Le syndrome hépatorénal

Objectifs pédagogiques

  • Critères diagnostiques et pronostic des deux types du syndrome hépatorénal (SHR)
  • Traitement du SHR
  • Connaître les moyens de prévention du SHR

Le syndrome hépatorénal (SHR) est une insuffisance rénale fonctionnelle qui complique la cirrhose décompensée [1, 2]. L’insuffisance rénale est fonctionnelle (au moins en début d’évolution) c’est-à-dire sans lésions cellulaires rénales. Il existe deux formes de SHR : une forme aiguë très rapidement évolutive dont le pronostic est très sévère, c’est le SHR de type 1 ; une forme chronique d’installation progressive et de meilleur pronostic que la forme aiguë, c’est le SHR de type 2 [3, 4]. Néanmoins, les deux types de SHR partagent une physiopathologie très voisine et de nombreux critères diagnostiques. Ce chapitre est consacré au SHR, sa physiopathologie, son diagnostic, son pronostic, son traitement et sa prévention.

Physiopathologie

La vasodilatation artériolaire splanchnique joue un rôle crucial dans le développement du SHR [1, 5]. Chez les malades atteints de cirrhose avec une hypertension portale, dans la paroi des artérioles splanchniques, il existe une stimulation de la production de substances vasorelaxantes telles que le monoxyde d’azote (NO) [6, 7] conduisant à une vasodilatation artérielle splanchnique. Lorsque la maladie du foie s’aggrave, la vasodilatation splanchnique s’accentue et une hypercinésie circulatoire systémique se développe, caractérisée par un débit cardiaque élevé et une résistance vasculaire systémique abaissée [8]. Il faut noter que la diminution du tonus artériel splanchnique joue un rôle crucial dans le développement de la vasodilatation systémique [8]. Les conséquences de la vasodilatation systémique sont une diminution du volume artériel efficace et de la pression artérielle [8]. L’hypotension artérielle résulte en une activation des baro­récepteurs artériels, la stimulation réflexe des systèmes rénine-angiotensine aldostérone et nerveux sympathique, une rétention rénale hydro-sodée (dans les tubules proximaux et distaux) et la formation d’ascite [9]. S’y associe une stimulation réflexe de la sécrétion hypophysaire de la sécrétion d’arginine-vasopressine ; cette hormone est livrée aux tubes collecteurs rénaux où elle active ses récepteurs V2 pour causer ainsi une rétention d’eau libre [10]. Au stade de la cirrhose « décompensée avancée », le maintien de la pression artérielle dépend de l’action vasoconstrictrice des vasopresseurs endogènes, c’est-à-dire de l’angiotensine II, la noradrénaline et l’arginine-vasopressine [10]. Puisque la circulation artérielle splanchnique est hyporéactive à l’effet vasoconstricteur de ces vasopresseurs en raison d’une surproduction locale de vasorelaxants [6], le maintien de la pression artérielle est dû à une vasoconstriction dans les territoires vasculaires extrasplanchniques incluant les reins, les membres et le cerveau [8].

Le SHR est une complication de la cirrhose avancée, en fin d’évolution avec une détérioration extrême de la volémie efficace et une hypotension artérielle marquée [10, 11]. Dans ce syndrome, l’hyperactivité neuro-humorale est très intense, conduisant à une vasoconstriction artériolaire rénale préglomérulaire marquée et à une diminution du débit sanguin rénal. De plus, les malades ont une pression de perfusion rénale très basse due à la conjonction d’une pression artérielle basse et d’une pression veineuse rénale élevée (en raison de l’accumulation de l’ascite). La combinaison de toutes ces altérations hémodynamiques cause une réduction marquée du débit de filtration glomérulaire et une insuffisance rénale.

Les résultats d’études récentes suggèrent que des mécanismes autres que la vasodilatation artérielle splanchnique sont impliqués dans le développement du SHR [5, 12]. En effet, le développement de ce syndrome s’est révélé être associé à une diminution significative des pressions cardio-pulmonaires. Puisque la diminution de ces pressions est connue pour stimuler les barorécepteurs cardio-pulmonaires et ainsi activer les systèmes neuro-humoraux vasoconstricteurs, les réductions des pressions cardio-pulmonaires pourraient contribuer à la vasoconstriction rénale des malades atteints de SHR. Enfin, il a été montré qu’au moment de l’installation du SHR, le débit cardiaque est un peu moins élevé que ne le voudrait la sévérité de la cirrhose et ainsi contribue à l’hypovolémie efficace. Cette diminution relative du débit cardiaque serait dû à une réduction du retour veineux (dont le mécanisme est mal compris) et/ou d’une augmentation insuffisante de la fréquence cardiaque.

L’ensemble de ces données indique que le développement du SHR est en relation avec une détérioration de l’hémodynamique splanchnique et systémique. Cette détérioration peut être spontanée (comme dans le SHR de type 2 et certains cas de type 1) mais dans certains cas de SHR de type 1 elle peut être précipitée par infection bactérienne (le plus souvent une infection spontanée du liquide d’ascite) sans choc, une hémorragie digestive sans choc ou une hépatite alcoolique sévère [10, 11, 13]. Dans l’infection spontanée du liquide d’ascite ou l’hémorragie digestive, le SHR se développe alors que l’infection ou l’hémorragique sont sous contrôle du traitement approprié. Il a clairement été montré que, chez les malades atteints d’infection du liquide d’ascite traités par le céfotaxime (antibiotique de référence), les malades qui développaient le SHR étaient ceux qui avaient la réponse inflammatoire systémique la plus marquée [11].

Diagnostic

Chez les malades atteints de cirrhose, les causes d’insuffisance rénale aiguësont très nombreuses [2] et il peut être difficile de faire le diagnostic de SHR. Pour cette raison, l’« International Ascites Club » (IAC) a proposé des critères diagnostiques dits majeurs de diagnostic du SHR [3, 4]. Ces critères sont les suivants :

  • existence d’une cirrhose décompensée ;
  • pour les deux types de SHR : créatinine sérique au-dessus de 133 mmol/L (1,5 mg/dL) ; pour le type 1 il existe un critère supplémentaire qui est le doublement de la concentration de créatinine sérique en moins de 2 semaines pour atteindre une valeur de 221 mmol/L (2,5 mg/dL) ;
  • absence d’amélioration de la créatinine sérique (définie par une diminution au-dessous de 133 mmol/L (1,5 mg/dL, ou plus bas) après au moins deux jours d’arrêt du traitement diurétique et un remplissage vasculaire avec de l’albumine intraveineuse (solution à 20 %, 1 g/kg par jour jusqu’à 100 g/jour) ;
  • absence d’état de choc ;
  • absence de traitement néphrotoxique en cours ou récent ;
  • absence de maladie parenchymateuse rénale (la présence de celle-ci étant indiquée par une protéinurie > 0,5 g/jour, une hématurie microscopique et/ou une échographie rénale anormale).

Il faut noter cependant que le diagnostic de SHR de type 1 peut être fait avant que la créatininémie n’atteigne la valeur de 221 mmol/L. Un SHR de type 1 « débutant » est associé à des valeurs de créatininémie allant de 133 mmol/L à 168 mmol/L (1,9 mg/dL) [14]. Un SHR de type 1 « établi » est associé à des valeurs de créatininémie ≥ 177 mmol/L (2 mg/dL) [14]. Il est dommage que l’IAC n’ait pas proposé d’utiliser les altérations du sédiment urinaire, de la concentration de sodium et de l’osmolalité qui sont pourtant très utiles pour le diagnostic d’insuffisance rénale aiguë, notamment pour différencier une cause fonctionnelle de la nécrose tubulaire aiguë [1]. Il est vrai que des cas de SHR à « natriurie conservée » ont été décrits [1] et que l’étude du sédiment urinaire et la mesure de l’osmolalité urinaire ne sont pas disponibles à toute heure dans tous les hôpitaux. Par ailleurs, les critères d’absence de maladie parenchymateuse rénale proposés par l’IAC manquent de spécificité. Une étude récente, utilisant la biopsie rénale par voie transjugulaire, a montré que des malades atteints de cirrhose, avec des critères cliniques de SHR de type 2, pouvaient avoir des lésions tubulaires aiguës (d’ailleurs souvent associées à des lésions tubulo-interstitielles chroniques, vasculaires et des lésions glomérulaires méconnues) [15].

L’existence de ces limites souligne l’importance de développer des biomarqueurs nouveaux, en particulier des lésions tubulaires d’origine ischémique. Ce domaine fait actuellement l’objet de nombreuses recherches, étudiant la valeur de protéines telles que « neutrophil gelatinase-associated lipocalin » (également connue sous le nom de NGAL), « kidney injury molecule 1 » (KIM-1), interleukine 18.

Pronostic du SHR non traité

SHR de type 1

Comme toute insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, le SHR de type 1 est un état préischémique [1]. En l’absence de traitement ou en raison de son retard, le SHR peut progresser vers la nécrose tubulaire aiguë ischémique qui est de très mauvais pronostic dans le cadre de la cirrhose décompensée. Le pronostic du SHR de type 1 non traité est très mauvais : la médiane de survie est inférieure à deux semaines et la probabilité de survie à un mois est de 25 % [16, 17].

Le SHR de type 1, associé ou non à d’autres défaillances d’organes, est maintenant considéré comme un aspect d’un syndrome plus large appelé « acute-on-chronic liver failure » (ACLF) qui est distinct de la simple décompensation de la cirrhose [14]. Au moment du diagnostic de SHR de type 1, les malades atteints de SHR peuvent être classés en trois groupes de sévérité croissante :

  • Le premier groupe inclut les malades qui ont un SHR dans le contexte d’une ACLF de grade 1. Ce groupe lui-même est divisé en 3 sous-groupes : le premier comprend des malades avec un SHR de type 1 isolé et établi (créatininémie ≥ 177 mmol/L) ; le deuxième comprend des malades avec un SHR débutant (créatinémie entre 133 et 168 mmol/L) associé à une défaillance d’un autre organe (foie, coagulation, poumon, circulation) telle qu’elle est définie par le score « Chronic Liver Failure » (CLIF)-« Sequential Organ Failure Assessment » (SOFA) (Tableau I) [14] ; le troisième groupe comprend les malades avec un SHR débutant et une défaillance cérébrale telle que définie par le score CLIF-SOFA (Tableau I). L’ACLF grade 1 est associée à une mortalité à court terme est de 20 % [14].
  • Le deuxième groupe inclut des malades qui ont un SHR dans le contexte d’une ACLF de grade 2 ; c’est-à-dire que ces malades ont un SHR établi associé à une autre des 5 défaillances d’organe possibles [14]. L’ACLF grade 2 est associée à mortalité à court terme est de 32 %.
  • Le troisième groupe inclut des malades qui ont un SHR dans le contexte d’une ACLF grade 3 ; c’est-à-dire que ces malades ont un SHR et deux autres défaillances d’organes ou plus. L’ACLF grade 3 est associée à une mortalité à court terme de 77 % [14].
Organe/système 0 1 2 3 4
Foie
(bilirubine, mmol/L)
< 21 ≥ 21 – ≤ 34 ≥ 34 – < 103 ≥ 103 – < 205 ≥ 205
Rein
(créatinine, µmol/L)
< 106 ≥ 106 – < 177 ≥ 177 – < 309 ≥ 309 – < 442
ou utilisation de l’épuration extrarénale
≥ 442
Cerveau (EH, grade) Absente I II IIIc IV
Coagulation (INR) < 1,1 ≥ 1,1 – < 1,25 ≥ 1,25 – < 1,5 ≥ 1,5 – <2,5 ≥ 2,5 ou plaquettes ≤ 20 x 109/Ld
Circulation
(PAM mmHg)
≥ 70 < 70 Dopamine ≤ 5
ou dobutamine
ou terlipressine
Dopamine > 5
ou E ≤ 0,1
ou NE ≤ 0,1
Dopamine > 15
ou E > 0,1
ou NE > 0,1
PoumonsPaO2/FiO2
ou
SpO2/FiO2
> 400
ou
> 512
> 300 – ≤ 400
ou
> 357 – ≤ 512
> 200 – ≤ 300
ou
> 214 – ≤ 357
>100 – ≤ 200
ou
> 8 – ≤ 214f
≤ 100
ou
≤ 89

Tableau I. Le score Chronic Liver Failure (CLIF)-Sequential Organ Failure Assessment (SOFA)

D’après [14]. EH, encéphalopathie hépatique (selon la classification de West Haven) ; INR, International Normalized Ratio ; PAM, pression artérielle moyenne ; E, épinephrine ; NE, norépinephrine ; PaO2, pression partielle en oxygène ; FIO2, fraction d’oxygène inspiré ; SpO2, saturation d’oxygène mesurée par capteur. Chaque organe/système reçoit un score de 0 (normal) à 4 (très anormal). Un score total de 0 à 24 peut être calculé et reflète la sévérité globale. La couleur bleue indique les critères diagnostiques pour chaque défaillance d’organe.

SHR de type 2

Ce syndrome s’intègre dans un tableau d’ascite réfractaire [3]. L’insuffisance rénale est prolongée mais modérée. Lorsqu’elle est présente, elle a probablement un impact négatif sur le pronostic à court terme qui en soi est déjà médiocre [3].

Traitement du SHR de type 1

Principes

Le traitement idéal du SHR est la transplantation hépatique [10]. Cependant, les malades qui sont transplantés avec un SHR font plus de complications post­opératoires et ont une mortalité précoce plus élevée que les malades transplantés sans SHR [10]. Il paraît donc logique de traiter l’insuffisance rénale avant la transplantation hépatique.

De très nombreuses approches non pharmacologiques ont été tentées chez les malades atteints de SHR (revues in [10]). Certaines sont à l’évidence inefficaces (voire dangereuses), ce sont : les anastomoses portocaves chirurgicales, les shunts péritonéo-jugulaires, l’hémodialyse [10]. Le shunt intrahépatique portosystémique par voie trans-jugulaire (TIPS) n’est pas recommandé chez les malades avec un type 1 [10]. D’autres approches non pharmacologiques sont en cours d’évaluation, telles que la dialyse à l’albumine (système MARS), ou devraient être évaluées (techniques d’hémofiltration).

Des traitements pharmacologiques ont également été utilisés chez des malades atteints de SHR de type 1. Certains sont inefficaces tels que l’octréotide, la dopamine, les prostaglandines [10]. D’autres comme la N-acétylcystéine ou les antagonistes non spécifiques des récepteurs de l’endothéline ont donné des résultats encourageants sur des petites séries de malades et demandent donc à être confirmés [10].

La vasodilatation splanchnique et systémique jouant un rôle crucial dans le développement du SHR, il a été logiquement suggéré que l’administration d’un puissant vasoconstricteur splanchnique et systémique devrait améliorer la circulation rénale et augmenter le débit de filtration glomérulaire [5, 10]. Les vasoconstricteurs qui ont été évalués dans le traitement du SHR sont : les analogues de la vasopressine (c’est-à-dire, l’ornipressine, la terlipressine qui sont des agonistes des récepteurs V1a de la vasopressine) et les agonistes alpha1-adrénergiques (la noradrénaline (synonyme de norépinéphrine) et la midodrine). Différentes études pilotes non randomisées ont apporté la preuve du concept que l’administration de l’une de ces substances était capable d’améliorer l’insuffisance rénale des malades atteints de SHR [18-25]. Il est à noter que la midodrine ne s’est montrée efficace qu’en association avec l’octréotide et l’albumine intraveineuse [10].

Essais randomisés

Cinq essais randomisés évaluant la terlipressine ou la noradrénaline ont été conduits chez des malades atteints de SHR [26-30]. Il n’y a pas d’essai randomisé avec la midodrine. Des cinq essais randomisés, un seulement était en double-insu contre placébo [27]. De plus, c’était l’essai le plus large [27]. Toutes les études avaient un bras « terlipressine ». Dans trois études, le bras « terlipressine » était comparé à un bras « placébo » [26, 27] ou « non traité » [28] et dans les deux autres la terlipressine était comparée à la noradrénaline [29, 30]. Dans les cinq essais, tous les malades ont reçu de l’albumine intraveineuse pour optimiser le volume du secteur extracellulaire et aussi parce qu’une étude non randomisée avait montré que la fonction rénale était plus fréquemment améliorée chez les malades traités par la terlipressine et l’albumine intraveineuse que chez les malades traités par terlipressine [31]. Cependant, il n’y a pas eu d’essai randomisé comparant le traitement vasoconstricteur seul à l’association vasoconstricteur plus albumine.

Un total de 236 malades avec un SHR ont été enrôlés, 210 (89 %) avec un type 1. La terlipressine a été administrée à 119 malades (102 (86 %) avaient un type 1) et le protocole d’utilisation de la terlipressine était similaire dans les quatre études. La noradrénaline a été administrée chez 26 malades (20 (77 %) avec un type 1) et le protocole d’utilisation de la noradrénaline était similaire dans les deux études. Le traitement était donné jusqu’au contrôle du SHR (défini par une diminution de la créatinine sérique en-dessous de 133 mmol/L) ou pendant deux semaines. La terlipressine a permis le contrôle du SHR dans 34-83 % des cas (Tableau II), confirmant l’efficacité de ce médicament dans le SHR. Ces résultats s’appliquent en premier lieu aux malades avec un SHR de type 1 qui étaient beaucoup plus nombreux dans ces essais que les malades avec un type 2. L’administration de noradrénaline a permis le contrôle du SHR dans 50-80 % des cas (Tableau II), suggérant que cette molécule pourrait être une approche alternative dans le traitement du SHR. Cependant, ces résultats doivent être confirmés car ils ont été obtenus dans des petites séries de malades. L’ensemble de ces considérations indique qu’aujourd’hui l’association terlipressine plus albumine intraveineuse est le traitement de première intention du SHR de type 1. Il faut souligner que, dans les essais, la terlipressine a été utilisée selon les recommandations de son fabriquant, à savoir en bolus intraveineux. Certains utilisent la terlipressine en perfusion continue à la seringue électrique (P Angeli, communication personnelle) et en sont satisfaits ; des études sont en cours comparant les effets des bolus à ceux de l’administration continue de terlipressine.

Au moins 50 % des malades atteints de SHR de type 1 n’ont pas d’amélioration de la fonction rénale avec terlipressine plus albumine (Tableau II). Il a été montré que plus la créatininémie au moment du diagnostic de SHR était basse plus la probabilité d’amélioration de la fonction rénale sous traitement était élevée [32]. Dans une étude observationnelle récente de malades avec un SHR de type 1 (induit par un sepsis) traité par terlipressine plus albumine le score CLIF-SOFA (cf. Tableau I) mesuré au moment du diagnostic était significativement plus élevé chez les non-répondeurs que chez les répondeurs (respectivement, 14 ± 3 et 8 ± 1) [33]. Autrement dit, l’ACLF au moment du diagnostic de SHR de type 1 était plus sévère chez les non-répondeurs que chez les répondeurs [33]. L’atteinte simultanée de plusieurs organes et une survie très courte pourraient jouer un rôle dans la non-réponse au traitement terlipressine plus albumine.

 

Caractéristiques
des études

Premier auteur (référence)

Solanki [26] Sanyal [27] Martin-Llahi [28] Alessandria [29] Sharma [30]
SHR type 1, n 24 112 33 9 32
SHR type 2, n 0 0 13 13 0
Type d’étude Simple-insu, randomisée, contrôlée placebo– 12 malades terlipressine
(1 mg/12 h IV)– 12 malades placébo
Double-insu, randomisée, contrôlée placebo– 56 malades terlipressine
(1-2 mg/6 h IV)– 56 malades placébo
Ouverte, randomisée– 23 malades terlipressine
(1-2 mg/4 h IV)
plus albumine– 23 malades albumine seule†
Ouverte, randomisée– 12 malades terlipressine
(1-2 mg/4 h IV)– 10 malades noradrénaline
(0,1-0,7 mg/kg.min IV)‡
Ouverte, randomisée– 16 malades terlipressine
(0,5-2 mg/4-6 h IV)– 16 malades noradrénaline
(0,5-3,0 mg/h)
Albumin IV Chez tous les malades (dose non spécifiée) Chez tous les malades (dose non spécifiée) Chez tous les malades (1 g/kg jour 1,
puis 20-40 g/jour)
Chez tous les malades – groupe terlipressine : 46 ± 10 g/jour§– groupe noradrénaline : 56 ± 4 g/jour§ Chez tous les malades (20 g/jour)
Critère de réponse au traitement Diminution de la créatinine sérique
< 133 mmol/L
Diminution de la créatinine sérique
< 133 mmol/L
Diminution de la créatinine sérique
< 133 mmol/L
Diminution de la créatinine sérique
< 133 mmol/L
Diminution de la créatinine sérique
< 133 mmol/L
Malades ayant répondu au traitement ( %) – terlipressine : 42
– placébo : 0
– terlipressine : 34
– placébo : 13
– terlipressine : 35
– non traité : 5
– terlipressine : 83
– noradrénaline : 70
– terlipressine : 50
– noradrénaline : 50
Évènements indésirables ( %) 25 (imputés
à la terlipressine)
9 (imputés
à la terlipressine)
17 (imputés
à la terlipressine)
0
(dans les 2 groupes)
– terlipressine : 6
– noradrénaline : 6

Tableau II. Caractéristiques des études utilisant un vasoconstriteur pour le traitement du syndrome hépatorénal (SHR)*

† Dans l’étude de Martin-Llahi et al. [28], 14 malades (60 %) avec un SHR de type 1 HRS étaient randomisés dans le groupe « terlipressine plus albumine » et 19 (83 %) avec un SHR de type 1 HRS étaient randomisés dans le groupe « albumine seule ».
‡ Dans l’étude d’Alessandria et al. [29], 4 malades (42 %) avec un SHR de type 1 HRS étaient randomisés dans le groupe « terlipressine » et 4 malades (40 %) avec un SHR de type 1 HRS étaient randomisés dans le groupe « noradrénaline ».

Effets sur la survie

Dans deux essais randomisés, la survie n’était pas différente entre le groupe terlipressine plus albumine et le groupe albumine seule [27]. Cependant, dans ces deux essais, tout comme dans une autre étude large mais non randomisée [13], les chances de survie étaient significativement plus élevées chez les malades avec une amélioration de la fonction rénale que chez ceux qui n’avaient pas cette amélioration. La question qui reste non élucidée est de savoir si les répondeurs ont une meilleure survie que les non-répondeurs en raison de la bonne réponse rénale ou si les répondeurs sont en fait moins sévères. Des études sont nécessaires pour répondre à cette question.

Traitement du SHR de type 2

Le SHR survenant chez des malades avec une ascite réfractaire, c’est celle-ci qui est au centre de la stratégie thérapeutique. L’ascite réfractaire est une indication à la transplantation hépatique. Dans l’attente de celle-ci, les malades sont traités par des paracentèses évacuatrices répétées avec perfusion d’albumine à 20 %. La mise en place d’un TIPS peut être discutée. Le traitement de l’insuffisance rénale proprement dite n’est pas clairement établi : la terlipressine améliore la fonction rénale mais le SHR récidive très rapidement après arrêt du vasoconstricteur. Le TIPS pourrait améliorer la fonction rénale dans le contexte de SHR de type 2. Des lésions rénales étant fréquentes chez les malades avec un SHR de type 2 (cf. supra et [15]), il est important d’identifier ces lésions avant la transplantation hépatique dans le but de ne pas méconnaître une indication de transplantation combinée foie-rein.

Prévention

Chez les malades avec une infection spontanée du liquide d’ascite, l’administration d’une combinaison de céfotaxime et d’albumine intraveineuse diminue significativement le risque de SHR et la mortalité [34].

Le SHR est une cause fréquente de décès des malades atteints d’hépatite alcoolique sévère. Un essai randomisé en double-insu a montré que l’administration orale de pentoxifylline à ces malades diminuait la mortalité en réduisant le risque de développement d’un SHR [35]. Les résultats d’un autre essai randomisé en double-insu ont montré que l’administration de pentoxifylline prévenait la survenue d’une insuffisance rénale chez les malades avec une cirrhose avancée [36].

La prophylaxie primaire de l’infection spontanée du liquide d’ascite avec une quinolone orale (norfloxacine 400 mg/jour) est bénéfique dans une population sélectionnée de malades atteints de cirrhose ayant une concentration basse des protéines du liquide d’ascite (<15 g/L) et une insuffisance hépatique avancée et/ou une insuffisance rénale. En effet, chez ces malades, l’administration de norfloxacine comparée à celle d’un placébo diminue significativement le risque à 1 an de survenue d’une infection du liquide d’ascite et de SHR et améliore la survie à 3 mois et 1 an [37]. Ces résultats n’ont pas été confirmés par un essai de prophylaxie primaire utilisant la ciprofloxacine chez des malades avec une concentration basse des protéines du liquide d’ascite (<15 g/L) [38].

Conclusions

Le SHR est une insuffisance rénale fonctionnelle qui est spécifique à la cirrhose décompensée. Le SHR est dû à une hypoperfusion rénale très marquée dans laquelle la vasoconstriction artériolaire préglomérulaire joue un rôle majeur. Cette vasoconstriction est le résultat d’une suractivation des mécanismes homéostatiques neuro-humoraux qui sont engagés en réponse à une vasodilatation artériolaire splanchnique et systémique qui est très intense et donc menace la pression artérielle de chuter. Le traitement vasoconstricteur (splanchnique) associé à l’administration intraveineuse d’albumine est le traitement de première ligne du SHR de type 1. Le traitement du SHR de type 2 est moins clairement établi. Des progrès ont récemment été faits dans la prévention du SHR.

Points clefs sur la physiopathologie du syndrome hépatorénal de type 1

• Les malades atteints de syndrome hépatorénal ont une vasodilatation splanchnique très marquée, c’est-à-dire une relaxation anormalement élevée des cellules musculaires lisses qui composent la paroi des artérioles splanchniques. Cette vasorelaxation est due à une surproduction de monoxyde d’azote (NO) dans la paroi artériolaire.
• La surproduction de NO dans la paroi des artérioles splanchniques est due à une augmentation de l’expression et de l’activité d’une enzyme appelée NO synthase endothéliale (NOSe).
• La stimulation de la NOSe est en partie expliquée par l’existence d’une translocation de bactéries à Gram-négatif à travers la barrière intestinale. Ces bactéries relâchent des composés bactériens tels que le lipopolysaccharide (LPS). Ces composés bactériens stimulent la production de cytokines pro-inflammatoires par les cellules de l’immunité innée. Ces cytokines et les produits bactériens eux-mêmes stimulent l’expression et l’activité de la NOSe des artérioles splanchniques.
• La vasorelaxation est responsable d’une augmentation du diamètre des artérioles splanchniques, qui de ce fait opposent une résistance très faible à l’écoulement du sang. Il en résulte une très forte augmentation du débit sanguin artériel (hypercinésie) entrant dans le territoire splanchnique. Ce « vol » splanchnique est responsable d’une diminution du volume artériel efficace.
• Certains malades atteints de syndrome hépatorénal de type 1 ont également une diminution modérée du débit cardiaque, qui peut contribuer à la diminution du volume artériel efficace.
• La diminution du volume artériel efficace est associée à une réduction de la pression artérielle moyenne qui est perçue par les barorécepteurs artériels. Ceux-ci activent par voie réflexe les systèmes vasoconstricteurs endogènes (système rénine-angiotensine, système nerveux sympathique, vasopressine) qui sont responsables d’une forte vasoconstriction homéostatique dans les artères destinées au cerveau ou aux membres. Les artères rénales sont elles aussi très fortement contractées ; cette vasoconstriction est le mécanisme majeur de la sous-perfusion rénale qui induit le syndrome hépatorénal de type 1.
• L’activation homéostatique des systèmes vasoconstricteurs endogènes n’est pas capable de diminuer la vasorelaxation artériolaire splanchnique, ce qui conduit à la persistance de la diminution du volume artériel efficace. Cette « insensibilité » des artérioles splanchniques à des concentrations « physiopathologies » de vasoconstricteurs neuro-humoraux a conduit à l’hypothèse que l’utilisation de concentrations « pharmacologiques » de vasoconstricteurs (par exemple de vasopressine) pourrait diminuer la vasorelaxation splanchnique.

Les Cinq points forts

  1. Le syndrome hépatorénal (SHR) est une insuffisance rénale fonctionnelle qui complique la cirrhose décompensée. Sa survenue doit faire discuter une transplantation hépatique.
  2. Il existe deux formes de SHR : le type 1 d’installation aiguë pouvant être associé à d’autres défaillances d’organes ; le type 2 caractérisé par une insuffisance rénale modérée et chronique dans le contexte d’une ascite réfractaire.
  3. Le diagnostic de SHR est un diagnostic d’exclusion des autres causes possibles d’insuffisance rénale fonctionnelle ou organique. Le diagnostic de SHR peut être difficile en l’absence de biopsie rénale.
  4. Le traitement de première ligne du SHR de type 1 est l’association terlipressine-albumine intraveineuse. Le traitement du SHR de type 2 n’est pas clairement établi.
  5. La prise en charge des facteurs déclenchants et/ou l’utilisation de l’albumine intraveineuse peut prévenir le SHR.