Incontinence anale

POST’U 2020

Proctologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la définition et l’épidémiologie
  • Connaître les modalités du diagnostic clinique et para clinique
  • Connaître les principes du traitement médicamenteux et de la rééducation
  • Connaître les indications et les résultats de la neuro-modulation des racines sacrées
  • Connaître les alternatives chirurgicales

Les 5 points forts

  1. La prévalence de l’incontinence fécale augmente avec l’âge et est probablement sous-estimée (5 % - 10 % de la population générale en France).
  2. L’échographie endo-anale et la manométrie anorectale sont utiles mais non indispensables lors de la prise en charge initiale. 
  3. Un traitement médical visant à régulariser le transit intestinal doit être envisagé dès la première consultation.
  4. La rééducation proposée en cas d’incontinence anale doit être basée sur le biofeedback.
  5. La réparation chirurgicale peut s’envisager après une rupture sphinctérienne récente d’origine obstétricale, la plupart des autres cas relèvent d’un test de neuromodulation des racines sacrées.

LIENS D’INTÉRÊT

L’auteur n’a pas déclaré de lien d’intérêt pour cet article

MOTS-CLÉS

Incontinence anale – neuromodulation sacrée – qualité de vie

Introduction

L’incontinence anale est définie comme la perte incontrôlée de selles et/ou de gaz dans des conditions socialement inadaptées. Sa fréquence est diversement appréciée dans la littérature et de toute façon sous-estimée, car les patients vivant cette situation comme honteuse et dégradante hésitent à en parler. Sa prévalence publiée dans la littérature se situerait ainsi entre 2 et 17 % chez les adultes (1). Ces grandes variations observées dans les articles sont dues aux types d’études réalisées, aux populations étudiées et au niveau de sévérité retenu pour définir l’incontinence. La prévalence augmente avec l’âge et en cas d’institutionnalisation.

Le diagnostic positif, le diagnostic étiologique et le diagnostic de gravité sont souvent établis par un interrogatoire minutieux et l’examen clinique. La cause peut être multifactorielle et il ne faut pas le sous-estimer, car cela peut expliquer certains échecs au moins partiels du traitement (tableau 1). L’examen clinique devra bien sûr comporter une inspection du périnée et un toucher rectal au repos et en contraction volontaire de l’anus. La sévérité de cette incontinence peut être appréciée par un score validé, simple, rapide à établir et assez reproductible tel que le score de Jorge et Wexner (2). L’incontinence anale retentit fortement sur la qualité de vie des personnes qui en souffrent (3).

Causes sphinctériennes
  • Causes congénitales (imperforation)
  • Causes obstétricales (rupture de degré IV +++)
  • Causes proctologiques (mise à plat de fistule anale)
  • Traumatismes (empalement)
Causes rectales
  • Proctectomie et anastomose colo-anale directe
  • Microrectie (MICI, post-radiothérapie)
Causes médullaires et radiculaires
  • Neuropathies périphériques (neuropathie pudendale +++)
  • Tumeurs médullaires
  • Traumatismes (paraplégie traumatique)
  • Causes iatrogènes (chirurgie discale)
Causes centrales
  • Sclérose en plaque
  • Sclérose latérale amyotrophique,
  • Neuropathie diabétique et autres maladies de système
  • Neuropathies médicamenteuses
  • Causes psychiatriques
Incontinence anale idiopathique
Incontinence anale passive (fécalome, dyschésie, akinésie, grabataires, etc.)

Tableau 1 : Principales causes d’incontinence anale

Le bilan paraclinique se réduit le plus souvent à deux examens, mais il faut savoir qu’ils ne sont pas obligatoires ni même nécessaires à la prise en charge initiale. Il s’agit de l’échographie endo-anale, qui confirmera l’intégrité des sphincters interne et externe, ou à l’inverse démontrera une rupture significative ou non de l’appareil sphinctérien et de la manométrie anorectale, qui référencera la fonction anorectale dans son ensemble. Les autres examens complémentaires ne seront demandés qu’en cas de cas particuliers, lorsqu’une pathologie spécifique est évoquée (viscérogramme pelvien ou déféco-IRM, EMG périnéal, IRM médullaire ou lombaire, coloscopie, etc.).

Une fois diagnostiquée et quelle qu’en soit la sévérité, l’incontinence anale doit amener à une proposition thérapeutique (figures 1 et 2). Il y a une escalade par paliers dans les traitements disponibles, partant du simple régime aux interventions palliatives (4).

Figure 1 : Algorithme décisionnel dans le traitement de première intention de l’incontinence anale (traduit d’après Vitton et al., réf. 4)

Figure 1 : Algorithme décisionnel dans le traitement de première intention de l’incontinence anale (traduit d’après Vitton et al., réf. 4)

Figure 2 : Algorithme décisionnel en cas d’échec du traitement de première intention de l’incontinence anale (traduit d’après Vitton et al., réf. 4)

Figure 2 : Algorithme décisionnel en cas d’échec du traitement de première intention de l’incontinence anale (traduit d’après Vitton et al., réf. 4)

Dès la première consultation et sans même attendre le résultat de ces deux examens, il faut débuter le traitement conservateur de l’incontinence anale, car il peut être efficace chez près de 60 % des patients. Il repose d’abord sur l’évaluation puis la correction des troubles du transit intestinal et/ou de la vidange rectale : conseils hygiéno-diététiques, prescription de ralentisseurs du transit de type lopéramide et/ou d’épaississant des selles de type diosmectite en cas de poly-exonération liquide, ou utilisation de laxatifs, lavements ou suppositoires en cas d’incontinence par « regorgement ». L’obturateur anal de type Peristeen Obtal peut être proposé chez les patients qui ont des fuites peu importantes, mais il n’est rarement accepté sur le long terme.

La rééducation proposée en cas d’incontinence anale doit être basée sur le biofeedback. Les études sont nombreuses sur le sujet, mais il est difficile d’en dégager les indications précises dans le cadre de la prévention et du traitement de l’incontinence, la nature, le nombre et la fréquence des séances à prescrire… Les résultats publiés donnent des taux de succès très variables, mais qui peuvent atteindre 80 % (5). Elle doit en tout cas être réalisée par des kinésithérapeutes formés à cette technique. La rééducation par biofeedback peut être associée à une rééducation de la sangle abdominale, à des exercices respiratoires, ou à l’électrostimulation anale ou vaginale dont les intérêts objectifs peinent à être démontrés. Enfin, la stimulation du nerf tibial postérieur (TENS) qui est simple à mettre en œuvre, n’est peut-être pas plus efficace que la prise en charge conservatrice, comme cela a été montré dans un essai prospectif randomisé en double aveugle multicentrique français (6).

Globalement, une étude randomisée récente (américaine) montre que ces différentes approches non invasives ne sont pas plus efficaces les unes que les autres, et que les résultats doivent de ce fait être réévalués régulièrement avec le patient, pour essayer de trouver les solutions qui l’amélioreront sur le plan fonctionnel (7).

En cas d’échec des mesures diététiques, médicamenteuses et de rééducation, le patient peut être adressé au chirurgien.

En 2020, il n’existe que trois techniques chirurgicales validées pouvant traiter efficacement l’incontinence anale. La cure d’un prolapsus extériorisé du rectum, au mieux par une rectopexie antérieure au promontoire cœlioscopique en mode ambulatoire, peut amener jusqu’à 75 % d’amélioration de l’incontinence anale (9). La réparation directe, appelée encore sphincterorraphie, a encore des indications lorsque la destruction sphinctérienne est complète, touchant les deux sphincters interne et externe sur toute leur hauteur, telle qu’elle est rencontrée dans les ruptures obstétricales de degré IV, les sphinctérotomies ou les traumatismes pelviens ouverts. Fort heureusement, ces indications sont exceptionnelles, en grande partie grâce aux progrès de l’obstétrique et aux conseils de ne plus réaliser de sphinctérotomie dans certaines pathologies proctologiques comme la fissure anale. La réparation directe donne près de 80 % de bons résultats précoces, mais seuls 50 % des patients restent améliorés à 10 ans. En cas d’intégrité anatomique du périnée postérieur (y compris après chirurgie), la neuromodulation des racines sacrées peut être proposée. Encore faut-il respecter les recommandations de l’HAS, éditées en 2010 : incontinence fécale sévère (plus d’un épisode d’incontinence fécale par semaine), chronique (plus de 6 mois), après échec des traitements traditionnels (voir au-dessus), sur un sphincter anatomiquement correct, prise en charge par une équipe pluridisciplinaire spécialisée. Le principe est d’implanter une électrode reliée à un système de stimulation externe provisoire au niveau de la racine sacrée S3 ou S4 pendant une période test de 21 jours. Si le test est positif (plus de 50 % de diminution du nombre d’épisodes d’incontinence anale), le stimulateur définitif est implanté. Sur le plan technique, près de 40 % des patients ont besoin d’une révision du système à long terme, quelle qu’en soit la cause. Les résultats fonctionnels sont bons chez environ 60-80 % des patients après implantation définitive, avec une amélioration durable des symptômes et de la qualité de vie (10).

En dehors de ces 3 techniques chirurgicales validées, aux indications spécifiques et distinctes, nous ne ferons que citer d’autres opérations qui ne sont plus utilisées, ou pas encore validées : la graciloplastie, geste très lourd pour un service rendu au patient trop limité ; le sphincter artificiel AMS 800, qui n’est plus remboursé en France ; le sphincter magnétique FENIX, dont la morbidité paraît assez lourde et ne conduira peut-être pas à sa commercialisation en France ; les injections de biomatériaux, aux résultats plutôt décevants ; les injections de toxine botulique dans la paroi du rectum (PHRC national en cours). Quant aux injections de myoblastes autologues ou autre cellules souches dans le sphincter, les résultats préliminaires semblent prometteurs (10).

Enfin, en cas d’échec de tout traitement et chez des patients très handicapés par leur incontinence anale, il existe deux interventions palliatives : l’opération de Malone, qui permet de réaliser des lavements antérogrades par une cæcostomie continente, mais dont les indications, qui étaient déjà rares, sont maintenant volontiers remplacées par l’utilisation d’irrigations coliques rétrogrades avec le matériel de type Peristeen, et la colostomie définitive, qui peut changer la qualité de vie de certains patients.

En conclusion, le diagnostic d’incontinence anale est essentiellement clinique et doit conduire dès la première consultation à un traitement conservateur dans tous les cas, tant le handicap est souvent mal vécu. Dans certains cas les plus sévères, la prise en charge chirurgicale doit s’envisager, par rectopexie en cas de prolapsus rectal, par réparation directe en cas de rupture majeure de l’appareil sphinctérien, par neuromodulation des racines sacrées, voire par colostomie définitive. De nombreuses techniques thérapeutiques sont en cours d’études, ce qui montre bien qu’il reste encore des lacunes à combler pour une prise en charge optimale de l’incontinence anale.

Références

  1. Ditah I, Devaki P, Luma HN, Ditah C, Njei B, et al. Prevalence, trends, and risk factors for fecal incontinence in United States adults, 2005-2010. Clin Gastroenterol Hepatol 2014;12:636-43
  2. Jorge JMN, Wexner Etiology and management of fecal incontinence. Dis Colon Rectum 1993;36:77-97
  3. Damon H, Schott AM, Barth X, Faucheron JL, Abramowitz L, et The French ORALIA Group. Clinical characteristics and quality of life in a cohort of 621 patients with faecal incontinence. Int J Colorectal Dis 2008;23:845-51
  4. Vitton V, Soudan D, Siproudhis L, Abramowitz L, Bouvier M, et French National Society of Coloproctology. Treatments of faecal incontinence: recommendations from the French National Society of Coloproctology. Colorectal Dis 2014;16:159-66
  5. Damon H, Siproudhis L, Faucheron JL, Piche T, Abramowitz L, et Oralia Trial Group. Perineal retraining improves conservative treatment for faecal incontinence: a multicentre randomized study. Dig Liver Dis 2014;46:237-42
  6. Leroi AM, Siproudhis L, Etienney I, Damon H, Zerbib F, et Transcutaneous electrical tibial nerve stimulation in the treatment of fecal incontinence: a randomized trial (CONSORT 1a). Am J Gastroenterol 2012;107:1888-96
  7. Jelovsek JE, Markland AD, Whitehead WE, et Controlling faecal incontinence in women by performing anal exercices with biofeedback or loperamide: a randomized clinical trial. Lancet Ganstroenterol Hepatol 2019; 4: 698-710
  8. Faucheron JL, Trilling B, Girard E, Sage PY, Barbois S, et Anterior rectopexy for full-thickness rectal prolapse: technical and functional results. Review. World J Gastroenterol 2015;21:5049-55
  9. Leroi AM, Damon H, Faucheron JL, Lehur PA, Siproudhis L, et Sacral nerve stimulation in faecal incontinence: position statement based on a collective experience. Colorectal Disease 2009;11:572-83
  10. Boyer O, Bridoux V, Giverne C, Bisson A, Koning E, et Autologous Myoblasts for the Treatment of Fecal Incontinence: Results of a Phase 2 Randomized Placebo-controlled Study (MIAS). Ann Surg 2018;267:443-50