Prise en charge d’une MICI avec une hépatopathie chronique

Objectifs pédagogiques

  • Connaître le bilan virologique minimal avant de débuter le traitement des MICI ;
  • Connaître les risques de réactivation virale en cas de traitement immunosuppresseur;
  • Connaître les moyens de prévention de la réactivation virale en cas de traitement immuno-suppresseur

Introduction

Ce sujet a fait l’objet de recommandations européennes dans le cadre d’une réactualisation de la conférence de consensus de l’European Crohn and Colitis Organisation (ECCO), présentées en février 2009 et en cours de publication. Cettemise au point synthétique est proche de ces recommandations. Nous verrons pour l’hépatite C et l’hépatite B respectivement, la prévalence des marqueurs sérologiques chez les malades porteurs d’une MICI, l’impact potentiel des traitements immuno-modulateurs sur l’histoire naturelle de l’infection et sur le risque de réactivation viral.

Hépatite C

Prévalence de l’hépatite C

Une première étude multicentrique italienne menée chez 332 malades ayant une maladie de Crohn (MC) retrouvait une prévalence élevée des anticorps anti-VHC (7,4 %) significativement plus importante que celle retrouvée dans la rectocolite hémorragique (RCH) (0,6 %) ou dans la population contrôle. Cette prévalence élevée était due le plus souvent à un antécédent chirurgical [1]. Plus récemment, une vaste étude multicentrique ayant inclus 2 076 MICI n’a pas retrouvé d’augmentation significative de la prévalence des anti-VHC par rapport à la population générale (RCH : 1,3 %, MC : 2,3 %) [2].

Impact des traitements immuno-modulateurs sur l’histoire naturelle de l’hépatite chronique C

Il n’existe aucune donnée spécifique liée aux traitements immuno-modulateurs utilisés dans le cadre des MICI. Aucun cas d’aggravation aiguë de l’hépatite C ou d’insuffisance hépatique n’a été rapporté dans ce contexte. De même, il n’y a aucune donnée disponible sur l’impact d’un traitement immuno-modulateur au long cours donné dans le cadre des MICI sur l’évolution de la fibrose. Les experts d’ECCO suggèrent que les données fournies par la transplantation hépatique (TH) pourraient permettre quelques extrapolations. Ceci est sujet à caution car l’immunosuppression y est beaucoup plus sévère. D’ailleurs, dans ce contexte, on assiste souvent à une aggravation plus rapide des lésions de fibrose avec un risque de cirrhose variant de 10 à 40% à 5 ans dans les différentes études.

Corticothérapie

Dans la TH, une diminution lente et progressive de la corticothérapie après la TH est recommandée car cela pourrait diminuer le risque d’une progression rapide vers la cirrhose [3]. Les experts d’ECCO considèrent que la corticothérapie utilisée dans le traitement des MICI n’a pas d’effet délétère sur l’histoire naturelle de l’hépatite chronique C. En revanche, ce type de traitement pourrait favoriser le passage à la chronicité en cas d’infection aiguë, événement devenu rare en dehors du contexte de toxicomanie.

Azathioprine et méthotrexate

Chez les patients transplantés, il ne semble pas y avoir d’effet délétère de l’azathioprine sur les lésions hépatiques. Dans une petite série de patients anti-VHC+ souffrant d’arthropathie et traités par méthotrexate, il n’a pas été montré d’effet délétère hépatique [4].

Anti-TNF

L’effet des anti-TNF sur la réplication virale paraît incertain. Des études de cas suggèrent que les anti-TNF n’ont pas d’effets délétères et pourraient même avoir un effet bénéfique sur l’hépatite chronique C [5-9]. Dans une série de 22 patients infectés par VHC et traités par infliximab ou etanercept pour une polyarthrite rhumatoïde, il n’y avait pas de différence en termes de transaminases et de charge virale entre J0 et lors du suivi [10]. La meilleure preuve que les anti-TNF pourraient être bénéfiques dans l’hépatite chronique C est donnée par une étude randomisée prospective en double aveugle qui a testé l’effet de l’étanercept en adjuvant du traitement par interféron α et ribavirine chez des patients infectés par le VHC naïfs de traitement. Bien que l’étanercept ne soit pas utilisé dans les MICI, ces résultats suggèrent que les anti-TNF améliorent la réponse virologique chez ces patients [11].

Effet du traitement par interféron et ribavirine sur les MICI

Il a été suggéré que l’interféron pourrait avoir un effet délétère sur lamaladie de Crohn [12] Ceci n’a pas été confirmé dans d’autres études, [1,13]. L’interféron n’aurait aucun effet sur la RCH. [14]. Récemment, nous avons rapporté des pancytopénies très sévères chez 8 malades anti-VHC+ avec une MC traités par PEG-interféron, ribavirine et azathioprine [15]. L’étude des métabolites chez certains de ces malades suggère une interaction entre les métabolites de l’azathioprine et de la ribavirine. Il faut donc être extrêmement vigilant s’il est décidé de débuter une bithérapie anti-virale chez un patient sous azathioprine. Il est à noter par ailleurs, qu’aucune réactivation de la MC n’a été observée sous traitement antiviral.

Dépistage du VHC

L’intérêt de ce dépistage reste à démontrer puisqu’il n’existe aucun vaccin, ni traitement prophylactique. Son intérêt pourrait résider dans un meilleur suivi des tests hépatiques et donc d’une meilleure compréhension des perturbations des tests hépatiques pouvant survenir dans cette population. Ce dépistage repose sur la recherche d’anticorps anti-VHC et d’un ARN du VHC par PCR en temps réel en cas de sérologie positive.

Hépatite B

Prévalence des marqueurs d’hépatite B en cas de MICI

Dans l’étude multicentrique italienne, il était noté une prévalence significativement plus élevée des anticorps anti-HBc dans la MC et dans la RCH par rapport à la population contrôle (MC : 10,9 %, RCH : 11,5 %, contrôle : 5,1 %) [1]. Ces données n’étaient pas confirmées dans l’étude espagnole (MC : agHBs : 0,6 %, anti-HBc : 7,1%; RCH : agHBs : 0,8 %, anti-HBc : 8 %) [2]. Ces études montrent souvent l’absence de couverture vaccinale dans cette population [16].

Impact des traitements immuno-modulateurs sur l’histoire naturelle de l’hépatite chronique B

La réactivation de l’hépatite B est un phénomène bien connu qui peut survenir spontanément ou lors d’un traitement immunosuppresseur. Elle est souvent due à la restauration immunitaire spécifique dirigée contre le VHB et peut donc survenir à l’arrêt du traitement immuno-suppresseur (par exemple agent cytotoxique, corticoïdes…). Elle peut entraîner une élévation importante des transaminases et conduire à une insuffisance hépatocellulaire parfois mortelle. Il n’existe aucune étude prospective évaluant l’effet des corticoïdes, des immuno-modulateurs ou des anti-TNF sur l’histoire naturelle de l’hépatite B chez les malades atteints de MICI. Ainsi, les recommandations pour la prise en charge de l’infection chronique par le VHB lors d’un traitement immunomodulateur découlent d’observations faites chez des patients traités pour d’autres maladies inflammatoires chroniques ou traités par des agents cytotoxiques pour des tumeurs solides ou hématologiques [17]. La réactivation de la réplication virale chez les sujets agHBs+ survient chez 20-50 % des patients traités par un immunosuppresseur ou une chimiothérapie [17]. Chez les patients traités pour un lymphome, la réactivation virale est plus fréquente en cas de chimiothérapie comportant des corticoïdes [18]. Récemment, plusieurs cas de réactivation du VHB symptomatiques et sévères chez des sujets agHBs+ et ayant une MICI ont été décrits lors d’un traitement par anti-TNF [19-21]. Une observation de réactivation VHB a même été décrite chez un patient anti-HBc+ et agHBs- [22].

Mesures de prévention

Patients séronégatifs

Il est recommandé de vacciner contre le VHB les sujets anti-HBc-.

Patients agHBs+

  • Porteurs inactifs (agHBs+, anti-HBc+, ADN faible < 2 000 UI/ml ou indétectable, transaminases normales, échographie et/ou histologie normales) : un traitement prophylactique par un analogue type lamivudine doit être introduit idéalement 2 semaines avant de débuter les corticoïdes, l’azathioprine ou les anti-TNF. Ce traitement doit être poursuivi 6 mois après l’arrêt du traitement immunomodulateur.
  • Patients avec un ADN > 2000 UI/ml : il faut considérer cesmalades comme ayant une hépatite chronique active. Un traitement par entécavir ou ténofovir doit être prescrit. Ce traitement sera poursuivi jusqu’à séroconversion HBe ou séroconversion HBs chez les sujets agHBe-. Le traitement par interféron a peu d’intérêt dans cette population et risque de majorer la myélosuppression.

Patients agHBs- et anti-HBc+

Actuellement, il n’est pas recommandé de proposer un traitement prophylactique dans cette population. Un suivi attentif des transaminases et de l’ADN du VHB doit être fait pour ne pas méconnaître une réactivation [23].

Effet du traitement antiviral sur les MICI

Le traitement par analogues sera préféré au traitement par interféron. Aucune interaction avec les traitements immuno-modulateurs n’a été rapportée à ce jour.

Dépistage du VHB

Tous les patients avec une MICI doivent être dépistés pour le VHB. Ce dépistage reposera sur la recherche de l’antigène HBs, de l’anticorps anti-HBs et de l’anticorps anti-HBc. Cela permettra de connaître le statut du malade par rapport à l’infection et la vaccination anti-VHB. Chez les patients agHBs+, un dosage de l’ADN du VHB par PCR en temps réel, une recherche des anti-HBe et de l’agHBe seront réalisés. L’intérêt de la recherche de l’ADN du VHB chez les sujets agHBs- et anti- HBc+ reste à démontrer.

Recommandations ECCO (en cours de validation) VHC

  • Aucun consensus n’a été trouvé sur l’intérêt du dépistage systématique du VHC en cas de MICI ;
  • Les immuno-modulateurs ne sont pas contre-indiqués en cas d’hépatite chronique C active. La décision de les prescrire dépend de la gravité de la MICI et/ou de l’hépatite C. Les hépatites C aiguës doivent être traitées selon les recommandations des sociétés savantes sans arrêter les immuno-modulateurs. VHB
  • Tous les patients avec une MICI doivent être dépistés pour le VHB avec une recherche d’agHBs, d’ac anti HBs et d’ac anti-HBc ;
  • Le vaccin anti-VHB est recommandé chez tous les malades ayant une MICI séronégatifs pour le VHB. L’efficacité du vaccin anti-VHB peut-être influencée par le nombre des traitements immuno-modulateur. Une augmentation des doses vaccinales pourrait être nécessaire. La réponse vaccinale doit être testée par un dosage de taux d’anticorps anti-HBs ;
  • Avant et pendant un traitement immuno-modulateur, les patients agHBs+ doivent recevoir un traitement préemptif par un analogue indépendamment du niveau de la charge virale pour éviter une réaction virale ;
  • Les patients avec une hépatite chronique B active doivent recevoir un traitement par analogues ;
  • Il n’y a pas de traitement anti-viral établi en cas d’infection aiguë par le VHB. Les traitements immunosuppresseurs doivent être évités jusqu’à séroconversion HBs.

Références

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  2. Loras C et al. Prevalence and factors related to hepatitis B and C in inflammatory bowel disease patients in Spain: a nationwide, multicenter study. Am J Gastroenterol 2009;104: 57-63.
  3. Vivarelli M et al. Influence of steroids on HCV recurrence after liver transplantation. A prospective study. J Hepatol 2007;47:793-8.
  4. Nissen MJ et al. Rheumatological manifestations of hepatitis C: incidence in a rheumatology and nonrheumatology setting and the effect of methotrexate and interferon. Rheumatology 2005;44:1016-20.
  5. Aslanidis S, Vassiliadis T, PyrpasopoulouAet al. Inhibition of TNFalpha does not induce viral reactivation in patients with chronic hepatitis C infection: two cases. Clin Rheumatol 2007;26:261-4.
  6. Campbell S, Ghosh S. Infliximab therapy for Crohn’s disease in the presence of chronic hepatitis C infection. Eur J Gastroenterol Hepatol 2001;13: 191-2.
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  8. Parke FA, Reveille JD. Anti-tumor necrosis factor agents for rheumatoid arthritis in the setting of chronic hepatitis C infection. Arthritis Rheum 2004;51:800-4.
  9. Vauloup C et al. Effects of tumor necrosis factor antagonist treatment on hepatitis C-related immunological abnormalities. Eur Cytokine Netw 2006;17:290-3.
  10. Peterson JR et al. Effect of tumour necrosis factor alpha antagonists on serum transaminases and viraemia in patients with rheumatoid arthritis and chronic hepatitis C infection. Rheum Dis 2003;62:1078-82
  11. Zein NM. Etanercept as an adjuvant to interferon and ribavirin in treatment- naive patients with chronic hepatitis C infection: a phase 2 randomized, double blind, placebocontrolled study. J Hepatol 2005;42: 315-22.
  12. Villa F et al. Onset of inflammatory bowel diseases during combined alpha-interferon and ribavirin therapy for chronic hepatitis C: report of two cases. Eur J Gastroenterol Hepatol 2005;17:1243-5.
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  14. Tilg H et al. A randomised placebo controlled trial of pegylated interferon alpha in active ulcerative colitis. Gut 2003;52:1728-33.
  15. Peyrin-Biroulet L et al. Interaction of ribavirin with azathioprine metabolism potentially induces myelosuppression. Aliment Pharmacol Ther 2008;28: 984-93.
  16. Melmed GY et al. Patients with inflammatory bowel disease are at risk for vaccine-preventable illnesses. Am J Gastroenterol 2006;101:1834-40.
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  19. Esteve M et al. Chronic hepatitis B reactivation following infliximab therapy in Crohn’s disease patients: need for primary prophylaxis. Gut 2004;53:1363-5.
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  22. Madonia S et al. Occult hepatitis B and infliximab-induced HBV reactivation. Inflamm Bowel Dis 2007;13:508-9.
  23. Yeo W et al. Frequency of hepatitis B virus reactivation in cancer patients undergoing cytotoxic chemotherapy: a prospective study of 626 patients with identification of risk factors. J Med Virol 2000;62:299-307.

Les 5 points forts

Tous les patients avec une MICI doivent être dépistés pour le VHB avec une recherche d’agHBs, d’ac anti-HBs et d’ac anti-HBc ;

  • Le vaccin anti-VHB est recommandé chez tous les malades ayant une MICI séronégatifs pour le VHB. L’efficacité du vaccin anti-VHB peut être influencée par le nombre des traitements immuno-modulateurs. Une augmentation des doses vaccinales pourrait être nécessaire. La réponse vaccinale doit être testée par un dosage du taux d’anticorps anti-HBs ;
  • Avant et pendant un traitement immuno-modulateur, les patients agHBs+ doivent recevoir un traitement préemptif par un analogue indépendamment du niveau de la charge virale pour éviter une réactivation virale ;
  • Les patients avec une hépatite chronique B active doivent recevoir un traitement par analogues ;
  • Il n’y a pas de traitement anti-viral établi en cas d’infection aiguë par le VHB. Les traitements immunosuppresseurs