Nouveautés dans la prise en charge des complications de la cirrhose

Hypertension portale

Le traitement de la rupture de varices associe stabilisation hémodynamique, traitement vaso-actif, antibioprophy-laxie et traitement endoscopique. Le TIPS précoce est maintenant le traitement de référence chez les patients cir-rhotiques Child B avec saignement actif ou Child C < 14. Récemment, l’utilisation d’une poudre hémostatique (Hémospray) a montré son intérêt dans le traitement de l’ulcère gastroduodénal hémorragique, du saignement d’origine tumorale ou pour temporiser un saignement incontrôlable dans des situations graves. Une étude pros-pective bi-centrique égyptienne [1] a évalué l’efficacité de l’application d’Hémospray pour le contrôle de l’hémorragie digestive par rupture de varices. Au cours de la réalisation de l’endoscopie initiale permettant de vi-sualiser l’origine du saignement (varices œsophagiennes, gastriques ou ectopiques), la poudre hémostatique était administrée. Une deuxième endoscopie, avec traitement endoscopique classique, était réalisée le lendemain.

30 patients ont été inclus, le saignement était actif au moment de l’endoscopie dans 43,4 % des cas. L’application d’Hémospray a permis un arrêt du saignement chez tous les patients initialement. Un patient a présenté une réci-dive hémorragique 6 heures après l’application d’Hémospray et a été traité efficacement par ligature. Aucun décès à 30 jours ni complication n’ont été rapportés.

L’application d’Hémospray semble efficace dans le traitement en urgence de l’hémorragie par rupture de varices et pourrait servir de « bridge » avant de réaliser un traitement endoscopique spécifique en dehors de l’urgence, dans de meilleures conditions.

Il a été suggéré un rôle des statines sur l’hypertension portale par le biais d’une diminution des résistances intra-hépatiques vasculaires. En diminuant la vasoconstriction intra hépatique, les statines pourraient diminuer le risque infectieux chez les patients cirrhotiques. En s’appuyant sur ces arguments fondamentaux, une étude espagnole (Abraldes et al., non publiée) [2] s’est intéressée à l’intérêt de l’ajout de simvastatine en prophylaxie secondaire, après hémorragie digestive par rupture de varices. 158 patients ont été randomisés, en double aveugle, avec, au final, 78 patients dans le groupe placebo et 69 patients dans le groupe simvastatine. Il n’y avait pas de diminution du risque de récidive hémorragique dans le groupe simvastatine. En revanche, de manière intéressante, chez les patients Child A et B la mortalité était nettement plus faible chez les patients ayant bénéficié de la prophylaxie secondaire par statines. Les principales causes de décès liés à la maladie hépatique dans le groupe placebo étaient : récidive hémorragique (5/14), infection de liquide d’ascite (ISLA) (3/14), progression de la maladie hépa-tique (3/14), infection autre que ISLA (1/14). Dans le groupe simvastatine, un décès était lié à une récidive hémor-ragique (1/5), un autre à une infection autre que ISLA (1/5) et deux à une progression de la maladie hépatique (2/5). Il n’y avait pas de cas d’ISLA.

Les bétabloquants non cardio-sélectifs (NSBB) sont utilisés dans la prévention de la rupture de varices œsopha-giennes. Le traitement de référence pour la prévention (primaire ou secondaire) de l’hémorragie digestive par rup-ture de varices œsophagiennes est le propranolol. Le carvedilol semble plus efficace que le propranolol dans le traitement de l’hypertension portale, aux dépens d’un effet plus important sur la pression artérielle. Il peut être utilisé pour la prévention de la rupture de varices œsophagiennes, soit en 1re ligne en cas d’HTA, soit en 2e ligne en cas de non réponse hémodynamique au propranolol.

Une étude rétrospective danoise [3] a étudié l’impact sur la mortalité du carvedilol par rapport aux NSBB chez des patients cirrhotiques alcooliques non graves, en comparant un groupe de 80 patients utilisant le carvedilol avec un groupe de 240 patients sous NSBB. L’utilisation en prophylaxie primaire ou secondaire n’était pas précisée.

L’utilisation du carvédilol semblait être associée à une mortalité plus faible [HR : 0,38 (IC à 95 % 0,2-0,7)]. Les au-teurs ne précisaient pas la survenue d’effets indésirables éventuels.

Infection

Le rôle délétère de la prise d’inhibiteur de la pompe à protons (IPP) sur la survenue d’une infection du liquide d’ascite (ISLA) chez le patient cirrhotique est suggéré dans la littérature. L’hypochlorhydrie favoriserait la pullula-tion bactérienne intestinale et augmenterait la perméabilité intestinale, majorant ainsi le risque de trans-location bactérienne.

Une étude autrichienne rétrospective [4] a évalué l’impact des IPP sur le développement d’une ISLA ou d’autres infections, ainsi que sur la mortalité, dans une cohorte de 607 patients cirrhotiques. La prise d’IPP était notée chez 86 % des patients. La proportion de patients présentant une ISLA lors de la première ponction d’ascite était com-parable entre les 2 groupes : IPP (19 %) et sans IPP (17 % ; p = 0.691). La prise d’IPP n’était pas associée à une incidence plus forte d’ISLA (HR : 1,33, IC 95 % : 0,6-2,96 ; p = 0.486), ou d’autres infections (HR : 1,36, IC95 % : 0,67-2,77 ; p = 0.389). De plus, il n’y avait pas d’influence de la prise d’IPP sur la survie sans transplantation, ni dans la cohorte globale (HR : 0,973, IC à 95 % : 0,719-1,317 ; p = 0.859), ni dans les sous-groupes de patients sans ISLA (HR : 1,01, 95 %, IC : 0,72-1,42 ; p = 0.971). Les études antérieures qui ont suggéré une association entre la consommation d’IPP et l’incidence des ISLA étaient fondées sur des cohortes avec une proportion nette-ment plus faible de patients prenant des IPP. Dans cette cohorte, avec une prévalence particulièrement élevée de prise d’IPP, il n’y avait pas d’association entre la consommation d’IPP et l’augmentation du risque infectieux et de la mortalité.

Prise en charge de l’encéphalopathie : recommandations EASL/AASLD 2014

En 2014, de nouvelles recommandations de l’AASLD et de l’EASL sur la prise de l’encéphalopathie hépatique ont été publiées. L’encéphalopathie est une complication fréquente et sévère de la cirrhose. Les signes cliniques d’encéphalopathie sont variables et peuvent aller de manifestations neuro-psychiatriques variées au coma. L’encéphalopathie hépatique doit être classée selon le type de maladie sous-jacente, la gravité des manifestations (minime (MHE), Grade 1 à 4), leur évolution au cours du temps (épisodique, récurrence, persistance), et l’existence de facteurs déclenchants potentiels (tableau I).

Type Grade Evolution Spontanée ou non
A MHE Subclinique Episodique Spontanée
1
B 2 Clinique Récurrence Facteur déclenchant
C 3 Persistance
4

Tableau 1 : Description de l'encéphalopathie

Les patients présentant une encéphalopathie infra-clinique ou minime représentent au moins 50 % des patients cirrhotiques. Ce diagnostic est difficile à faire car les symptômes neuropsychologiques ne sont pas spécifiques. De nombreux tests spécifiques diagnostiques peuvent être utilisés : Portosystemic encephalopathy (PSE) syn-drome test, Critical Flicker Frequency (CFF) test, Continuous Reaction Time (CRT) test, SCAN test, Stroop test (utilisable sur smartphone). Le traitement de l’encéphalopathie infra-clinique ou minime n’est pas recommandé de manière systématique.

En cas d’épisode aigu d’encéphalopathie, le traitement repose tout d’abord sur l’éviction ou le traitement des fac-teurs précipitants (infection, diurétiques, benzodiazépines, hémorragie…) et en première intention sur l’administration de lactulose. Une étude récente qui a comparé lactulose versus polyéthylène glycol (PEG), dans le traitement de l’encéphalopathie aiguë, semble montrer une résolution plus rapide de l’épisode d’encéphalopathie chez les patients traités par PEG (Rahimi et al., JAMA 2014). La L-ornithine L aspartate (LOLA) IV (impliquée dans le métabolisme de l’ammoniac), le BCAA (branched-chain amino acids) oral, et les antibiotiques type néomycine ou métronidazole sont des thérapeutiques alternatives en cas de non réponse au traitement standard.

Après un épisode d’encéphalopathie, un traitement prophylactique secondaire par lactulose est recommandé en première intention. En cas de second épisode d’encéphalopathie, ou d’absence d’amélioration sous lactulose, l’ajout d’un traitement de seconde intention par rifaximine est recommandé [5, 6].

Thrombose porte et aggravation de la maladie hépatique

L’incidence de la thrombose de la veine porte (TVP) est élevée chez les patients atteints de cirrhose, surtout à un stade avancé, mais son influence sur l’évolution de la maladie hépatique n’est pas claire. Dans une étude de co-horte récente, 16 % des patients cirrhotiques présentaient une TVP partielle et 3 % une TVP totale. Dans 40 % des cas la TVP régressait spontanément (Nery et al., Hepatology 2014). Une étude de cohorte prospective roumaine portant sur 1 557 patients cirrhotiques a ainsi évalué l’impact de l’existence d’une thrombose de la veine porte sur la survie de ces patients [7]. 113 patients présentaient une TVP, mais seulement 32 patients ont finalement été inclus, après exclusion des patients ayant reçu un traitement anticoagulant, présentant une pathologie tumorale (y compris carcinome hépato-cellulaire), une thrombophilie ou un cavernome portal. 22 d’entre eux présentaient une TVP partielle. Ce groupe de 32 patients a été comparé à un groupe témoin constitué de 30 patients cirrhotiques, similaire en termes de sévérité de la maladie du foie. Il n’y avait pas de différence sur le taux de décompensation hépatique à 6 et 18 mois entre les patients avec TVP et contrôle (19 % vs 20 %, p = 0.821 et 54 % contre 51 %, p = 0.755), ni sur la survie à 6 et 18 mois (81,3 % vs 84,7 %, p = 0.067 et 63,1 % vs 61,7 %, p = 0.122). Dans 71 % des cas, la TVP régressait ou restait stable. En revanche, la thrombose complète de la veine porte et son extension était un facteur de décompensation hépatique et de mortalité.

Un traitement prophylactique par HBPM préventif a montré une efficacité sur la survie et le risque de décompensa-tion chez les patients CHILD 7-10 (Villa et al., Gastroenterology 2012). Il existe probablement un facteur commun qui explique à la fois l’aggravation de la cirrhose et l’apparition d’une TVP. L’intérêt d’une anticoagulation curative chez les patients présentant une TVP reste à évaluer, ainsi que ces modalités et doit être surtout réalisée chez les patients en attente de transplantation, avec une thrombose étendue à la veine mésentérique et ceux présentant des anomalies de la coagulation [8].

Hépatite C : tolérance et efficacité du traitement combiné « 3D »

La prise en charge de l’hépatite C a considérablement évolué ces derniers mois, avec l’utilisation de nouvelles thérapeutiques très efficaces : inhibiteurs de protéases (simeprevir), inhibiteurs de NS5a (daclatasvir, ombitasvir, ledipasvir) et NS5b (sofosbuvir, dasabuvir). Des traitements combinés verront le jour en 2015, notamment le traitement « 3D » comportant : ABT 450, ombitasvir, dasabuvir +/– ribavirine.

Une étude s’est intéressée à l’évolution des paramètres biologiques après traitement par « 3D » + ribavirine pen-dant 12 ou 24 semaines, chez 380 patients cirrhotiques Child A génotype 1 naïfs ou précédemment traités par interféron pégylé et ribavirine, La RVS12 était obtenue chez 92 % et 96 % des patients après respectivement 12 et 24 semaines de traitement.

À la fin du traitement, on observait une normalisation des enzymes hépatiques chez la majorité des patients, du taux de plaquettes chez 28,8 % des patients et du taux de prothrombine chez 70 % des patients traités 12 semaines et 90 % des patients traités 24 semaines [9].

L’étude randomisée de phase 3 PEARL a évalué l’efficacité et la tolérance du traitement « 3D » +/– ribavirine chez 910 patients non cirrhotiques génotype 1b déjà traités ou non et génotype 1a jamais traités. La durée de traitement était de 12 semaines. Une anémie de grade 3 a été observée chez 0,5 % des patients et grade 2 chez 5,7 % d’entre eux. Une diminution des doses de ribavirine a donc été nécessaire chez 23 patients, avec obtention d’une RVS12 chez tous les patients [10]. Ce schéma de traitement semble donc très efficace et bien toléré.

Références

  1. Ibrahim M, El-Mikkawy A, Abdalla Mostafa H, Deviere J. OP189 Management of acute variceal bleeding using hemostatic powder.
  2. Bosch J. IP497 Hepatology: what‘s new in 2014? Cirrhosis.
  3. Bang U C, Benfield T, Hyldstrup L, Beck Jensen J-E, Bendtsen F-M. P0045 Carvedilol versus non-specific beta blockers and mor-tality in alcoholic cirrhosis. A nationwide retrospective study.
  4. Mandorfer M, Bota S, Schwabl P, Bucsics T, Pfisterer N, Summereder C, Blacky A, Ferlitsch A, Sieghart W, Trauner M, Peck Ra-dosavljevic M, Reiberger T. OP112 Proton pump inhibitor intake is neither associated with the development of spontaneous bac-terial peritonitis or other infections nor with mortality in patients with cirrhosis and ascites.
  5. Ferenci P. IP498 Hepatology: what‘s new in 2014? Hepatic Encephalopathy.
  6. Sawhney R. IP261 Clinical management of liver cirrhosis: encephalopathy.
  7. Girleanu, Trifan A, Cojocariu C, Singeap AM, Stoica OC, Stanciu C OP113 Portal vein thrombosis natural course andsurvival in cirrhotic patients.
  8. Valla D-C. IP128 Liver diseases in special populations: anticoagualtion and liver disease: what is too much, where do we need more?
  9. Zeuzem S, Andreone P, Pol S, Bourlière M, Cas-Tro A, Berenguer M, Lee S, Everson G, Lovell S, Pedrosa M, Trinh R. OP041 Nor-malization of liver-related laboratory parameters in HCV genotype 1-infected patients with cirrhosis after treatment with ABT-450/R/ombitasvir, dasabuvir and ribavirin.
  10. Diago M, Andreone P, Forton D, Reesink H, Rustgi V, Bernstein D, Sepe T, Vierling J, King W, Hu Y, Enejosa J, Cohen D, Luo Y, Pedrosa M, Ferenci P. OP046 Management of haemoglobin decrease in patients treated with ABT-450/ritonavir/ombitasvir and dasabuvir with or without ribavirin in HCV genotype 1-infected patients.