Complications anales durant la grossesse et le post-partum : 1re partie – Incontinence anale

Objectifs pédagogiques

  • Épidémiologie des complications, classification par ordre de fréquence
  • Peut-on les prévenir ?
  • Principes thérapeutiques en post-partum et en cas d’allaitement
  • Traitement médical des principales complications
  • Place de la chirurgie proctologique en post-partum ?

Introduction

Alors que le risque d’incontinence urinaire après un accouchement est connu et systématiquement recherché depuis des décennies, l’incontinence anale est toujours taboue et encore peu prise en charge alors qu’il a été identifié depuis plus de vingt ans [1]. Le contexte est en pratique difficile car il s’agit de femmes jeunes dont l’activité sociale et professionnelle peut être altérée par ces troubles fonctionnels. Le retentissement psychique est dominé par un sentiment de handicap dégradant, honteux et non avouable. Ce tabou est responsable d’une absence de verbalisation des patientes qui n’osent en parler que si on leur pose clairement la question. Or, la pratique nous montre que, souvent, les médecins aussi n’osent pas aborder ce problème. C’est l’objectif de cette présentation de définir les patientes à risque qui doivent avoir un dépistage et une prise en charge en général très simple en première intention.

L’identification des facteurs de risque de traumatismes du périnée peuvent laisser espérer une action en amont afin de diminuer le risque d’incontinence anale après les accouchements et surtout à distance chez les femmes plus âgées.

Nous n’aborderons pas les exceptionnelles complications de type prolapsus rectaux ou rectocèles qui surviennent plus tardivement chez les femmes.

Épidémiologie

Incidence de l’incontinence après un accouchement

Après un premier accouchement, 13 % des femmes ont une incontinence anale de novo [1-3]. Il s’agit le plus souvent de fuites de gaz avec un retentissement qui peut être très invalidant dans la vie professionnelle, lors des loisirs ou des relations intimes. Dans 1 à 2 % des cas, il s’agit de pertes de selles [1-3], avec un retentissement encore plus important sur la qualité de vie. Ce pourcentage est à rapporter aux 700 000 accouchements par an en France. Ces patientes ont par ailleurs, souvent une incontinence urinaire associée avec 3,5 % de femmes ayant cette double peine [4].

Évolution en fonction de la parité

L’étude princeps du St Mark’s Hospital [1] avait analysé prospectivement une cohorte de 79 primipares et de 48 multipares ayant accouché par voie vaginale. Les primipares et les multipares avaient développé une incontinence de novo dans respectivement 13 et 6 % des cas. Le premier accouchement avait alors été considéré comme étant le plus traumatisant pour le périnée.

Puis, deux autres séries prospectives [2, 5], avec dans chacune 59 secondipares accouchant par voie vaginale, ont ensuite démontré qu’un deuxième accouchement pouvait également provoquer une incontinence anale de novo avec la même incidence qu’après le premier.

Les facteurs de risques d’un nouveau traumatisme du périnée, lorsque le premier accouchement a occasionné une déchirure du périnée, ont été analysés sur une cohorte danoise. Chez 159 446 femmes, 7 336 (4,6 %) ont présenté une déchirure du périnée lors de leur premier accouchement et 521 (7,1 %) ont récidivé lors du deuxième. Après analyse multivariée, les facteurs de risques de nouvelle déchirure du périnée étaient : le poids du bébé (OR = 2,94 ; 95 % CI 2,31-3,75 par kg augmenté), l’utilisation de ventouse (OR = 2,96 ; 95 % CI 2,03-4,31), une dystocie des épaules (OR = 1,98 ; 95 % CI 1,11-3,54), la durée d’accouchement (OR = 1,08 par année ; 95 % CI 1,02-1,15), l’année de 2e accouchement (OR = 1,06 ; 95 % CI 1,03-1,09) et le premier accouchement avec déchirure du périnée très sévère (stade 4) (OR = 1,72 ; 95 % CI 1,28-2,29) [6]. Par contre, les accouchements ultérieurs semblent moins pourvoyeurs d’incontinence anale du post-partum [2].

Évolution de la continence en fonction du temps

Il n’existe pas d’étude prospective sur 20 à 30 ans pour répondre précisément à cette question sur le long terme. L’expérience clinique et les quelques études rétrospectives qui ont analysé le devenir de l’incontinence anale du post-partum semblent montrer qu’elle diminue en fréquence et en intensité durant les mois qui suivent l’accouchement. Mais il est probable que les accouchements traumatiques successifs provoquent des lésions qui deviennent irréversibles et vont être en partie responsables d’une incontinence anale chez la femme plus âgée.

Ainsi, dans une étude de cohorte [7], 48 femmes ayant présenté une déchirure du périnée stade 3 ou 4 (stade 3 = rupture du sphincter externe reconnue par l’obstétricien ; stade 4 = rupture du sphincter externe et de la muqueuse anale reconnue par l’obstétricien) ont été interrogées sur leur continence anale un mois puis un an après leur accouchement. À un mois, 10 femmes (21 %) souffraient d’incontinence anale (dont 8 pour les gaz). À un an, il n’était plus observé d’incontinence fécale et 3 patientes (7 %) rapportaient une incontinence aux gaz. Cette incontinence semble persister d’autant plus fréquemment au-delà d’un an qu’elle est associée à une incontinence urinaire ou qu’elle apparaît après un nombre d’accouchements répété [8].

Cinq à 10 ans après une déchirure du périnée, le risque d’IA est multiplié par 2,32 (95 % CI 1,27-4,26) avec 19 % d’IA sévère et 9 % qui doivent se protéger [9]. À plus long terme, une incontinence anale avec fuite dans les sous-vêtements était observée chez 12 parturientes sur 41 (29 %) qui avaient présenté une déchirure du périnée 20 ans auparavant, contre une seule chez les 38 parturientes (3 %) avec accouchement non compliqué [10].

Physiopathologie

Les mécanismes responsables de l’incontinence anale du post-partum sont multiples. Deux prédominent : les ruptures des sphincters de l’anus et les lésions du nerf pudendal (qui commande les sphincters striés, externe et la sangle pubo-rectale).

Lésions neurologiques

Le nerf pudendal est sensitivo-moteur, bilatéral et issu des racines sacrées S2, S3 et S4. Snooks et al. [11] ont montré en 1984 qu’il peut être étiré durant les efforts de poussée de la parturiente. En effet, les femmes accouchant par voie vaginale avaient un allongement du temps de latence du nerf significativement plus important que celles qui accouchaient par césarienne ou qu’une population contrôle n’ayant pas accouché. Les résultats étaient identiques dans le groupe contrôle et les césarisées. Ces lésions du nerf pudendal étaient prédominantes à gauche et associées à une baisse de la contraction volontaire. Deux mois après l’accouchement, il n’existait plus de différence du temps de latence du nerf pudendal entre les patientes qui avaient accouché par voie vaginale et la population témoin ou les césarisées. Par contre 5 ans après leur accouchement, ce temps de latence était de nouveau significativement plus élevé par rapport à une population contrôle de nullipares. Cette lésion du nerf pudendal était de nouveau associée à une baisse de la contraction volontaire [12]. Deux autres séries [5, 13] ont montré que, lors des 2 ou 3 premiers accouchements, les lésions du nerf pudendal étaient cumulatives. Il semble donc que, malgré la régression des lésions de ce nerf après le premier accouchement, les accouchements successifs provoquent des dommages cumulatifs responsables d’une baisse de la contraction sphinctérienne au long court.

Lésions musculaires

Trois muscles permettent d’avoir une continence normale. La sangle pubo-rectale qui est un muscle strié et forme l’angle ano-rectal de 90° lorsqu’il est contracté en-dehors de la défécation. Elle n’est qu’exceptionnellement lésée après un accouchement, sauf en cas d’épisiotomie trop profonde (Fig. 1). Les deux autres sont les sphincters interne et externe (Fig. 2). Les déchirures du périnée stade 3 et 4, qui par définition touchent le sphincter externe, sont pourvoyeuses d’incontinence anale malgré la réparation périnéale effectuée par l’obstétricien immédiatement après l’accouchement [14]. L’IA est alors proportionnelle à l’importance de la déchirure périnéale [15]. La qualité de la réparation est bien sûr essentielle, dans un contexte difficile car cette chirurgie est réalisée en urgence sur un tissu dilacéré, œdématié et hémorragique.

17_Abramowitz_1

Figure 1. Vue échographique
d’une rupture de la branche gauche
de la sangle pubo-rectale

17_Abramowitz_2

Figure 2. Vue échographique normale
des sphincters internes et externes de
l’anus. Le sphincter interne correspond
à l’anneau hypo-échogène (noir)
et le sphincter externe
est hyper-échogène (blanc)

Il faut aussi signaler la méconnaissance possible de ruptures sphinctériennes profondes. Ainsi, il y a 20 ans l’équipe du St Marks Hospital [1], en réalisant une échographie endo-anale avant et après l’accouchement, avait montré que les sphincters de l’anus pouvaient être rompus (Fig. 3 et Fig. 4), même si l’obstétricien n’avait pas mis en évidence de déchirure du périnée. Plus récemment, des parturientes ont systématiquement été examinées par leur sage-femme et leur obstétricien après l’accouchement puis une deuxième fois par un obstétricien senior en salle de travail. Les sages-femmes avaient à tort éliminé le diagnostic de déchirure sphinctérienne dans 87 % des cas (26/30) et les obstétriciens dans 28 % des cas (8/29) [16].

17_Abramowitz_3

Figure 3. Vue échographique d’une
rupture du sphincter externe dans
le cadran antéro-droit (flèche blanche)

17_Abramowitz_4

Figure 4. Vue échographique d’une
double rupture antérieure médiane
des sphincters externe (flèche pleine)
et interne (flèche en pointillé)

Le sphincter externe est plus souvent touché que l’interne [2, 17-18], il est alors lésé dans le quadrant antéro-droite dans 75 % des cas [2].

Chez ces femmes jeunes, 25 à 50 % [1-3] des ruptures sphinctériennes diagnostiquées lors d’une échographie endo-anale après l’accouchement sont associées à une incontinence anale du post-partum. La majorité des patientes qui ont ainsi cette rupture sphinctérienne ne souffrent pas immédiatement d’incontinence anale mais ont fragilisé leur capital périnéal.

D’autres mécanismes ?

Une nouvelle approche avec une échographie 3D endo-vaginale et trans-périnéale a permis de montrer que le volume du canal anal s’accroît de 20 % et sa longueur s’allonge de 3 mm entre le début et la fin de la grossesse. Trois mois après l’accouchement, ces modifications disparaissent [19]. Les auteurs attribuent ces augmentations à des modifications de la muqueuse anale qui a pu être évaluée grâce à l’abord endo-vaginal. Or, cet accroissement était moins important chez les femmes qui développent une incontinence anale après l’accouchement. Ces auteurs pointent également le rôle potentiel d’une évolution de l’angle ano-rectal par les modifications physiologiques survenant sur la sangle pubo-rectale durant la grossesse [19].

Facteurs de risques

Ce handicap touche toutes les populations [20] sans facteur ethnique identifié. Les facteurs de risque spécifiques de lésion du nerf pudendal, des sphincters anaux ou d’IA du post-partum -diffèrent parfois ; beaucoup sont communs et sont à rechercher systématiquement dans tout bilan d’incontinence anale.

Facteurs de risque de lésion du nerf pudendal

L’utilisation de forceps est sans doute le principal pourvoyeur de lésion de ce nerf [11]. Il semble également que le premier accouchement soit le plus traumatisant [11-13]. Un bébé de plus de 4 kg et une durée d’expulsion prolongée (> 30 min) semblent également des facteurs favorisants [21].

Facteurs de risque de lésion des sphincters de l’anus

Même s’ils sont parfois indispensables, les forceps sont, ici aussi, les principaux facteurs favorisants de lésions des sphincters anaux, avec une rupture qui est mise en évidence (lorsqu’elle est recherchée systématiquement par échographie endo-anale) dans 63 à 80 % des cas [1-2, 22] après leur utilisation (risque relatif compris entre 8 et 12 selon les séries). L’expérience de l’opérateur joue un rôle prépondérant avec une moindre nocivité de ces instruments lorsqu’ils sont utilisés par des obstétriciens expérimentés. Le taux de rupture sphinctérienne n’était ainsi que de 12 % dans une équipe d’obstétriciens seniors [23].

En cas de déchirures du périnée stade 3 ou 4, il persiste une rupture sphinctérienne dans 40 à 100 % des cas [2, 24-26] si on la recherche par une échographie endo-anale systématique (Fig 5), alors que le sphincter externe a été suturé en fin d’accouchement. Cette persistance d’une rupture échographique est fortement liée au risque d’IA à long terme après l’accouchement [27, 28]. Nous avons par ailleurs observé [2] que les déchirures du périnée cotées stade 1 ou 2 par l’obstétricien (respectant donc en théorie le sphincter) étaient souvent associées à une rupture sphinctérienne ignorée (stade 1 : 9 ruptures sphinctériennes chez 48 parturientes et stade 2 : 4 ruptures sphinctériennes chez 4 parturientes).

17_Abramowitz_5Figure 5. À gauche : cicatrice de rupture du périnée stade 3 en Y inversé.
À droite : vue échographique de l’anus de la patiente avec une rupture
du sphincter externe dans le cadran antéro-droit (flèche blanche)

Le rôle de l’épisiotomie est sujet à controverse probablement à cause des son absence de standardisation. Il est clair que l’épisiotomie médiane (anglo-saxonne) ne préserve pas le périnée alors qu’il est probable que l’épisiotomie médio-latérale, telle qu’elle est réalisée en France, doit être utile pour éviter une ou des déchirures périnéales non contrôlées et très difficilement réparables complètement.

La parité joue également un rôle. Le premier accouchement semble le plus traumatique [1, 24], mais l’on s’est ensuite rendu compte que le deuxième pouvait l’être tout autant [2, 5].

Les modalités d’accouchement telles que la durée d’expulsion dépassant une heure ou une péridurale pourraient favoriser la survenue d’une rupture sphinctérienne (OR (95 % IC) avec un risque de respectivement 1,7 (1,14-2,48) et 7,7 (4-14,7)) [22].

Enfin, l’hérédité semble aussi jouer un rôle avec un risque multiplié par 2 pour les filles de femmes ayant eu une déchirure du périnée [29].

Facteurs de risque d’incontinence anale dans le post-partum

Une déchirure du périnée [2, 28] et une rupture sphinctérienne diagnostiquée en échographie [2, 3] sont logiquement des facteurs de risque indépendants d’incontinence anale dans le post-partum et à long terme [9, 15, 30]. Ce risque est ainsi multiplié par 2 [9] à 4 [31] avec une augmentation de ce risque qui est proportionnelle à la gravité de la déchirure du périnée [15]. Six ans après une déchirure du périnée, 10 % des femmes avaient une incontinence fécale alors que seulement 3 % (p < 0,01) en souffraient en l’absence de déchirure [15].

De nouveau, le forceps joue un rôle prépondérant puisqu’il est observé 4 à 7 fois plus d’incontinence anale du post-partum après leur utilisation [2, 22].

L’épisiotomie médiane, encore réalisée dans certains pays anglo-saxons, augmente également de 5,5 fois le risque d’incontinence anale. Il a même été démontré qu’une déchirure du périnée provoquait trois fois moins d’incontinences anales qu’une épisiotomie médiane [32]. Le rôle de l’épisiotomie médio-latérale est moins univoque. Il est probable qu’une épisiotomie non systématique, réalisée à bon escient (au moment où la tête du bébé est engagée, le périnée devient tellement ischémié qu’il va se rompre sans aucun contrôle), transforme une déchirure du périnée inéluctable en une plaie contrôlée et dirigée épargnant le sphincter externe [2].

Il semble également qu’une durée d’expulsion [22] ou de travail [2] prolongée et la péridurale (en prolongeant la durée d’expulsion) [22] puissent favoriser l’IA après l’accouchement.

L’obésité est un facteur diversement apprécié puisqu’il est associé à une diminution de risque d’incontinence anale après l’accouchement pour certains ou favorisant pour d’autres.

Enfin, une incontinence anale transitoire dans le post-partum est un facteur prédictif de récidive après l’accouchement suivant [5, 14].

En pratique, les 2 principaux facteurs de risque d’IA à rechercher après un accouchement sont les forceps et une déchirure du périnée.

Comment explorer et traiter une incontinence anale du post-partum ?

Nous l’avons vu, l’incontinence anale du post-partum régresse le plus souvent durant les mois qui suivent -l’accouchement. Cette amélioration symptomatique s’effectue soit spontanément, soit aidée par les 10 séances de rééducation du périnée [33], remboursées par la sécurité sociale en France et habituellement prescrites par l’obstétricien dans le post-partum. Elle permet de renforcer l’ensemble du périnée (antérieur, médian et postérieur). Mais elle est rarement mise en pratique par défaut de prescription, ou de réalisation par la parturiente qui est souvent très occupée au moment où elle devrait être réalisée c’est-à-dire, 2 à 3 mois après l’accouchement (reprise du travail, bébé à s’occuper…).

En cas de persistance de fuites anales au-delà de 6 mois, une prise en charge spécifique est nécessaire. Le bilan de première ligne est exclusivement clinique [33, 34], mais complet : interrogatoire (éléments du Wexner (Tableau I), antécédents…), inspection de la marge anale (disparition des plis radiés de l’anus, béance anale, cicatrice du périnée…), toucher rectal (évaluation du tonus et de la contraction volontaire, recherche d’une rectocèle…), anuscopie (pathologie canalaire associée) et rectoscopie (lésions rectales, stase fécale et type de selles…), sans oublier l’examen du périnée moyen (colpocèle…) et antérieur (fuites d’urines, cystocèle…). La prise en charge consiste à associer une rééducation spécifique de l’anus de type biofeedback à une régulation du transit [34]. La rééducation doit être réalisée par un rééducateur (kinésithérapeute, médical, sage-femme ou infirmier) motivé et spécialement formé à ce type de prise en charge. Il semble qu’il faille privilégier les -techniques de biofeedback plutôt que l’électrostimulation [35], même si les opérateurs spécialisés dans ce domaine associent souvent plusieurs techniques en fonction des patientes. Ce type de rééducation a récemment démontré son efficacité dans une étude randomisée multicentrique coordonnée par des Lyonnais [36]. Certains réalisent une manométrie anorectale pour guider la rééducation. Outre le renforcement de l’anus, la régulation du transit est essentielle. Il s’agit de traiter une diarrhée ou le plus souvent d’assurer une vidange rectale régulière et efficace [34].

Tableau I. Score de Jorge et Wexner

Fréquence
des pertes
Jamais < 1/mois < 1/sem
et  >= 1/mois
< 1/jour
et   >=1/sem
>=1/jour
Solide 0 1 2 3 4
Liquide 0 1 2 3 4
Gaz 0 1 2 3 4
Protection 0 1 2 3 4
Altération
de la qualité de vie
0 1 2 3 4

Dans la très grande majorité des cas, cette première ligne suffit chez ces jeunes femmes. En cas de persistance de symptômes invalidants, des explorations peuvent se discuter pour orienter la suite de la prise en charge [34] :

  • la manométrie anorectale peut être utile en cas de doute sur un asynchronisme (contraction paradoxale du sphincter externe ou de la sangle pubo-rectale lors de la défécation) qui pourra bénéficier d’une rééducation spécifique ;
  • une échographie endo-anale permet d’identifier, localiser et quantifier une rupture sphinctérienne externe qui pourrait bénéficier d’une réparation chirurgicale (sphinctérorraphie) ;
  • une colpocystodéfécographie avec opacification du grêle ou une IRM dynamique peut être utile en cas d’anomalies de plusieurs étages du périnée à l’examen clinique (rectocèle profonde avec manœuvres défécatoires endo-vaginales ± associée à une cystocèle compétitive…), dont la cure chirurgicale pourrait traiter la patiente (incontinence anale par regorgement secondaire à une stase de matières rectales) ;
  • les explorations électrophysiologiques du périnée ne semblent pas utiles en dehors d’études cliniques car elles ne permettent pas d’orienter la décision thérapeutique.

En dehors d’anomalies anatomiques du périnée, exceptionnelles chez une jeune femme, la discussion s’effectue en réunion multidisciplinaire de périnéologie souvent entre une sphincterroraphie et une neuromodulation des racines sacrée. La réparation donne de bons résultats à court et moyen termes mais qui s’altèrent très nettement avec le temps [37]. La neuromodulation a été évaluée chez 8 patientes souffrant d’IA du post-partum avec rupture sphinctérienne qui devait être opérée. Six ont été améliorées avec une diminution du nombre de pertes fécales passant de 5,5 (4,5-18) à 1,5 (0-5,5) après un suivi médian de 26,5 mois [6-40] [38], les alternatives pouvant être le TENS (stimulation rétro-tibiale) ou les lavements de PERISTEEN qui n’ont pas été évalués spécifiquement dans le post-partum.

Prévention

Dans un service hospitalier d’obstétrique et de périnéologie de Dublin (Irlande), 11 % des patientes consultent pour avis concernant les modalités d’un 2e accouchement après un premier traumatique [39]. Dans notre structure, l’essentiel des demandes d’échographies endo-anales proviennent des maternités pour avis sur le mode d’accouchement.

Cette prévention doit d’abord être primaire. En effet, parmi les 574 175 accouchements du registre des accouchements de Norvège, Suède, Danemark et Finlande, ce dernier pays était celui ayant un nombre très significativement moindre de déchirure du périnée (0,7 à 1 % versus 4,2 à 2,3 %) alors qu’il était le seul à avoir mis en place un programme de formation sur cette thématique auprès des accoucheurs. Dans cette même étude, l’instauration de ce programme spécifique de formation a significativement fait chuter le taux de déchirure de 4,1 à 2,3 % en Norvège. [40]. Outre la formation des accoucheurs pour acquérir une bonne technique de l’accouchement (formation sur mannequin ou logiciels dédiés, meilleur connaissance de l’anatomie du périnée…), les principaux facteurs traumatisants sur lesquels nous pouvons aussi agir sont les forceps et l’épisiotomie trop médiane. Les forceps ont leurs indications mais il est parfois possible de les remplacer par des ventouses qui ont montré leur moindre nocivité vis-à-vis du périnée [1, 41]. Nous observons d’ailleurs, en France, une large diffusion de cet outil dans les salles de naissance alors qu’il était très peu diffusé il y a 15 ans. Par ailleurs, l’épisiotomie médio-latérale est encore un sujet très polémique au sein de la collectivité obstétricale française. Ce débat reste en partie très dogmatique car ce geste est peu standardisable quant à la manière et le moment où il est réalisé durant l’accouchement. Cependant, un peu trivialement et surtout de façon pragmatique, nous pensons que lorsqu’un bébé n’arrive pas à sortir, il vaut probablement mieux un élargissement dirigé du vagin par une épisiotomie « bien faite » plutôt qu’une déchirure incontrôlée du périnée.

Cette prévention est également secondaire avec un questionnement sur le mode d’accouchement à conseiller lorsqu’une parturiente a subi un potentiel traumatisme du périnée : durant un accouchement préalable, lors d’une chirurgie ano-rectale…

Dans ce cas de figure, la césarienne programmée est maintenant discutée car ce mode d’accouchement est celui qui préserve le plus le périnée [1-2, 11], avec une morbidité qui a largement chuté. Elle est globalement évaluée à 2,6 % (augmentation modérée du risque de mort fœtale in utero, placentation pathologique, infertilité, phlébite, embolie pulmonaire…). Ce risque est alors mis en balance avec celui de la voie basse. Des auteurs ont calculé qu’il faudrait 2,3 césariennes pour éviter un cas d’incontinence anale et qu’à l’inverse le risque relatif de décès maternel était de 2,6 avec une césarienne programmée [42]. Cette étude illustre le dilemme qui existe entre la césarienne programmée avec des complications potentiellement graves mais rares et l’accouchement par voie basse avec une complication assez fréquente (l’incontinence) mais ne mettant pas en jeu le pronostic vital. Le seul moyen de trancher serait une étude randomisée qui est actuellement en cours dans notre centre et 5 maternités parisiennes.

Cependant, avec les données dont nous disposons, la césarienne est actuellement discutée pour un premier accouchement, en cas d’IA préexistante et d’antécédent de fistulotomie, sphinctérotomie, lésions anales sévères de Crohn, anastomoses iléo/colo-anales, malformation ano-rectale.

Pour un deuxième accouchement, nous avons vu que l’incidence de l’IA de novo était identique après le 2e et le 1er [2-5]. Les principaux facteurs de risque devant faire discuter une -césarienne sont alors une rupture sphinctérienne et un antécédent d’incontinence anale transitoire après le 1er accouchement [5]. Pour les autres accouchements, le risque de nouvelle rupture de novo est beaucoup plus faible mais une incontinence peut survenir par altération du nerf pudendal.

En pratique clinique, les deux principaux éléments à rechercher pour discuter une indication proctologique de césarienne sont :

  • une incontinence anale, afin d’éviter d’aggraver cette invalidité, chez une femme jeune, que l’on sait difficilement soigner à l’heure actuelle ;
  • une rupture sphinctérienne par échographie endo-anale qui est alors souvent demandée en début de 3e trimestre d’une 2e grossesse. Une rupture significative et indiscutable fait actuellement pencher la balance vers un accouchement par césarienne.

En l’absence de guidelines EBM, il est nécessaire d’informer les parturientes appartenant aux populations à risque (Tableau II), des dangers potentiels d’incontinence anale après un accouchement par voie vaginale mais aussi de ceux liés à une césarienne programmée afin qu’elles puissent prendre part à la décision sur leur propre accouchement.

Tableau II. Parturientes chez qui l’on doit discuter
un accouchement par césarienne pour préserver l’anus

•   Antécédent de chirurgie colo proctologique (pour incontinence anale, malformation anorectale, anastomose iléo anale ou iléo rectale, fistulotomie, sphinctérotomie…)
•   Antécédent de lésion ano périnéale sévère de maladie de Crohn.
•  Incontinence anale avérée.
•  Antécédent de pathologie neurologique touchant le périnée.
•  Secondipare avec :

 

  • premier accouchement traumatique (forceps associés à une rupture sphinctérienne (diagnostiquée par écho anale), déchirure du périnée (  stade 2), incontinence anale transitoire du post partum) ;
  • rupture sphinctérienne significative à l’échographie endo anale.
•   Demande d’une parturiente ayant eu un premier accouchement traumatique et informée
des risques et bénéfices des différentes modalités d’accouchement.

Conclusions sur l’IA du post-partum

L’incontinence anale du post-partum touche un dixième des parturientes. Elle est le plus souvent secondaire à une rupture sphinctérienne et/ou à une lésion du nerf pudendal. Celles-ci régressent le plus souvent avec le temps mais des accouchements difficiles répétés sont l’une des principales causes d’incontinence anale de la femme d’âge mûr. Les facteurs favorisant sont les déchirures du périnée, les forceps et les épisiotomies médianes. En cas d’incontinence anale persistante 6 mois après l’accouchement, une prise en charge spécialisée est nécessaire. Dans le cadre d’une prévention primaire et le plus souvent secondaire il est parfois légitime de discuter un accouchement par césarienne programmée pour préserver l’anus.

Les Cinq points forts

  1. L’accouchement est l’un des facteurs majeurs d’incontinence anale.
  2. Les principaux facteurs de risque d’incontinence anale sont la déchirure du périnée et les forceps.
  3. Une césarienne est parfois programmée pour diminuer le risque d’incontinence anale.
  4. Un tiers des parturientes souffre de fissure anale ou de thrombose hémorroïdaire externe.
  5. Le traitement de la dyschésie est une priorité pour les prévenir.