGIQUES

Premier auteur
Année
Nombre de patients
Arrêt complet
des saignements
n (%)
Arrêt partiel
des saignements
n (%)
Total

%

Biswal BM
 
1995 16 13 (81) 3 (19) 100
Mathai V 1995 29 22 (76) 5(17) 93
Chapuis P 1996 14 10 (71) 1 (7) 79
Salvati EP 1996 10 10 (100) 0 (0) 100
Ismail MA 2002 20 17 (85) 0 (0) 85
Chautems RC 2003 13 12 (92) 0 (0) 92
Parikh S 2003 33 88
de Parades V 2004 33 13 (39) 10 (30) 70
Tsujinaka S 2005 17 15 (88) 1 (6) 94
Vyas FL 2006 30 19 (63) 7 (23) 86
Haas EM 2006 100 93 (63) 0 93

Des complications ont été rapportées, du même type que celles décrites après l’électrocoagulation au plasma d’argon, à savoir de la fièvre, des ulcérations muqueuses ano-rectales douloureuses, des hémorragies par chute d’escarre, des sténoses rectales, des microrecties, des fistules recto-vaginales, mais aussi des colites caustiques aiguës et des troubles de la continence anale [2-4, 6, 26, 27, 30-32, 34].

L’efficacité du traitement par formaline a été comparée à celle de l’électrocoagulation au plasma d’argon dans le cadre de deux études prospectives, contrôlées et randomisées. Ces deux études, seulement disponibles sous forme de résumés, ont rapporté des résultats équivalents [35, 36]. Toutefois, ces deux techniques sont probablement complémentaires. En effet, l’électrocoagulation au plasma d’argon est plus performante en cas d’atteinte radique du haut et du moyen rectum, a fortiori s’il y a une atteinte sigmoïdienne associée, alors que le traitement par formaline s’avère particulièrement intéressant en cas d’atteinte du bas rectum, voire du canal anal sus-pectinéal, qui sont difficiles d’accès en endoscopie. De même, une rectite congestive diffuse peut relever du traitement par formaline qui, de surcroît, est possible en cas de saignements abondants [5].

» L’oxygénothérapie hyperbare

L’oxygénothérapie hyperbare a été testée dans les rectites radiques en raison de ses succès dans des lésions radio-induites de la vessie ou de la mandibule. Son mode d’action n’est pas univoque mais elle semble surtout corriger l’hypoxie tissulaire.

En pratique, les séances sont le plus souvent réalisées, en ambulatoire, de façon quotidienne, dans une chambre hyperbare. Elles durent de 45 à 120minutes. La compression varie de 2 à 2,5 atmosphères. Le nombre total de séances est variable car le délai de réponse au traitement est aléatoire et car il n’y a pas de consensus sur un nombre maximal de compressions au-delà duquel le traitement s’avérerait vain.

La technique a été proposée pour la première fois en 1991. Depuis cette époque, des cas cliniques et des études ouvertes cumulant au moins une centaine de patients ont rapporté des taux d’efficacité de plus de 75% sur les saignements en 24 à 67 séances de moyenne (extrêmes de 2 à 198) (Tableau IV) [2-6, 37-41].

Cependant, l’analyse de cette littérature est difficile en raison de l’hétérogénéité des publications et, si les bons résultats se confirment, les modalités d’utilisation de cette technique devront être mieux précisées. Outre les difficultés de sa mise en œuvre en pratique, des complications ont été rapportées, surtout à type d’otites barotraumatiques, de douleurs thoraciques ou de troubles visuels le plus souvent transitoires [2-6, 38-41]. De fait, un examen préalable des tympans est nécessaire et certaines contre-indications (claustrophobie, troubles de la conduction cardiaque, épilepsie mal contrôlée, bronchopathie, pneumothorax, etc.) doivent être respectées.
L’oxygénothérapie hyperbare pourrait être surtout intéressante en cas d’ulcération(s) hémorragique(s) et/ou en cas d’atteinte recto-sigmoïdienne étendue ayant peu de chance d’être soulagée par les autres traitements. Elle pourrait également être utilisée en cas de cystite radique hémorragique concomitante.

Le choix des armes

Etablir des recommandations est difficile tant les essais randomisés sont à ce jour encore rares et tant l’hétérogénéité des études les rend difficiles à comparer entre elles [6].

L’abstention thérapeutique est justifiée en cas de rectite radique hémorragique minime avec saignements rares et intermittents, sans retentissement hématologique. C’est d’autant plus raisonnable que l’arrêt spontané des saignements est toujours possible.

Dans les autres cas, le traitement médical doit être envisagé en première intention en raison de sa simplicité de mise en œuvre et de son innocuité. L’utilisation des topiques est alors logique les corticoïdes (au mieux en mousse et qui ont l’AMM dans cette indication) ou le sucralfate (qui n’a pas l’AMM).

Le traitement endoscopique est en général envisagé en deuxième intention en cas d’échec du traitement médical. Il est parfois indiqué d’emblée en cas de rectite sévère avec saignements abondants. Les techniques d’électrocoagulation ont supplanté la photocoagulation laser car elles semblent avoir un meilleur rapport efficacité/risque. L’électrocoagulation au plasma d’argon a été la mieux étudiée et est désormais la plus utilisée. Son utilisation est en effet pratique (absence de contact de la sonde avec les tissus traités, meilleure visibilité en l’absence de fumée gênante, possibilité de traiter des lésions peu accessibles en traitement axial), son coût modeste et son risque de perforation faible. Une à trois séances sont en général suffisantes. Dans certains cas, un traitement par formaline peut être utile en complément, notamment au niveau du bas rectum, voire au niveau du canal anal sus-pectinéal, qui sont difficiles d’accès en endoscopie. Il peut même parfois être envisagé d’emblée en cas de rectite congestive diffuse, a fortiori si les saignements sont abondants. Il peut enfin s’avérer intéressant après un échec de l’électrocoagulation au plasma d’argon.

En cas d’échec des thérapeutiques précédentes, «tout est permis» pour éviter la chirurgie. On peut ainsi essayer certains médicaments par voie orale, notamment la vitamine A. On peut également envisager l’oxygénothérapie hyperbare, tout particulièrement en cas d’ulcérations hémorragiques et/ou d’atteinte recto-sigmoïdienne étendue, a fortiori en cas de cystite radique hémorragique associée.

Conclusion

Le traitement des rectites radiques chroniques hémorragiques s’est nettement amélioré ces dix dernières années. Malgré la rareté des essais randomisés, force est d’admettre que les lavements de corticoïdes ou de sucralfate ainsi que la photocoagulation au plasma d’argon et/ou un traitement par formaline permettent désormais de soulager la plupart des patients. Il persiste toutefois des situations délicates qui rappellent que la prévention des lésions radiques est capitale. L’effet radio-protecteur de certaines drogues administrées pendant la radiothérapie (notamment le misoprostol, le sucralfate ou l’amifostine) est à l’étude. En revanche, l’avènement de nouvelles techniques d’irradiation comme la radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle ou la radiothérapie en modulation d’intensité devraient déjà diminuer la prévalence des complications radiques chroniques [2, 4, 42].

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