Nouveaux anticoagulants oraux et endoscopie digestive
Objectifs pédagogiques
- Connaître les nouveaux anticoagulants oraux et leurs caractéristiques pharmacologiques
- Savoir classer les actes endoscopiques en fonction de leur risque hémorragique potentiel
- Pouvoir déterminer les modalités d’arrêt et de reprise du médicament lors d’un geste endoscopique
- Savoir adapter le geste endoscopique et sa surveillance en fonction du risque hémorragique
Introduction
Les prescriptions de nouveaux anticoagulants oraux directs ou AOD (ex. NACO) ont augmenté de manière continue depuis leur mise sur le marché en 2008 et tendent à remplacer progressivement les AVK dans la prévention des accidents thrombo-emboliques des fibrillations atriales non valvulaires et des thrombophlébites profondes. Selon l’ANSM, 3,12 millions de patients étaient sous anticoagulants et le remplacement des AVK par les AOD a concerné plus de 100 000 patients en 2013. On estime que 50 % des anticoagulants oraux actuellement utilisés sont des AOD.
Une première recommandation avait été publiée dès 2011 conjointement par le Groupe d’Intérêt en Hémostase Périopératoire (GIHP) et Hémostase et Thrombose (GEHT) 1] et plus récemment une stratégie sur la prise en charge des complications hémorragiques péri-opératoires 2]. La gestion des patients sous anti-agrégants plaquettaires (AAP) devant bénéficier d’une endoscopie digestive avait fait l’objet d’une recommandation conduite par la SFED et l’HAS en 2011 puis d’un guideline européen publiée par l’ESGE 3]. Ces travaux ont servi de base à une nouvelle recommandation concernant cette fois-ci les AOD et conduite par un groupe européen pour, proposer des règles d’utilisation des AOD lors de la réalisation des endoscopies digestives. Le but est donc de préciser quelles sont les modalités d’interruption temporaire des AOD en tenant compte à la fois du risque thrombotique du patient et du risque hémorragique potentiel de la procédure endoscopique. Cependant, contrairement aux AAP, les données publiées sont très peu nombreuses et reposent principalement sur des avis d’experts 4, 5] et sur l’analogie que l’on peut faire avec les AVK (Recommandations HAS 2008). Ce texte est donc basé sur les recommandations récentes américaines publiées en 2015 6] et surtout Européennes en 2016 7].
Les anticoagulants oraux directs (AOD)
Les différents médicaments disponibles
Trois molécules sont actuellement disponibles : le dabigatran (Pradaxa®), qui est une pro-drogue, inhibiteur de la thrombine et le rivaroxaban (Xarelto®) et l’apixaban (Eliquis®) qui sont des inhibiteurs du facteur Xa ou anti-Xa. Tous les AOD sont des inhibiteurs de la voie principale de la coagulation et à ce titre sont d’action plus rapide et sont plus puissants que les AVK. Les doses utilisées sont variables en fonction des indications et du terrain (âge et comorbidités). La concentration maximale est atteinte rapidement avec un délai d’action court de 2 à 6 heures et une demi-vie d’élimination moyenne de 7 à 15 heures.
Les indications validées
Schématiquement, elles recoupent les indications des AVK à l’exclusion des valvulopathies :
- la prévention du risque thromboembolique veineux en postopératoire de chirurgie orthopédique majeure ;
- la prévention du risque embolique de la fibrillation atriale ;
- le traitement de la thrombose veineuse profonde et de l’embolie pulmonaire.
Les AOD ne sont pas indiqués pour la prévention des thromboses des stents coronariens.
Les précautions d’emploi
En cas d’insuffisance rénale, la durée d’action est prolongée par retard d’élimination avec un risque hémorragique accru et il est donc impératif de vérifier la clairance de la créatinine (formule de Cockroft) chez tout patient avant d’utiliser un AOD. Au-dessous de 50 ml/mn, le traitement devra être rigoureusement ajusté et il est contre-indiqué si clairance de la créatinine < 30 ml/mn. Cette précaution concerne surtout le dabigatran qui est excrété à 80 % par le rein, alors que l’élimination rénale n’est que de 30 à 35 % pour le rivaroxaban et l’apixaban. La prescription des AOD devrait être limitée chez le sujet âgé et n’est pas justifiée lorsque le patient est bien contrôlé sous AVK. La surveillance d’un traitement par AOD est très différente de celle des AVK puisqu’il n’y a pas de contrôle biologique du niveau d’anticoagulation. Les tests habituels pour évaluer l’hémostase ne sont pas utilisables en pratique (TP, INR, TCA) car même s’ils sont souvent modifiés, ils ne reflètent pas le degré d’anticoagulation. La posologie est fonction avant tout de l’indication mais elle pourra être adaptée s’il existe une insuffisance rénale et l’utilisation prudente est possible chez le sujet âgé.
Gestion des accidents hémorragiques
Les AOD provoquent moins d’accidents hémorragiques graves que les AVK mais les saignements mineurs sont plus fréquents en particulier digestifs et dans ce cas il s’agit d’un saignement gastro-duodénal dans 2/3 des cas. Quels que soient le type et la gravité du saignement, il faut avant tout connaître le type d’AOD, et l’heure de la dernière prise car l’effet du médicament va s’estomper dans les 8 à 12 h permettant en général l’arrêt spontané du saignement. En cas de saignement grave et non contrôlable, on peut obtenir maintenant le dosage plasmatique de produit résiduel avec le temps de thrombine dilué pour le dabigatran ou « pradaxémie » et l’activité anti-Xa spécifique pour l’apixaban et le rivaroxaban ou « xareltémie »… Si ce taux circulant reste élevé, on peut avoir recours à des concentrés hémostatiques standards ou enrichis (CPP-FEIBA) et très prochainement à des reversions efficaces avec des antidotes spécifiques qui seront prescrites dans le cadre d’ATU de cohorte : andexanet (réversion des anti-Xa) ou idarucizumab (réversion du dabigatran). Enfin une dialyse peut être proposée chez les patients traités par dabigatran en cas d’altération de la fonction rénale.
Interactions médicamenteuses
Il n’a pas été démontré d’interactions avec les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) souvent prescrits chez ces patients, soit à titre préventif, soit en raison d’un antécédent ulcéreux ou d’un reflux. En cas de traitement d’éradication d’Helicobacter Pylori, la quadrithérapie bismuthée est possible car le bismuth, la tétracycline, le métronidazole n’interfèrent pas avec les AOD alors que la clarithromycine peut diminuer leur action. D’autres médicaments sont contre-indiqués avec les AOD : kétoconazole, itraconazole, dronédarone, ciclosporine, tacrolimus et AINS (sauf aspirine à visée anti-agrégante).
Modalités d’arrêt et de reprise des AOD
La cinétique rapide des AOD est la caractéristique qui va changer nos habitudes en termes de gestion des anticoagulants (AC). En effet, il faut considérer que l’efficacité est réduite de plus de 50 %, 24 heures après la dernière prise et devient nulle à 48 heures. Malgré la facilité d’utilisation que procure cette élimination rapide, il faudra prendre en compte tous les facteurs pouvant allonger la durée d’action par retard d’élimination (âge, fonction rénale, interactions médicamenteuses), et rester prudent lors des procédures à risque hémorragique élevé.
Les recommandations qui vont suivre sont directement extraites du guideline ESGE. En pratique, un arrêt de 48 heures est en général suffisant avant une endoscopie avec une reprise du traitement 24 h après le geste, ce qui correspond au total à 3 jours de non-prise (J-2, J-1, J0) et reprise à J + 1. Un arrêt court avec un simple « saut » de la dernière prise est suffisant pour toute procédure à faible risque hémorragique. La survenue d’un saignement différé est plus fréquente sous AC classique avec un délai moyen de 4 jours, alors que les AOD sont pleinement efficaces seulement 4 à 6 h après la reprise, ce qui augmente le risque de saignement précoce. C’est un changement de paradigme par rapport aux AVK car il faut considérer un AOD comme une « héparine en comprimé » et de ce fait, il n’est pas recommandé de faire un relais par HBPM, sauf chez les patients à risque thrombotique élevé après avis cardiologique. Dans les rares cas où l’arrêt des AOD doit être prolongé au delà de 48h et chez des patients à risque thrombotique élevé, un relais par héparine peut être indiqué mais contrairement au relais par AVK, la reprise des AOD devra succéder aux injections d’anticoagulants sans période de superposition des traitements. Aucune règle ne peut être proposée mais idéalement cette période dite de sécurité sera de 5 à 7 jours post intervention. Enfin, la prise concomitante d’aspirine ne modifie pas ce schéma.
En pratique on peut donc envisager 3 modalités d’arrêt des ADO selon le niveau de risque de la procédure et des facteurs de risque du patient :
- arrêt court : simple « saut » de la dernière prise (12 h ou 24 h selon la posologie) ;
- arrêt standard : 72 h (pas de prise 48 h avant et reprise dès le lendemain) ;
- arrêt prolongé : 5 jours, réservé aux procédures à haut risque et pouvant nécessiter un relais par héparine ;
- cette décision d’arrêt du traitement doit être indiquée clairement dans le dossier du patient et devra faire l’objet idéalement d’une discussion collégiale (anesthésiste et cardiologue).
En résumé : arrêt court, pas de contrôle biologique, pas de relais HBPM.
Évaluation du risque hémorragique des actes endoscopiques (Fig. 1)
La classification des actes endoscopiques en fonction de leur risque hémorragique potentiel répartit habituellement ces actes en 2 groupes : Faible risque et Haut risque. Cependant il paraît plus pragmatique de scinder la catégorie « Haut risque « en 2 sous-groupes en fonction de la possibilité ou non d’effectuer une hémostase endoscopique soit immédiate, soit différée en cas de saignement. Toutes les procédures de résection des polypes du tube digestif haut et bas peuvent donc entrer dans ce sous-groupe à haut risque contrôlé.
Figure 1. Classification des actes endoscopiques en fonction de leur risque hémorragique potentiel (selon Guideline ESGE 2015)
Faible risque | Haut risque |
---|---|
Maintien des AOD ou saut dernière prise | Arrêt des AOD (J-2, J-1, J0, J + 1) |
Endoscopie OGD et biopsies | Polypectomie (anse), Mucosectomie * |
Coloscopie et biospies | Dissection sous muqueuse |
Échoendoscopie diagnostique | Échoendoscopie Ponction, drainage |
CPRE sans sphinctérotoomie | CPRE sphinctérotomie, sphinctéroclasie |
Entéroscopie sans surtube | Dilatations digestives et prothèses, SGPE, LVO préventive |
* Ces actes sont à haut risque mais avec contrôle possible d’un saignement en utilisant systématiquement les mesures hémostatiques préventives. Un arrêt prolongé (5 jours) peut être envisagé pour les autres actes à haut risque ou s’il existe des facteurs de sur-risque (insuffisance rénale, association avec AAP).
Les actes endoscopiques à faible risque hémorragique
Il s’agit de tous les actes endoscopiques diagnostiques, avec ou sans biopsie à la pince, qui peuvent donc être réalisés quel que soit le traitement anti-thrombotique en place et sans modifications de ce traitement. Un arrêt bref peut cependant être envisagé, s’il existe des facteurs de risque de saignement associés ou si l’on doit réaliser des biopsies multiples (cartographie endobrachyœsophage (EBO), surveillance MICI).
Les actes à Haut risque avec possibilité d’hémostase directe (risque contrôlé)
Il s’agit des résections à l’anse y compris par mucosectomie des polypes du tube digestif haut ou bas. Par contre la dissection sous muqueuse reste à haut risque même si une hémostase préventive est possible. Il faut rappeler que quels que soient le siège, la taille ou la technique utilisée, la polypectomie nécessite l’interruption des AOD : un arrêt standard, dernière prise 48 h avant et reprise 12 à 24 h après le geste, est donc recommandé. En cas de risque hémorragique important (très gros polype ou polypes multiples) ou si le patient présente des facteurs de risque (sujet âgé, insuffisance rénale, ou prise d’un agent-antiplaquettaire), un arrêt prolongé de 5 jours peut être conseillé.
Compte tenu du risque de saignement différé à la reprise du traitement, il est recommandé d’utiliser autant que possible toutes les mesures préventives endoscopiques ayant prouvé leur efficacité (clips, anse largeable, pince coagulante) et de traiter immédiatement tout saignement même mineur per-procédure. En cas de mucosectomie, il est conseillé de fermer la brèche muqueuse avec des clips pour tout polype colique > 1 cm et pour tout polype duodénal. Le traitement de tous les vaisseaux visibles est impératif. Plusieurs études récentes ont démontré l’efficacité des clips en prévention du saignement retardé post-polypectomie/mucosectomie en particulier chez des patients sous AC. Les facteurs de risque de saignement le plus souvent trouvés sont la taille du polype (> 2 cm), la présence d’un vaisseau visible (en cas de mucosectomie) et aussi un excès de coagulation per endoscopique. Il est donc déconseillé pour les petits polypes (moins de 6 mm) d’utiliser la pince chaude génératrice de nécrose de coagulation profonde et d’avoir plutôt recours à une anse froide. L’exérèse des petits polypes sessiles sera plutôt faite par mucosectomie moins génératrice de saignements que l’exérèse directe à l’anse. Il faudra bien informer le patient de ce risque de saignement qui se produit habituellement dans les 2 à 7 jours après le geste et prévoir un éventuel recours à un traitement endoscopique.
En cas de gros polype et a fortiori en cas de nombreux polypes, on pourra dans certains cas différer l’exérèse endoscopique si l’arrêt du traitement anticoagulant est possible dans un délai relativement court (moins de 6 mois) et s’il n’y a pas de risque carcinologique connu.
Les actes endoscopiques à haut risque (sans possibilité d’hémostase directe)
Pour tous ces actes, il faut interrompre le traitement 3 jours avant et le reprise 48 h après le geste, donc un arrêt en moyenne de 5 jours.
L’arrêt des AOD est recommandé en cas de sphinctérotomie endoscopique ou de sphinctéroclasie avec un risque de saignement majoré en cas de macro-lithiase ou de diverticule juxta-papillaire. En cas d’urgence, la mise en place d’une endoprothèse biliaire (plastique ou métallique couverte) sans sphinctérotomie doit être envisagée.
La ponction sous échoendoscopie nécessite aussi l’arrêt des ADO et le risque hémorragique serait plus important lors de la ponction de lésions kystiques.
L’arrêt des AOD est également recommandé pour les dilatations des sténoses digestives ou la pose de prothèses entérales et pour la gastrostomie endoscopique.
Conclusion
La connaissance de ces nouveaux médicaments et une certaine prudence dans leur utilisation permettront d’éviter les complications hémorragiques lors de procédures endoscopiques thérapeutiques. Les modalités d’arrêt des AOD sont maintenant mieux définies avec, en général, un arrêt 48 h avant la procédure et une reprise le lendemain. Si un arrêt prolongé est nécessaire, la décision fera l’objet d’une concertation pluri-disciplinaire (cardiologue, anesthésiste) afin de gérer le relais par héparine et sa durée. Enfin il faut rappeler que contrairement au traitement par AVK, il n’existe pas actuellement de test de coagulation simple pour évaluer l’efficacité des AOD et que la posologie est surtout fonction des indications.
Références
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645-50. - Pernod G, Albaladejo P, Godier A, Samama CM, Susen S, Gruel Y, Blais N, Fontana P, Coheni A, Llau JV, Rosencher N, Schved JF, de Maistre E, Samama M, Mismetti P, Sié P. Prise en charge des complications hémorragiques graves et de la chirurgie en urgence chez les patients recevant un anticoagulant oral anti-IIa ou anti-Xa direct. Propositions du Groupe d’intérêt en Hémostase Périopératoire (GIHP). Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 2013;32:691–700.
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- Veitch AM, Vanbiervliet G, Gershlick AH, Boustiere C, Baglin T, Smith LA, Radaelli F, Knight E, Gralnek IM, Hassan C, Dumonceau JM. Endoscopy in patients on antiplatelet or anticoagulant therapy, including direct oral anticoagulants: British Society of Gastroenterology (BSG) and European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) guidelines. Gut 2016;65:374-89.
Les Six points forts
- Le risque de saignement est majoré sous AOD pour toutes les endoscopies thérapeutiques.
- Les modalités d’arrêt et de reprise des AOD doivent tenir compte de leur biodisponiblité et du risque thrombotique du patient.
- Pour la majorité des endoscopies, un arrêt des AOD de 48 h avant le geste est suffisant avec reprise le jour même ou le lendemain.
- Avec les AOD, il n’est pas recommandé de faire un relais par HBPM.
- Le risque hémorragique différé étant plus fréquent sous anticoagulant, il faut en informer le patient et assurer une surveillance prolongée.
- Les patients à très haut risque sont ceux prenant aussi un antiagrégant et les insuffisants rénaux (Cockroft < 50).
Figure 2. Mesures préventives per-endoscopiques : clips, anse largable, pince coagulante
Tableau. Recommandations d’arrêt AOD et risque hémorragique
Possibilité d’hémostase directe | AODConduite à tenir | Commentaires | |
---|---|---|---|
Faible | Non | Pas de modification des AOD | Arrêt bref possible (saut de la dernière prise) |
Élevé | Oui | Arrêt standard : 3 joursArrêt 5 jours en cas de :
|
Moyens d’hémostase préventifs recommandés :
|
Élevé | Non | Arrêt prolongé : 5 jours | – |
Abréviation : AAP = anti agrégant plaquettaire. NB : la prise d’AAP ne modifie pas la conduite à tenir sauf mention contraire.
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