Quels sont les vrais critères de qualité de la coloscopie

Objectifs pédagogiques

  • Décrire les conditions jugées nécessaires à une coloscopie de qualité et leur contrôle
  • Décrire les résultats requis pour une coloscopie de qualité et leur contrôle
  • Décrire les limites de ces indicateurs et les effets pervers possibles des contrôles

Introduction

La coloscopie est considérée à juste titre comme l’examen le plus performant pour la prévention, le dépistage et le diagnostic des lésions colorectales. Tout doit donc être mis en œuvre pour un examen de grande qualité limitant au maximum les risques d’erreur ou d’omission. Dans les années 1990, des études nord-américaines ont semé le doute sur la capacité de la coloscopie à identifier des lésions proximales [1, 2] ; ces études souffraient d’importants biais méthodologiques, notamment un pourcentage insuffisant de coloscopies complètes ! On connaît par ailleurs le risque de cancer d’intervalle (CCRi), c’est-à-dire un cancer colorectal découvert dans les 3 à 5 ans suivant une coloscopie sans cancer diagnostiqué. Depuis quelques années, des considérations médico-légales viennent impacter la qualité des procédures et influent sur nos pratiques. Il n’existe pas de recommandations françaises ou européennes spécifiques à la qualité des coloscopies, mais des recommandations de l’American Society of Gastrointestinal Endoscopy (ASGE), actualisées en 2015, dont il est possible de s’inspirer [3, 4]. Ces critères, au nombre de 15 sont classés en 3 catégories : AVANT, PENDANT et APRÈS la procédure endoscopique ; il s’y ajoute des critères plus généraux communs à toute endoscopie. Ces critères sont pondérés par des niveaux de preuve décroissants de 1 (A, B, C) à 3.

Dans ce qui suit, seuls certains indicateurs sont volontairement développés. Les autres sont mentionnés dans un but d’exhaustivité.

Critères de qualité PRÉALABLES à la coloscopie (PRÉ-procédure)

Cette phase concerne tout ce qui a lieu en amont de l’acte proprement dit.

Critères ASGE spécifiques à la coloscopie

  • Respect des indications validées (1C) [4, 5]
  • Consentement éclairé et traçabilité du rapport bénéfice-risque (Grade 1C)

La consultation préalable est la règle ; elle permet de valider l’indication de l’examen, d’identifier les co-morbidités, d’expliciter les modalités de la préparation et de réalisation de l’acte, d’informer sur les risques et recueillir le consentement, d’organiser l’arrêt ou la modification des traitements anticoagulants (notamment des anticoagulants oraux) et anti-agrégants plaquettaires (AAP). Cette consultation revêt une importance médico-légale capitale, y compris pour les patients hospitalisés. Traditionnellement dévolue à la présentation des complications potentielles du geste, l’information préalable doit aussi porter sur le risque de lésion méconnue et son estimation [6]. À ce stade, connaître, et pouvoir communiquer si la demande en est faite, son taux de détection lésionnelle (TDA) est un élément positif (Cf. infra).

  • Respect des intervalles de suivi après polypectomie ou coloscopie normale (Grade 1A)

En France les modalités de contrôle et de surveillance ont été actualisées fin 2013 [7].

  • Respect des critères de surveillance endoscopique des MICI (Grade 2C)

Critères ASGE communs

  • Respect des indications et modalités d’antibioprophylaxie
  • Traçabilité des modalités de gestion des traitements anti-coagulants

Autres indicateurs de qualité

  • Prescription de la préparation colique

Le facteur déterminant de la qualité de la préparation étant l’intervalle réduit entre la fin de la prise et l’examen, la prise fractionnée « Split-dosing », conforme à de nombreuses recommandations [8, 9], doit être privilégiée [4], avec la moitié de la préparation prise le jour de l’examen (ou la veille tardivement après 23 h pour les examens de début de matinée). Les nouvelles règles du jeune pré-opératoire autorisent une anesthésie deux heures après l’ingestion de liquides clairs (sauf situations particulières perturbant la vidange gastrique : diabète, maladie de Parkinson, grossesse…) ; la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED) et la Société d’Anesthésie Réanimation (SFAR) préconisent depuis peu dans une recommandation conjointe [10] un délai optimal de 3 à 5 heures entre la fin de la préparation et le début de l’examen.

Critères de qualité PENDANT la coloscopie (PER-procédure)

Cette phase concerne tout ce qui a lieu pendant l’examen, de l’induction anesthésique au retrait du coloscope. Les facteurs « endoscopiste-dépendant » étant à l’origine de la grande majorité des CCR d’intervalle, ils doivent faire l’objet en priorité de toute notre attention.

Critères ASGE spécifiques à la coloscopie

  • Documentation et évaluation de la qualité de la préparation (Grade 3)

L’ASGE considère que les conditions de préparation sont requises si elles permettent la visualisation de lésions ≥ 5 mm. Dans le cas contraire, l’examen doit être répété dans les 3 mois [7] en France (dans l’année aux USA) ; cette situation ne doit pas représenter plus de 15 % des procédures [4, 11]. L’utilisation d’une pompe de lavage peut être un atout pour améliorer la qualité finale de l’examen. La qualité de la préparation doit être quantifiée à l’aide de scores (Boston par exemple) en sachant que ce qui compte, c’est l’état final de la muqueuse au terme de lavage-aspiration. Prendre des photos de plusieurs segments coliques propres est un élément de preuve supplémentaire [3].

  • Complétude de l’examen (Grade 1C)

La coloscopie doit être complète dans 90 % des cas (et 95 % en cas de dépistage) ; pour se faire il faut « toucher la fossette appendiculaire ». Cette complétude doit être attestée par des photos de la fossette appendiculaire et en cas de doute par l’intubation de l’iléon.

  • Taux de détection lésionnel (Grade 1C)

Le taux de détection des adénomes (TDA) est le principal critère ; il concerne à l’origine les coloscopies de dépistage chez individus sains. L’objectif est un TDA ≥ 25 % (20 % chez la femme, 30 % chez l’homme). Le TDA est inversement corrélé au risque de CCR d’intervalle [12, 13]. Il s’agit d’une valeur moyenne liée à l’opérateur et non d’une mesure individuelle ; chaque endoscopiste est invité à mesurer son TDA dans le cadre d’une démarche qualité. Le taux de détection de polype (TDP) est corrélé au TDA et a l’avantage de s’affranchir des contraintes de l’histologie ; il n’est toutefois pas clairement « homologué » comme critère de qualité, pas plus que le nombre d’adénomes par coloscopie.

Les techniques de rehaussement d’image (chromoendoscopie, « colorations virtuelles » et autofluorescence) n’ont pas vraiment prouvé leur supériorité sur la lumière blanche pour augmenter le TDA [11] ; elles permettent d’améliorer la caractérisation des lésion mais pas leur détection. D’autres techniques visent à améliorer la détection latérale derrière les plis et haustrations coliques sont disponibles, comme les dispositifs de bout d’endoscope (Endocuff™, Endoring™), le ballon gonflable (G-eye™), le mini-endoscope (ThirdEye Panoramic device) et plus récemment le coloscope FUSE ; ces techniques sont en cours d’évaluation.

  • Temps de retrait (Grade 2C)

Un temps de retrait (TDR) moyen minimal de 6 mn s’est progressivement imposé pour toute coloscopie normale. Le TDR est clairement corrélé au TDA [14-16]. Toutefois le chiffre retenu est un compromis (le TDA augmente avec le TDR) et surtout il s’agit là aussi d’une valeur moyenne par opérateur. Considérant la grande variabilité des situations individuelles, la SFED a renoncé à recommander un TDR standardisé, au profit d’une exploration minutieuse et attentive du côlon au retrait [17]. L’examen doit être particulièrement attentif au niveau du côlon droit à la recherche de lésions festonnées de diagnostic plus difficile et avec une grande variabilité inter-observateur.

  • Réalisation de biopsies coliques en cas de diarrhée chronique (Grade 2C)
  • Respect des recommandations de biopsies au cours de la surveillance des MICI (Grade 1C)
  • Aptitude à réséquer les polypes pédiculés et les sessiles de moins de 2 cm (Grade 3).

Critères ASGE communs

  • Fréquence de l’iconographie (Grade 3)

La SFED recommande la réalisation de photos au cours de la coloscopie [17] ; outre les photos de toute lésion significative et la photo de la fossette appendiculaire attestant de la complétude de l’examen, l’iconographie contribue à l’authentification de la qualité de la préparation colique. Les photos doivent être identifiées et imprimées ou stockées sur support informatique.

  • Sécurité anesthésique : monitoring du patient ; traçabilité de l’administration des drogues anesthésiques ; interruption de l’examen pour cause anesthésique…

Autres indicateurs de qualité

  • Examen du rectum

Certains CCR d’intervalle étant localisés au niveau du rectum, il convient de faire un TR diagnostique complet (a « full finger examination ») et non une simple lubrification du canal anal ; de même la rétrovision rectale permet de documenter l’exploration attentive de la zone anorectale [18].

  • Techniques de polypectomie

Plusieurs techniques de résection de polypes sont disponibles ; même s’il n’y a pas encore de recommandations de pratique dans ce domaine, il convient d’utiliser l’outil le plus approprié selon la taille et les caractéristiques de la lésion : pince froide pour les polypes de moins de 3 mm, anse froide pour les lésions de 4 à 7/8 mm, anse diathermique au-delà et mucosectomie à chaque fois que nécessaire. La résection incomplète de polypes serait à l’origine d’un quart des CCR d’intervalle [19] ; l’étude CARE (Complete Adenoma REsection study) montre que le taux de résidu adénomateux sur les berges d’une polypectomie est d’environ 10 % [20]. Le risque de résection incomplète augmente avec la taille du polype ; il est plus élevé pour les polypes festonnés et il existe là aussi une grande variabilité inter-endoscopiste. Les recommandations de la HAS [5] préconisent un contrôle endoscopique rapproché (dans les 3 mois) en cas de résection macroscopique ou microscopique incomplète.

Critères de qualité APRÈS la coloscopie (POST-procédure)

Cette phase concerne toute la prise en charge du patient dès la fin de l’examen (gestion des complications, rédaction du compte-rendu d’examen, information sur le suivi, relation avec le médecin traitant…)

Critères ASGE spécifiques à la coloscopie

  • Taux de perforation après coloscopie normale et après polypectomie (Grade 1C)
  • Fréquence de recours à la chirurgie pour hémorragie post-polypectomie (Grade 1C)
  • Respect des recommandations de suivi endoscopique après récupération des données histologiques et traçabilité de l’information (Grade 1A).

Ces recommandations ont été actualisées en 2013 par la HAS [5] définissant deux groupes de haut (PHR) et bas risque (PBR). La date du contrôle suivant peut être estimée d’emblée sur le nombre de polype et/ou la taille et mentionné sur le compte-rendu avec dans certains cas des réserves liées à l’analyse histologique définitive (polype hyperplasique, polype festonné dysplasique, adénome en dysplasie sévère…), dont le patient et son médecins devront être secondairement informés.

Critères ASGE communs

  • Respect des modalités de sortie (« Mise à la rue »)
  • Rédaction du compte-rendu.

La démarche qualité doit être formalisée dans le compte-rendu descriptif standardisé de qualité. Tous les éléments cités ci-dessus doivent y figurer (Indication de l’examen, qualité finale de la préparation, iconographie cæcale…), de même que la présence de lésions associées notamment une diverticulose, la description précise et détaillées des lésions ainsi que la technique de résection. Le texte doit ainsi traduire l’importance accordée à la qualité. L’iconographie est un élément de preuve supplémentaire dans tous ces domaines. Toutes les données essentielles à la bonne information (prochaine échéance, reprise des anticoagulants et AAP…) doivent figurer sur le compte-rendu d’examen destiné au patient et le courrier adressé au médecin traitant.

  • Fréquence et traçabilité des évènements indésirables
  • Recueil et évaluation de la satisfaction du patient

Conclusion

La coloscopie est un examen clé pour la détection des lésions colorectales. Les hépatogastroentérologues doivent tout mettre en œuvre pour réaliser des examens endoscopiques de qualité irréprochable et le faire savoir. Les patients doivent être informés que même une coloscopie réunissant tous les critères de qualité requis peut être prise en défaut.

Remerciements : L’auteur remercie le Dr Philippe Bulois, Président de la SFED, pour ses conseils et la relecture amicale du manuscrit.

Références

  1. Baxter NN, Meredith A, Goldwasser ScD, et al. Association of colonoscopy and death from colorectal cancer. Ann Intern Med 2009;150:1-8.
  2. Singh H, Nugent Z, Demers AA, Kliewer EV, Mahmud SM, Bernstein CN. The reduction in colorectal cancer mortality after colonoscopy varies by site of the cancer. Gastroenterology 2010;139:1128-37.
  3. Rex DK, Petrini JL, Baron TH, et al. Quality indicators for colonoscopy. Gastrointest Endosc 2006;63:S16-S28.
  4. Rex DK, Schoenfeld PS, Cohen J, Pike IM et al. Quality indicators for colonoscopy. Gastrointest Endosc 2015;81:31-53.
  5. HAS. Endoscopie digestive basse : indications en dehors du dépistage en population.
  6. Sanduleanu S, Masclee M, Meijer GA. Interval cancers after colonoscopy : insights and recommandations. Nat. Rev. Gastroenterol. Hepatol. 2012;9:550-54; published online 21 August 2012; doi:10.1038/nrgastro.2012.136.
    http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/fiche_de_synthese_endoscopie_digestive_2004.pdf
  7. Heresbach D et Pienkowski P. Actualisation des recommandations sur le suivi après polypectomie. Que devons nous faire en 2013 ? Acta Endosc 43:307. doi:10.1007/s10190-013-0357-6.
  8. Lieberman DA, Rex DK, Winawer SJ, et al. Guidelines for colonoscopy surveillance after screening and polypectomy: a consensus update by the US Multi-Society Task Force on Colorectal Cancer. Gastroenterology 2012;143:844-57.
  9. Cohen LB. Split dosing of bowel preparations for colonoscopy: an analysis of its efficacy, safety, and tolerability. Gastrointest Endosc 2010;72:406-12.
  10. Bulois P, Bazin JE, Lapuelle J, Al-Nasser B, Chaussade S, Bonnet F, Robaszkiewicz M, Ecoffey C au nom des conseils d’administration de la SFED et de la SFAR. Préparation colique et anesthésie générale : position commune SFED/SFAR. Acta Endosc 2016 in press.
  11. Gupta N. Howto improve your adenome detection rate during colonoscopy. Gastroenterology (2016),doi:10.1053/j.gastro.2016.10.008.
  12. Kaminski MF, Regula J, Ewa Kraszewska et al. Quality Indicators for Colonoscopy and the Risk of Interval Cancer. N Engl J Med 2010;362:1795-803.
  13. Corley DA, Jensen CD, Marks AR et al. Adenoma Detection Rate and Risk of Colorectal Cancer and Death. N Engl J Med 2014;370:1298-306.
  14. Barclay RL, Vicari JJ, Doughty AS et al. Colonoscopic Withdrawal Times and Adenoma Detection during Screening Colonoscopy. N Engl J Med. 2006;355:2533-41.
  15. Lee TJ, Blanks RG, Rees CJ et al. Longer mean colonoscopy withdrawal time is associated with increased adenoma detection : evidence from the Bowel Cancer Screening Program in England. Endoscopy 2013;45:20-6.
  16. Lee RH. Quality of colonoscopy withdrawal time technique and variability in adenoma detection rate (with videos). Gastrointest. Endosc 2011;74:138-4.
  17. Pienkowski P, Joly-Le-Floch I, Heresbach D et al. (Conseil d’administration de la SFED). Propositions pour la rédaction du compte rendu de coloscopie. Acta Endosc
    DOI 10 1007/s10190-014-0422-9.
  18. Rex DK. Avoiding and Defending Malpractice Suits for Postcolonoscopy Cancer: Advice From an Expert Witness. Clin Gastroenterol Hepatol 2013;11:768-73.
  19. Pienkowski P. Le cancer colorectal d’intervalle après coloscopie. https://www.fmcgastro.org/textes-postus/postu-2015/les-cancers-dintervalle-apres-coloscopie/
  20. Pohl H, Srivastava A, Bensen SP et al. Incomplete Polyp Resection During Colonoscopy—Results of the Complete Adenoma Resection (CARE) Study. Gastroenterology 2013;144:74-80.

Conflit d’intérêt

Aucun