Traitement médical de l’ulcère gastroduodénal hémorragique (UGDH) : ce qui est prouvé

Objectif pédagogique

Connaître les indications validées du traitement anti-sécrétoire dans l’ulcère gastroduodénal hémorragique (UGDH)

Introduction

Les recommandations de la conférence de consensus internationale sur la prise en charge de l’hémorragie digestive ont récemment été actualisées.

Ces recommandations ont insisté sur l’importance de la réanimation, l’évaluation du risque vital, la prise en charge préendoscopique, le traitement endoscopique, le traitement pharmacologique et la prophylaxie secondaire.

L’hémorragie digestive haute représente un problème de santé publique important tant sur le plan clinique qu’économique, avec une incidence qui varie de 48 à 160 cas pour 100 000 adultes par année. Les données historiques suggèrent que la mortalité varie de 10 à 14 %1, le taux de mortalité étant plus élevé chez les patients déjà hospitalisés et ce n’est que très récemment que des données ont suggéré une probable diminution de cette mortalité,2 bien que cette diminution soit encore très controversée3.

Ce texte reprend les grandes lignes d’une conférence de consensus ayant réuni 34 experts en provenance de 15 pays du monde entier qui se sont rencontrés à la fin de l’année 2008 afin de définir des recommandations permettant aux cliniciens de prendre des décisions appropriées pour la prise en charge des patients se présentant avec une hémorragie digestive haute.

Les résultats de cette conférence de consensus publiée en 20101 sont venus compléter la conférence publiée en 20034.

Prise en charge initiale du patient, évaluation et maintien des constantes vitales

Lors de la prise en charge du patient, après une évaluation du statut hémodynamique (constantes vitales : fréquence cardiaque, pression artérielle et modifications posturales, c’est-àdire une baisse = 10 mm Hg ou une augmentation = 10 battements par minute de la fréquence cardiaque à l’orthostatisme en sachant qu’une telle évaluation est controversée du fait du risque de défaillance cardiaque de ces deux derniers paramètres) une réanimation initiale appropriée doit être mise en place avant toute procédure diagnostique. La réanimation initiale inclut la normalisation et la stabilisation de la pression artérielle et la restauration d’une volémie intravasculaire efficace. Les patients avec un taux d’hémoglobine < 7 g/dl doivent recevoir des transfusions avec une cible d’hémoglobine comprise entre 7 et 9 g/dl, s’il n’y a pas de pathologies coronariennes ou d’hypoperfusion tissulaire associée1. Une cible d’hémoglobine plus élevée peut être nécessaire chez les patients ayant des pathologies cardio-respiratoires, (jusqu’à une valeur = 9, voire = 10 en cas de syndrome coronarien aigu)1. Les indications transfusionnelles seront donc un chiffre d’hémoglobine < 7, < 9 et < 10 chez un patient sans antécédents cardio-respiratoires, avec une cardiopathie ischémique ou une insuffisance respiratoire, et syndrome coronarien aigu respectivement. Il est démontré qu’un INR à l’admission supérieure ou inférieure à 1,3 n’est pas prédictif du risque de mortalité, de chirurgie, de récidive hémorragique, de la nécessité de recourir à une transfusion sanguine, ou de la durée d’hospitalisation5, tant que cet INR n’est pas supra thérapeutique. Ceci suggère que l’endoscopie diagnostique et thérapeutique ne doit pas être retardée tant que l’INR (ou le TP) n’est pas supra thérapeutique, une donnée étayée par une étude observationnelle6. Une analyse de la littérature et du registre canadien des hémorragies digestives montre que l’INR n’est pas prédictif du risque de récidive hémorragique, en effet un INR > 1.5 n’influence pas la récidive hémorragique. En revanche un INR > 1.5 est associé à une augmentation du risque de mortalité, ce qui suggère que l’INR pourrait plus être un marqueur des pathologies associées que de l’évolution locale de la lésion hémorragique.

On peut remarquer que l’INR (ou le TP) n’a pas été montré comme étant prédictif du risque de récidive hémorragique chez les patients ayant une cirrhose7.

Stratification précoce des patients et prise en charge initiale

La mise en place d’une sonde nasogastrique n’est pas recommandée en routine mais peut être envisagée pour sa valeur pronostique ; la présence de sang dans le liquide d’aspiration nasogastrique confirme l’origine digestive haute de l’hémorragie, s’il y avait un doute sur son origine4.

Des scores pronostiques doivent être utilisés pour classer les patients en fonction d’un risque élevé, ou faible, de récidive hémorragique ou de mortalité1, 8.

Certaines publications ont suggéré qu’il est possible de faire sortir rapidement des patients ayant été pris en charge pour hémorragie digestive, avant même la réalisation d’une endoscopie, sur la base d’un score de Glasgow-Blatchford à zéro9-10 (tableaux des scores).

Le score de Blatchford11 comprend plusieurs facteurs qui incluent l’urée et le niveau d’hémoglobine, la pression systolique, la fréquence cardiaque, la présence d’une atteinte hépatique, d’une insuffisance cardiaque, d’un méléna, et une syncope inaugurale. Des études antérieures ont montré que les facteurs suivants sont significativement associés au risque de récidive hémorragique et de mortalité : la présence de pathologies associées, un taux d’hémoglobine bas à l’admission, la nécessité de recourir à des transfusions sanguines, la présence de sang rouge au toucher rectal ou dans la sonde d’aspiration gastrique, ou une hématémèse ou un méléna, un âge au-dessus de 65 ans, une syncope ou une instabilité hémodynamique, et un état général dégradé. Les facteurs endoscopiques prédictifs d’une augmentation du risque de récidive hémorragique ou de mortalité incluent : un ulcère supérieur à 2 cm, un ulcère localisé sur la petite courbure gastrique au niveau de la face postérieure ou supérieure du duodénum8, et la présence de lésions à haut risque1. Les lésions à haut risque incluent : une hémorragie active en jet (Forrest IA), en nappe (Forrest IB), la présence d’un caillot adhérent (Forrest IIA), un vaisseau visible mais qui ne saigne pas (Forrest IIB)12. Les lésions à bas risque correspondent aux taches pigmentées plane (IIC) et aux ulcères à fond propre (Forrest III)12. Le score de Blatchford ou, de façonmoins optimale le score de Rockall13-14 (Tableaux 1 et 2) préendoscopique (basé sur l’âge, la présence d’une comorbidité, et la présence ou l’absence d’une instabilité hémodynamique) doit être utilisé pour la stratification initiale des patients et déterminer ceux qui nécessitent la réalisation d’une endoscopie urgente et ceux chez qui la sortie précoce de l’hôpital peut être envisagée. La stratification des patients doit être réalisée en utilisant le score Rockall complet13-14 (Tableau 2) dès que l’endoscopie a été réalisée car ce score total est celui qui prédit le plus efficacement le risque de récidive hémorragique et de mortalité15.

Ni la somatostatine ni l’octréotide n’ont démontré de bénéfice pour les patients, par rapport au traitement endoscopique ou à l’utilisation des IPP16. L’utilisation de ces agents pharmacologiques n’est pas recommandée pour la prise en charge de l’UGDH1, elle peut néanmoins être envisagée soit lorsqu’il existe un doute sur l’origine saignement, soit pour des hémorragies massives ne répondant pas à la réanimation initiale.

L’utilisation d’agents prokinétiques (principalement l’érythromycine ou le métoclopramide) n’a pas d’indication en routine mais peut servir pour améliorer la visualisation de la cavité gastrique chez les patients suspects d’avoir de larges quantités de sang ou des résidus alimentaires dans l’estomac1. Une métaanalyse publiée récemment a montré que cette pratique pouvait diminuer la nécessité de répéter l’endoscopie, sans améliorer le pronostic clinique des patients17.

L’administration d’IPP par voie intraveineuse avant la réalisation de l’endoscopie diagnostique pourrait diminuer la gravité des lésions gastriques, et ainsi réduire la nécessité de gestes d’hémostase endoscopique. Néanmoins cette pratique n’a pas démontré sa capacité à diminuer le risque de récidive hémorragique, la nécessité de recourir à la chirurgie ni la mortalité18.

Les données de la littérature ne permettent pas de déterminer de façon formelle les modalités d’administration de l’IPP les plus efficaces avant l’endoscopie, dans la mesure où il y a pas d’études randomisées ayant comparé différents schémas d’administration. La pratique est donc de commencer l’administration d’IPP par voie intraveineuse selon le schéma classique 80 mg en bolus suivi d’une perfusion à débit constant de 8 mg/ heure. L’administration d’IPP avant l’endoscopie peut se discuter préférentiellement lorsque celle-ci risque d’être réalisée plus de 24 heures après l’admission du patient, elle ne doit en aucune façon servir de prétexte pour retarder la réalisation de cette endoscopie1.

Traitement endoscopique

La réalisation d’une endoscopie précoce, définie comme une endoscopie réalisée dans les 24 premières heures suivant l’admission du patient, est l’objectif qui doit être atteint par tous les centres prenant en charge des patients pour un UGDH. En effet la réalisation d’une endoscopie précoce améliore le pronostic des patients et réduit la durée d’hospitalisation, aussi bien en cas de lésions à haut risque que de lésions à bas risque, comparativement à une endoscopie retardée1.

La réalisation de l’endoscopie peut devoir être retardée dans de rares situations, incluant les patients suspects de perforation, ceux ayant une chirurgie digestive récente, où les patients présentant un syndrome coronarien aigu.

L’endoscopie sera réalisée une fois que l’état hémodynamique aura été contrôlé, ce qui peut chez certains patients nécessiter un remplissage vasculaire approprié, la transfusion de concentrés globulaires et plaquettaires. La nécessité de transfuser les patients et baser sur le chiffre initial d’hémoglobine et sur l’état général du patient tel qu’expliqué précédemment.

Les lieux d’hospitalisation du patient dépendent de l’évaluation initiale de son risque d’où l’intérêt des scores pronostiques tels que le score de Rockall ou le score de Blatchford qui prenne en compte l’existence de comorbibités. Si le score de Blatchford (Tableau 1) et <= les patients 1 le patient pour être admis en unité d’hospitalisation conventionnelle, si ce score est supérieur à un le patient sera admis en soins intensifs s’il a moins d’une défaillance viscérale, une hospitalisation en réanimation est nécessaire s’il y a plus de deux défaillances viscérales.

Le lieu de réalisation de l’endoscopie dépend de l’organisation du service et des techniques du patient, il faut combiner un environnement de surveillance adaptée aux patients et la réalisation de l’endoscopie dans des conditions techniquement optimales. Il semble donc raisonnable de recommander que l’endoscopie soit réalisée dans l’unité endoscopie digestive autant que faire se peut.

Malheureusement l’endoscopie peut être retardée pour des raisons techniques, telles que le manque de plages endoscopiques ou de personnel adéquat. La présence de personnel de support, incluant des infirmièr(e)s d’endoscopie suffisamment entraîné(e) s à la prise en charge des hémorragies digestives hautes, est nécessaire pour la réalisation de ces endoscopies dans un contexte d’urgence4.

Les patients ayant des lésions endoscopiques à faible risque ne justifient pas d’un geste d’hémostase endoscopique et peuvent ressortir dès la réalisation de l’endoscopie, sous réserve de l’absence de pathologies associées importantes. La prescription d’un IPP à dose conventionnelle (oméprazole 20 mg/jour ; lansoprazole 30 mg/j ; pantoprazole, rabéprazole ou esoméprazole 40 mg/j) est alors suffisante.

Tous les patients qui présentent des lésions digestives à haut risque doivent bénéficier d’un geste endoscopique d’hémostase et être surveillés de manière appropriée, soit dans un service de réanimation, soit dans une unité d’hémorragies digestives.

Différentes techniques d’hémostase endoscopique sont disponibles, incluant les techniques d’injection, la thermo-coagulation, et la mise en place de clips19-21.

Bien qu’injecter de l’adrénaline seule soit mieux que de ne rien faire chez les patients ayant des lésions digestives à haut risque, il est préférable de l’associer à d’autres techniques d’hémostase endoscopique telle que la mise en place de clips ou la thermocoagulation, ces deux dernières techniques d’hémostase endoscopique pouvant être suffisantes à elles seules21. L’endoscopiste qui réalise le geste d’hémostase choisira la technique la plus appropriée en fonction de ses préférences et de sa maîtrise de l’une ou l’autre des techniques1.

La découverte d’un caillot dans le lit de l’ulcère justifie la réalisation de tentatives pour le faire partir par un lavage vigoureux au travers de l’endoscope de façon à déterminer s’il peut être enlevé ou bien s’il est réellement adhérent. La prise en charge optimale d’un caillot adhérent reste un sujet débattu, un traitement endoscopique peut se discuter mais l’utilisation d’un traitement par IPP à forte dose seule pourrait être suffisante1.

La réalisation systématique d’une endoscopie de contrôle (aussi appelé « second-look endoscopy »), après la réalisation d’un geste d’hémostase ayant permis d’arrêter le saignement, n’est pas justifiée1. Deux métaanalyses22- 23, ont suggéré un bénéfice marginal en termes de récidive hémorragique, cependant ces deux méta-analyses comprenaient des études ayant inclus des patients n’ayant pas bénéficié de traitements endoscopiques, alors que c’est actuellement la référence, et leurs conclusions positives semblent être très largement dépendantes des études ayant inclus des patients à très haut risque. La réalisation d’une endoscopie de contrôle doit donc se discuter au cas par cas, si l’efficacité du geste d’hémostase endoscopique est douteuse, ou si le patient à un risque particulièrement élevé de récidive hémorragique.

Bien évidemment une récidive hémorragique, ou l’incapacité d’identifier la source du saignement lors de l’endoscopie initiale, justifient la réalisation d’une nouvelle endoscopie.

Traitement médicamenteux

Il a été montré que l’acidité gastrique peut inhiber l’agrégation plaquettaire24 et favoriser la destruction du caillot par le biais d’une activation de la pepsine25. Ces données étayent l’utilisation d’agents anti-sécrétoires pour stabiliser le caillot et améliorer le devenir des patients. Une étude clinique randomisée de grande taille26 et deux métaanalyses27-28 ont maintenant confirmé qu’il n’y a pas de bénéfice global à l’utilisation d’antagonistes des récepteurs H2 à l’histamine chez les patients ayant un UGDH et contrairement aux IPP les anti-H2 ne doivent donc pas être utilisés pour la prise en charge en routine des patients ayant une hémorragie digestive haute1.

Les IPP utilisés par voie intraveineuse entraînent une inhibition de la sécrétion acide plus profonde et plus prolongée que les anti-H2, sans présenter de phénomènes de tolérance29. Des métaanalyses ont confirmé que l’administration d’IPP par voie intraveineuse à forte dose (un bolus initial de 80 mg suivi d’une perfusion à débit continu de 8 mg/heure. Durée totale de 72 heures) chez des patients ayant une hémorragie digestive haute, avec des signes endoscopiques de gravité, diminue la récidive hémorragique le recours à la chirurgie et pourrait diminuer la mortalité30. Une étude récente31 a comparé l’esoméprazole, selon ce même choix d’administration, au placebo dans une population essentiellement caucasienne et a démontré une diminution la récidive hémorragique mais pas du recours à la chirurgie ou de la mortalité. L’esoméprazole est la seule molécule ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication en France, car c’est la seule pour laquelle un dossier a été déposé auprès des autorités de régulation. Néanmoins en l’absence de comparaison en face à face il n’est pas possible d’affirmer la supériorité de l’ésoméprazole par rapport aux autres IPP disponibles par voie intraveineuse.

L’administration d’IPP par voie intraveineuse selon d’autres schémas thérapeutiques et avec des doses plus faibles pourraient être aussi efficaces, mais il manque d’études convaincantes permettant d’affirmer l’équivalence entre les schémas posologiques à forte et à faible dose. Il n’est donc pas possible, en l’état actuel des connaissances, de recommander d’autres schémas que le schéma bolus puis perfusion continue chez les patients ayant des lésions à haut risque de récidive hémorragique1, et ce d’autant plus que les études pharmacodynamiques sur le contrôle du pH et de l’agrégation plaquettaire supportent le concept de ces fortes doses d’IPP par voie intraveineuse.

Il y a peu d’études publiées ayant comparé en face à face des IPP administrés par voie orale ou par voie intraveineuse, aussi bien sur les critères pharmacodynamiques (contrôle du pH) que cliniques. Il est donc difficile de comparer l’efficacité de ces deux modalités d’administration des IPP. Bien que des études réalisées chez des patients asiatiques aient montré que des fortes doses d’IPP administrés par voie orale sont efficaces32, un tel bénéfice est moins évident chez des patients caucasiens chez lesquels le métabolisme des IPP, dépendant du cytochrome CYP-2C19, est différent de ce qu’il est chez les patients asiatiques, chez lesquels il y a plus de métaboliseurs lents, et chez qui la masse des cellules pariétales et la prévalence de l’infection à Helicobacter pylori sont différentes.

Au total il n’y a actuellement pas suffisamment d’arguments permettant de remettre en question le schéma d’administration des IPP par voie intraveineuse le plus couramment utilisé (bolus de 80 mg et perfusion continue de8mg/h pendant 72 heures) chez les sujets ayant des lésions digestives à haut risque de récidive.

Prise en charge hospitalière

Les patients considérés comme étant à faible risque de récidive hémorragique, après l’endoscopie, peuvent être réalimentés 24 heures après la réalisation de l’endoscopie. Certains patients, incluant ceux saignant d’un syndrome de Mallory-Weiss ou ceux chez lesquels on retrouve un ulcère à fond propre, une tache pigmentée plane, ou un caillot adhérent pourraient sortir de l’hôpital après 24 heures (ou même à J1 chez certains patients à faible risque très sélectionnés).

Une évaluation globale du patient doit être réalisée avant de prendre la décision finale de le laisser sortir. La plupart des lésions à haut risque nécessitent environ 72 heures pour évoluer vers une lésion à faible risque après le geste d’hémostase endoscopique, et plusieurs des essais ont montré que la plupart des récidives hémorragiques, à peu près 80 %, surviennent lors des 72 premières heures31. En conséquence, il est recommandé que les patients à haut risque de récidive hémorragique soient hospitalisés pour la totalité des 72 heures d’administration des IPP par voie intraveineuse suivant le geste d’hémostase endoscopique.

Sortie et poursuite du traitement médicamenteux

Les patients chez lesquels l’hémorragie digestive est survenue en dehors de l’hôpital peuvent être renvoyés à leur domicile immédiatement après une endoscopie précoce s’ils remplissent certains critères qui permet de prédire qu’ils ont à faible risque de récidive hémorragique ou de complications de l’épisode aigu : absence d’instabilité hémodynamique à l’admission, pas de pathologie concomitante sévère, un taux d’hémoglobine à l’admission > 8 g/dl et pas de nécessité de recourir à une transfusion, absence de troubles de la coagulation, un support familial au domicile et la présence lors de l’endoscopie diagnostique d’un ulcère à fond propre ou d’un ulcère avec une tache pigmentée plane non hémorragique, d’autres causes d’hémorragie digestive à faible risque (gastrite ou syndrome de Mallory Weiss).

En effet, les essais randomisés ayant évalué cette population de patients très sélectionnés ayant un très faible risque de récidive hémorragique, et de conséquences éventuelles d’une récidive hémorragique, ont montré l’absence de différence de devenir des patients avec une politique de sortie d’hôpital très précoce, immédiatement après l’endoscopie diagnostic réalisée dans les 24 premières heures, et une hospitalisation pour surveillance, en admettant que ces patients puissent avoir un suivi externe approprié33.

Tous les patients hospitalisés pour hémorragie digestive doivent sortir avec une prescription d’IPP par voie orale de façon à diminuer le risque de récidive hémorragique, la dose et la durée du traitement étant dépendant de la pathologie sous-jacente1.

Les patients hospitalisés pour un UGDH doivent avoir un test diagnostique de l’infection a Helicobacter pylori, recevoir un traitement d’éradication antibiotique (si le test est positif) et avoir un contrôle de l’efficacité cette éradication à distance de l’arrêt du traitement. Du fait de la tendance des tests diagnostiques d’H pylori à donner des résultats faussement négatifs en phase aiguë de l’hémorragie, un test négatif doit être confirmé à distance de l’épisode aigu.

Les patients qui développent un UGDH alors qu’ils prenaient un AINS doivent voir leur traitement interrompu. Le remplacement d’un AINS classique par un inhibiteur de la Cox-2 (en France seuls le célecoxib et l’étoricoxib sont encore autorisés, sans qu’aucun bénéfice ne leur soit reconnue par rapport aux autres AINS) se discute après avoir vérifié l’absence de contre-indication, en particulier cardio-vasculaires, et si il n’existe pas d’alternative à la prescription d’un AINS. Dans cette situation l’inhibiteur de la Cox-2 pour être associé à la prescription d’un IPP, dans la mesure où il semble que cette association soit celle qui diminue le plus le risque digestif comparé à la combinaison d’un AINS classique et d’un IPP ou la prise isolée d’un inhibiteur de la Cox-2.

Les patients qui nécessitent la prise d’aspirine à faible dose pour une prophylaxie cardio-vasculaire, doivent reprendre l’aspirine le plus tôt possible dès que le risque cardio-vasculaire devient plus important que le risque digestif. Une étude randomisée a montré que l’arrêt de l’aspirine pendant quatre semaines à la suite d’une hémorragie digestive haute par rapport à la poursuite de l’aspirine à faible dose, diminuait le risque de récidive hémorragique mais augmentait le risque de mortalité cardiovasculaire avec un effet global en défaveur de l’arrêt prolongé de l’aspirine à faible dose34. Même s’il n’est pas possible de définir précisément le moment optimal pour reprendre l’aspirine à faible dose, en l’absence d’études cliniques spécifiques, le risque cardio-vasculaire réapparaît assez rapidement après l’arrêt de l’aspirine et une reprise après la 72e heure semble raisonnable. Cette décision de reprise de l’aspirine, et des autres antiagrégants plaquettaires, doit bien évidemment être prise en concertation avec les cardiologues de façon à apprécier de façon globale le risque digestif et le risque cardiovasculaire.

Les patients qui développent un UGDH associé à la coprescription d’aspirine et de clopidogrel, doivent à la suite de leur épisode aigu recevoir une prescription d’IPP, même si l’aspirine est stoppée et que le patient est laissé sous clopidogrel en monothérapie car le risque digestif persiste avec cette molécule. Dans cette population à très haut risque, c’est-à-dire ceux ayant fait une hémorragie digestive soustraitent antiagrégants plaquettaires, le bénéfice d’une coprescription d’un IPP et de clopidogrel est certainement très largement suffisant pour compenser l’éventuelle majoration du risque cardio-vasculaire en rapport avec une diminution de l’effet antiagrégant plaquettaire de clopidogrel induite par l’interaction pharmacocinétique avec l’IPP (inhibition du métabolisme du clopidogrel en ses métabolistes actifs), comme le confirment les résultats d’une étude publiée récemment ayant évalué l’utilisation d’un IPP chez des patients recevant de façon concomitante de l’aspirine à faible dose et du clopidogrel35. La place des autres antiagrégants plaquettaires, comme le prasugrel, reste à définir car leur métabolisme n’est pas affecté par les IPP, mais leur risque hémorragique semble être supérieur à celui du clopidogrel.

Prise en charge de la récidive hémorragique

En cas de récidive hémorragique, une nouvelle tentative d’hémostase endoscopique doit être réalisée afin de diminuer la nécessité de recourir à la chirurgie ou à l’embolisation artérielle1.

En cas d’échec de cette nouvelle tentative d’hémostase endoscopique une prise en charge chirurgicale doit rapidement se discuter. Quand elle est disponible l’embolisation artérielle peut être envisagée comme une alternative à la chirurgie.

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Les 5 points forts

  1. L’utilisation d’échelles de Rockall et Blatchford et l’endoscopie (< 24 heures) ont une valeur pronostique et permettent d’orienter les malades dans une unité appropriée.
  2. En dehors de facteurs de risques cardio-vasculaires particuliers, la transfusion sanguine ne sera discutée que si l’hémoglobine est < à 7 g par décilitre avec une cible thérapeutique de 7 à 9 g/dl.
  3. L’utilisation d’érythromycine IV, avant l’endoscopie, permet d’améliorer la visualisation de la cavité gastrique.
  4. Le traitement par inhibiteurs de la pompe proton à forte dose (un bolus de 80 mg suivis d’une perfusion de 8 mg heures) est justifié pour les 72 premières heures, période pendant laquelle se produisent 80% de récidive hémorragique.
  5. Sous antiagrégant plaquettaire, le maintien ou non de ce traitement dépend de l’évaluation des risques thrombotiques et hémorragiques.