Surveillance des cancers colorectaux opérés à visée curative
Objectifs pédagogiques
– Connaître les outils et modalités de surveillance;
– Connaître le niveau de preuve d’une surveillance intensive.
Introduction
Le cancer colorectal, par sa fréquence et sa gravité,représente un grave problème de santé publique. En France, il se situe aupremier rang des cancers digestifs. On estime à 36500 le nombre de nouveaux caspar an et à 200000 le nombre de cas prévalents. Son incidence a augmenté d’unpeu plus de 50% ces 20 dernières années (24000 nouveaux cas annuels en 1980, 36600 en 2000). En revanche, durant cette même période, le nombre de décès estresté stable (16000 décès en 2000), ce qui atteste de progrès thérapeutiquesmajeurs, aussi bien dans les cancers du côlon [1] que dans les cancers du rectum[2].
» Histoire naturelle
On estime actuellement que près de 75% des patients peuventavoir une résection chirurgicale à visée curative [3]. Parmi ces patients,malgré les progrès des traitements adjuvants, près de 30% des stades II et plusde 55% des stades III présenteront une récidive locorégionale ou à distance ouun cancer métachrone dans les 5 ans suivant la prise en charge initiale [4]. Cerisque élevé de rechute pose la question de la surveillance postopératoire afind’améliorer la survie par une détection plus précoce des récidives et descancers métachrones à un stade curable. Dans près de 80% des cas, cetterécidive est diagnostiquée dans les trois premières années, et sa survenue estd’autant plus précoce que le stade initial était avancé [4].
Recherchede lésions métachrones
L’incidence annuelle des adénomes est comprise entre 3 et5%, et le risque cumulé de cancer métachrone est de 2% à 5 ans et 7% à 20 ans.Les récidives endoluminales et les cancers métachrones sont rares : unesurveillance endoscopique intensive est inutile [4, 5] (Tableau I). Lethesaurus national des bonnes pratiques en cancérologie digestive (TNCD) [6]recommande de réaliser une coloscopie dans les 6 mois postopératoires si elleétait incomplète ou de mauvaise qualité avant l’intervention. Si cet examen aété complet et de bonne qualité en pré ou postopératoire, il sera refait à3 ans puis tous les 5 ans s’il est normal. Après exérèse complète de≥ 3 adénomes ou de plus d’un adénome à risque (taille > 1 cm, oucontingent villeux, ou dysplasie de haut grade), un contrôle à 1 an seraréalisé puis à 3 ans avant d’adapter un rythme quinquennal. En cas de syndromede Lynch associé au cancer colorectal, un contrôle s’impose tous les 2 ans.
Recherched’une récidive localeou métastatique
Trois méta-analyses ont montré une amélioration de la survieavec une surveillance «plus intensive» [7-9]. Ces trois méta-analyses se recoupentpuisqu’elles regroupent à chaque fois quatre des principaux essais desurveillance publiés [10-13]. Il n’est donc pas étonnant que leurs résultatssoient concordants, montrant qu’une surveillance intensive est associée à uneréduction significative d’environ 20% de la mortalité et à un diagnostic derécidive avancé sans différence sur le nombre absolu de rechute toutefois,comme souligné dans l’étude néozélandaise [8].
» «Quels examens faut-il faire?»
Il n’y a pas de réponse validée. L’hétérogénéité de cesétudes ne permet pas de définir quels examens doivent être faits et à quelrythme. Il semble que la détection plus précoce des récidives et la possibilitéd’une résection chirurgicale, améliorent la survie. Le scanner est plussensible que l’échographie pour la détection des métastases hépatiquesasymptomatiques (0,67 versus 0,43) [14], mais l’intérêt d’une telle stratégien’est pas connu. Quant à la radiographie pulmonaire, elle ne permettraitfinalement de diagnostiquer que peu de métastases pulmonaires à un stadecurable (22 métastases pulmonaires résécables sur une cohorte de 1247 patients)[15]. Le scanner thoracique présente une sensibilité, d’environ 70%, plusimportante que la radiographie pulmonaire [16]; cependant il n’existe aucunepreuve publiée de l’intérêt de l’avance au diagnostic qu’il fournit. Ainsi,dans les recommandations de l’ASCO, le scanner thoracique a été choisi pour lasurveillance sur avis d’expert uniquement parce que le scanner abdominal avaitété retenu pour la surveillance hépatique. Enfin, il faut garder à l’esprit quele scanner est un examen irradiant, et que les doses conduisant à uneaugmentation du risque de cancer radio induit sont atteintes dès le troisièmeexamen [17]. Il n’existe aucune donnée validant le TEP scanner dans cetteindication.
» Le dosage de l’ACE
Lui aussi est mal évalué. En 1998, lors de la conférence deconsensus de Paris [18], les experts avaient décidé faute de preuves de laisserce dosage optionnel. Dans la métaanalyse de Figueredo et al., l’analyse parsous-groupe suggère que le dosage d’ACE est associé à une réduction du taux demortalité. Cependant, les dosages n’étaient pas effectués de manière identiquedans les différents essais (même rythme dans les 2 bras dans 3 études, dosé oupas dans 2 essais, dosé à un rythme différent avec d’autres examens dans ladernière). On ne peut donc pas analyser une différence; c’est une faute majeuredans l’interprétation de cette méta-analyse. L’étude de Northover et al. [19]n’a pas montré de bénéfice d’un suivi intensif de l’ACE en terme de survie. Uneétude plus récente suggère une utilité potentielle pour 7,5% des patients [20].Les recommandations concernant l’ACE sont ainsi très disparates. Ce dosagereste optionnel pour le TNCD [6], tandis qu’il est recommandé tous les 3 moispendant au moins 3 ans pour l’American Society of Clinical Oncology en 2005[21].
Schémas de surveillance : recommandationsdes sociétés savantes
Chacune des recommandations publiées par les différentessociétés savantes est fondée sur les quelques études randomisées publiées et,du fait des discordances, surtout sur les avis d’experts. Très différentesd’une société à l’autre jusqu’en 2005, les recommandations actualisées à partirdes plus récentes publications ont tendance à s’harmoniser. Il persiste desdifférences en particulier sur le choix de la technique d’imagerie hépatique(Tableau II). Les recommandations du TNCD restent fondées sur la conférence deconsensus de 1998 [18].
Que font les praticiens au quotidien?
Les résultats d’une enquête [22] de pratiques publiée en2005 portant sur 409 cancers colorectaux stade I-II-III réséqués R0 en 1998,montrent que les recommandations étaient peu suivies. En effet, seuls 35% despatients avaient un examen clinique régulier, 65% une échographie abdominale,52% une radiographie thoracique et 20% une coloscopie. La surveillance avaitété classée selon son accord avec les recommandations de la conférence deconsensus de 1998. Elle entrait dans ce cadre dans 24% des cas, était endessous des recommandations dans 47% des cas, et au-dessus dans 29% des cas.L’intensité de cette surveillance dépendait de l’âge, du stade tumoral, et dela réalisation d’une chimiothérapie ou d’une radiothérapie.
Conclusion
La surveillance postopératoire des cancers colorectauxopérés à visée curative reste mal codifiée en raison principalement du petitnombre d’études randomisées publiées et surtout de leur manque de puissance.Cependant, les études les plus récentes suggèrent, malgré leurs limites, ungain de survie avec une surveillance clinique associée à une imagerie hépatiqueet pulmonaire et éventuellement au dosage de l’ACE. Les récidives endoluminaleset les cancers métachrones sont rares : c’est la détection des récidiveslocorégionales et des métastases, notamment hépatiques qui peut améliorer lasurvie
Les recommandations du thésaurus TNCD nous servent de cadre. Un seul essai est actuellement ouvert en France, comparant la surveillance traditionnelle à une surveillance par la TEP-FDG. La Fédération Francophone de Cancérologie Digestive (FFCD) s’apprête à lancer un essai de stratégie de surveillance. Au terme d’une double randomisation, cet essai testera d’une part l’intérêt d’une surveillance régulière de l’ACE versus pas de surveillance de l’ACE, et d’autre part, l’intérêt de réaliser une surveillance par échographie abdominale seulement, selon la conférence de consensus comparé à l’utilisation d’un scanner thoraco-abdomino-pelvien associé à l’échographie. Cet essai devra inclure 2000 patients et il est prévu trois analyses intermédiaires (tous les 500 patients) afin de déterminer un mode optimal de surveillance. Un tel effectif est nécessaire pour lever les doutes actuels.
REFERENCES
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