La mucoviscidose

Objectifs pédagogiques

  • Connaître et traiter les anomalies pancréatiques (insuffisance pancréatique exocrine, pancréatite) au cours de la mucoviscidose ;
  • Connaître et traiter les anomalies hépato-biliaires au cours de la mucoviscidose ;
  • Connaître et traiter les anomalies gastro-intestinales (reflux gastro-oesophagien, syndrome d’obstruction intestinale distale, mucocèle appendiculaire, constipation, prolapsus rectal) au cours de la mucoviscidose ;
  • Connaître et traiter les anomalies nutritionnelles au cours de la mucoviscidose.

Introduction

Avec une incidence de l’ordre d’un cas pour 4000 naissances, la mucoviscidose est la plus fréquente des maladies génétiques dans les populations d’origine européenne ; sa transmission est autosomique récessive. On compte 5000 à 6000 patients en France, dont la moitié sont adultes, et 200 nouveaux patients naissent chaque année. Le gène muté, situé sur le chromosome 7, code pour la synthèse de la protéine CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator), composée de 1480 acides aminés, qui régule le transport des ions sodium et chlore de part et d’autre de la membrane apicale des cellules épithéliales. Près de 2000 mutations ont été décrites depuis la découverte du gène en 1989, dont la plus fréquente porte sur l’élimination d’un acide aminé (phénylalanine) situé en position 508 sur la protéine CFTR : il s’agit de la mutation delta F 508, présente chez 70 à 75% des patients. Le dysfonctionnement du gène CFTR a pour conséquence la déshydratation des sécrétions muqueuses, en particulier au niveau broncho-pulmonaire et digestif.

L’expression clinique de la maladie est très hétérogène et variable d’un patient à l’autre. Il n’y a pas une mucoviscidose, mais des mucoviscidoses. Cette hétérogénéité de la maladie n’est pas seulement due au nombre très élevé de mutations ; d’autres gènes que le gène CFTR, dits modificateurs, influencent l’expression clinique de la maladie. Les patients ont un poumon sain à la naissance, mais l’atteinte pulmonaire apparaît dès les premiers mois de vie, en raison de l’inflammation et de l’obstruction des bronches qui favorisent les surinfections broncho-pulmonaires, en particulier par Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa (bacille pyocyanique) (1). La colonisation par le pyocyanique atteint environ 50% des patients, et plus de 80% des adultes. Elle représente un tournant essentiel dans l’évolution de la mucoviscidose, avec le risque d’apparition d’une insuffisance respiratoire chronique.

Le pronostic de la mucoviscidose, qui dépend avant tout de l’atteinte respiratoire, s’est considérablement amélioré grâce au diagnostic plus précoce permis par le dépistage néo-natal (généralisé en France en 2002), à la mise en place d’équipes multidisciplinaires dans des centres de soins spécialisés, à la création de réseaux ville-hôpital entre centres de soins et intervenants libéraux (médecins, kinésithérapeutes, infirmiers), et à l’application de protocoles thérapeutiques reposant sur le tryptique drainage bronchique par kinésithérapie respiratoire régulière – antibiothérapie adaptée en cas de surinfection broncho-pulmonaire, en particulier à pyocyanique – et maintien d’un état nutritionnel satisfaisant. La mucoviscidose a longtemps été une maladie exclusive de l’enfant : la médiane de survie ne dépassait pas 2 ans au début des années 1950 et 5 ans au début des années 1960. La quasi-totalité des enfants suivis actuellement dans les centres de soins pédiatriques deviendront des adultes ; en 2013, la médiane de survie est de l’ordre de 37-38 ans en France et l’espérance de vie d’un nouveau-né atteint de mucoviscidose est de l’ordre de 45 ans. De nouvelles perspectives thérapeutiques sont en cours d’évaluation, notamment via la stimulation de la synthèse et/ou le transport de la protéine CFTR ou d’autres canaux chlore (2).

La prise en charge des patients devenus adultes est donc essentielle. La poursuite de leur suivi au sein des centres de soins pour enfants et adolescents n’est à l’évidence pas souhaitable, en raison de l’inadaptation des structures hospitalières pédiatriques, du désir légitime des patients d’une autonomisation et de l’émergence progressive de problématiques spécifiques (développement de la vie sociale, projet d’insertion professionnelle, désir d’enfant…). La fréquence des troubles digestifs chez les patients atteints de mucoviscidose et leur retentissement éventuel sur l’état respiratoire et le pronostic vital justifient qu’un gastro-entérologue soit intégré à l’équipe médicale des centres de soins d’adultes (3).  Celui-ci doit s’attendre à ce que le patient ait un niveau de connaissances élevé sur sa maladie, ce qui a pour conséquence un niveau d’exigence tout aussi élevé, tant sur le plan de la compétence que de l’écoute ou de la disponibilité pour les consultations, en particulier si le patient poursuit des études ou est inséré dans la vie professionnelle. Une bonne connaissance de la mucoviscidose, de son évolution et des progrès thérapeutiques est donc nécessaire ; elle ne peut s’acquérir qu’au prix d’un investissement personnel, en temps et en énergie (3).

L’insuffisance pancréatique exocrine (IPE)

L’IPE est présente dès la naissance chez 70 à 80% des patients (3). Le dysfonctionnement de la protéine CFTR est responsable de l’hyperviscosité des sécrétions pancréatiques, qui obstruent les canaux pancréatiques et contribuent à la destruction secondaire des acini par des phénomènes d’auto-digestion. Le tissu acineux est progressivement remplacé par du tissu fibreux, avant que n’apparaisse une involution adipeuse. Les îlots de Langerhans sont quant à eux longtemps épargnés. L’insuffisance de sécrétion en lipase, trypsine et chymotrypsine entraîne un syndrome de maldigestion et de malabsorption des graisses et des protéines qui a un effet délétère sur l’état nutritionnel, et est responsable de carences en vitamines liposolubles A, D, E, K, et en acides gras essentiels. Le déficit de la sécrétion en amylase pancréatique est responsable d’une maldigestion de l’amidon aboutissant à une fermentation bactérienne colique accrue, dont les conséquences sont mal connues. La stéatorrhée n’est pas la seule cause de pertes caloriques fécales. On peut y ajouter les pertes liées aux bactéries coliques, ainsi qu’à la malabsorption provoquée par les anomalies du mucus intestinal et de la motricité digestive. Une étude a ainsi montré que les pertes énergétiques fécales chez les patients atteints de mucoviscidose étaient représentées pour environ 40% par la stéatorrhée et pour environ 30% par la masse bactérienne fécale. Même en l’absence de stéatorrhée pathologique, les pertes énergétiques fécales étaient estimées à environ 2 kcal par gramme de selles (4).

Il existe une corrélation génotype-phénotype en ce qui concerne l’IPE : 97 à 98% des patients homozygotes pour la mutation delta F 508 (soit environ la moitié des patients) en sont porteurs contre 72% des patients hétérozygotes composites pour la mutation delta F 508 et seulement 36% des patients qui ne possèdent pas cette mutation. L’absence d’IPE est un facteur de bon pronostic : meilleur état nutritionnel, moindre fréquence de l’infection chronique à pyocyanique et moindre dégradation de la fonction respiratoire.

L’IPE ne s’exprime cliniquement que lorsque plus de 90% du pancréas sont détruits. L’IPE non ou insuffisamment traitée peut se manifester par une diarrhée graisseuse, des douleurs abdominales, un ballonnement voire un prolapsus rectal ; elle peut contribuer à l’apparition d’une dénutrition, délétère sur le plan respiratoire. L’IPE peut survenir secondairement chez des patients initialement « suffisants » pancréatiques, d’où la nécessité d’une surveillance régulière de la fonction pancréatique.

L’évaluation précise de la sécrétion enzymatique du pancréas nécessite la réalisation d’un tubage duodénal. Ce test invasif n’est jamais utilisé en pratique clinique ; il est réservé à la réalisation de tests pharmacologiques évaluant la biodisponibilité des enzymes pancréatiques d’origine animale destinés à traiter l’IPE (« extraits pancréatiques » – EP). L’étude de la stéatorrhée consiste en la mesure de la quantité de graisses fécales (en grammes par 24 heures) au cours d’un recueil de selles réalisé pendant au moins 3 jours consécutifs (3). Idéalement, on mesure le coefficient d’absorption des graisses (CA) [(graisses ingérées-graisses excrétées)/graisses ingérées) x 100)]. La stéatorrhée est considérée comme anormalement élevée lorsque le CA est inférieur à 90-93% chez l’enfant de plus d’un an. S’il n’est pas possible de calculer les ingesta pendant 3 jours consécutifs, on se contente de la seule mesure de la stéatorrhée, pathologique au delà de 4-5 grammes/jour. Même en cas d’IPE sévère, la sensibilité de la mesure de la stéatorrhée ne dépasse pas 70 % et sa spécificité est de l’ordre de 60 à 75 %. En dépit de ses limites et de ses inconvénients, en particulier la nécessité du recueil des selles pendant 3 jours consécutifs qui contribue à sa mauvaise acceptation par les patients, la mesure de la stéatorrhée reste la principale méthode permettant d’évaluer objectivement l’efficacité de la supplémentation en EP. Le dosage de l’élastase fécale, non dégradée au cours du transit intestinal,  est considéré comme un bon reflet de la sécrétion pancréatique exocrine. L’avantage principal de ce dosage est qu’il est réalisable sur un seul échantillon de selles. Les valeurs normales se situent au dessus de 200 µg/gramme de selles : la sensibilité est de l’ordre de 98 % pour les IPE sévères et de 70 % pour les IPE modérées. Ce dosage n’est pas influencé par la prise d’EP.

Le traitement de l’IPE repose sur l’utilisation par voie orale des EP. Les premiers EP provenaient de pancréas d’origine porcine qui possédaient de faibles activités enzymatiques et étaient inactivés par l’hyperacidité gastrique et la diminution de la sécrétion bicarbonatée observées au cours de la mucoviscidose. La mise sur le marché d’EP protégés de l’inactivation par l’acidité gastrique grâce à un enrobage gastro-résistant dont le délitement s’effectue à des pH supérieurs à 5,5 ou 6, a représenté un progrès décisif dans la prise en charge digestive et nutritionnelle de la mucoviscidose. Les EP se présentent sous forme de gélules contenant près d’une centaine de microsphères ; elles sont données au début du repas ou de la collation (5). Leur taille varie de 1,2 à 2 mm, et ce petit diamètre permet un passage transpylorique synchrone au repas. C’est l’efficacité de ces EP gastro-protégés qui a permis d’augmenter l’apport en graisses et donc de mieux couvrir les besoins énergétiques augmentés des patients. Le but de la supplémentation en EP est d’obtenir une absorption intestinale des graisses et des protéines la plus proche possible de la normale, en surveillant dans l’idéal le CA des graisses, à défaut la stéatorrhée. En pratique clinique, on se contente le plus souvent de vérifier la bonne réponse du patient aux EP : absence de douleurs abdominales et/ou de diarrhée graisseuse, et maintien d’un bon état nutritionnel.

Les recommandations en EP sont habituellement exprimées par rapport au poids : la dose initiale d’EP devrait être de l’ordre de 1000 unités lipase/kg/repas avant l’âge de 4 ans et de 500 unités lipase/kg/repas après l’âge de 4 ans (5). La dose est divisée par 2 pour les collations ; la dose quotidienne totale est estimée pour 3 repas et 2 ou 3 collations par jour. Lorsque les symptômes de malabsorption (diarrhée graisseuse, douleurs abdominales) persistent, il faut d’abord rechercher des facteurs de mauvaise efficacité des EP : 1) utilisation d’EP soumis à une chaleur excessive ; 2) prise des EP en dehors et non pas en début des repas ; 3) consommation excessive de jus de fruits ; 4) absence de prise d’EP lors de la consommation de lait et/ou la prise d’une collation ; 5) mauvaise observance du patient (refus de la maladie, souhait de rester mince). L’augmentation des doses d’EP n’est décidée qu’après avis médical et non pas à la seule initiative du patient et/ou de sa famille ; l’automédication est en effet un facteur de risque d’augmentation inconsidérée des doses d’EP. Au-delà d’une dose d’EP de 2.500 unités lipase/kg/repas, une maladie associée à la mucoviscidose doit être évoquée : maladie coeliaque, intolérance au lactose, pullulation microbienne intestinale, infection bactérienne ou parasitaire, maladie de Crohn. En l’absence d’une telle maladie associée et sous réserve de l’échec des adjuvants des EP (cf. infra), l’augmentation des doses d’EP au-delà de 2.500 unités lipase/kg/repas n’est justifiée que si son efficacité est documentée, idéalement par l’amélioration du CA des graisses ou à défaut de la stéatorrhée, au minimum par la disparition des symptômes digestifs et/ou l’amélioration de l’état nutritionnel. Il est recommandé de ne pas dépasser la dose de 10.000 unités lipase/kg/jour, avec un maximum de 250.000 unités lipase/jour. La consommation de doses très élevées d’EP, pouvant dépasser 20.000 unités lipase/kg/jour, a en effet été associée dans les années 1990-1995 à l’apparition de cas de sténose colique, dont aucune observation n’a cependant été rapportée en France. Il s’agissait d’un tableau non spécifique d’obstruction intestinale distale résistant au traitement médical, parfois associée à une diarrhée sanglante (6). L’intervention chirurgicale pouvait trouver une sténose du côlon ascendant nécessitant une hémicolectomie droite ; l’examen anatomo-pathologique mettait en évidence une fibrose sous-muqueuse importante, responsable d’une sténose intra-luminale du côlon. La physiopathologie de ces lésions coliques n’a pas été élucidée ; les lésions observées pourraient être dues à un ou plusieurs des constituants des EP.

Lorsque la stéatorrhée est insuffisamment contrôlée malgré une prise et une posologie apparemment adéquates d’EP, la prescription concomitante d’un adjuvant thérapeutique, destiné à réduire l’hypersécrétion gastrique acide qui peut gêner l’activité des EP, devient justifiée. Le bicarbonate de sodium a été abandonné en raison de son goût médiocre à doses élevées, de même que les antisécrétoires de type antagoniste des récepteurs H2 à l’histamine et la taurine, dont l’efficacité n’a pas été démontrée. L’adjonction aux EP d’oméprazole à la dose de 20 à 40 mg/jour chez l’adulte en une prise quotidienne, permet une diminution de l’ordre de 20% de la stéatorrhée par rapport aux EP seuls. Une revue récente de la littérature a néanmoins conclu en la nécessité de nouvelles études avant de confirmer l’intérêt des inhibiteurs de la pompe à protons dans cette indication (7).

L’atteinte hépato-biliaire

L’anomalie d’expression de la protéine CFTR dans les cellules épithéliales biliaires peut provoquer une augmentation de la viscosité de la bile et une obstruction des canalicules biliaires (8). Ces lésions, initialement en foyers (cirrhose biliaire focale), progressent pour aboutir à une cirrhose biliaire multilobulaire. L’incidence de l’atteinte hépatique varie selon que l’on considère la découverte d’anomalies histologiques à l’autopsie de patients décédés d’autres complications (20-70%) ou la présence d’une cirrhose biliaire compliquée ou non d’hypertension portale (HTP) (2-10%). La cirrhose rend compte de moins de 2% des décès. Les complications vésiculaires sont fréquentes : microvésicule chez un quart des patients, le plus souvent asymptomatique, ou lithiase radio-transparente chez un adulte sur 2.

Il n’y a pas de corrélation génotype-phénotype démontrée. Un ictère cholestatique transitoire peut révéler la mucoviscidose chez le nouveau-né. Après la période néonatale, la découverte d’une augmentation modérée, totalement isolée et le plus souvent spontanément résolutive des transaminases et/ou de la gamma GT, est fréquente (10-35% des patients). Il n’y a aucune corrélation entre l’intensité des anomalies biologiques et la gravité des lésions anatomiques. La découverte d’une hépatomégalie de consistance normale ou molle correspond le plus souvent à une stéatose. L’hépatomégalie peut aussi être due à une cirrhose biliaire focale voire à une cirrhose biliaire multilobulaire. Elle est dure, irrégulière, et prédomine sur le lobe gauche ; l’échographie confirme la cirrhose en montrant une irrégularité des contours du foie, la présence de nodules et/ou de signes d’HTP. Le diagnostic de cirrhose est le plus souvent confirmé avant l’âge de 10 ans (8). La cirrhose expose à 2 complications principales : HTP, et en particulier hémorragie digestive qui peut mettre en jeu le pronostic vital, et insuffisance hépatique, de survenue plus tardive.

Un bilan hépatique et une échographie abdominale doivent être réalisés chaque année. Une IRM peut être indiquée en cas de doute sur la nature des lésions hépatiques ou en cas d’anomalies biliaires. Le diagnostic d’hépatopathie à un stade précoce est difficile au cours de la mucoviscidose en raison de l’absence d’outils diagnostiques non invasifs sensibles et spécifiques. On retient habituellement la présence de 2 des 3 critères suivants (8) : 1) hépatomégalie et/ou splénomégalie ; 2) augmentation des transaminases et/ou des gamma-GT lors de 3 contrôles successifs sur une période d’un an, après exclusion des autres causes d’atteinte hépatique ; 3) anomalies de l’échostructure du foie et/ou existence de signes d’HTP à l’échographie. La biopsie hépatique n’est pas indiquée, car elle risque de sous-estimer les lésions de cirrhose lorsque celle-ci est au stade focal. Plusieurs études réalisées chez des patients atteints de mucoviscidose ont montré une bonne corrélation entre les valeurs de l’élastométrie impulsionnelle (Fibroscan) et les scores histologiques de fibrose. Cet examen pourrait permettre un diagnostic précoce de l’hépatopathie de la mucoviscidose avant l’apparition d’anomalies clinique et/ou biologiques (9).

En cas de cirrhose et/ou de signes cliniques ou échographiques d’HTP, il faut réaliser une fibroscopie œso-gastrique à la recherche de varices œsophagiennes et/ou gastriques, renouvelée tous les 2-3 ans en l’absence de varices ; elle doit être réalisée plus rapidement en cas de suspicion de saignement digestif (anémie, microcytose, déficit en fer). En présence de varices, il est prudent de répéter la fibroscopie au moins une fois par an. Le syndrome hépato-pulmonaire, lié à une dilatation capillaire intra-pulmonaire responsable d’un shunt fonctionnel droite-gauche et d’une hypoxémie, évoqué devant une baisse de la saturation en oxygène de plus de 5% lors du passage de la position couchée à la position debout, doit être recherché régulièrement en cas de cirrhose, par échographie de double contraste (épreuve aux microbulles) ou scintigraphie pulmonaire aux macro-agrégats d’albumine marquée. Le diagnostic d’une hypertension artérielle pulmonaire (syndrome porto-pulmonaire) repose sur l’échographie cardiaque.

L’acide ursodésoxycholique (AUDC) ne représente que 1-2 % des acides biliaires totaux. A forte dose, il a au cours des cholestases un effet de cytoprotection et un effet cholérétique (10). Il est justifié de débuter un traitement par AUDC à la dose de 20-25 mg/kg/jour en 2 ou 3 prises quotidiennes per os dès le diagnostic d’atteinte hépatique telle que définie plus haut. L’amélioration, voire la normalisation biologique, survient le plus souvent en quelques semaines à quelques mois, mais avec un retour aux valeurs anormales à l’arrêt du traitement (10). L’effet de l’AUDC sur la fibrose hépatique est très controversé. L’AUDC n’a aucun effet sur les complications biliaires. La vaccination contre l’hépatite A et l’hépatite B est conseillée. L’utilisation d’acide acétyl-salicylique et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est formellement contre-indiquée, même en l’absence d’HTP.

Les varices oesophagiennes (VO) de grade 2 et 3 avec signes de la ligne rouge doivent être traitées, idéalement avant tout épisode hémorragique, en 1ère intention par ligature élastique. L’efficacité des b-bloquants n’a pas été évaluée au cours de la mucoviscidose ; l’atteinte respiratoire les contre-indique en raison de leur effet broncho-constricteur. La dérivation porto-systémique transhépatique (TIPS), qui expose en théorie à un risque moindre d’encéphalopathie porto-cave que la dérivation chirurgicale, a été réalisée avec des résultats satisfaisants.  En cas d’échec du traitement de l’HTP, la dérivation porto-systémique chirurgicale n’est proposée qu’aux patients sans insuffisance hépatique ni atteinte pulmonaire sévère (8).

La décision de transplantation hépatique est difficile au cours de la mucoviscidose, et dépend de la fonction respiratoire, de l’état nutritionnel et du contexte psycho-social du patient. Si l’atteinte hépatique menace le pronostic vital (albuminémie < 30 g/L ; troubles de l’hémostase sévères non corrigés par la vitamine K ; complications de l’HTP : ascite, hémorragie digestive non contrôlée par la ligature des VO, syndrome hépato-pulmonaire ; hypertension artérielle pulmonaire), on propose une transplantation hépatique, isolée en cas d’atteinte pulmonaire modérée et associée à une transplantation pulmonaire en cas d’insuffisance respiratoire sévère. Ces indications sont difficiles et relèvent d’équipes très spécialisées (8).

Les manifestations gastro-intestinales

Reflux gastro-oesophagien (RGO)

Le RGO est plus fréquemment observé chez les patients atteints de mucoviscidose que dans la population générale (11). Comme au cours de toute pathologie respiratoire, il est favorisé par la distension thoracique, la toux et la kinésithérapie. Des anomalies intrinsèques de la motricité oeso-gastrique ont également été décrites, avec une fréquence élevée d’épisodes de relaxation inappropriée du sphincter inférieur de l’œsophage et un ralentissement du péristaltisme oesophagien et de la vidange gastrique (11). Le RGO peut contribuer à la diminution des ingesta et à la dégradation de l’état nutritionnel, et aggraver la fonction respiratoire. Sa recherche doit être systématique lorsque l’état respiratoire se dégrade de façon inexpliquée. Le RGO peut également jouer un rôle dans l’apparition d’une bronchiolite oblitérante et d’un rejet de greffe après transplantation pulmonaire. Le traitement chirurgical est parfois nécessaire et peut améliorer l’état respiratoire du patient.

Syndrome d’obstruction intestinale distale (SOID)

Le SOID est une pathologie récurrente spécifique à la mucoviscidose (12). Il est dû à une obstruction plus ou moins complète de l’intestin grêle, débutant généralement dans la région iléo-caecale ; le tube digestif est épaissi, oedématié et rempli d’un matériel compact. Le SOID est évoqué devant des douleurs abdominales à type de crampes, souvent localisées en fosse iliaque droite (FID) où la palpation peut retrouver une masse sensible, associées à une anorexie, un ralentissement du transit et/ou des vomissements, et une distension abdominale. La prévalence du SOID est mal connue, évaluée à 10-20% quels que soient l’âge et le sexe. Aucun facteur déclenchant n’a pu être identifié avec certitude, mais on trouve souvent la notion d’un déficit d’apport hydrique ou d’une supplémentation inappropriée en EP. La radiographie d’ASP peut montrer des selles granitées en FID avec quelques niveaux hydro-aériques. Il faut éliminer une appendicite, une mucocèle appendiculaire ou une occlusion complète. Le traitement du SOID est avant tout empirique en l’absence d’études contrôlées et randomisées. On débute habituellement  avec une réhydratation si nécessaire, associée à des laxatifs osmotiques per os contenant dupolyéthylène glycol (PEG), type Klean-Prep®, Golytely® ou Movicol®. Si nécessaire, on prescrit une solution de PEG iso-osmotique par voie orale à la posologie de 20-40 mL/kg/h avec un maximum de 1L/h sur 8 heures ; la vidange est alors obtenue en 2 à 6 heures. La résolution complète des symptômes doit être obtenue et la radiographie d’ASP peut être utilisée pour montrer la disparition du SOID. L’utilisation en 2ème intention de lavements à la gastrographine est parfois proposée. Les formes compliquées d’occlusion, heureusement rares, nécessitent une intervention chirurgicale (l’utilisation de PEG est alors formellement contre-indiquée). La prévention repose sur le maintien d’un bon état d’hydratation et l’optimisation du traitement de l’IPE.

Mucocèle appendiculaire

Suspectée devant des douleurs abdominales récurrentes et une masse en FID, en l’absence de signes inflammatoires cliniques ou biologiques, la mucocèle appendiculaire est détectée à l’échographie abdominale qui montre un appendice distendu par un mucus épaissi, et confirmée par l’intervention chirurgicale (3). L’appendicectomie doit être associée à l’ablation d’une collerette caecale pour éviter les récidives. La découverte fortuite d’une mucocèle appendiculaire à l’occasion d’une échographie abdominale réalisée chez un patient totalement asymptomatique ne justifie pas d’intervention chirurgicale systématique.

Constipation

La constipation est fréquente. Il faut la distinguer du SOID et éliminer les autres causes de constipation non spécifiques à la mucoviscidose. Le transit intestinal doit être évalué à chaque consultation, complété par la palpation abdominale. La constipation ne doit en aucun cas être traitée ou prévenue par une réduction de posologie des EP. Il est utile d’enrichir le régime en fibres et d’augmenter l’apport hydrique. Le traitement de la constipation est identique à celui des patients indemnes de mucoviscidose (3).

Prolapsus rectal

La constipation, la diarrhée, les efforts de toux et la malnutrition sont des facteurs favorisants. Un régime appauvri en graisses ne permet pas toujours de le prévenir. Une optimisation de la posologie des EP peut contribuer à une amélioration (3). Une indication chirurgicale peut se discuter de façon tout à fait exceptionnelle lors de douleurs invalidantes à la défécation ou d’épisodes d’incontinence associée aux épisodes de prolapsus.

Pathologies digestives associées

La maladie coeliaque et la maladie de Crohn ont été décrites avec une prévalence accrue au cours de la mucoviscidose (3). Ces deux diagnostics doivent être évoqués en cas de troubles digestifs non expliqués par un mauvais contrôle thérapeutique de l’IPE. Les colites à Clostridium difficile, plus fréquemment observées chez les patients adolescents et adultes, sont favorisées par les traitements antibiotiques itératifs, surtout en cas de colonisation à pyocyanique, et par le traitement immunosuppresseur après transplantation pulmonaire. Les patients sans IPE peuvent présenter des épisodes récurrents de pancréatite, à l’origine d’une destruction progressive du pancréas et de l’apparition secondaire d’une IPE.

Dénutrition

Physiopathologie de la dénutrition

La dénutrition est fréquente au cours de la mucoviscidose, d’autant plus que le patient est adulte et qu’il existe une insuffisance respiratoire chronique (13). Elle accélère la dégradation de la fonction respiratoire et aggrave le pronostic vital. L’augmentation de l’appétit permet initialement de couvrir les besoins énergétiques. Les ingesta peuvent devenir ensuite insuffisants pour les raisons suivantes, qui peuvent s’associer : colonisation par le pyocyanique, responsable d’exacerbations broncho-pulmonaires récidivantes, dyspnée, toux, RGO, douleurs abdominales, troubles du comportement alimentaire, syndrome dépressif, ou association à une maladie cœliaque ou à une maladie de Crohn. Même en cas de supplémentation adéquate en EP, on estime la perte calorique fécale au cours de la mucoviscidose à près de 2 kilocalories par gramme de selles. Les pertes azotées dues à l’expectoration peuvent dépasser 10 grammes/j en cas d’infection pulmonaire sévère et contribuer au déficit énergétique. Les troubles de la régulation glucidique, présents chez plus d’un patient adulte sur deux, a fortiori un diabète vrai, aggravent également les pertes énergétiques par le biais de la glycosurie (14).

Prise en charge nutritionnelle

Le patient doit être pesé et l’indice de masse corporelle (IMC) calculé à chaque consultation. Une fois/an, voire plus si nécessaire, un bilan biologique est réalisé : dosage des vitamines liposolubles (A, D, E, taux de prothrombine), acides gras essentiels (AGE), minéraux (sodium, calcium) et oligo-éléments (fer, zinc). Les supplémentations vitaminiques nécessaires au cours de la mucoviscidose sont indiquées dans le tableau 1. L’évaluation diététique permet d’établir si l’apport calorique du patient couvre ses besoins théoriques, estimés classiquement entre 120 et 150% des apports nutritionnels conseillés (ANC) pour l’âge et le sexe. En fait, chez les patients sans IPE ni insuffisance respiratoire chronique, les ingesta sont proches de ceux de la population générale (soit 90-100 % des ANC). L’alimentation est libre, hypercalorique et normolipidique, adaptée aux goûts du patient. Tout infléchissement de l’IMC est un signe d’alerte qui justifie une prise en charge nutritionnelle (15). Auparavant, il  est indispensable de s’assurer : 1) du bon contrôle de l’IPE par une prise et une posologie adéquates d’EP ; 2) de l’absence de surinfection pulmonaire chronique, en particulier par le pyocyanique ou le staphylocoque doré ; 3) de l’absence de troubles de la régulation glucidique par la réalisation annuelle d’une hyperglycémie provoquée par voie orale dès l’âge de 10 ans (14) ; 4) de la correction d’éventuels déficits nutritionnels spécifiques : AGE, vitamines liposolubles (A, D, E, K), minéraux (sodium, calcium) et oligo-éléments (fer, zinc) ; 5) de l’absence de pathologie digestive associée (maladie cœliaque, maladie de Crohn). L’assistance nutritionnelle doit être la plus simple et la plus dénuée de risque possible.

Vitamine Patients nécessitant une supplémentation Dose initiale
A IPE, cholestase 4.000–10.000 UI*/jour
D IPE, cholestase 400–800 UI**/jour (en
fonction du taux sérique)
E IPE, cholestase 100–400 UI***/jour
K IPE, cholestase 1 mg/jour-10 mg/semaine
B12 Test de Schilling < 45 %
après résection iléale
100 µg/mois (IM)
Autres vitamines hydro-solubles Aucune supplémentation
si alimentation normale
IPE : insuffisance pancréatique exocrine ; UI : unité internationale

Facteurs de conversion :
*     Vitamine A : 1 µg  = 0,3 UI
**   Vitamine D : 1 µg  = 40 UI
*** Vitamine E : 1 mg = 1 UI

La nécessité d’une supplémentation vitaminique chez les patients ayant une fonction pancréatique normale doit être évaluée individuellement en fonction des taux vitaminiques sériques

IM : intra-musculaire

Tableau I : Recommandations pour les supplémentations vitaminiques au cours de la mucoviscidose.

La supplémentation orale fractionnée consiste en l’enrichissement calorique des repas par l’adjonction de margarine, beurre, lait concentré, fromage ou jaune d’œuf. On peut aussi utiliser les nombreux suppléments oraux commercialisés. Il s’agit de préparations hypercaloriques (1-2 kcal/L) supplémentées en électrolytes, vitamines et oligo-éléments. Elles sont destinées à être consommées entre les repas mais pas à les remplacer, sous peine de ne pas obtenir un apport calorique supplémentaire. La prise d’EP est nécessaire en raison de leur contenu élevé en lipides. Leur efficacité nutritionnelle n’a pas été démontrée avec certitude (16). Ces suppléments oraux sont souvent abandonnés rapidement par les patients.

L’alimentation entérale à débit continu (AEDC) nocturne à domicile est proposée secondairement (17). Avant de la débuter, il faut rechercher un RGO, qui ne contre-indique pas l’AEDC sous réserve d’un traitement efficace. On met en place rapidement une gastrostomie percutanée endoscopique d’autant que la sonde naso-gastrique est fréquemment source d’inconfort en raison de nausées ou de vomissements, d’irritation nasale, surtout en cas de polypose naso-sinusienne, ou lorsque des accès de toux entraînent des retraits de la sonde. L’apport calorique au cours de l’AEDC dépend du niveau des ingesta spontanés pendant la journée et du degré de dénutrition. L’apport énergétique total des 24 h (nutrition orale + nutrition entérale) doit représenter idéalement au moins 120 à 150 % des ANC. Les solutés polymériques sont aussi efficaces que les solutés élémentaires ou semi-élémentaires et beaucoup moins coûteux. Il n’existe pas de consensus sur les modalités d’administration des EP au cours de l’AEDC. Le plus souvent, on conseille la prise d’EP en début d’AEDC et au coucher, et en cas de réveil nocturne. Le risque d’hyperglycémie impose la mesure de la glycémie en début, milieu et fin de nuit lors de la mise en route de l’AEDC. En cas de diabète, le recours à l’insuline est nécessaire, en raison notamment de son effet anabolisant. Après quelques semaines d’AEDC, on assiste à un gain pondéral, à une amélioration de l’estime de soi et une augmentation de l’activité physique. L’alimentation parentérale prolongée est réservée aux patients présentant un grêle court ou aux candidats dénutris à la greffe pulmonaire qui ne supportent pas la NEDC.

Références

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  17. Conway S, Morton A, Wolfe S. Enteral tube feeding for cystic fibrosis. Cochrane Database Syst Rev 2012; 12: CD001198.

Points forts

  1. La moitié des 5000  à 6000 patients atteints de mucoviscidose en France sont des adultes.
  2. La médiane de survie des patients atteints de mucoviscidose est actuellement de l’ordre de 40 ans
  3. Une prise en charge insuffisante des complications digestives au cours de la mucoviscidose contribue au risque d’apparition d’une dénutrition, qui peut jouer un rôle dans  la dégradation de la fonction respiratoire et aggraver le pronostic vital.
  4. Plus de 80% des patients atteints de mucoviscidose ont une insuffisance pancréatique exocrine.
  5. L’atteinte hépato-biliaire de la mucoviscidose doit être identifiée précocement par la réalisation annuelle d’un bilan biologique hépatique et d’une échographie abdominale avant de débuter un traitement par acide ursodésoxycholique.