Hémorragie digestive par hypertension portale : 6e conférence de Baveno, avril 2015 « Stratifier le risque et individualiser la prise en charge de l’hypertension portale »
Objectifs pédagogiques
- Connaître les recommandations à la phase aiguë d’une hémorragie digestive par hypertension portale
- Savoir prévenir une récidive hémor- ragique par rupture de varices
- Savoir prévenir les complications associées à l’hémorragie par hyper- tension portale
- Connaître l’évolution de l’hyperten- sion portale en cas de rémission du facteur étiologique de la cirrhose
Introduction
L’hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes (VO) ou gas- triques reste associée à une mortalité élevée de 10 à 20 % à 6 semaines.
Les conférences successives de Baveno depuis 1990 (Fig. 1) ont eu pour objec- tifs de caractériser les évènements clés qui compliquent l’hypertension por- tale, de s’accorder sur les définitions et de proposer des recommandations pour la prévention et le traitement des hémorragies digestives liés à l’HTP.
La dernière conférence de Baveno VI (avril 2015) s’était fixée de proposer les premiers pas vers une stratification du risque des complications liées à l’HTP afin d’individualiser leur prise en charge. La place des marqueurs non invasifs a été pour la première fois pré- cisée. Le contrôle des facteurs étiolo- giques de la cirrhose, ainsi que la prise en charge des comorbidités ont égale- ment été au centre des discussions. Les recommandations concernant la pré- vention primaire et secondaire ainsi que la prise en charge à la phase aiguë ont été actualisées. Les définitions concer- nant l’échec des traitements n’ont pas été modifiées (cf. Baveno V [5]).
Stratification du risque et introduction de la notion de maladie hépatique chronique avancée compensée
La conférence de Baveno VI a introduit une nouvelle notion, celle de maladie hépatique chronique avancée compen- sée (« Compensated advanced chronic liver disease » : cACLD). Cette dénomi- nation permet de prendre en compte le continuum qui existe chez des patients asymptomatiques entre la fibrose sévère (F3) et la cirrhose (F4), le pronos- tic étant similaire entre ces deux stades compensés. Cela permet de s’affranchir du terme cirrhose, dont la définition est histologique alors même que le recours à la biopsie est évité dans un nombre croissant de situations. Enfin, cela évite d’utiliser le terme cirrhose, lourdement associé à l’alcool, chez un nombre crois- sant de patients sans consommation excessive.
La mesure de l’élasticité hépatique par le Fibroscan a une place importante dans la reconnaissance de cette entité chez des patients avec une hépatopa- thie chronique et indemnes de tout signe clinique, biologique ou morpho- logique de cirrhose. En raison du risque de faux positifs, il a été recommandé de réaliser deux mesures, deux jours différents et à jeun.
Ainsi, 2 mesures de l’élasticité hépa- tique < 10 kPa permettent d’exclure la présence d’une hépatopathie chro- nique compensée avancée (Fig. 2).
Deux mesures entre 10 et 15 kPa sont évocatrices d’une hépatopathie chro- nique avancée compensée, mais néces- site des explorations complémentaires pour une confirmation diagnostique. Des méthodes invasives comme la biopsie hépatique, la mesure du gra- dient de pression hépatique ou une endoscopie digestive haute à la recherche de signes d’hypertension portale peuvent alors être effectuées pour confirmer le diagnostic en cas de doute.
Deux mesures de l’élasticité > 15 kPa sont très évocatrices d’hépatopathie chronique avancée compensée.
L’HTP fortement associée au pronostic marque un tournant évolutif des hépatopathies chroniques, ainsi son dépistage est crucial.
La mesure du gradient porto-hépatique reste le gold standard afin de confirmer la présence d’une HTP cliniquement significative (gradient > 10 mmHg) mais n’est pas toujours requise.
La présence de signe d’HTP à l’imagerie (circulation collatérale) suffit pour affirmer la présence d’une HTP clini- quement significative, quelle que soit l’étiologie de l’hépatopathie chronique.
Les méthodes de dépistage non inva- sives d’une maladie hépatique avancée compensée permettent d’identifier un groupe de patients asymptomatiques à risque d’avoir une HTP cliniquement significative.
Surveillance des varices œsophagiennes (Tableau I)
Chez les patients avec une hépato- pathie chronique avancée compensée avec un facteur étiologique non contrôlé (poursuite d’une intoxication alcoo- lique, absence de réponse virale soute- nue…), une surveillance endoscopique doit être réalisée tous les 2 ans en l’absence de VO et tous les ans en cas de VO de petite taille.
Chez les patients avec une hépato- pathie chronique avancée compensée avec un facteur étiologique contrôlé (sevrage alcoolique effectif, hépatite C guérie, réplication virale B contrôlée…) et sans comorbidité, la surveillance endoscopique peut être espacée tous les 3 ans en l’absence de VO et rappro- chée à 2 ans en cas de petites VO.
Prévention primaire (Tableau II)
Il n’existe aucune indication à intro- duire un traitement par b-blôquant en prévention de la formation des VO ou gastriques.
Les patients avec petites VO et signes rouges ou Child-Pugh C pourraient être traités par b-blôquant non cardiosélec- tif. Les patients avec petites VO sans signes rouges peuvent être traités par b-blôquant non cardiosélectif. Ces recommandations ont été introduites à Baveno IV et reconduites à Baveno V et VI, en l’absence de nouvelles don- nées. Le travail de M. Merli et al. [7] avait montré que le risque de progres- sion de taille chez les patients avec des VO de petite taille était de 12 % et 31 % à 1 et 3 ans respectivement. Les princi- paux facteurs de risque de progression étaient la cause alcool, le Child Pugh B ou C et la présence de signes rouges. Le risque d’hémorragie reste faible estimé à 12 % à 2 ans. Malgré cela, les attitudes en pratique divergent encore pour les raisons suivantes : le faible niveau de preuve [5] et de recommandation (D), la variabilité intra et inter observateurs pour le diagnostic des petites VO, le rôle important du contrôle de la cause de l’hépatopathie qui pourrait rentrer en compte dans la décision de traiter ou non chez un grand nombre de praticiens.
Les patients avec VO de grande taille doivent être traités par b-blôquant non cardiosélectif ou ligature endosco- pique. Le choix du traitement repose sur les ressources matérielles, compé- tences locales et sur les préférences du patient en prenant en compte les effets secondaires et les contre-indications des 2 stratégies.
Pour la prévention primaire de la rupture de varice gastrique (IGV 1 et GOV 2)( Fig. 3), une seule étude suggère que le traitement par injection de colle biologique est plus efficace que le trai- tement par b-blôquant. Des études complémentaires sont donc néces- saires pour mieux apprécier la balance bénéfice/risque avant une recomman- dation formelle.
Les b-blôquants utilisés classiquement en première intention sont le Pro- pranolol et le Nadolol. Des études récentes ont confirmé l’efficacité supé- rieure du Carvedilol en termes de réduction du gradient de pressions hépatiques et permettent son utilisa- tion en prévention primaire.
Impact de la prise en charge étiologique de l’hépatopathie chronique sur l’histoire naturelle de l’hypertension portale
Le traitement étiologique de l’hépato- pathie pourrait réduire l’hypertension portale et prévenir la décompensation ou les complications. Ainsi le contrôle du facteur causal ou des comorbidités (sevrage en alcool quelle que soit l’étio- logie de l’hépatopathie chronique par exemple) font partie intégrante de la prophylaxie.
D’autres comorbidités, en particulier l’obésité, semblent aggraver l’histoire naturelle de toute hépatopathie chro- nique quelle que soit la cause. Une modification du mode de vie avec une perte de poids et le respect des règles hygiéno-diététiques pourrait donc réduire les risques de décompensation. La dénutrition et la sarcopénie sont des facteurs de mauvais pronostic et pourraient également jouer un rôle aggravant.
Prise en charge de l’hémorragie digestive par hypertension portale
Les facteurs de mauvais pronostic d’une hémorragie digestive par HTP sont principalement la classe C de Child-Pugh, un score de MELD élevé et l’échec du traitement hémostatique primaire.
Mesures non spécifiques
La restitution du volume sanguin pour maintenir une perfusion tissulaire et une stabilité hémodynamique reste la première étape de la prise en charge d’une hémorragie digestive. Les objec- tifs transfusionnels ne doivent pas dépasser un taux d’hémoglobine de 7 à 8 g/dL en dehors de la présence de comorbidités cardiovasculaires qui peuvent justifier un support transfu- sionnel plus important. L’antibio- thérapie prophylactique fait partie intégrante de la prise en charge et doit être instaurée dès l’admission. La Ceftriaxone (1 g/24 h IV) est conseil- lée chez le patient avec une cirrhose avancée hospitalisé en structure de soins avec une forte prévalence de bac- téries résistantes aux quinolones ou chez les patients qui ont déjà reçu des quinolones.
Il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandations formelles sur la pré- vention de l’encéphalopathie hépa- tique au cours de l’hémorragie diges- tive. En l’absence de consensus, il est aujourd’hui préconisé de suivre les recommandations récentes de l’EASL et de l’AASLD qui proposent l’intro- duction de lactulose en cas de surve- nue d’un épisode d’encéphalopathie hépatique.
Mesures spécifiques
Un traitement vasoactif par somatos- tatine, terlipressine ou octréotide doit être débuté le plus tôt possible en cas de suspicion d’hémorragie digestive par rupture de VO. Ce traitement est poursuivi pendant 5 jours. Il est rappelé le risque d’hyponatrémie sous terli- pressine.
Après stabilisation hémodynamique, l’endoscopie digestive haute doit être réalisée dans un délai de 12 heures suivant l’admission du patient.
En l’absence de contre-indication (QT long) un traitement par Erythromycine 250 mg doit être administré par voie intraveineuse lente 30 à 120 minutes avant l’endoscopie.
Une hospitalisation en réanimation ou service de soins continus est préconi- sée. En cas de trouble de la conscience, l’exploration endoscopique doit être réalisée après intubation orotrachéale afin d’assurer la protection des voies aérodigestives supérieures.
La ligature est le traitement endosco- pique de référence en cas de rupture de VO.
Un traitement par injection de colle biologique est recommandé en cas d’hémorragie par rupture de varice gastrique (IGV) ou varices gastro-œso- phagiennes de type 2 (GOV2).
Un traitement par ligature ou injection de colle peut être réalisé en cas rupture de varice GOV1.
La réalisation d’un TIPS « préemptif » (prothèse couverte) dans les 72 heures et idéalement dans les 24 heures doit être envisagée chez les patients pris en charge pour une hémorragie par rupturedeVO,GOV1ouGOV2àhaut risque de récidive. Cela concerne les patients Child-Pugh C (< C14) et Child- Pugh B avec un saignement actif à l’endoscopie avant le geste d’hémos- tase alors même que le patient est traité par vasoactif. Cette recomman- dation est devenue plus formelle à Baveno VI en raison de la publication in extenso du travail multicentrique européen [8] qui a validé la preuve de concept de l’étude publiée par A. Monescillo et al. [9]. Deux études observationnelles [10, 11] s’ajoutent
à ces deux études randomisées. Un résume des principaux résultats est présenté dans le Tableau III.
La sonde de tamponnement doit être utilisée uniquement de manière tem- poraire (24 heures maximum) en cas d’hémorragie réfractaire et dans l’attente d’un autre traitement radical (TIPS). La prothèse œsophagienne métallique couverte est une alternative intéressante à la sonde de tampon- nement.
En cas d’échec du traitement hémo- statique initial, un TIPS de sauvetage doit être discuté. En cas de récidive précoce dans les 5 jours, une nouvelle endoscopie doit être réalisée et le meil- leur traitement est sûrement la mise en place d’un TIPS couvert.
Prévention secondaire de l’hémorragie digestive par rupture de varices
La prévention secondaire repose sur un traitement qui associe b-blôquant non cardiosélectif et ligature des VO. Le trai- tement par b-blôquant doit être initié en relais du traitement vasoactif.
Un traitement pas ligature est proposé seul en cas de contre-indication au trai- tement par b-blôquant.
Le traitement par b-blôquant est utilisé en monothérapie chez les patients ne pouvant pas ou n’acceptant pas un traitement endoscopique par ligature.
En cas de récidive malgré un traite- ment bien conduit par b-blôquant et ligature des VO, la mise en place d’un TIPS doit être discutée.
Le bénéfice de l’utilisation des b-blô- quants non cardiosélectifs chez les patients porteurs d’une cirrhose décompensée (ascite réfractaire, infec- tion spontanée du liquide d’ascite…) est actuellement discuté.
Les éventuelles contre-indications à un traitement par b-blôquant doivent être réévaluées au cours de l’évolution de la maladie. Chez les patients avec ascite réfractaire, l’utilisation des b-blôquants implique une surveillance régulière de la pression artérielle, de la natrémie et de la fonction rénale. Il convient de diminuer la posologie, voire de sus- pendre le traitement par b-blôquant dans les situations suivantes :
- pression artérielle systolique <90mmHg,
- hyponatrémie < 130 mmol/L ; – insuffisancerénaleaiguë.
Les traitements diurétiques et AINS doivent également être suspendus dans ce contexte.
Les conséquences de l’arrêt temporaire d’un traitement par b-blôquant en pré- vention secondaire sont inconnues. En cas d’arrêt du traitement par b-blô- quant au cours d’un épisode de décom- pensation aiguë (infection spontanée du liquide d’ascite, SHR, sepsis, hémor- ragie…), la reprise du traitement est autorisée dès l’obtention d’un état cli- nique stationnaire et d’une résolution du facteur précipitant. La réintroduc- tion doit être débutée à petite dose et augmentée de manière progressive sous surveillance.
En cas d’intolérance au traitement par b-blôquant chez les patients ne présen- tant pas de contre-indication au TIPS, sa mise en place doit être discutée.
Références
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- de Franchis Ron behalf of the Baveno V Faculty. Report of the Baveno V consensus workshop on methodology of diagnosis and therapy in portal hypertension. J Hepatol 2010;53:762–8.
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- Rudler M, Cluzel P, Corvec TL, Benosman H, Rousseau G, Poynard T, et al. Early-TIPSS placement prevents rebleeding in high-risk patients with variceal bleeding, without improving survival. Aliment Pharmacol Ther 2014;40(9):1074-80.
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