Peut-on guérir une maladie inflammatoire chronique de l’intestin ?

Objectifs pédagogiques

  • Définir le terme guérison
  • Montrer qu’à ce jour très peu de données sont disponibles concernant la guérison au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
  • Exposer les différentes pistes qui permettent de l’espérer un jour

Introduction

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH), sont un des problèmes majeurs de la gastro-entérologie dans le monde occidental dans lequel le risque cumulé sur une vie d’avoir l’une de ces maladies est de 0,5 à 1 %.

Les objectifs thérapeutiques dans les MICI ont évolué au fil des ans, allant du contrôle des poussées avec réduction – voire disparition de la mortalité dans les formes graves – à une rémission prolongée sans corticoïdes avec retour à une vie normale. L’extension de l’utilisation des immunomodulateurs d’action « lente » (essentiellement l’azathioprine) dans les années 1980-90 et l’irruption à la fin des années 1990 des traitements biologiques ont accéléré cette évolution. La cicatrisation des lésions endoscopiques (à laquelle on attachait auparavant moins d’importance qu’au contrôle des symptômes) s’est imposée comme un but thérapeutique permettant d’envisager une modification de l’histoire naturelle des MICI et une diminution du risque de chirurgie [1]. Il n’est maintenant plus déraisonnable de poser cette question, l’une des premières posées par nos malades à l’annonce du diagnostic : peut-on guérir une MICI ?

De quelle guérison parle-t-on ?

La guérison peut se définir « simplement » par la disparition des symptômes associée à la disparition et/ou la cicatrisation des lésions endoscopiques de la maladie alors que tout traitement a été interrompu. Cependant, au-delà de la cicatrisation muqueuse et de l’absence de symptômes, on peut ambitionner une guérison plus « globale » qui comprendrait la restitution ad integrum des lésions intestinales et la disparition de tout signe d’atteinte transmurale dans la MC et, dans les deux MICI, de l’atteinte inflammatoire histologique, voire des marqueurs biologiques traduisant l’activation immunitaire inappropriée. Cette définition pourrait être élargie aux malades opérés dans la mesure où il n’y a pas ou peu de conséquences fonctionnelles de l’intervention chirurgicale comme dans le cas d’une résection iléale courte au cours d’une MC. À l’opposé, on ne peut pas parler de guérison « globale » chez unmalade ayant subi une proctocolectomie avec anastomose iléo-anale pour une RCH.

Peut-on observer une guérison spontanée dans les MICI ?

Si l’on retient la définition de la guérison globale ci-dessus, il n’existe aucune donnée de ce type actuellement disponible.

Les seules données dont on dispose concernent les patients en rémission clinique et/ou endoscopique sans traitement (guérison simple) dont les cliniciens savent depuis longtemps qu’ils existent. Le pourcentage qu’ils représentent a été quantifié au mieux avant l’ère des traitements biologiques et immunosuppresseurs (susceptibles de modifier l’histoire naturelle des MICI) à partir de l’évolution des groupes placebo des essais thérapeutiques. Ainsi, parmi les 77 malades de la National Cooperative Crohn’s Disease Study (NCCDS) en poussée lors de l’inclusion, 26 % étaient en rémission spontanée (CDAI < 150) à la 17e semaine de traitement placebo, rémission maintenue à la fin de la première année chez 18 % des malades et de la deuxième année chez 12 % [2]. Un sous-groupe de 101 malades, déjà en rémission à l’inclusion, a également été mis sous placebo dans ce même essai pour tester l’impact d’un traitement sur le maintien de la rémission : 64 % étaient encore en rémission à 1 an et 40 % à 2 ans [2].

Les données épidémiologiques concernant la guérison spontanée sont rares [3]. Une étude rétrospective de cohorte hospitalière de 273 malades avec MC suivis depuis plus de 20 ans a révélé que 28 % d’entre eux avaient une maladie quiescente sans traitement après un suivi médian de 25,7 ans [4]. Les informations provenant de cette étude sont cependant limitées par le nombre important de perdus de vue (19 %), la sélection des malades suivis dans des centres de référence et l’appréciation de l’état de santé par autoquestionnaire sans évaluation médicale clinique et morphologique. L’une des plus anciennes études en population générale provient de l’Olmsted County (États-Unis), dans laquelle malheureusement la définition de la guérison était imprécise [5]. Parmi 103 malades avec MC diagnostiqués entre 1943 et 1982, 13 % avaient une évolutivité permanente, 75 % une évolution par poussées et 10 % étaient considérés comme guéris. Plus proches de nous, le registre IBSEN a permis d’étudier l’histoire naturelle de deux cohortes norvégiennes de MC et de RCH en population générale [6, 7]. Dans la MC, les risques cumulés de rechute à 1, 5 et 10 ans étaient respectivement de 53 %, 85 %, et 90 % et dans la RCH de 83 % à 10 ans. Bien que le pourcentage de malades en rémission sans traitement n’ait été donné dans aucune des deux cohortes, ce travail a apporté une contribution originale : une évaluation endoscopique et histologique a permis d’identifier un sous-groupe de malades sans signes d’activité endoscopique et histologique à 1 et 5 ans de suivi [8]. Parmi 72 malades avec RCH et 15 avec MC en cicatrisation endoscopique à un an, 28 et 7 étaient toujours cicatrisés à 5 ans respectivement. Aucun de ces malades n’avait reçu de traitement biologique et très peu un traitement par azathioprine.

Des guérisons « simples » spontanées de MICI existent donc, mais nous ne disposons que de très peu de renseignements sur ces malades. Dans l’étude norvégienne, les seuls facteurs prédictifs associés à une cicatrisation endoscopique étaient pour les deux MICI le niveau d’éducation (curieusement), dans la RCH une maladie étendue et dans la MC, la présence d’une fièvre au diagnostic [8]. Ces malades « guéris » pourraient nous en apprendre beaucoup sur les plans épidémiologique, génétique et immunologique sur les mécanismes de défense mis en jeu après une première poussée et qui aboutiraient à l’« extinction » de la pathologie.

Peut-on observer une guérison après traitement médical et/ou chirurgical des MICI ?

Avec les traitements immunosuppresseurs et biologiques, il est désormais possible d’induire et de maintenir une rémission « simple » sans corticoïdes et de viser au-delà une guérison « globale » incluant une cicatrisation muqueuse voire la restitution ad integrum de l’intestin. Peut-on pour autant parler de guérison ?

Les meilleures informations à ce sujet proviennent des groupes placebo des essais thérapeutiques dits « de retrait ». Dans l’essai du GETAID étudiant les pourcentages de rechute après arrêt de l’azathioprine chez des malades en rémission sous ce traitement depuis au moins 42 mois, plus d’un tiers des malades était en rémission prolongée : 14 % ± 4,3 %à un an, 52,8 %± 7,1 % à 3 ans et 62,7 % ± 7,2 % à 5 ans [9]. Ces malades n’ont cependant pas eu d’évaluation morphologique systématique au cours de leur suivi. On ne dispose à ce jour d’aucune donnée concernant une possible guérison à l’arrêt des thérapies biologiques. Dans l’essai STORI, la plupart des malades étaient en rémission profonde (CDAI < 150, valeur normale de la protéine C-réactive et absence de lésions endoscopiques) sous infliximab et azathioprine mais tous ont été maintenus sous azathioprine à l’arrêt de l’infliximab [10].

On peut également parler de guérison lorsqu’une courte résection chirurgicale pour MC est effectuée et qu’aucun traitement n’est donné en postopératoire : après un suivi de 3 à 72 mois, 76,3 % des malades sous placebo ne récidivent pas cliniquement et 49,8 % n’ont pas de récidive endoscopique sévère (score de Rutgeerts = 2) [11]. La limite de ces résultats issus d’essais thérapeutiques pour apprécier l’histoire naturelle de la maladie est la durée limitée du suivi et le fait de considérer que le placebo n’a aucun effet thérapeutique. Les études épidémiologiques fournissent des données comportant plus de recul, même si les informations sont uniquement cliniques sans évaluation morphologique systématique. Dans une population suédoise, et dans celle de l’Olmstedt County 40 % des malades ne présentaient pas de récidive 15 ans après une première intervention [12, 13].

Des rémissions prolongées et profondes existent donc sous traitement médical sans que l’on puisse pour autant parler de guérison « globale » telle que définie précédemment. Après chirurgie « conservatrice » dans la MC, on peut aussi observer des rémissions prolongées et probablement parler de guérison « globale » si l’on fait abstraction des portions d’intestin réséquées. Là encore, ce groupe de malades n’a jamais fait l’objet d’études approfondies.

Quelles sont les voies à explorer pour renforcer les chances de guérison ?

Viser une rémission « globale » audelà de la simple évaluation clinique est un concept émergent dans la prise en charge des MICI. Dans la RCH, l’obtention d’une rémission endoscopique et histologique est associée à un risque réduit de rechute. Dans la MC, l’obtention d’une cicatrisation endoscopique est également associée à une diminution du nombre de futures poussées et d’interventions chirurgicales. Dans l’essai STORI, deux paramètres prédictifs de l’absence de rechute à l’arrêt de l’infliximab étaient un taux de protéine C-réactive normal et un score endoscopique (CDEIS) bas [10]. La MC étant une maladie transmurale, il faudra dans le futur obtenir la régression des lésions audelà de la muqueuse si l’on veut ensuite pouvoir arrêter les traitements et guérir les malades.

L’utilisation combinée d’agents thérapeutiques ayant différents mécanismes d’action pourrait entraîner des rémissions globales et prolongées qui pourraient permettre ensuite une désescalade progressive des traitements jusqu’à leur arrêt. Au-delà des anti-TNFa, de nombreuses voies thérapeutiques sont en cours d’exploration : cytokines, anti-cytokines, blocage ou stimulation de populations lymphocytaires T, molécules antiadhésion, nouveaux immunomodulateurs, etc. [14]. Cette stratégie a été jusqu’à maintenant peu explorée par crainte des effets secondaires.

Traiter plus tôt et plus fort avant que ne soient installés des dégâts irréversibles dans l’organe cible a été l’approche choisie par les rhumatologues dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR). Ainsi, dans l’étude BEST qui comparait différentes stratégies thérapeutiques dans la PR d’apparition récente, 120 malades ont été randomisés dans un bras comportant un traitement maximal par infliximab et méthotrexate d’emblée. Après un temps médian de 9,9 mois 67 répondeurs ont interrompu l’infliximab dont 16 ont pu arrêter le méthotrexate et restaient en rémission totale sans traitement à 3 ans [15]. D’autres données montrent qu’il est également possible d’interrompre sans rechute les traitements conventionnels non biologiques chez des malades avec PR traités précocement avant l’installation de lésions radiographiques significatives [16]. C’est ce concept qui a été appliqué à la MC dans deux essais thérapeutiques récents, Step-up/top-down [17] et SONIC [18] qui ont établi l’efficacité d’un traitement précoce biologique dans laMC. Reste à établir qu’une telle approche permettra d’obtenir une rémission globale et prolongée persistante à l’arrêt des traitements.

Traiter plus tôt veut également dire cibler les mécanismes physiopathologiques intervenant précocement dans le déclenchement de la maladie. La plupart des traitements dont nous disposons visent à contrôler la phase tardive des MICI au cours de laquelle une dérégulation de l’immunité adaptative s’est installée alors que les perturbations les plus précoces siègent au sein du système immunitaire inné. Un exemple en est la diminution de la synthèse des défensines au cours de la MC dont la production endogène pourrait être restaurée par l’administration de probiotiques (Escherichia coli Nissle, lactobacilles) [19].

Enfin, l’approche la plus ambitieuse serait de prévenir l’apparition des MICI chez des sujets prédisposés. Des marqueurs de la maladie (anticorps, calprotectine fécale, perméabilité intestinale) ont été trouvés jusque chez 30 % des parents du premier degré de malades avec MC [20-22]. On peut ainsi supposer qu’il existe chez ces sujets des modifications précoces infracliniques du système immunitaire intestinal et/ou de la flore sur lesquelles il serait possible d’agir afin de prévenir l’apparition des symptômes cliniques. Leur mise en évidence est un des buts du projet ORIGIN de l’European Crohn’s and Colitis Organisation (ECCO).

Références

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Les 5 points forts

  • La guérison au cours des MICI peut se définir par la disparition prolongée de la maladie sans aucun traitement.
  • On peut distinguer une guérison « simple » correspondant à la disparition des symptômes associée à la cicatrisation des lésions endoscopiques et une guérison « globale » correspondant à la restitution ad integrum de l’intestin.
  • Une guérison simple peut être observée spontanément ou après traitement médical ou chirurgical.
  • Aucune donnée n’est disponible concernant la guérison « globale ».
  • Plusieurs pistes sont actuellement explorées pour renforcer dans le futur les chances de guérison des MICI.