[Atelier] Lésions villeuses du bas rectum : traitements par voie trans-anale

Objectifs pédagogiques

  • Connaître le bilan pré-thérapeutique et les critères de décision de traitement
  • Connaître les modalités, les avantages et les limites des traitements endoscopique et chirurgical
  • Définir les techniques de résection chirurgicale trans-anale classiques et celles plus innovantes

L’éxérèse trans-anale est le traitement de choix des lésions villeuses bénignes ou Tis et peut parfois être une alternative à la proctectomie pour des tumeurs T1. Le risque de métastase ganglionnaire dans le mésorectum qui n’est que de 3?% pour une tumeur T1Sm1, est de 8?% pour un T1Sm2 et de 23?% pour un T1Sm3 ou un petit T2 [1] ce qui explique que dans la ­littérature, les résultats oncologiques (taux de récidive locale et survie globale) soient moins bons après exérèse trans-anale qu’après proctectomie pour des tumeurs T1 mais à peu près identiques pour les tumeurs T1Sm1 [2].

Une exérèse trans-anale peut donc être envisagée en cas de tumeur ­villeuse sessile du moyen ou du bas rectum, de moins de 3 cm, Tis ou usT1N0. Plusieurs techniques endoscopiques ou chirurgicales sont disponibles pour réaliser cette résection. Après exérèse une surveillance sera proposée en cas de tumeur < ou = à Sm1 bien différenciée, sans emboles lymphatiques ou vasculaires et dont l’exérèse est complète avec des marges latérales d’au moins 1 mm. Dans les autres cas il faudra discuter une proctectomie complémentaire en fonction du terrain [3].

Bilan pré-thérapeutique

Le choix du traitement va dépendre de la taille et de la localisation de la lésion ainsi que du but de l’exérèse qui peut être diagnostique (faire la part entre une tumeur villeuse bénigne ou transformée), ou thérapeutique (alternative à une proctectomie pour une villeuse transformée usT1 N0).

Le bilan pré-thérapeutique comprendra un TR, une coloscopie complète avec biopsies multiples qui vérifiera également l’absence d’autre lésion sur le cadre colique et une échoendoscopie. L’échoendoscopie a une sensibilité de 97?% et une spécificité de 96?% pour le diagnostic des lésions T0 [4] mais surestime l’invasion de la sous muqueuse pour différencier une invasion Sm1 vs Sm2 notament pour les villeuses de plus de 2 cm. L’écho-endoscopie avec une sonde de 10 MHz permet de différencier les tumeurs muqueuses ou T1Sm1 d’une part et T2 Sm2-3 ou T2 d’autre part dans plus de 85?% des cas [5]. Un TDM abdomino-pelvien est souhaitable en cas de tumeur non accessible à un traitement endoscopique.

Techniques opératoires

Mucosectomie endoscopique (ME)

La ME consiste a injecter à l’aide d’une aiguille une solution saline éventuellement mélangée à un colorant dans la sous-muqueuse au-dessous de la lésion, puis, après surélévation, à réséquer la tumeur à l’aide d’une anse diathermique. Cette résection peut se faire en monobloc pour les tumeurs de moins de 2 cm mais une résection fragmentaire est nécessaire pour les lésions plus larges.

Dissection sous-muqueuse endoscopique et mucosectomie (DSM)

La DSM débute par un marquage du pourtour de la lésion avec des points d’électrocoagulation puis une injection sous-muqueuse d’une solution saline (sérum physiologique ou hyaluronate de sodium) préalablement mélangée à de l’indigo carmin avec ou sans adrénaline diluée. Une incision circonférentielle est réalisée à l’aide d’un bistouri électrique spécialisé puis la dissection de la sous-muqueuse est effectuée.

Comparée à la ME dans une série de 373 patients ayant une tumeur superficielle étendue du rectum la DSM était plus longue (108 vs 29mn), comportait un risque accru de perforation (6?% vs 1?%) et d’hémorragie mais le taux d’éxérèse monobloc était nettement supérieur (84?% vs 33?%) et le taux de récidive moindre (2?% vs 14?%) [6]. Ces résultats ont été confirmés par une métaanalyse [7].

Techniques d’exérèse trans-anale conventionnelles

Il s’agit des techniques dites du parachute et du lambeau tracteur. Ces techniques ont des résultats comparables en terme de saignement, de durée opératoire, de morbidité (< 20?%), de durée moyenne d’hospitalisation (2 j) et de complication tardive (sténose < 1?%, incontinence < 1?%) [8] mais la marge moyenne de résection est de l’ordre de 2 mm et surtout le taux de résection incomplète varie de 0 à 20?% et est souvent supérieur à 10?% [8].

Technique d’exérèse trans-anale par microchirurgie endoscopique (TEM)

Elle permet l’excision complète des tumeurs du moyen et haut rectum par voie trans-anale au travers d’un rectoscope opérateur de 4 cm de diamètre et de 12 ou 20 cm de long autorisant le passage simultané de 4 instruments chirurgicaux et d’un système optique binoculaire grossissant ( 6). L’ensemble du système est relié à un insufflateur-exsufflateur de CO2 permettant une distension continue du rectum à une pression constante 10 mmHg. Le système binoculaire est relié à une caméra permettant une retransmission sur télévision [9]. La TEM permet l’exérèse de tumeurs du haut rectum (12 cm de la marge à la face antérieure et 20 cm à la face postérieure) mais n’est pas utilisable en cas de tumeur situées à moins de 6 cm de la marge anale. Les résultats péri-opératoires sont comparables à ceux des exérèses classiques [9-10]. Les complications les plus fréquemment rapportées sont les brèches péritonéales per-opératoires, les hémorragies tardives, et les complications urinaires. La TEM n’a pas de conséquence à long terme sur la fonction anorectale. Après TEM, les taux de résection incomplète et de récidive sont significativement plus bas qu’après exérèse trans-anale chirurgicale conventionnelle [10].

Indications thérapeutiques

Lorsqu’il n’y a pas de dysplasie sévère ni d’infiltration sous-muqueuse en échoendoscopie le traitement endoscopique est privilégié, si possible par DSM en cas de lésion de plus de 2 cm. Si l’exérèse endoscopique est jugée impossible en raison de la localisation très basse, dans le canal anal, de la villeuse une exérèse chirurgicale par voie trans-anale conventionnelle sera proposée. Si la taille de la lésion ne permet pas une exérèse complète par voie endoscopique une résection par TEM sera indiquée.

Lorsque les biopsies mettent en évidence de la dysplasie sévère, il est difficile d’affirmer qu’il n’existe pas de foyers de cancer invasif adjacent, ce qui est le cas dans près de 20?% pour les lésions supra-centimétriques. Une exérèse endoscopique ou chirurgicale par voie trans-anale passant au contact de la musculeuse sera proposée afin d’avoir un examen anatomopathologique de la totalité de la lésion et de la sous muqueuse et d’adapter la conduite thérapeutique ultérieure.

S’il existe en pré-opératoire un doute sur une invasion sous muqueuse en échoendoscopie (tumeur T1) l’exérèse trans-anale chirurgicale peut constituer une alternative à la proctectomie. Dans ce cas les résultats des exérèses trans-anales doivent être comparés à ceux de la chirurgie «?conventionnelle?» c’est-à-dire de la proctectomie avec exérèse complète du mésorectum. Dans l’essai hollandais, le taux de récidive locale à 2 ans était de 0,7?% pour 244 patients opérés sans radiothérapie d’une tumeur T1 [11]. Cependant, la proctectomie a une mortalité de 1 à 3?%, une morbidité globale de 30?% à 40?% avec 5 à 10?% de fistules anastomotiques et 20?% au moins des patients ont une fonction intestinale durablement altérée. Pour des tumeurs accessibles, et pour lesquelles le risque de métastase ganglionnaire est très faible (us T1Sm1), l’exérèse trans-anale est une alternative intéressante qui diminue significativement la durée opératoire, la morbi-mortalité et la durée d’hospitalisation [2]. Dans ces cas, le choix entre un traitement endoscopique et une exérèse par TEM dépendra de la taille et de la localisation de la tumeur. Chez ces patients susceptibles de nécessiter une proctectomie complémentaire en cas de tumeur invasive (> Sm2) il est souhaitable de ne pas réséquer toute la paroi rectale jusqu’à la graisse mais de respecter la partie profonde de la musculeuse. Ainsi on évite la surmorbidité et l’augmentation du risque de récidive observés après proctectomie de rattrapage chez des patients ayant eu une exérèse trans-anale transpariétale [12].

Références

  1. Nascimbeni R, Nivatvongs S, Larson DR, Burgart LJ. Long-term survival after local excision for T1 carcinoma of the rectum. Dis Colon Rectum 2004;47:1773-9.
  2. Winde G, Nottberg H, Keller R, Schmid KW, Bünte H. Surgical cure for early rectal carcinomas (T1). Transanal endoscopic microsurgery vs. Anterior resection. Dis Colon Rectum 1996;39:969-76.
  3. Recommandations pour la pratique clinique. Les choix thérapeutiques des cancers du rectum. Gastroenterol Clin Biol 2007, 31, n° spécial.
  4. Puli SR, Bechtold ML, Reddy JB, Choudhary A, Antillon MR. Can endoscopic ultrasound predict early rectal cancers that can be resected endoscopically? A meta-analysis and systematic review. Dig Dis Sci 2010;55:1221-9.
  5. Tsuruta O, Kawano H, Fujita M, Tsuji Y, Miyazaki S, Fujisaki K, et al. Usefulness of the high-frequency ultrasound probe in pretherapeutic staging of superficial-type colorectal tumors. Int J Oncol 1998;13:677-84.
  6. Saito Y, Fukusawa M, Matsuda T, Fukunaga S, Sakamoto T, Uraoka T, et al. Clinical outcome of endoscopic submucosal dissection versus endoscopic mucosal resection of large colorectal tumors as determined by curative resection. Surg Endosc 2010;24:343-52.
  7. Cao Y, Liao C, Tan A, Gao Y, Mo Z, Gao F. Meta-analysis of endoscopic submucosal dissection versus endoscopic mucosal resection for tumors of the gastrointestinal tract. Endoscopy 2009;41:751-7.
  8. Endreseth BH, Myrvold HE, Romundstad P, Hestvik UE, Bjerkeset T, Wibe A; Norwegian Rectal Cancer Group. Transanal excision vs.major surgery for T1 rectal cancer. Dis Colon Rectum 2005;48:1380-8.
  9. Buess G, Thiess R, Gunther M. Endoscopic operative procedures for the removal of rectal polyps. Coloproctology 1984;6:254-9.
  10. Banerjee AK, Jehle EC, Shorthouse AJ, Buess G. Local excision of rectal tumours. Br J Surg 1995;82:1165-73.
  11. Kapiteijn E, Marijnen CA, Nagtegaal ID, et al. Preoperative radiotherapy combined with total mesorectal excision for resectable rectal cancer. N Engl J Med 2001;345:638-46.
  12. Hahnloser D, Wolff BG, Larson DW, Ping J, Nivatvongs S. Immediate radical resection after local excision of rectal cancer: an oncologic compromise? Dis Colon Rectum 2005;48:429-37.

Les 5 points forts

  • Avant exérèse trans-anale, le bilan doit comporter TR, coloscopie avec biopsies multiples et échoendoscopie.
  • Les lésions supérieures à T1Sm2 sont une indication à la proctectomie.
  • La dissection sous-muqueuse endoscopique permet une exérèse monobloc pour les lésions de plus de 2 cm.
  • L’exérèse trans-anale par microchirurgie endoscopique est supérieure aux techniques chirurgicales conventionnelles pour les lésions situées à plus de 6 cm de la marge anale.
  • L’exérèse trans-anale chirurgicale d’une lésion villeuse doit si possible respecter la musculeuse rectale.