Troubles moteurs œsophagiens

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les symptômes cliniques pouvant correspondre à des troubles moteurs œsophagiens
  • Quels examens paracliniques demander pour confirmer le diagnostic ?
  • Connaître les différents types de pathologie motrice œsophagienne
  • Quelles sont les propositions thérapeutiques actuelles en fonction du diagnostic ? Intérêt décisionnel de la classification de Chicago

Connaître les symptômes cliniques pouvant correspondre à des troubles moteurs œsophagiens

La dysphagie basse ou œsophagienne est le principal symptôme. Elle peut prédominer pour les aliments solides, mais se manifester également pour les liquides. Elle peut également être perçue au niveau cervical (dysphagie haute). D’autres symptômes peuvent également être présents : régurgitations ou vomissements au moment des repas, douleurs thoraciques, impactions alimentaires. Les régurgitations peuvent survenir en position allongée et déclencher une toux nocturne. Les régurgitations de mousse blanche (salive) sont également un signe évocateur. Une perte de poids peut s’instaurer, parfois rapidement.

Quels examens paracliniques demander pour confirmer le diagnostic ?

L’endoscopie digestive haute doit toujours être réalisée dans un premier temps, avec des biopsies œsophagiennes étagées même en l’absence de lésion macroscopique, pour éliminer une œsophagite à éosinophiles. Il faut penser à cette entité en particulier chez les hommes jeunes, présentant des symptômes intermittents de type impaction alimentaire, avec un terrain allergique.

L’endoscopie peut mettre en évidence une stase salivaire ou alimentaire œsophagienne, une dilatation du corps de l’œsophage, un cardia spasmé avec sensation de ressaut lors du passage de l’endoscope. Ce signe est moins souvent observé avec les endoscopes fins. Une œsophagite de stase ne doit pas être confondue avec une œsophagite par reflux.

Si l’endoscopie est normale, ou évocatrice d’un trouble moteur œsophagien, une manométrie œsophagienne, de préférence en haute résolution (MHR) doit être réalisée pour évaluer la relaxation de la jonction œsogastrique ainsi que le péristaltisme du corps de l’œsophage lors des déglutitions d’eau [1]. L’exploration de la déglutition en manométrie peut être complétée par l’ingestion d’aliments solides si nécessaire.

L’imagerie classique fait appel au transit baryté œsogastrique (TOGD) pour mettre en évidence une dilatation œsophagienne, une sténose régulière « en bec d’oiseau » ou en « queue de radis » de la jonction œsogastrique. Cet examen permet de mesurer la hauteur de la colonne barytée 5 minutes après l’ingestion. L’aspect de l’œsophage en « tire-bouchon » est évocateur de spasmes œsophagiens. Le scanner thoraco-abdominal peut identifier une dilatation œsophagienne ou un épaississement de la paroi de l’organe. L’échoendoscopie œsophagienne permet également de mesurer l’épaisseur de la musculeuse œsophagienne.

La MHR couplée à l’impédancemétrie intraluminale est intéressante en cas de dysphagie après chirurgie œsogastrique (chirurgie antireflux, anneau gastrique ou gastrectomie en gouttière), pour évaluer de façon simultanée la motricité œsophagienne et la clairance du bolus. Cet examen est également utile, éventuellement couplé à la prise d’un repas, pour comprendre le mécanisme des éructations (gastriques ou supragastriques) ou du syndrome de rumination [2].

Connaître les différents types de pathologie motrice œsophagienne

L’achalasie œsophagienne est le trouble moteur œsophagien le mieux caractérisé : cette pathologie neurologique (altération des neurones inhibiteurs des plexus de la paroi œsophagienne) associe absence de péristaltisme œsophagien et absence de relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage lors des déglutitions. La MHR décrit 3 types d’achalasie : absence de pressurisation dans le corps de l’œsophage lors des déglutitions (type 1), pressurisation pan-œsophagienne pour la majorité des déglutitions (type 2, forme la plus fréquente), et contractions prématurées et/ou rapides (type 3, forme spastique). L’intérêt de cette classification tient à sa prédiction de la réponse thérapeutique : les meilleurs résultats de la dilatation pneumatique ou de la myotomie chirurgicale sont obtenus dans le type 2, les moins bons dans le type 3 (moins bonne efficacité de la dilatation).

L’obstruction fonctionnelle de la jonction œsogastrique (JOG) se définit par un défaut de relaxation de la JOG avec persistance d’un péristaltisme normal dans le corps de l’œsophage. On observe souvent dans ce contexte une pressurisation distale du bolus entre l’onde péristaltique et la JOG. Les causes en sont variées : variante d’achalasie, œsophagite à éosinophiles, ou compression extrinsèque de la JOG. Un bilan morphologique comprenant scanner thoraco-abdominal et/ou échoendoscopie œsophagienne doit être réalisé.

Lorsque la relaxation de la JOG est normale, il faut rechercher des troubles majeurs de la motricité œsophagienne. Les spasmes œsophagiens diffus sont définis en MHR par la présence de contractions prématurées, conséquence d’un défaut d’inhibition déglutitive dans le corps de l’œsophage. L’œsophage hypercontractile ou marteau-piqueur est défini par des contractions normalement propagées, mais d’amplitude excessive. Ici encore, les causes peuvent être variées (obstacle fonctionnel de la JOG, œsophagite à éosinophiles, idiopathique). L’absence de péristaltisme (apéristaltisme) peut témoigner d’une atteinte de type sclérodermie de la musculeuse œsophagienne. La dysphagie est rare dans ce contexte du fait de l’absence de défaut de relaxation de la JOG (voire même d’hypotonie du sphincter inférieur de l’œsophage).

La pertinence clinique des troubles moteurs mineurs, hypotoniques (motricité inefficace, péristaltisme intermittent ou hypopéristaltisme) reste à ­établir.

Quelles sont les propositions thérapeutiques actuelles en fonction du diagnostic ?

Pour l’achalasie, les inhibiteurs calciques ou les dérivés nitrés sont rarement efficaces. On leur préfèrera les dilatations pneumatiques ou la myotomie chirurgicale de Heller : une étude randomisée récente a montré l’efficacité équivalente de ces 2 techniques à moyen terme [3, 4]. L’injection de toxine botulinique dans le cardia et/ou la paroi musculaire du corps de l’œsophage est également possible, notamment pour les patients âgés ou avec des comorbidités. La myotomie endoscopique œsocardiale (POEM) est une nouvelle technique très séduisante, qui donne des bons résultats à court terme, avec une morbidité très faible [5]. Cette technique paraît particulièrement séduisante pour les achalasies de type 3.

Les mêmes traitements sont envisageables pour les spasmes diffus ou l’œsophage marteau-piqueur [6]. Ici encore, la myotomie par voie endoscopique paraît très prometteuse [7].

Intérêt décisionnel de la classification de Chicago

Cette classification évolutive (version 3 en cours de publication) permet d’orienter le traitement de l’achalasie en fonction du type identifié [8]. Les autres troubles moteurs sont mieux caractérisés : une étude randomisée multicentrique française comparant l’impact diagnostique de la manométrie haute résolution à celui de la manométrie conventionnelle a montré que la MHR était de réalisation et d’interprétation plus rapide, et permettait de diagnostiquer plus fréquemment une achalasie [9]. De ce fait, la MHR a un impact plus immédiat sur la prise en charge des patients.

Références

  1. Gyawali CP, Bredenoord AJ, Conklin JL, et al. Evaluation of esophageal motor function in clinical practice. Neurogastroenterol Motil 2013;25:99-133.
  2. Tucker E, Knowles K, Wright J, Fox MR. Rumination variations: aetiology and classification of abnormal behavioural responses to digestive symptoms based on high-resolution manometry studies. Aliment Pharmacol Ther 2013;37:263-74.
  3. Boeckxstaens GE, Annese V, des Varannes SB, et al. Pneumatic dilation versus laparoscopic Heller’s myotomy for idiopathic achalasia. N Engl J Med 2011;364:1807-16.
  4. Spechler SJ. Pneumatic dilation and laparoscopic Heller’s myotomy equally effective for achalasia. N Engl J Med 2011;364:1868-70.
  5. Inoue H, Minami H, Kobayashi Y, et al. Peroral endoscopic myotomy (POEM) for esophageal achalasia. Endoscopy 2010;42:265-71.
  6. Vanuytsel T, Bisschops R, Farre R, et al. Botulinum toxin reduces dysphagia in patients with nonachalasia primary esophageal motility disorders. Clin Gastroenterol Hepatol 2013;11:1115-21 e2.
  7. Sharata AM, Dunst CM, Pescarus R, et al. Peroral Endoscopic Myotomy (POEM) for esophageal primary motility disorders: analysis of 100 consecutive patients. J Gastrointest Surg 2015;19:161-70.
  8. Bredenoord AJ, Fox M, Kahrilas PJ, Pandolfino JE, Schwizer W, Smout AJ. Chicago classification criteria of esophageal motility disorders defined in high resolution esophageal pressure topography. Neurogastroenterol Motil 2012;24 Suppl 1:57-65.
  9. Roman S, Huot L, Zerbib F, Bruley des Varannes S, et al. High resolution manometry improves the diagnosis of esophageal motility disorders in patients with dysphagia: results of a randomized multicenter trial. UEG Journal 2014;2(1 Suppl):A61.

Les Cinq points forts

  1. Penser aux troubles moteurs œsophagiens en cas de dysphagie avec endoscopie normale.
  2. La manométrie haute résolution améliore le diagnostic des troubles moteurs œsophagiens.
  3. La classification de Chicago pour les troubles moteurs œsophagiens n’est applicable qu’en l’absence de chirurgie œsogastrique préalable.
  4. Les dilatations pneumatiques répétées du cardia donnent des résultats similaires à ceux de la myotomie de Heller pour le traitement de l’achalasie.
  5. La myotomie perendoscopique du cardia pourrait devenir le traitement de référence de l’achalasie.