Diagnostic et prise en charge des tumeurs kystiques pancréatiques asymptomatiques Recommandations américaines 2015

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les facteurs de risques qui doivent conduire à la chirurgie
  • Connaître les modalités de surveil- lance des tumeurs kystiques asymptomatiques
  • Qui et comment surveiller après chirurgie ?

Introduction

Quels sont les problèmes soulevés par cette recommandation ?

L’American Gastroenterological Association (AGA) a publié en 2015 dans son organe officiel Gastroenterology, qui est la revue la plus prestigieuse de notre spécialité, une recommandation intitulée : American Gastroenterological Association Institute Guideline on the Diagnosis and Management of Asymptomatic Neoplastic Pancreatic Cysts [1] que l’on doit traduire par Recommandations de l’AGA sur le Diagnostic et la Prise en Charge des Tumeurs Kystiques Pancréatiques Asymptomatiques.

Ce texte de 4 pages, qui débute par une introduction épidémiologique et méthodologique et fournit ensuite 10 recommandations regroupées en 4 sous-chapitres, soulève des problèmes méthodologiques importants qui altèrent sévèrement la force des conclusions proposées.

– Aucune définition du terme Neoplastic Pancreatic Cysts n’est fournie, ni en diagnostic positif, ni en diagnostic différentiel. Dès la première ligne, le terme Neoplastic disparaît et on ne parle plus que des Pancreatic Cysts découverts incidemment. À aucun moment n’apparaissent les dénominations – cystadénome séreux ou mucineux, pseudo-kyste, TIPMP des canaux secondaires, ou du canal principal, tumeur endocrine kystique, tumeur solide et pseudo-papillaire, kyste essentiel (solitaire). À aucun moment n’est évoqué le caractère unique ou multiple des lésions kystiques, le caractère communiquant ou non avec le canal pancréatique principal, le caractère uniloculaire ou multiloculaire (avec des septas) d’une lésion kystique. Lorsque la dilatation du canal pancréatique principal (CPP) est citée, elle n’est pas gradée (<5mm,5-9mm,≥10mm) Le terme TIPMP sans précision n’est cité que 3 fois et le terme TIPMP mixte 1 fois. Le terme cystadénocarcinome mucineux et le terme adénocarcinome ductulaire pancréatique 1 fois. La problématique de l’âge de la découverte de la ou les lésion(s) kystique(s) pancréatique(s) (LKP) asymptomatique(s) n’est jamais abordée. Ce texte n’apporte, contrairement à ce que suggère son titre, aucune recommandation sur l’étape diagnostique, si bien que la majorité des recommandations proposées ne sont pas adaptées et utilisables en pratique par le clinicien qui ne sait pas précisément à quel type de LKP elles s’adressent. Cette simplification exagérée est en contradiction avec le standard français actuel qui recommande si possible une prise en charge dans une réunion de concertation pluridisciplinaire, où interviennent des cliniciens, imageurs, anatomopathologistes, et chirurgiens et où tout débute par l’étape diagnostique qui conditionne la suite de la prise en charge.

– Comme dans de nombreuses Recommandations de Pratique Clinique (RPC) édictées, une évaluation systématique et extensive de la littérature a été réalisée [2]. La RPC de l’AGA a utilisé le procédé GRADE et la formulation PICO (c’est le must pour une RPC) pour la rédaction des 10 recommandations proposées [3]. L’end­point de la formulation PICO est le risque de cancer du pancréas évité par la prise en charge proposée. Les niveaux de preuves scientifiques qui supportent la formulation PICO des recommandations sont gradés de1à4(detrèsbasàhaut):untrès bas niveau de preuve est synonyme d’une grande incertitude concernant l’effet de la recommandation sur la pratique. Le problème de ces 10 recommandations de l’AGA est qu’elles ont toutes un très bas niveau de preuve scientifique, à tel point que les auteurs se demandent même s’il est raisonnable de rédiger une RPC sur ce sujet. Pour essayer de guider plus efficacement les cliniciens en charge de ces patients porteurs d’une ou plusieurs lésions kystiques pancréatiques découvertes fortuitement sur une imagerie abdominale, les auteurs ont rajouté un index global signifiant la force de la recommandation proposée : une recommandation est qualifiée de « forte » lorsqu’elle s’applique à la plupart des patients, la plupart du temps. Elle est qualifiée de « conditionnelle » ou « faible » si elle doit être nuancée et qu’une proportion importante des patients bénéficierait d’une approche différente. Malheureusement, toutes les recommandations proposées dans cette RPC américaine sont qualifiées de « conditionnelles » sauf une, qualifiée de « forte », celle qui conseille de confier les patients à opérer à des centres ayant démontré une expertise en chirurgie pancréatique, proposition qui ne révolutionne pas le paysage actuel et enfonce une porte déjà grande ouverte dans la plupart des pays.

– Cette problématique de la faiblesse des recommandations proposées dans cette RPC de l’AGA rejoint ce qui a été acté [4] dans les recommandations du Consensus international 2012 pour la prise en charge des tumeurs mucineuses du pancréas (TIPMP, Cystadenome mucineux) : « Puisque le niveau de preuve est trop bas, nous avons préféré le terme consensus au terme recommanda­ tion basée sur les preuves. »

– Il y a cependant une différence majeure entre ces 2 textes de RPC à savoir : La différence concernant l’argu­ mentaire des recommandations proposées : Dans le travail de l’AGA les arguments sont très généraux et font beaucoup appel au bon sens des non experts, membres du comité des recommandations de la société, la complexité du sujet et les détails des différentes situations rencontrées étant volontairement gommés. De plus, le chiffre retenu (15 %) concernant la prévalence des LKP asymptomatiques dans la population générale qui conditionne les recommandations est très discutable car surévalué [2, 4] puisqu’il ignore la seule étude qui est indemne de biais liés aux centres et aux motifs de réalisation des IRM et scanners : Celle de deJong et al. [5] qui s’adressait à une population où était effectué un check-up général incluant l’IRM abdominale et qui évalue cette prévalence à 2,4 % dont 11 % après 70 ans avec seulement 0,8 % de kyste >2cmdediamètre.Enfin,ilyaun gros problème méthodologique sur le calcul du risque de dégénérescence des LKP. Il est calculé à partir d’une base de données où le mot clef était « adénocarcinome pancréatique mucineux » qui comprend le cystadénocarcinome, cancer très rare et l’adénocarcinome colloïde mucineux, dégénérescence rare des TIPMP intestinales du canal pancréatique principal (CPP). Ceci évacue la grande majorité des adénocarcinomes tubulaires, mode de dégénérescence de la plupart des TIPMP CS et les adénocarcinomes ductulaires synchrones des TIPMP mais survenant en territoire non touché par la TIPMP (correspondant à la dégénérescence des Pan In, autre type de lésion précancéreuse qui peut coexister avec la TIPMP) et qui surviennent dans 2 % à9%descasdeTIPMPCSdemanière synchrone ou métachrone [4]. Dans le Consensus, les experts utilisent des définitions extrêmement précises et fournissent des détails cruciaux pour la compréhension par le lecteur, ce qui rend leur argumentaire convaincant et surtout adapté, et donc utile, pour la prise en charge des multiples cas de figure rencontrés en pratique clinique et radiologique de tous les jours. Le travail en RCP est indiscutablement facilité par l’utilisation des recommandations et surtout de l’algorithme proposés (Fig. 1) par les auteurs du Consensus. Une fois ces réserves exprimées, venons-en, aux 10 recommandations émises par l’AGA. Cinq de ces recommandations sont globalement en accord avec le Consensus international.

Recommandation n° 1

L’AGA recommande que pour débuter un programme de surveillance d’une lésion kystique pancréatique (LKP) découverte fortuitement, les patients doivent avoir parfaitement compris les risques qu’ils encourent, mais aussi les bénéfices et inconvénients de la surveillance qui leur est proposée. Cette recommandation « mère » ne justifie aucune gradation.

Recommandation n° 3

Critères inquiétants concernant les LKP asymptomatiques retenus par L’AGA :

– LKP>3cm;
– Composante solide ou nodule mural intra-kystique ;
– CPP dilaté (aucun diamètre n’est précisé, mais nous retiendrons 5 mm qui est le chiffre explicité dans le consensus international [4].

L’AGA suggère qu’une EE avec prélève­ ment soit réalisée lorsqu’une LKP pos­ sède au moins 2 critères inquiétants parmi les 3 qui ont été définis : taille > 3 cm, présence d’une composante solide ou d’un nodule mural, ou bien dilatation du CPP. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaires : l’AGA comme le consensus international a retrouvé un lien statistique entre ces facteurs de risque et le risque de malignité sur l’étude anatomopathologique des pièces opératoires de TIPMP. Le consen­ sus international [4] a précisé quels sont les diamètres du CPP à prendre en considération en cas de TIPMP : 1) CPP <5mm:nondilaté;2)CPPentre5et 9 mm : dilatation spécifique témoignant jusqu’à preuve du contraire d’une atteinte du CPP par la maladie ; 3) CPP ≥ 10 mm témoignant d’un fort risque de malignité.

L’EE est l’examen de référence pour le diagnostic de nodule mural tissulaire intrakystique. Le scanner et l’IRM avec CPIRM qui ont de bonnes performances pour ce diagnostic connaissent des limites même dans les centres de référence : 1) liées à leur résolution spatiale insuffisante (malgré les grands progrès de ces 10 dernières années), ce qui est gênant mais pas très grave pour les

Algorithme de prise en charge des TIPMP selon le consensus international 2012

a) La pancréatite aiguë peut être une indication opératoire si elle est sévère ou récidivante.
b) Le diagnostic différentiel du nodule mural est le mucus épais aggloméré. En échoendoscopie, le mucus peut bouger au changement de position du patient, ou lors de l’injection intrakystique du sérum physiologique et n’est pas vascularisé en doppler. Le nodule mural ne change pas de position, est vascularisé en doppler et correspond à du tissu tumoral lors de la biopsie échoendoscopiquement guidée.
c) La présence de l’un de ces trois signes : 1) épaississement de la paroi du CPP, 2) mucus dans le CPP, 3) nodule mural du CPP, est évocateur d’une atteinte du CPP.
d) Des études réalisées au Japon suggèrent qu’il existe un risque accru de survenue d’un adénocarcinome ductulaire du pancréas indépendant de l’évolution de la TIPMP – CS au cours du suivi de cette maladie. Cependant, il n’est pas démontré que la surveillance en imagerie soit capable de détecter ces cancers au stade de début et même si c’est le cas, nous ne connaissons pas le rythme à proposer pour cette surveillance.
Figure 1.

petits nodules muraux ; 2) liées au fait que le diagnostic de nodule mural est réalisé sur une prise de contraste intrakystique, qui est prise en défaut lorsque le nodule mural est petit mais également lorsqu’il remplit et oblitère la cavité kystique ou bien le CPP, et il s’agit alors le plus souvent de volumineux nodules muraux ( > 1 cm) qui sont iso-denses et iso-intenses au parenchyme pancréatique avoisinant, les rendant indétectables. L’EE lorsque le pancréas n’est pas trop pancréatitique (situation rare en cas de bilan de LKP) n’a pas de limite en terme de seuil de détection d’un nodule mural intrakystique, et permet par des artifices techniques, incluant le prélèvement et surtout si cela est possible l’utilisation du contraste, de différencier un nodule mural d’une boule de mucus qui se présente comme un défect intrakystique ne prenant pas le contraste lors de l’injection. Concernant l’ensemble des LKP, l’association statistique n’a été retrouvée qu’avec les 2 premiers facteurs de risque : le risque de malignité est multiplié par 3 en cas de LKP > 3 cm et par 8 en cas de composante solide ou de nodule mural [2].

C’est l’EE avec prélèvement qui est apparu comme l’examen le plus performant pour évaluer le plus précisément ce risque accru de malignité avec une sensibilité de 60 % et une spécificité de 90 %. Par précaution, l’AGA reconnaît que cette recommandation pourrait également s’appliquer si le facteur de risque « présence d’une composante solide ou d’un nodule mural » est présent isolément en imagerie. Il est important de noter que le seuil de 200 ng/ml du taux de l’ACE intrakystique déterminé par prélèvement EE-guidé a une précision diagnostique de 80 % [4] pour différencier une lésion kystique mucineuse d’une lésion kystique non mucineuse, mais que ce taux ne permet pas de différencier un cystadénome mucineux d’une TIPMP et surtout une lésion mucineuse maligne d’une lésion mucineuse bénigne. Il en est de même avec le CA19-9 avec des performances moins bonnes si bien que le dosage de l’ACE intrakystique est suffisant.

Concernant cette recommandation, l’algorithme du consensus internatio­ nal paraît beaucoup plus détaillé et convaincant sur le point précis de l’indication de l’EE avec prélèvement et sur l’exploitation des résultats obtenus.

Aux 3 critères inquiétants sélectionnés parl’AGA,leconsensusinternationalen a rajouté un quatrième, le changement brutal de diamètre du canal pancréatique principal (CPP) avec atrophie du parenchyme d’amont [4].

Les résultats de l’EE effectuée en raison de la présence de l’un de ces critères sont explicités : si l’un des trois signes échoendoscopiques suivants est retrouvé :

  1. nodule mural prouvé,
  2. signe formel d’atteinte du CPP,
  3. cytologie suspecte ou certaine de malignité, est retrouvé.

Il convient de discuter la chirurgie si le patient est opérable.

Si aucun des signes n’est retrouvé, la surveillance ultérieure est adaptée à la taille du kyste le plus volumineux (Fig. 1).

Si l’EE ne peut conclure une surveillance rapprochée est proposée (Fig. 1)

Recommandation n° 5

L’AGA suggère que l’apparition d’un ou plusieurs signes inquiétants au cours de la surveillance par IRM est une indication de la réalisation d’une EE avec prélèvement. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaire : l’AGA reconnaît qu’il n’y a pas de substratum scientifique suffisant pour étayer cette recommandation, mais indique qu’elle l’édicte par précaution.

Recommandation n° 6

L’AGA suggère de confier au chirurgien les patients qui ont à la fois une composante solide/nodule mural intrakystique, et une dilatation du CPP et/ou des signes inquiétants à l’EE avec prélèvement afin de réduire le risque de mortalité par cancer du pan­ créas. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaires : une cytologie positive lors de l’EE avec prélèvement est l’élément qui a la spécificité la plus élevée pour le diagnostic de malignité d’une LKP [2]. Sa combinaison avec des critères inquiétants en imagerie augmente le risque qu’une LKP soit maligne. La présence d’une composante solide/nodule mural intrakystique associée à une dilatation du CPP (confirmée à la fois par IRM et EE) a également une spécificité élevée même en l’absence de cytologie positive à l’EE. Dans les séries chirurgicales où les LKP présentaient des signes de gravité, une malignité invasive était observée dans 15 % des cas [2] avec une survie à 5 ans de 28 % pour ces cancers et de ce fait un rapport bénéfice/risque très favorable. De plus, la revue de la littérature effectuée [2] a montré que 17 % des TIPMP opérées étaient en dysplasie de haut grade (DHG) avec dans cette situation un encore meilleur rapport bénéfice risque de la chirurgie que l’on peut qualifier de préventive (2 % de mortalité, 30 % de morbidité majeure en centre expert). Tout ceci aurait dû conduire l’AGA à qualifier cette recommandation de « forte », mais pour des raisons discutables (incertitude sur le risque de voir évoluer la DHG vers le cancer…) les auteurs ont préféré la qualifier de « conditionnelle ».

Recommandation n° 7

L’AGA recommande de confier les patients porteurs d’une LKP justifiant la chirurgie à des centres qui ont démontré une expertise en chirurgie pancréatique. Recommandation forte, très bas niveau de preuve.

Commentaire : aux États-Unis, la mortalité par chirurgie pancréatique est de 6,6 % comparée aux 2 % observés dans les centres spécialisés ayant fait l’objet de la revue de la littérature [2] sur la chirurgie des LKP.

5 autres recommandations sont discutables car elles sont conditionnelles et de faible niveau de preuve et surtout car elles sont très différentes du consensus international.

Recommandation n° 2

L’AGA suggère de surveiller par IRM avec CPIRM un an plus tard, puis tous les 2 ans à concurrence de 5 ans après le diagnostic, les patients n’ayant pas de critère inquiétant s’il n’y a pas de modification de taille ou d’aspect (apparition d’une composante solide ou d’une dilatation du CPP) au cours de la surveillance. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve. L’IRM avec CPIRM est préférée au scanner car elle n’est pas irradiante, évalue mieux les rapports entre la LKP et le CPP et est préférée à l’échoendoscopie (EE) car elle est moins invasive.

Commentaires : proposer une surveillance sans chercher à savoir quel type de LKP est surveillé (TIPMP très fréquente, cystadénome séreux fréquent, cystadénome mucineux beaucoup plus rare, TNE kystique rare, pseudo-kyste sans ATCD identifié de pancréatite non exceptionnel…) n’est pas acceptable, même si sans que cela soit indiqué explicitement, l’essentiel de cette recommandation s’applique aux suspicions de TIPMP des canaux secondaires découvertes fortuitement.

Proposer une surveillance sans s’intéresser à la taille du kyste et à l’âge du patient n’est pas non plus acceptable

jusqu’à ce qu’on ait démontré que ces 2 facteurs qui sont une des bases de notre prise en charge actuelle des TIPMP CS asymptomatiques sont inopérants.

Le consensus international est beaucoup plus pragmatique et surtout exhaustif dans son protocole de surveillance [4]. Il ne s’adresse qu’à la suspicion de TIPMP des canaux secondaires (CS) qui constitue la grande majorité des LKP asymptomatiques : en l’absence de signe inquiétant, une IRM est proposée :

  1. 2 ans plus tard si le kyste est < 1 cm, puis tous les 2 ans en l’absence de modification,
  2. 2 ans consécutifs si le kyste est entre 1 et 2 cm, puis tous les 2 ans en l’absence de modification,
  3. une EE doit être effectuée 6 mois plus tard si le kyste est entre 2 et 3 cm puis une alternance annuelle IRM et EE doit être proposée. La chirurgie préventive doit être envisagée chez les sujets jeunes,
  4. alternance tous les 6 mois d’une IRM et d’une EE si le kyste mesure plus de 3 cm. La chirurgie doit être fortement envisagée chez les sujets jeunes.

Recommandation n° 4

En l’absence de signe inquiétant après EE avec prélèvement, l’AGA suggère de vérifier par IRM, un an et 2 ans plus tard, l’absence de modification des signes qui avaient conduit à réaliser une EE avec prélèvement. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaires : la valeur prédictive négative de l’EE avec prélèvement sans signe inquiétant en faveur de la malignité (risque qu’il y ait une LKP maligne lorsque l’EE est rassurante) est élevée même si elle n’est pas de 100 % [2]. Cependant, les auteurs de la recommandation reconnaissent que la chirurgie ou une surveillance plus rapprochée par IRM peuvent être proposées chez certains patients. Sur ce point également, l’algorithme du consensus international de 2012 est plus précis et paraît plus convaincant (Fig. 1), car il intègre la taille des kystes et intègre l’âge de survenue : dans la TIPMP CS le risque relatif de malignité est 3 fois plus élevé lorsque le kyste mesure plus de 3 cm que lorsqu’il mesure moins de 3 cm [4].

Recommandation n° 6

L’AGA suggère d’interrompre la sur­ veillance si il n’y a pas eu de modi­ fication significative après 5 ans de surveillance ou si le patient n’est plus un bon candidat pour la chirurgie. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaires : la revue de la littérature [2] de l’AGA indique que le risque de dégénérescence des LKP est de 0,24 % par an incluant celles qui se modifient au cours du temps. Ceci suggère aux auteurs que ce chiffre est très vraisemblablement beaucoup plus bas dans le sous-groupe des LKP qui ne se modifient pas. Ils indiquent que cette recommandation ne s’applique pas aux familles de cancer du pancréas. Cette recommandation est une fois de plus confrontée au flou qui entoure le diagnostic de nature des LKP que les auteurs n’ont pas voulu prendre en compte. De qui parle-t-on dans cette recommandation ? Des cystadénomes séreux oligokystiques, des cystadénomes mucineux, des TNE kystiques ou des TIPMP CS ? Le consensus inter­ national ne retrouve pas les même chiffres dans sa revue de la littérature : Le risque de dégénérescence de la TIPMP des canaux secondaires est de 2 à 3 % par an [4]. À ce risque, qui est 10 fois supérieur au risque annoncé par les auteurs, se surajoute celui de la survenue d’un adénocarcinome ductulaire concomitant en territoire indemne de TIPMP estimé à 0,7-0,9 % par an [4]. S’il s’agit d’une surveillance de TIPMP CS, il paraît difficilement concevable de ne pas tenir compte de l’âge des patients et de la taille du kyste le plus volumineux dans cette recommandation, car on ne peut pas mettre sur le même plan un patient de 50ansayantuneTIPMPCSde2cmet un patient de 75 ans ayant une TIPMP CS de 1 cm. Là encore c’est le protocole de surveillance du consensus inter­ national (Fig. 1) qui doit être utilisé jusqu’à ce que des études prospectives de validation consacrées aux TIPMP CS asymptomatiques réalisées sur au moins15 ans de suivi chez des patients de 55 à 65 ans et sur au moins 20 ans de suivi chez les patients de moins de 55 ans , aient démontré que cette recommandation de l’AGA s’applique à tous les kystes quelle que soit leur taille, leur aspect et l’âge de découverte.

Recommandation n° 9

L’AGA suggère une surveillance du pancréas restant par IRM tous les 2 ans après chirurgie d’exérèse d’une LKP avec dysplasie de haut grade ou cancer invasif. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaires : c’est typiquement la recommandation où le flou concernant le type de LKP en cause la rend peu utilisable. Pourquoi surveiller un cystadénome mucineux opéré avec une résection R0 et aucune dégénérescence invasive ? En revanche comment ne pas s’intéresser au statut de la tranche de section d’une TIPMP opérée, car 25 % des TIPMP considérées comme confinées aux canaux secondaires sont en réalité mixtes si on se réfère au résultat anatomo-pathologique de la pièce de résection, alors qu’il n’y avait pas de signe évoquant une atteinte du CPP (diamètre < 5 mm). Là encore, ce sont les recommandations du Consensus international 2012 qui sont les plus pré­ cises et doivent être utilisées [4] : pas de dysplasie, pas de surveillance spéciale, adaptée aux lésions restantes où la taille des kystes restants est le facteur déterminant. Dysplasie légère à modérée, surveillance semestrielle ou annuelle. Dysplasie sévère ou cancer invasif, ré-intervention si cela est possible. De plus, l’absence de preuve scientifique n’exclut pas la prudence et une surveillance par IRM tous les 2 ans après avoir été opéré d’une TIPMP maligne (DHG ou cancer invasif) paraît bien légère (le scanner semestriel demeurant la base de la surveillance des cancers du pancréas invasifs opérés à visée curative en raison de sa résolution spatiale bien meilleure que celle de l’IRM), ce que reconnaissent en creux les auteurs lorsqu’ils indiquent qu’il ne serait pas choquant que les cliniciens ne suivent pas cette recommandation et utilisent une surveillance plus rapprochée dans cette situation.

Recommandation n° 10

L’AGA suggère de ne pas surveiller les kystes restants s’il n’y avait pas de DHG ou ce cancer invasif sur le pan­créas réséqué. Recommandation conditionnelle, très bas niveau de preuve.

Commentaire : les auteurs reconnaissent qu’il n’y a aucun support scientifique à cette recommandation. Ils excluent de cette recommandation les patients ayant des ATCD familiaux de cancer du pancréas et ceux ayant une TIPMP mixte (CS et CPP). La recommandation du Consensus international est une surveillance standard en l’absence d’atteinte du CPP [4].

Conclusion

Cette recommandation de l’AGA sur les Lésions Kystiques Pancréatiques asymptomatiques est très décevante, car elle n’a pas voulu se plonger précisément dans le cœur du sujet que sont les TIPMP des canaux secondaires et les cystadénomes séreux oligo-kystiques. Elle ne peut en aucun cas se substituer aux recommandations les plus pertinentes dont nous disposons actuellement : le consensus international de 2012 consacré à la prise en charge des tumeurs mucineuses.

Les Cinq points forts

  1. Devant la découverte d’une LKP, une information loyale, détaillée, précise, et bien comprise sur les risques évolutifs de la maladie et le rapport bénéfice/risque des modalités de la surveillance est indispensable avant d’inclure un patient dans un programme de surveillance.
  2. En présence de 2 des trois facteurs de risque suivants (taille > 3 cm, dilatation du CPP > 5 mm, présence d’un nodule mural), il faut proposer une EE avec prélèvement.
  3. L’apparition de l’un de ces trois signes, au cours de la surveillance, est une indication d’EE avec prélèvement.
  4. La chirurgie est recommandée en cas de dilatation du CPP associée à un nodule mural et/ou une EE avec prélèvement retrouvant une cytologie suspecte.
  5. Cette chirurgie des LKP asymptomatiques doit être réalisée dans un centre spécialisé.

Références

  1. Vege SS, Ziring B, Jain R, Moayyedi P and the Clinical Guidelines Committee of the American Gastroenterology Association. American gastroenterological association institute guideline on the diagnosis and management of asymptomatic neoplastic pancreatic cysts. Gastroenterology 2015; 148(4):819-22.
  2. Sheiman JM, Hwang JH, Moayyedi P. American Gastroenterological Association technical review on the diagnosis and management of pancreatic cysts. Gastroenterology 2015;148:824-848.
  3. Guyatt GH, Oxman AD, Vist GE, and the GRADE Working Group. GRADE: an emerging consensus on rating quality of evidence and strength of recommendations.
  4. BMJ. 2008 Apr 26;336(7650):924-6.
  5. Tanaka M, Fernandez-del Castillo C, Adsay V, et al. International consensus guidelines 2012 for the management of IPMN and MCN of the pancréas. Pancreatology 2012;12: 183-197.
  6. de Jong K, Nio CY, Dijkraaf MG, et al. High prevalence of pancreatic cyst detected by screening magnetic resonance imaging examinations. Clin Gastroenterol Hepatol 2010;8 (9):806-1