Prise en charge de l’adénocarcinome métastatique de l’estomac

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les standards du traitement palliatif des adénocarcinomes gastriques métastatiques
  • Connaître les facteurs anatomopathologiques prédictifs du traitement et comment les chercher
  • Connaître les éventuelles indications de traitement chirurgical dans les cancers gastriques métastatiques

Introduction

Dans le monde, près de 930 000 nouveaux cas de cancers gastriques sont diagnostiqués par an, soit 8,4 % de l’ensemble des cancers. L’Asie (plus de 40 % des cas pour la Chine), l’Amérique du Sud (Andes) et l’Europe de l’Est ont les plus hautes incidences. En France, le cancer de l’estomac a longtemps été le 2e cancer du tractus digestif. L’incidence était de 6 794 nouveaux cas estimés en 2005 (homme : 4 405 ; femme : 2 389). Actuellement, il représente 2 % des cancers et 15 % de cancers digestifs, le classant au 9e rang des cancers chez l’homme et au 13e chez la femme. Si l’on s’intéresse uniquement aux cancers distaux et non pas aux cancers du cardia, qui représentent une entité à part, l’incidence a diminué entre 1980 et 2005 d’environ 30 % avec un rythme de décroissance similaire entre les deux sexes (environ 2,5 % par an).

Le pronostic du cancer gastrique est mauvais, pire que la plupart des autres tumeurs solides de l’adulte. Il représente, à l’échelle mondiale, la 2e cause de décès par cancer avec près de 700 000 décès/an. En France, on estime à 4 576 le nombre de décès en 2005, en faisant la 9e cause de décès par cancer chez l’homme et la femme. De même que l’incidence, la mortalité a également diminué au cours des vingt dernières années.

Les formes potentiellement curatives, c’est-à-dire accessibles à un traitement chirurgical, ne représentent que moins de la moitié des cas au diagnostic, la maladie étant le plus souvent asymptomatique au stade précoce et l’incidence ne justifiant pas de dépistage systématique dans notre pays. De plus, malgré un traitement chirurgical à visée curative, beaucoup de patients sont exposés à une récidive métastatique nonobstant les progrès apportés par les traitements complémentaires péri- ou postopératoires (survie à 5 ans de 30 à 35 %, en dehors des stades pT1 pN0 ou N1). Ainsi les formes métastatiques restent encore majoritaires et leur pronostic marqué par une médiane de survie spontanée de l’ordre de 3 à 6 mois…

Chimiothérapie

Intérêt de la chimiothérapie palliative

La place de la chimiothérapie palliative dans la prise en charge des adénocarcinomes métastatiques de l’estomac a été démontrée dans les années 90 par 4 essais randomisés de faibles effectifs ayant comparé un traitement par chimiothérapie (polychimiothérapies) aux soins de support [1-4]. Un bénéfice en survie a précocement été mis en évidence (9 à 11mois versus 3 à 4 mois, HR : 0.39, 95% IC 0,28-0,52) [5]. L’une de ces études avait aussi démontré un gain en qualité de vie en faveur du bras chimiothérapie [3].

Sélection des malades redevables d’une chimiothérapie palliative

Si le bénéfice de la chimiothérapie en situation palliative est démontré, il faut garder en mémoire que cette démonstration s’est faite chez des malades sélectionnés (car répondant aux critères d’inclusion d’essais) et que, même pour ce type de sujets, l’indication de chimiothérapie n’est pas toujours pertinente. En effet, l’indication d’une chimiothérapie palliative devrait prendre en compte des facteurs pronostiques simples bien établis par l’étude de Chau [6]. Dans ce travail, regroupant 1 080 malades inclus dans trois essais de phase III évaluant des chimiothérapies à base de 5-FU (avec évaluation de la qualité de vie/ EORTC), 4 facteurs indépendants de mauvais pronostic ont été identifiés : IP OMS 2, métastases hépatiques, carcinose péritonéale et taux de phosphatases alcalines > 100 U/L. Chez ces patients, tous traités par chimiothérapie dans le cadre d’un essai, la survie variait en fonction des sous-groupes de 11,8 mois (pas de facteur de risque) à 7,4 mois (présence de 1 à 2 facteurs) et 4,1 mois (3 à 4 facteurs)…

Types et schémas de chimiothérapie

De nombreux produits et schémas de chimiothérapie ont été évalués dans le cancer gastrique. Parmi les principaux produits actifs, intégrés dans les schémas de traitement en cours actuellement, on peut schématiquement distinguer les « anciens » : antimétabolites de type 5-FU et méthotrexate, sels de platine (cisplatine) et anthracyclines (doxorubicine-épirubicine), et les « modernes » : 5-FU oraux, taxanes (docétaxel), irinotécan, oxaliplatine (Tableau 1).

Ainsi, pendant longtemps les schémas de polychimiothérapie évalués dans le traitement du cancer gastrique métastatique ont été le CF (cisplatine + 5-FU), le FAMTX (5-FU + doxorubicine + méthotrexate haute dose), le PELF (cisplatine + épirubicine + leucovorine + 5-FU), l’ELF (étoposide + leucovorine + 5-FU), l’ECF (épirubicine + cisplatine + 5-FU continu)… La médiane de survie observée au cours des nombreuses études de phase III testant ces différents schémas fluctue entre 7 à 11 mois sans qu’aucun schéma ne permette de dépasser 1 an de survie. La toxicité était évidemment variable en fonction des schémas, majorée pour les tri- et quadri-chimiothérapies… Finalement, de ces polychimiothérapies « anciennes » seuls le CF et l’ECF sont restés des standards encore largement utilisés et non détrônés (Tableau 2). Il est d’ailleurs intéressant de noter que les études les plus récentes ayant évalué l’apport des thérapies ciblées dans cette indication (cf. infra) aient utilisé le schéma CF comme bras de référence et comme schéma d’association à la thérapie testée.

Puis les schémas chimiothérapiques étudiés plus récemment, intégrant les cytotoxiques « modernes », ont été : le DCF (docétaxel + cisplatine + 5-FU), l’ECX (ECF où la capécitabine se substitue au 5-FU continu), l’EOX (schéma ECX où l’oxaliplatine se substitue au cisplatine), le FOLFOX, le FOLFIRI… (Tableau 1) Les principales données concernant ces schémas plus modernes sont résumées ci-contre (Tableau 2).

Docétaxel

L’étude princeps établissant l’intérêt du docétaxel (Taxotère®) est l’étude V-325 comparant le DCF (docétaxel 75 mg/m2, cisplatine 75 mg/m2, 5-FU 750 mg/m2 J1-J5) au CF (cisplatine 100 mg/m2, 5-FU 1 000 mg/m2 J1-J5) avec un avantage faible mais significatif en survie, en faveur du bras DCF (9,2 vs 8,6 mois, p = 0,02) au prix d’une toxicité hématologique de haut grade significativement majorée (dont 29 % de neutropénie compliquée vs 12 %) [7]. Le bénéfice clinique et en qualité de vie était cependant conservé. Des études de phase II se sont ensuite attachées à améliorer ce schéma DCF afin d’en réduire les toxicités [8, 9].

Oxaliplatine

Deux études de phase III, l’étude REAL-2 [10] et une étude allemande [11], ont permis de positionner l’oxaliplatine dans le cancer gastrique métastatique. Dans l’étude REAL-2 (étude de non infériorité, schéma 2 × 2), la non infériorité en efficacité est démontrée entre cisplatine et oxaliplatine quand ce dernier remplace le cisplatine dans les schémas standards ECF ou ECX (devenant alors des schémas EOF ou EOX respectivement). De plus, le bras EOX avait la médiane de survie la plus favorable (11,2 mois alors que les 3 autres bras de l’étude : ECF, ECX, EOF étaient respectivement à 9,9, 9,9 et 9,3 mois). L’étude allemande comparait FLO (5-FU 2 600 mg/m2 sur 24 h, leucovorine 200 mg/m2, et oxaliplatine 85 mg/m2 toutes les 2 semaines) au FLP (5-FU, leucovorine, cisplatine). Le schéma FLO n’a pas démontré de supériorité significative malgré une tendance avec une survie globale à 10,7 vs 8,8 mois. Dans les deux études, l’intérêt majeur était la meilleure tolérance de l’oxaliplatine par rapport au cisplatine. En France, le schéma FOLFOX est souvent utilisé.

Irinotécan

Deux études de phase III soutiennent la place de l’irinotécan dans le traitement du cancer gastrique, place déjà suggérée par des études de phase 2 en association avec le 5-FU. La 1re étude est la « V306 » de Dank M et al [13] ayant comparé un schéma d’association 5-FU + irinotécan hebdomadaire (IF : Irinotécan 80 mg/m2, A. Folinique 500 mg/m2, 5-FU 2 000 mg/m2 22 h) au schéma CF (Cisplatine 100 mg/m2 J1 + 5-FU 1 000 mg/m2 J1-J5/4 semaines). Même si les différences en terme d’efficacité n’étaient pas statistiquement significatives, le bras IF montrait des résultats au moins similaires (médiane survie globale : 9 vs 8,7 mois) avec une toxicité moindre et une meilleure qualité de vie dans le bras IF [14]. L’étude intergroupe française (FFCD-FNCLCC-GERCOR) présentée récemment à l’ESMO et au cours de ces JFHOD 2011 a permis de démontrer un avantage significatif du FOLFIRI par rapport au standard ECX, en terme de temps jusqu’à échec thérapeutique (5 vs 4 mois) pour une survie globale médiane équivalente (9,7 vs 9,5 mois) et une moindre toxicité, notamment hématologique. Ces études permettent donc de disposer d’un schéma efficace sans sel de platine dans le cancer gastrique avancé.

5-FU oraux

La capécitabine a pleinement montré son équivalence avec le 5-FU dans deux larges études de phase III : d’une part dans l’essai REAL-2 où l’ECX et l’EOX sont respectivement équivalents à l’ECF et l’EOF et d’autre part dans une étude asiatique où l’association cisplatine-capécitabine (CX) est équivalente au CF [15].

Le S1 est une autre prodroque du 5-FU (tegafur) associée à un inhibiteur de la DPD (gimeracil) prolongeant ainsi sa demi-vie et de l’otéracil potassium (limitant les effets digestifs toxiques du 5-FU). Il occupe une place centrale, au Japon, dans le traitement des cancers gastriques où il a été développé en monothérapie puis en association avec le cisplatine ou l’irinotécan, en remplacement du 5-FU [16]. Il n’est cependant pas développé en Occident où une étude internationale récente (étude FLAGS) n’a pas permis de monter de supériorité d’efficacité de l’association cisplatine-S1 par rapport au standard CF (médiane de survie à 8,6 vs 7,9 mois) et bien que son profil de tolérance soit significativement meilleur… [17].

Au total, plusieurs schémas de polychimiothérapie sont disponibles… mais aucun n’émerge réellement, faute d’efficacité nettement différente. En effet, la médiane de survie reste pour l’ensemble de ces schémas inférieure à 1 an, variant le plus souvent de 9 à 11 mois. En termes de tolérance, les avancées ont été l’évolution du cisplatine vers l’oxaliplatine et celle du 5-FU vers la capécitabine. Sur le plan de l’efficacité, seul le docétaxel représente un réel progrès (à pondérer par le profil de toxicité). Finalement, faute d’identification de facteurs prédictifs d’efficacité permettant de choisir un schéma par rapport à un autre, le profil de tolérance et la maîtrise de tel ou tel schéma par les équipes deviennent des éléments de choix importants.

Mono- ou polychimiothérapies ?

La question de la place de la monothérapie par rapport aux polychimiothérapies a fait l’objet de quelques débats et a notamment été soutenue par les Japonais. Ces derniers, longtemps en faveur du S1 en monothérapie, ont actuellement démontré que les associations S1 + cisplatine ou S1 + irinotécan étaient plus efficaces [16]. Par ailleurs, une métaanalyse (11essais;1472 malades) retrouvait un bénéfice faible mais significatif en faveur des polychimiothérapies au dépend d’une majoration de la toxicité [18].

Actuellement, la question qui se pose est celle d’une bithérapie ou d’une polychimiothérapie associant trois à quatre cytotoxiques. Même si des essais de phase III valident le concept de l’efficacité des trithérapies, la tendance va vers des bithérapies permettant de limiter la toxicité sans que l’efficacité semble inférieure à des polychimiothérapies plus lourdes ; c’est notamment ce que montre l’essai intergroupe français. L’arrivée des thérapies ciblées (cf. infra) plaide aussi pour l’utilisation de bithérapies afin de limiter les risques de toxicité qui pourraient se trouver majorés du fait de l’association à la thérapie ciblée. De même, la place des anthracyclines au sein des polychimiothérapies commence à être remise en question après des années de suprématie du schéma ECF.

Apport des thérapies ciblées

Historiquement, le premier essai était avec le marimastat (inhibiteur de métalloprotéases) utilisé en 1re ligne ou en 2e ligne après un traitement à base de fluoropyrimidine, dont les résultats ont été estimés globalement peu convaincants [19]. Depuis, avec l’arrivée en force des thérapies ciblées dans le domaine de l’oncologie, plusieurs thérapies ciblées sont développées dans le cancer de l’estomac, essentiellement dans les stades avancés. Plusieurs essais randomisés sont en cours et trois d’entre eux sont déjà publiés (Tableau 3).

Thérapie anti-HER2 (trastuzumab)

Le seul essai de phase III positif à ce jour est l’essai TOGA avec le trastuzumab ciblant HER2 [20]. L’étude TOGA a évalué l’apport d’un Ac anti-HER2 : le trastuzumab (Herceptine®, largement utilisé dans le traitement du cancer du sein) en 1re ligne chez les patients porteurs d’un cancer gastrique avancé dont la tumeur présentait une surexpression du récepteur HER2. On estime qu’environ 15 à 20% des cancers de l’estomac surexpriment HER2, c’est-à-dire une incidence identique à celle observée dans le cancer du sein. L’étude démontrait pour la première fois l’intérêt d’une thérapie ciblée (en association avec une chimiothérapie standard de type cisplatine + capécitabine ou cisplatine + 5-FU par rapport au même schéma de chimio sans trastuzumab) avec un gain de survie significatif : médiane de survie à 13,8 vs 11 mois (HR = 0,74 [CI 0,60-0,91] p = 0,0046). Pour la première fois, la médiane de 1 an de survie globale a été franchie. Selon une analyse exploratoire en fonction du niveau de positivité de HER2, la meilleure efficacité du traitement était observée chez les patients à forte expression de HER2 (tumeur « IHC 3+ » ou « IHC2+ et FISH+ »). La survie médiane était alors de 16 mois avec la combinaison chimiothérapie-trastuzumab versus 11,8 mois avec la chimiothérapie seule !

L’association CF – trastuzumab s’impose donc comme nouveau standard de chimiothérapie de 1re ligne des cancers gastriques surexprimant fortement HER2. La recherche de surexpression de HER2 doit donc être demandée chez les malades aptes à recevoir ce traitement. L’analyse du statut HER2 doit être effectuée à partir d’un bloc tumoral conservé en paraffine avec fixation initiale classique par formol. Le liquide de Bouin ne doit pas être utilisé. Les deux méthodes recommandées actuellement pour l’évaluation de l’expression HER2 sont l’immunohistochimie (IHC) et l’hybridation in situ (HIS) sur coupes fixées et incluses en paraffine. L’HIS peut reposer elle-même sur deux techniques : la FISH ou la CISH en fonction du type de sonde utilisé. Comme dans le cancer du sein, le statut HER2 doit être évalué d’abord en IHC, puis plus ou moins par HIS pour les cas ambigus 2+ en IHC. La technique d’IHC est suffisante pour déterminer le statut HER2 des tumeurs gastriques dans environ 90 % des cas. Le profil de surexpression requis pour une indication de trastuzumab est défini par IHC2+ confirmée par un résultat HIS+ ou par IHC3+.

Thérapie anti-angiogène (antiVEGF : bévacizumab)

Quatre essais de phase II ont été conduits avec le bévacizumab (Avastin®) montrant des taux de réponse intéressants aux alentours de 60 % en 1re ligne métastatique. L’essai de phase III AVAGAST n’a malheureusement pas confirmé les résultats encourageants de ces essais de phase II.

L’essai AVAGAST évaluait l’association du bévacizumab (7,5 mg/kg) associé à la même chimiothérapie que dans l’essai ToGA (cisplatine + capécitabine ou cisplatine + 5-FU) versus la chimiothérapie seule. Les résultats présentés au dernier congrès de l’ASCO (juin 2010) ne montraient pas de différence significative de survie globale : 10,1 mois dans le bras contrôle vs 12,1 mois dans le bras avec bévacizumab (HR : 0,87 ; p = 0,10) malgré un allongement significatif de la survie sans progression et du taux de réponse. Les résultats différaient cependant selon l’origine géographique des patients : 6,8 versus 11,5 mois (HR : 0,63) pour le continent américain, 8,6 versus 11,1 mois en Europe (HR : 0,85) et 12,1 versus 13,9 mois en Asie/ Pacifique (HR : 0,97). Il s’agit donc d’une étude négative pour son critère de jugement principal, mais positive pour ses critères de jugement secondaires, et montrant un profil de tolérance acceptable de l’association chimiothérapie-bévacizumab. Les différences marquées de survie globale, notamment dans le bras chimiothérapie seule, selon la région géographique soulignent une fois de plus la difficulté à interpréter les résultats des études sur le cancer de l’estomac selon qu’elles ont été conduites en Asie ou en Europe. Les résultats de cet essai amènent à s’interroger sur la recherche spécifique de facteurs de variabilité de la réponse au bévacizumab et sur l’hétérogénéité des pratiques cliniques de 2e ligne d’une région géographique à l’autre.

Thérapie anti-EGFR

Le cétuximab est la molécule qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études cliniques. Seules des études de phase II sont disponibles. Un essai international phase III (EXPAND) est en fin d’inclusion ; il pose la question de l’intérêt du cétuximab en association à la chimiothérapie (cisplatine + capécitabine). Un deuxième essai de phase III (REAL3), anglais, est en cours avec l’autre Ac anti-EGFR (panitumumab : Vectibix®), en association avec le schéma EOX.

La question des mutations K-ras, bien connues comme facteur prédictif de réponse aux anti-EGFR dans les cancers du côlon, semble moins prépondérante dans les cancers gastriques. Une étude de phase II a évalué à 10-15 % le taux de mutations de K-ras sans que cela ne modifie la réponse au traitement (Stella G, ASCOGI 2009).

Seconde ligne

Après progression sous une 1re ligne de chimiothérapie, le rôle de la seconde ligne n’est pas clairement défini. Sur le plan bibliographique, seules des études de phase II sont disponibles, évaluant le plus souvent la place des taxanes ou l’irinotécan, seuls ou en association avec d’autres produits [21]. Les taux de réponse restent en général modestes (10 à 29 %), avec des taux de survie potentiellement intéressants : survie sans progression de l’ordre de 4 mois et des survies globales de l’ordre de 8 mois maximum. Malgré l’absence d’étude de phase III versus traitement symptomatique démontrant l’intérêt de la seconde ligne, 30 à 50 % des malades traités en 1re ligne en reçoivent et les données rétrospectives suggèrent que les patients répondeurs bénéficient nettement de ce traitement. Malheureusement, l’identification de facteurs prédictifs de réponse à une 2e ligne de traitement reste à faire.

D’une façon générale, dans le cadre de la stratégie thérapeutique, plusieurs autres questions n’ont pas encore été résolues dont la place des pauses thérapeutiques, les approches séquentielles avec escalade progressive, etc.

Chirurgie

Gastrectomie en situation palliative

La gastrectomie peut être discutée au cas par cas, en situation métastatique, à visée symptomatique (hémorragie, sténose, perforation, douleurs incontrôlables, etc.) en tenant compte des alternatives endoscopiques ou radiologiques interventionnelles [22].

En situation non symptomatique, la gastrectomie n’est pas recommandée. Plusieurs études rétrospectives anciennes ont montré que la gastrectomie palliative apportait un bénéfice en terme de survie globale (8 à 12mois par rapport à 3 à 7 mois sans chirurgie) chez des patients ne présentant qu’un seul facteur de non curabilité… Cependant, ces études rétrospectives comportent des biais de sélection évidents en faveur des patients opérés et ne constituent en aucun cas une preuve. Aucune étude randomisée n’est actuellement disponible pour répondre à cette question, qui ne peut être résolue par les études rétrospectives actuellement disponibles ; d’autant que la gastrectomie en situation palliative est clairement associée à un taux significatif de morbidité et mortalité opératoires [22].

Exérèse chirurgicale des métastases

Localisations péritonéales

La carcinose péritonéale reste le site de diffusion métastatique le plus fréquent des tumeurs gastriques.

Les procédures de chimiothérapie intraabdominale per-op ou post-op immédiat, normo- ou hyperthermique, ont été évaluées en situation curative « adjuvante » ; situation « optimale » en raison du stade infraclinique de la carcinose (absente macroscopiquement et limitée à la présence de cellules tumorales dans le liquide de lavage péritonéal). Une méta-analyse permet d’en faire la synthèse et rapporte un bénéfice en survie globale en faveur la Chimiothérapie Hyperthermique Intra- Péritonéale (CHIP) [23]. Néanmoins, la place des traitements intra-péritonéaux en adjuvant reste du domaine de l’investigation.

En situation métastatique, en présence d’une carcinose péritonéale macroscopiquement limitée, Sugarbaker et Yonemura ont proposé une approche multimodale par cytoréduction chirurgicale et CHIP [24]. Un apport en survie se dégageait sous réserve d’une exérèse chirurgicale complète des localisations péritonéales. L’analyse rétrospective des centres français (159 patients opérés entre 1989 et 2007, série de l’AFC) a montré que cette technique pouvait apporter un bénéfice en terme de survie chez des malades rigoureusement sélectionnés (bon état général, primitif gastrique réséqué et carcinose péritonéale limitée accessible à une résection complète)… au prix d’une mortalité non négligeable (6,5 %) et d’une morbidité réelle (28 %de toxicité grade 3/4) [25].

Le taux de survie à 5 ans atteignait 13 % et la médiane de survie globale n’atteignait que 9,2 mois pour l’ensemble de la population étudiée… ce qui ne diffère pas des chiffres obtenus par chimiothérapie systémique… Cependant, dans le sous-groupe des malades ayant pu avoir une résection chirurgicale complète (dite « CC0 »), ces chiffres atteignaient 23 % et 15 mois. Ce qui confirme que seulement une minorité de malades traités ainsi bénéficient réellement de cette technique et que la sélection des patients (et des centres experts) doit donc être drastique.

Enfin, des traitements multimodaux encore plus complexes associant chimiothérapie intrapéritonéale et systémique préopératoire, puis résection chirurgicale + CHIP, puis chimiothérapie intrapéritonéale postopératoire précoce, ont été évalués essentiellement par les équipes asiatiques [26]. Ils restent du domaine hyperspécialisé, pour des malades hypersélectionnés, et sont grevés d’une toxicité, voire mortalité, importante… Il est clair que ces approches ne se justifient que dans le cadre d’essais thérapeutiques de centres spécifiques.

Localisations hépatiques

La localisation hépatique est fréquente dans la diffusion métastatique des cancers gastriques. La plupart des métastases hépatiques sont le plus souvent multiples, bilobaires et souvent associées à une diffusion péritonéale et ganglionnaire, voire à d’autres organes. Le cas des métastases hépatiques isolées est donc peu fréquent ; ce n’est pourtant que dans ce cas que peut se poser la question de l’intérêt du traitement chirurgical.

La résection des métastases hépatiques isolées des cancers gastriques, synchrones ou métachrones, n’est néanmoins pas recommandée. Chez des malades sélectionnés (bon état général, nombre/taille limités des métastases) elle peut, cependant, se discuter et doit donc être évaluée en RCP. En effet, quelques études à effectifs réduits, dans les années 90 et début 2000, avaient montré un possible bénéfice en survie. L’importante série de l’AFC rapportée en 2007 par D. Elias aux JFPD, a étudié les 101 résections réalisées dans cette indication au sein des 1 452 interventions pour métastases hépatiques d’origine non colorectale. Des taux de survie globale à 5 ans de 22 % et de survie sans récidive de 15 % étaient retrouvés après résection des métastases hépatiques des cancers gastriques, cardia exclus (respectivement 12 et 0 % pour les cardias). Plus récemment, une étude japonaise (63 malades) rapporte un taux de survie à 5 ans de 37 % après résection des métastases chez des malades sélectionnés alors que le taux de survie des malades présentant les mêmes caractéristiques cliniques mais n’ayant pas eu de résection de leurs métastases hépatiques n’était que de 10 % [27].

Ces résultats confirment l’intérêt de la discussion de l’indication chirurgicale de métastases hépatiques strictement isolées et sous réserve d’une résection R0.

Conclusion

La place des traitements de support et symptomatique ne sera pas abordée ici, bien qu’elle requiert une place importante dans la prise en charge des malades atteints de cancer gastrique métastatique. Elle ne présente pas de spécificité propre au cancer gastrique mais doit encore progresser, notamment dans la prise en charge des symptômes liés à la carcinose péritonéale qui restent encore trop souvent très invalidants.

Le traitement spécifique du cancer gastrique métastatique repose sur la chimiothérapie systémique qui permet un allongement de survie et une amélioration de la qualité de vie… sous réserve de certaines conditions de sélection clinique. La place de la chirurgie est marginale. Parmi l’ensemble des schémas de chimiothérapie évalués au cours de ces deux dernières décennies, aucun ne peut réellement être considéré comme le standard absolu dans cette indication. En effet, tous les schémas retenus offrent une médiane de survie de l’ordre de 8 à 11 mois maximum… Les progrès des schémas de polychimiothérapies les plus récents résident essentiellement dans une meilleure tolérance. La place des thérapies ciblées est actuellement limitée au trastuzumab (Herceptine®, anti-HER2) en association avec les 5-FU-cisplatine dans le sous-groupe des cancers gastriques surexprimant HER2 (soit au maximum 20 % des cancers gastriques). De nombreux essais en cours nous apporteront peutêtre d’autres choix thérapeutiques dans les années à venir. Néanmoins, une meilleure compréhension des différents mécanismes moléculaires d’oncogenèse du cancer gastrique reste indispensable à la réalisation de progrès thérapeutiques. En effet, la classification morphologique reste insuffisante pour prédire les caractéristiques cliniques et évolutives et identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.

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Les 4 points forts

  1. La chimiothérapie systémique permet un allongement de la survie et de la qualité de vie, mais aucun schéma ne permet d’améliorer la médiane de survie au-delà de 1 an.
  2. Les schémas anciens CF et ECF restent des standards internationaux. Le Taxotère® a démontré un apport en terme d’efficacité (schéma DCF) et l’oxaliplatine, le 5-FU oral et l’irinotécan en terme d’équivalence et de tolérance (FOLFOX, FOLFIRI).
  3. La seule thérapie ciblée ayant démontré une efficacité est le trastuzumab (Herceptine®) en association avec une chimiothérapie de type 5-FU-cisplatine, limitée au sous-groupe des cancers gastriques surexprimant la cible HER2 (au maximum 20 % des cas).
  4. La place de la chirurgie dans la prise en charge des cancers gastriques est marginale. Elle peut être discutée dans les rares cas de métastase(s) hépatique(s) strictement isolée(s) ou de carcinose péritonéale limitée et isolée, chez des patients cliniquement sélectionnés.