[Atelier] Tumeurs sous-muqueuses œsogastriques : quand les confier au chirurgien ?

Objectifs pédagogiques

  • Savoir dépister et identifier une tumeur oeso-gastrique sous muqueuse
  • Quelles sont les principaux types de tumeurs sous muqueuses
  • Connaître les moyens d’imagerie utiles au diagnostic
  • Connaître les tumeurs qui imposent une prise en charge chirurgicale
  • Proposer un algorithme de surveillance d’une tumeur sous muqueuse non opérée

Introduction

Les tumeurs sous-muqueuses (TSM) oeso-gastriques peuvent se développer à partir des différentes couches de la paroi digestive de la partie profonde de la muqueuse jusqu’à la séreuse. Le terme de tumeurs sous-épithéliales serait donc plus approprié que celui de TSM utilisé communément en endoscopie. Elles sont découvertes soit au cours d’une complication (hémorragie, compression…) soit de façon fortuite posant dans tous les cas le problème de leur risque dégénératif, certaines d’entre elles ayant un potentiel de malignité. Pour ces deux raisons, il faut savoir les reconnaitre et savoir quand les confier au chirurgien.

Savoir dépister et identifier une tumeur oesogastrique sous muqueuse

Une TSM est détectée environ une fois sur 300 endoscopies. Rarement révélées par un saignement, ou des douleurs (siège gastrique) voire une dysphagie (siège oesophagien ou cardial), elles sont dans la grande majorité des cas découvertes fortuitement lors d’examens radiologiques ou endoscopiques. Le plus souvent recouvertes d’une muqueuse de couleur normale, elles bombent dans la lumière digestive et dans ce cas doivent être différenciées des compressions extrinsèques; pour cela la rentabilité de l’endoscopie est limitée et l’échoendoscopie (EE) est l’examen clé, supérieur à l’endoscopie et la tomodensitométrie (1). La coloration muqueuse peut parfois être différente de la muqueuse avoisinante permettant en association avec des critères de taille et de consistance, de suspecter voire d’affirmer le diagnostic : jaune clair petite et de consistance dure pour la tumeur d’Abrikossoff, rose bleutée volumineuse pour le kyste bronchogénique, translucide pour la dilatation kystique des glandes de la sous muqueuse oesophagienne, enfin jaunâtre et de consistance molle pour le lipome.

Quels sont les principaux types de tumeurs sous muqueuses ?

Les tumeurs mésenchymateuses

Les tumeurs stromales gastrointestinales (GIST) sont les tumeurs les plus fréquentes du tube digestif, développées aux dépens des cellules de Cajal ou d’un de leur précurseur (2,3). Siégeant dans 65 % des cas environ dans l’estomac, elles sont exceptionnelles dans l’œsophage. Les GIST sont parfaitement définies sur le plan nosologique, en particulier par l’expression en immunohistochimie de la protéine KIT (95% des cas). Leur potentiel de malignité est d’autant plus important que leur taille et leur index mitotique sont élevés.

Les leiomyomes sont des tumeurs à cellules fusiformes bénignes, développées à partir des cellules musculaires lisses de la musculaire muqueuse ou de la musculeuse. TSM de loin la plus fréquente dans l’œsophage, elle est rare dans l’estomac. La distinction histologique entre GIST et leiomyome est fondée essentiellement sur l’immunohistochimie, les leiomyomes exprimant les marqueurs musculaires lisses comme l’actine et la desmine mais pas la protéine KIT.

Les schwannomes sont des tumeurs digestives très rares d’origine nerveuse, bénignes, dont la localisation la plus fréquente est la partie proximale de l’estomac. Les schwannomes expriment la protéine S-100 en immunohistochimie mais ni KIT ni la desmine.

Le lipome est une tumeur bénigne constitué de cellules adipeuses matures.

Les autres tumeurs sont exceptionnelles : tumeur d’Abrikossoff, leiomyosarcome, GIST n’exprimant pas le KIT en immunohistochimie (5%), tumeurs glomiques, pseudo-tumeurs inflammatoires.

Les tumeurs non mésenchymateuses

Au niveau oesophagien elles sont représentés par l’hémangiome, le kyste bronchogénique et la dilatation kystique des glandes de la sous muqueuse.

Au niveau gastrique, la principale lésion sous muqueuse en dehors des GIST n’est pas tumorale : c’est le pancréas aberrant. Les TSM sont essentiellement représentées par les tumeurs endocrines, les lymphomes n’étant pas à proprement parler des TSM. La plupart des tumeurs endocrines gastriques sont des tumeurs bien différenciées du fundus, non sécrétantes et développées à partir des cellules ECL. Trois types sont distingués (4) : le type I (70 à 80 % des cas) associé à une gastrite chronique fundique atrophique le plus souvent auto-immune, le II associé à la NEM de type 1 et à la gastrite hypertrophique du syndrome de Zollinger – Ellison (5% des cas), enfin le III (10 à 20%) sporadique sans hypergastrinémie ou gastrite chronique auto-immune. Seuls les types I et II sont associés à une hypergastrinémie, avec des tumeurs le plus souvent petites (10 à 15 mm), bien différenciées, multiples, d’évolution lente et de bon pronostic. Les métastases essentiellement ganglionnaires sont extrêmement rares (< 10 % pour le type I, 10 à 20% pour les tumeurs type II). Les types III, à l’opposé sont uniques, infiltrantes, à haut risque métastatique (50 à 100%) et de mauvais pronostic.

Les métastases gastriques sont rares. Elles peuvent poser un problème de diagnostic différentiel avec les GIST, en particulier dans certaines tumeurs pouvant exprimer KIT (mélanome ou cancer du sein).

Tableau 1

Couche EE

Aspect EE

Lésions bénignes

Leiomyome

2e ou 4e

Très hypoéchogène, assez homogène, parfois calcifié, prend peu le contraste

T à cellules granuleuses

2e ± 3e

Hypoéchogène, empreinte sur ballonnet

K bronchogénique

3e ou 4e

Anéchogène ou hétérogène avec renforcement périphérique, déformable par le ballonnet, avasculaire en EE contraste

Duplication digestive

Le plus souvent 3e

Anéchogène ou hétérogène avec renforcement périphérique. Paroi de 3 ou 5 couches

Hémangiome

2e ou 3e

Assez échogène, discrètement hétérogène, déformable par le ballonnet

Pancréas aberrant

2e, 3e ou 4e

Hypo ou échogénicité mixte, structure canalaire possible

Lipome

3e

Hyperéchogène

Schwannome

3e ou 4e

Hyoéchogène

Lésions à potentiel malin

GIST

4e

Hypoéchogène, vasculaire en doppler, prend le contraste

Carcinoïde

2e ou 3e

Hypoéchogène, homogène

Sarcome

Toutes les couches

Hypoéchogène, volumineux

Connaitre les moyens d’imagerie utiles au diagnostic

L’endoscopie aidée des biopsies définit le siège sous épithélial. Aspect de la muqueuse et consistance sous la pince permettent d’avoir une orientation diagnostique. Les biopsies réalisées au niveau d’une ulcération ainsi que celles en puits dans un même orifice peuvent parfois apporter le diagnostic. Une autre technique est la résection endoscopique qui ne concerne que des lésions siégeant dans la sous muqueuse, le risque perforatif étant trop grand pour celles siégeant dans la musculeuse (5).

L’EE est le meilleur examen pour caractériser les TSM oesogastriques (5,6) quand elles sont de taille modérée (< 5cm). Elle permet d’éliminer une compression extrinsèque, d’écarter l’éventualité d’une varice et de permettre un diagnostic présomptif de nature de la lésion, notamment en cas de GIST, lipome ou pancréas aberrant.

Dans des études rétrospectives, diagnostic EE présomptif et histologie ont une correspondance de 77 à 83 % (5,7). Les principaux aspects sont résumés dans le tableau 1 (7,8). L’EE de contraste (8) pourrait, quant à elle, être utile en cas de TSM développée aux dépens de la quatrième couche, pour différencier une GIST (hypersignal) des autres lésions que sont leiomyome et les kystes (hyposignal). Enfin la ponction sous échoendoscopie rarement utile dans l’œsophage pour lequel elle est en outre contre-indiquée en cas de doute sur un kyste bronchogénique, peut être indiquée en cas de lésion gastrique développée aux dépens de la quatrième couche si le résultat est susceptible de modifier la prise en charge (9).

Le scanner en tant qu’outil diagnostique a sa place essentiellement en cas de tumeur volumineuse c’est-à-dire de plus de plus de 5 cm. Pour le reste il est indiqué pour le bilan d’extension des tumeurs malignes ou à fort potentiel de malignité.

Connaître les tumeurs qui imposent une prise en charge chirurgicale

Ce sont d’abord les tumeurs révélées par une complication, le plus souvent volumineuses: saignement digestif extériorisé ou occulte (lorsque la tumeur est ulcérée), douleurs, ou dysphagie. Les volumineuses tumeurs manifestement dégénérées sont à traiter comme des cancers de l’estomac ou de l’œsophage, après réalisation d’un bilan d’extension. En cas de GIST dégénérée non résécable d’emblée il est possible de proposer un traitement néo-adjuvant à base d’imatinib.

Pour les autres, de découverte fortuite, c’est le risque de transformation maligne ou la malignité avérée qui vont faire poser l’indication opératoire. Les lésions à potentiel malin sont représentées essentiellement par les GIST et tumeurs carcinoïdes gastriques.

GIST de découverte fortuite

Il s’agit du cas le moins fréquent (10) mais celui qui pose le plus de problème en matière de conduite à tenir, puisque toute GIST a probablement un potentiel de malignité.

Pour les lésions de moins de 2 cm (5), le risque d’évolution maligne semble très faible ou nul, la vitesse de croissance éventuelle étant quant à elle variable. Ces éléments rendent le choix licite entre surveillance ou résection, en tenant compte du contexte (âge, comorbidité, souhait du patient …) et de la localisation de la lésion dans l’estomac rendant simple ou complexe sa résection. Ainsi, la chirurgie sera plus facile à proposer sans preuve histologique pour une lésion de la face antérieure que pour une lésion sous cardiale. Dans ce dernier cas la chirurgie étant présumée délicate, la ponction sous EE peut aider à la décision (diagnostic différentiel entre GIST et tumeurs mésenchymateuses bénignes) même si sa rentabilité diagnostique est plus faible et sa réalisation possible que pour des lésions supracentimétriques.

Pour les lésions > 2 cm (5), il faut proposer une résection chirurgicale de principe mais là aussi interviennent le terrain, le souhait du patient et plus systématiquement le résultat de la ponction sous EE. Il faut préciser que dans les recommandations américaines de l’AGA la surveillance est encore une option pour les lésions ≤ 3cm.

Tumeurs carcinoïdes

Les tumeurs associées à une hypergastrinémie (types I et II) sont à faible risque de malignité. Les tumeurs de < 1cm et celles de 1 à 2 cm en l’absence de facteurs de risque de malignité (G2, infiltration de la musculeuse, métastases ganglionnaires) sont traitées par endoscopie (en général mucosectomie). Les exceptionnelles tumeurs > 2cm sont traitées chirurgicalement en association éventuellement avec une antrectomie pour supprimer l’hypergastrinémie.

Les tumeurs sporadiques sans hypergastrinémie (type III) sont des tumeurs le plus souvent malignes métastatiques au diagnostic. Le traitement est chirurgical comme pour les cancers de l’estomac.

Cas particuliers des tumeurs non étiquetées

Il n’est pas rare, essentiellement au niveau antral d’être confronté à des lésions sous muqueuses pour lesquelles ni l’EE ni la ponction ne permet de diagnostic précis. On peut proposer d’opérer surtout si la lésion est symptomatique et/ou > 2 centimètres et/ou impliquant la troisième ou la quatrième couche, car dans ce cas une chirurgie non délétère, apportera un diagnostic précis.

Surveillance d’une tumeur sous muqueuse non opérée

Une surveillance est largement admise dans la littérature pour toute TSM non opérée se présentant en EE comme étant d’allure non univoque, sans caractère suspect et d’une taille < 2 cm (5). Aucun schéma n’est validé mais un premier contrôle EE à 1 an puis tous les 2 ans en fonction du terrain, est généralement admis (avis d’experts) en l’absence d’augmentation de taille qui est un élément suspect de malignité potentielle (5). Le paramètre qu’il est très difficile de préciser, dans le cas de petite GIST découverte fortuitement en endoscopie est le nombre de mitoses. Or il s’agit très vraisemblablement du facteur pronostique le plus important. Les biopsies endoscopiques sont rarement positives et la ponction sous EE ne permet pas le plus souvent d’estimer correctement le plus souvent le potentiel évolutif de la tumeur. La figure 1 propose un algorithme de surveillance prenant en compte toutes ces limites.

Références

  1. Rösch T. Endoscpic ultrasonography in upper submucosal tumors: a literature review. Gastrointest Endosc Clin N Am 1995;5:609-614
  2. Miettinen M, Blay JY, Sobin LH, Hamilton SR et al. Tumors of the digestive system IARC Press 2000;62-65.
  3. Coindre JM, Emile JF, Monges G, et al. Tumeurs stromales gastro-intestinales: définition, caractéristiques histologiques, immunohistochimiques et génétiques, stratégie diagnostique. Ann Pathol 2005 ;25 :358-385
  4. Scherübl H, Cadiot G, Jensen RT, Rösch T, Stölzel U, Klöppel G. Neuroendocrine tumors of the stomach (gastric carcinoïds) are on the rise: small tumors, small problems? Endoscopy 2010;42:664-71.
  5. Landi B, Bouché O, Guimbaud R, Chayvialle JA. Tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) de taille limitée (inférieure à 5cm) : revue de la littérature et propositions pour la prise en charge. Gastroenterol Clin Biol 2010;34 :120-133
  6. Polkowski M, Butruk E. Submucosal lesions. Gastrointest EndoscClin N Am 2005;15: 33-54,viii.
  7. Hwang JH, Rulyak SD, Kimmey MB. American Gastroenterological Association Institute technical review on the management of gastric subepithelial masses. Gastroenterology 2006;130:2217-2228
  8. Landi B, Palazzo L.Tumeurs sous muqueuses de l’estomac 12-145. In : Palazzo L. Echoendoscopie Digestive. Springer-Verlag Paris.2012
  9. Dumonceau JM, Polkowsky M, Larghi A, ViImann P, Giovannini M, Frossard JL, Heresbach D, Pujol B, Fernandez-Esparrach G, Vasquez-Sequeiros E, Gines A. Indications, results, and clinical  impact of endoscopic ultrasound (EUS)-guide sampling in gastroenterology: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Clinical Guideline. Endoscopy 2011;43:1-16
  10. Miettinen M, Sobin LH, Lasota J. Gastrointestinal stromal tumors of the stomach: a clinicopathologic,immunohistochemical, and molecular genetic study of 1765 cases with long – term follow-up. Am J Surg Pathol 2006;30:477-89.

figure 1

Figure 1

Les 5 points forts

  1. Les tumeurs oesophagiennes sont quasiment toujours bénignes dominées par le leiomyome.
  2. Les GIST sont les TSM gastriques les plus fréquentes, présentant un potentiel dégénératif quelque soit leur taille.
  3. L’EE est le meilleur moyen d’imagerie pour différencier une TSM oeso-gastrique d’une simple compression extrinsèque et caractériser son type.
  4. Le traitement de référence des GIST gastriques localisées est la chirurgie.
  5. Une surveillance peut être proposée pour des TSM gastriques localisées en EE à la 4ème couche si l’opérabilité est médiocre et/ou la tumeur difficilement accessible à une résection limitée, sous réserve que la taille reste stable et < 2 cm.