L’échographie abdominale dans le suivi des cirrhoses

Objectifs pédagogiques

  • Savoir quels malades surveiller et à quel rythme
  • Connaître les données échographiques à recueillir chez un malade atteint de cirrhose
  • Savoir quand proposer une imagerie complémentaire en cas d’anomalie échographique

Introduction

Toute surveillance, au cours d’une pathologie, n’apparaît utile que si elle permet de prévoir les accidents évolutifs, de dépister précocement certaines complications et de guider ou modifier une attitude thérapeutique.

Actuellement, le diagnostic de la cirrhose repose, dans la majorité des cas, sur des tests non invasifs (élastographie, tests sanguins). Une fois le diagnostic de cirrhose établi, il est admis et recommandé de pratiquer une surveillance du patient sur les plans clinique, biologique, endoscopique et échographique. L’échographie semestrielle doit essentiellement apporter des éléments diagnostiques de dépistage mais également des critères pronostiques.

La surveillance échographique est-elle justifiée ?

Pour l’affirmer, il est nécessaire de répondre aux questions suivantes.

Le suivi échographique est-il fiable et reproductible ?

Corrélation interobservateurs :

  • La concordance est bonne à excellente pour les principales caractéristiques du foie, des vaisseaux du système porte et de la rate. Elle est médiocre pour l’écho structure du foie, les veines de dérivation [1].
  • La concordance échographique des paramètres hémodynamiques étudiés grâce au doppler est bonne sur un même appareil [2].
  • La concordance échographique interobservateurs est meilleure que la concordance inter-observateurs étudiée pour l’endoscopie des patients cirrhotiques [3, 4].

Corrélation écho-anatomiques

La concordance semble satisfaisante malgré quelques divergences diagnostiques et en tenant compte des limites de la technique (petites tumeurs et faux négatifs pour des thromboses vasculaires). Ces erreurs n’auraient pas modifié l’attitude thérapeutique [5].

Que peut-on surveiller ?

a) L’échostructure du foie : le but est de dépister un éventuel hépatocarcinome (CHC) « curable » mais également de noter l’aspect nodulaire ou hétérogène du foie. Les patients ayant un aspect « nodulaire » du foie ont un risque de développer un CHC plus important que si l’aspect est hétérogène diffus ou homogène (82 % vs 43 % vs 5 % à 3 ans) [6]

b) Taille du foie : elle apparaît assez bien corrélée à la réserve hépatique chez un patient cirrhotique. Les mesures sont par contre difficilement reproductibles et la « traditionnelle » flèche hépatique est certainement à abandonner.

c) Rate et veine splénique : la taille de la rate, le diamètre de la veine splénique sont importants dans l’indication d’une dérivation chirurgicale. Une éventuelle dérivation spléno-rénale spontanée doit être recherchée et notée.

d) Veine porte : la liberté de la veine porte et le sens du flux sanguin en doppler sont des renseignements importants [7,8] et absolument nécessaires. L’évaluation de la vitesse circulatoire dans la veine porte est fiable et reproductible, elle serait corrélée aux facteurs pronostiques de la cirrhose. Les autres indices calculés en doppler ne sont pas d’utilisation courante. Une vitesse circulatoire lente (inf. à 0,10 m/s) définit un groupe de patients, qui à Child égal, ont un mauvais pronostic [9]. De même, l’inversion permanente du flux porte est corrélée au risque d’encéphalopathie [10] et à la présence de « signes rouges » sur les varices [11]. En ce qui concerne les branches intrahépatiques de la veine porte, il est très inhabituel de trouver une thrombose intrahépatique, sans thrombose pédiculaire, sur cirrhose, sans qu’elle soit en rapport avec un hépatocarcinome [11].

e) Circulations collatérales : leur visualisation échographique est difficilement reproductible (en dehors des spléno-rénales) et il n’existe pas de corrélation entre le degré de l’hypertension portale et la taille des collatérales. D’autre part, les collatérales, même de gros calibre, ne semblent pas mettre à l’abri des hémorragies.

Problèmes diagnostiques

a) Vésicule : en cas d’hypertension portale, les parois sont épaissies, à double contour, même en l’absence d’ascite. Ceci pose des problèmes diagnostiques chez les patients cirrhotiques qui présentent des douleurs de l’hypochondre droit. En effet, il est important d’éliminer une thrombose porte débutante, qui peut être à l’origine de la douleur et qui aurait des conséquences désastreuses en cas de cholécystectomie.

b) Encéphalopathie et dérivations porto-cave spontanées : en l’absence d’insuffisance hépatique sévère ou de prise médicamenteuse, la survenue d’une encéphalopathie hépatique doit faire rechercher, par échographie, une voie de dérivation de gros calibre, en général spléno-rénale spontanée [12,13]

À quel rythme ?

Pour le dépistage du CHC, le consensus se fait sur une surveillance échographique couplée à l’alpha foeto-protéine tous les6mois [14, 15]. Pour les autres complications de la cirrhose, il n’existe pas de rythme recommandé.

Cette surveillance modifie-t-elle l’attitude thérapeutique ?

a) Dépistage de l’hépatocarcinome : il n’est justifié, d’une manière répétée, que dans l’optique d’une prise en charge thérapeutique, quelle qu’elle soit, et s’adresse donc à des patients pour lesquels le traitement curatif peut être envisagé en l’absence de cirrhose décompensée.

b) Indication de chirurgie de résection : l’existence d’une atrophie hépatique, de même que la présence d’ascite, contre-indiquent en général une résection et font préférer la transplantation hépatique si elle est possible. La liberté et le flux des axes vasculaires porte et sus-hépatiques doivent être connus avant toute chirurgie (par exemple, la résection de segments dont les branches portes sont thrombosées ne devrait pas majorer l’insuffisance hépatique). La topographie des lésions en fonction des axes vasculaires (VSH et Porte) sont à préciser à l’opérateur.

c) Indication de dérivation chirurgicale : plus rarement indiquée puisqu’elle est habituellement remplacée par une dérivation radiologique. La liberté des axes vasculaires, le sens des flux porte, mésentérique et splénique ainsi que la topographie des éventuels thrombi doivent être précisés au chirurgien. La surveillance vasculaire, après la chirurgie, nécessite une échographie avec doppler.

d) Indication de TIPS (Thrombose porte ou Thrombose partielle) : la mise en place du TIPS est possible en cas de thrombose porte si les branches intrahépatiques sont libres avec un cavernome portal de type porto-porte. La découverte d’une thrombose partielle du tronc porte peut constituer une indication de mise en place de TIPS afin d’éviter l’extension de la thrombose chez des patients en attente de greffe en rétablissant un flux hépatopète satisfaisant dans la veine porte.

e) Indication de greffe : la liberté du système porte, en particulier au niveau du confluent spléno-mésentérique, est importante à connaître pour l’anastomose du greffon. La présence d’une grosse voie de dérivation (splénorénale), entraînant un vol vasculaire peut entraîner une thrombose porte après transplantation et doit être déconnectée durant l’intervention. La découverte, au cours du suivi, d’un petit hépatocarcinome ou d’une thrombose porte débutante peuvent faire avancer l’indication d’une greffe.

f) Indication de chimioembolisation lipiodolée : cette technique très fréquemment utilisée pour le traitement palliatif du CHC, nécessite, bien sûr, une cirrhose compensée mais également une description échographique précise du système porte, en effet un flux porte hépatofuge ou une thrombose partielle majorent les complications survenant lors de l’embolisation artérielle et parfois même, la contreindiquent.

Cette surveillance modifie-t-elle le pronostic ?

La transplantation hépatique est la seule thérapeutique qui augmente la survie du patient cirrhotique. Son indication peut dépendre de découvertes échographiques (taille du foie, thrombose débutante, petit CHC…). La découverte d’un hépatocarcinome de petite taille et sa prise en charge curative modifie bien évidemment le pronostic du patient même en l’absence de transplantation. L’incidence des autres thérapeutiques sur la survie des cirrhotiques devrait être étudiée en fonction de l’apport de l’échographie dans la prise de décision d’un traitement spécifique (par ex., TIPS versus ligature sur varices oesophagiennes en cas de flux porte inversé, TIPS pour thrombose partielle de la veine porte…).

Conclusions

L’échographie semble remplir les conditions nécessaires d’un examen de surveillance.

a) Elle est reproductible, fiable, non invasive, peu coûteuse.

b) Ses résultats peuvent influencer l’attitude thérapeutique voire même le pronostic et la survie des patients cirrhotiques.

c) L’utilisation du doppler est indispensable (liberté des veines et sens du flux).

d) La description du système porte est nécessaire avant tout geste chirurgical ou traitement intra-artériel chez un patient cirrhotique. [16]

Tous ces items doivent être systématiquement notés dans des comptes rendus standardisés afin d’avoir un suivi efficace des patients cirrhotiques.

Références

  1. Tissot O, Aubé C, Namour A, et al. Interobserver concordance of echographic semiology in liver cirrhosis. Gastroenterol Clin Biol. 1995;19: 291-6.
  2. Sabbà C, Merkel C, Zoli M, et al. Interobserver and interequipment variability of echo-Doppler examination of the portal vein: effect of a cooperative training program. Hepatology. 1995;21:428-33.
  3. Calès P, Zabotto B, Meskens C et al. Gastroesophageal endoscopic features in cirrhosis. Observer variability, interassociations, and relationship to hepatic dysfunction. Gastroenterology. 1990;98:156-62.
  4. Frouge C, Menu Y, Degott Cet al. Diagnostic quality control of hepatobiliary echography by autopsy correlation. Gastroenterol Clin Biol. 1989;13:285-90.
  5. Tarao K, Hoshino H, Shimizu A et al. Patients with ultrasonic coarse-nodular cirrhosis who are anti-hepatitis C virus-positive are at high risk for hepatocellular carcinoma. Cancer. 1995;75:1255-62.
  6. Aubé C, Oberti F, Korali N et al. Ultrasonographic diagnosis of hepatic fibrosis or cirrhosis. J Hepatol. 1999;30:472-8.
  7. Aubé C, Winkfield B, Oberti F. New Doppler ultrasound signs improve the non-invasive diagnosis of cirrhosis or severe liver fibrosis. EurJGastroenterol Hepatol. 2004;16:743-51
  8. Zoli M, Iervese T, Merkel C et al. Prognostic significance of portal hemodynamics in patients with compensated cirrhosis. J Hepatol. 1993;17:56-61.
  9. Letard JC, Boustière C, Romy P et al. Reversal of portal blood flow in cirrhosis. Clinical, endoscopic and ultrasound endoscopic correlations in 72 patients. Gastroenterol Clin Biol. 1993;17:578-83.
  10. Gaiani S, Bolondi L, Li Bassi S et al. Prevalence of spontaneous hepatofugal portal flow in liver cirrhosis. Clinical and endoscopic correlation in 228 patients. Gastroenterology. 1991;100:160-7.
  11. Kunstlinger F, Ghemard O, Bokobsa J. Echographic study of thrombosis of the portal system in the adult. Gastroenterol Clin Biol. 1983;7:124-9.
  12. Summerskill WH, Davidson EA, Sherlock S et vs al. The neuropsychiatric syndrome associated with hepatic cirrhosis and an extensive portal collateral circulation. Q J Med. 1956;25:245-66.
  13. Kerlan RK Jr, Sollenberger RD, Palubinskas AJ et al. Portal-systemic encephalopathy due to a congenital portocaval shunt. AJR Am J Roentgenol. 1982;139:1013-5.
  14. Bruix J, Sherman M, Llovet JM et al. Clinical management of hepatocellular carcinoma. Conclusions of the Barcelona-2000 EASL conference. European Association for the Study of the Liver. J Hepatol. 2001;35:421-30.
  15. Bruix J, Sherman M. Management of Hepatocellular Carcinoma. Hepatology 2005;42:1208-36.
  16. Critères diagnostiques et bilan initial de la cirrhose non compliquée. HAS/ Service des recommandations professionnelles/ Décembre 2006 page 10. Tableau n° 3. Éléments à rechercher systématiquement lors du bilan échographique initial de cirrhose chez l’adulte (accord professionnel). L’argumentaire scientifique de cette évaluation est téléchargeable sur www.has-sante.fr. Haute Autorité de santé Service communication, 2, avenue du Stade de France – F 93218 Saint-Denis La Plaine cedex.

Les 5 points forts

  1. L’échographie abdominale est l’outil de base pour la surveillance des patients atteints de cirrhose, elle est fiable, reproductible, non invasive et peu coûteuse (EBM I).
  2. L’analyse doppler du système porte est indispensable et fournit des renseignements évolutifs influençant directement la prise en charge quotidienne de ces patients (EBM I).
  3. La liberté de la veine porte, la présence d’une thrombose porte partielle ou totale, le sens du flux et la vitesse dans la veine porte sont les renseignements nécessaires devant figurer dans le compte rendu d’échographie (EBM III).
  4. La surveillance échographique des patients atteints de cirrhose est semestrielle et vise à dépister un CHC « curable » (EBM II).
  5. La confirmation d’une lésion solide apparue sur cirrhose nécessite un examen avec un temps vasculaire artériel et portal et donc de réaliser un scanner, une IRM ou une échographie de contraste (EBM I).