Troubles fonctionnels après une chirurgie digestive haute
Objectifs pédagogiques
- Connaître les conséquences d’une chirurgie oeso-gastrique sur la motricité
- Connaître les conséquences de la chirurgie bariatrique sur le reflux gastro-oesophagien
- Comment mettre en évidence un trouble moteur ou fonctionnel après chirurgie oeso-gastrique
- Comment traiter un trouble moteur ou fonctionnel après chirurgie oesogastrique
Introduction
L’incidence des symptômes fonctionnels de la chirurgie sus mésocolique varie selon le type de chirurgie. Aujourd’hui, les opérations de chirurgie bariatrique, sleeve gastrectomie (SG), by-pass gastrique en Y selon Roux (RYGB) et anneau gastrique (AG), constituent la grande majorité des gestes chirurgicaux. Viennent ensuite la chirurgie œso-gastrique carcinologique, puis les fundoplicatures pour reflux gastro-œsophagien (RGO) résistant à un traitement médical bien conduit.
Ces symptômes fonctionnels peuvent avoir un fort retentissement pour les patients d’autant que leur traitement est souvent difficile. Avant le geste, il est important de prévenir les patients des symptômes pouvant survenir après la chirurgie. Devant des symptômes post opératoires de type dysphagie ou douleur abdominale, il faut d’abord pratiquer des examens morphologiques, endoscopie œso-gastro-duodénale et/ou imagerie digestive haute opacifiée (TOGD ou scanner) afin d’éliminer des complications mécaniques comme une sténose, une fistule ou une ulcération anastomotique. Les complications fonctionnelles ne sont envisagées qu’une fois ces lésions éliminées.
Données épidémiologiques sur les indications opératoires
Aujourd’hui, les interventions de chirurgie bariatrique dominent très largement les indications. Il faut noter qu’il s’agit de patients que nous sommes amenés à voir avant la chirurgie, car il est recommandé par l’HAS de pratiquer une gastroscopie et un dépistage d’Helicobacter pylori avant la chirugie [1]. En France en 2013, 550 000 personnes avaient une obésité morbide et 42 815 ont été opérées (indication : IMC ≥ 40 kg/m2 ou bien avec un IMC ≥ 35 kg/m2 associé à une comorbidité susceptible d’être améliorée par la chirurgie). Ceci représente une multiplication par 3 des patients opérés en 7 ans [2]. Cinquante-six pour cent des patients ont eu une SG, 31 % un RYGB et 13 % un anneau gastrique.
En chirurgie carcinologique, en 2012 on comptait 4 700 nouveaux cas de cancer de l’œsophage et environ 6 500 cas de cancer gastrique, mais on estime qu’environ seulement un tiers des patients est opérable. Enfin, pour ce qui est des fundoplicatures, après un pic en 1999 avec plus de 5 000 patients opérés, le nombre d’interventions n’a fait que décroître pour arriver à probablement à moins de 1 000 gestes par an.
Le rapport bénéfice/risque sur les symptômes fonctionnels en période préopératoire
En préopératoire, la perception par le patient des possibles séquelles fonctionnelles varie selon les indications et le rapport bénéfice/risque. Au même titre que le chirurgien, même si le gastroentérologue n’est pas l’interlocuteur direct, en tant qu’acteur à part entière du bilan préopératoire il est important de savoir répondre aux questions des patients et de connaître ces risques.
Chirurgie œsogastrique pour néoplasie
Dans les cas d’œsophagectomie ou de gastrectomie pour cancer, les symptômes digestifs hauts sont fréquents et sont considérés comme « le prix à payer » pour envisager la guérison. La dénutrition est, quant à elle, presque constante et persistante [3]. Cinq ans après une œsophagectomie, 80 % des patients signalent un ou plusieurs symptômes digestifs hauts comme un reflux (60 %), des symptômes de dumping (53 %) ou une dysphagie (27 %) [4]. Le pronostic fonctionnel digestif est globalement assez mauvais et il doit être considéré comme un véritable sacrifice fonctionnel qui est en général entendu et compris de façon pragmatique par les patients, la chirurgie constituant la seule possibilité de guérison. Cependant, ces symptômes semblent assez bien acceptés par les patients, à 5 ans les études de qualité de vie ne retrouvant pas de différence avec celle de la population. Après gastrectomie totale et reconstruction par une anse de Roux en Y la qualité de vie est impactée spécifiquement par les symptômes [5], en revanche l’altération est moindre en cas de gastrectomie partielle.
Chirurgie bariatrique
La balance bénéfice / risque est aisée à aborder en consultation car elle est largement en faveur des bénéfices attendus qui sont métaboliques, rhumatologiques, sociaux et esthétiques. La chirurgie bariatrique augmente également l’espérance de vie [6], même si cet argument n’est pas nécessairement abordé en premier. L’incidence et la gravité des symptômes fonctionnels sont largement inférieures à ceux notés au décours d’une chirurgie à visée carcinologique.
Fundoplicature laparoscopique pour RGO
Le rapport bénéfice risque varie en fonction de la présentation clinique et de l’évaluation para-clinique préopératoire. En cas d’indication « idéale » : les facteurs prédictif de succès à 5 ans des fundoplicatures sont un reflux symptomatique typique en préopératoire, sensible ou dépendant aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), un RGO acide prouvé (en pH-mètrie ou en pH-impédancemètrie) et une chirurgie réalisée par un opérateur entraîné. En revanche, même avec toutes ces conditions réunies, un essai international et multicentrique de très grande ampleur n’a pas prouvé la supériorité des fundoplicatures sur les symptômes par rapport à l’esoméprazole à 5 ans, avec une incidence de symptômes fonctionnels non négligeables[7]. Ce même groupe a toutefois démontré à 5 ans (analyse post hoc) que les fundoplicatures réduisent plus efficacement le temps d’exposition œsophagien à pH acide que l’esomeprazole [8]. La balance bénéfice risque est donc difficile à définir en cas de patients ayant un reflux typique répondant à un traitement médical bien conduit.
En cas de manifestations extra-digestives de reflux (toux chronique, laryngite, asthme, douleur thoracique), le consensus actuel est que la balance bénéfice risque est en défaveur de la chirurgie, car ce sont des manifestations rares et non nécessairement reliées à des anomalies en pH-mètrie. Il s’agit donc d’opérer des symptômes fonctionnels atypiques tout en prenant un risque fonctionnel relativement élevé. Les recommandations restent de ne discuter la chirurgie uniquement si ces symptômes sont soulagés par les IPP [9]. En dehors de cette situation, le bénéfice attendu de la chirurgie est pauvre même si de nombreuses études ouvertes rapportent une amélioration de la toux [10].
Enfin, en cas d’œsophagite réfractaire au traitement par IPP, la cicatrisation est obtenue dans 80 % des cas par une intervention de Nissen [11] et le rapport bénéfice risque penche ici en faveur de la chirurgie.
Reflux gastro-œsophagien et chirurgie bariatrique
L’obésité est associée au RGO. Avant la chirurgie, environ 50 % des patients obèses morbides ont des symptômes de reflux [12,13]. La prévalence du reflux asymptomatique, retrouvé lors d’un bilan systématique, est également élevée. Une étude a comparé les données cliniques et endoscopiques de 150 patients obèses morbides appariés sur le sexe et l’âge à 300 patients témoins (BMI normal). Seize pour cent des patients obèses avaient des symptômes de reflux et 34 % une œsophagite à l’endoscopie, contre respectivement 8 et 17 % du groupe contrôle [14].
Bien que cela ait été écrit, il est faux de dire que « tous les montages améliorent le RGO » [15]. Cette confusion est due à de nombreuses études cliniques ouvertes basées uniquement sur les symptômes rapportés par les patients (niveau de preuve insuffisant). Du fait de la dissociation entre le reflux objectif mesurable et le ressenti des symptômes, il est nécessaire de prendre en compte les études mesurant la pH-mètrie afin de véritablement comprendre le vrai du faux.
By-pass gastrique et RGO : le by-pass gastrique en Y selon roux (RYGB) ne génère pas de RGO de novo, il guérit les patients ayant un RGO préopératoire [16] et c’est une indication fréquente de conversion en cas de reflux réfractaire après SG ou anneau gastrique. Le montage améliore tous les paramètres mesurables du reflux. L’amélioration des symptômes cliniques est retrouvée dans toutes les études. Le travail rétrospectif de Dupree et al a montré chez 33 847 patients opérés RYGB que plus de 60 % avec des symptômes de RGO préopératoires se disaient améliorés après la chirurgie, 30 % ne sentaient pas de différence et moins de 10 % ressentaient une aggravation de leurs symptômes [17]. À un an d’un RYGB, une étude a montré une baisse significative du nombre de patients ayant des symptômes de reflux et la normalisation du score composite de De Meester en pH-mètrie [18] (Tableau I). Une étude endoscopique a par ailleurs confirmé la cicatrisation des lésions d’œsophagite [14] (Tableau II).
Avant RYGB (n=26) | Après RYGB (n=26) | P values | |
---|---|---|---|
Présence de symptomes de reflux | 5 (19,2 %) | 0 | 0,05 |
OEsophagite erovise à l’endoscopie | 11 (42,3 %) | 1 (3,8 %) | 0,01 |
Tableau I. Amélioration des symptômes de RGO et du score de DeMeester après RYGB, d’aprèS [18]
N=40 patients | Préopératoire | Post opératoire (RYGB) | P value |
---|---|---|---|
Présence de symptomes de RGO | 57,50 % | 15 % | < 0,05 |
Ph métrie | |||
Épisodes de reflux | 61,5 +/-50 | 41,4 +/- 54 | < 0,05 |
Épisodes de reflux > 5 min | 2,31 +/- 2,6 | 0,96 +/- 1,7 | < 0,05 |
Temps total à PH < 4 (%) | 4,9 +/- 4,3 | 2,4 +/- 3,7 | < 0,05 |
Score de Demeester | 18,9 +/- 15 | 11,6 +/- 15,5 | < 0,05 |
Tableau II. Comparaison entre données endoscopiques et symptômes de RGO avant et après RYGB, d’après [14]
Le RGO est également une cause de conversion en RYGB après une première chirurgie bariatrique. Dans une série de 50 SG converties en RYGB, le RGO sévère après SG représentait 32 % des indications de conversion [19]. Dans une autre série de 58 patients avec anneau gastrique convertis secondairement en RYGB, 6 l’ont été pour RGO[20]. Un autre travail a mesuré objectivement chez 8 patients souffrant de RGO après anneau gastrique, la normalisation du reflux en pH-mètrie par Capsule Bravo. Le score de De Meester passait de 58.1 à 15 (p<0,05) après conversion. Enfin, un travail récent mais de faible puissance (19 patients) a décrit une régression de l’endobrachyœsophage noté préopératoire chez 36 % des patients ayant eu un RYGB [21].
Une équipe a proposé dans une série de cas une association entre reflux biliaire et douleurs post RYGB qui serait lié à une anse alimentaire trop courte. Dans ce travail 16 patients ont eu un diagnostic posé de reflux biliaire douloureux sur le seul critère endoscopique de présence de bile dans l’anse alimentaire. Les patients ont tous bénéficié d’une reprise chirurgicale. L’anse alimentaire mesurait en moyenne 37 +/- 12 cm versus 1 mètre après reprise. Les patients ont tous été guéris de leur douleur après chirurgie. Cependant cette étude est de trop faible puissance pour valider ce concept d’anse trop courte favorisant le reflux biliaire [22] .
Sleeve gastrectomie et RGO
La SG est une intervention restrictive qui emporte 80 % de l’estomac. Il est transformé en un manchon tubulaire de faible contenance (100 à 150 ml) (Fig. 1). Cependant la sécrétion acide persiste et la baisse du volume gastrique entraîne un défaut de compliance de l’estomac. Les études basées sur les symptômes de reflux après SG sont contradictoires. Des travaux ont d’abord décrit que la perte de poids suivant la chirurgie améliorait les symptômes de reflux à 1 an [23]. Un autre travail a montré l’apparition d’un reflux de novo après SG chez 20 % des patients à 1 an mais qui diminuait à 3 % après un suivi de 3 ans [24]. Une étude de plus grande ampleur sur 4 832 patients opérés d’une SG a montré que 84 % des patients ayant des symptômes de reflux en préopératoire avaient une persistance du reflux contre 15 % de patients améliorés [17].Le reflux de novo après SG concernait 8,6 % des patients opérés. Les études se basant sur la mesure de critères objectifs démontrent que la SG est pourvoyeuse de reflux. Une étude publiée en 2015 a comparé à 1 an les résultats de pH-mètrie et de manométrie œsophagienne avant et après chirurgie [25]. Elle montre que la SG augmente significativement le score de De Meester et diminue significativement la pression moyenne du sphincter inférieur de l’œsophage (Tableau III).
Avant SG (n=92) | Après SG (n=14) | P values | |
---|---|---|---|
Pression moyenne SIO | 17,1 | 12,4 | < 0,05 |
Score de DeMeester | 12,6 | 28,4 | < 0,05 |
Tableau III. Comparaison des pressions moyennes du SIO et du score de DeMeester avant et à 1 an d’une SG d’après [25]
Cependant la méthodologie est critiquable au vu des effectifs car si tous les patients ont eu un bilan en préopératoire (n=92), seulement 14 ont été explorés en postopératoire.
Un autre travail prospectif mené sur 20 patients a confirmé une majoration de l’exposition acide dans l’œsophage après SG, une diminution de la pression de repos du sphincter inférieur de l’œsophage 3 mois après l’opération [26] (pression moyenne du SIO passant de 18.3 ± 9.2 à 11.0 ± 7.0 mm Hg, p = 0.02). Dans une large série de 1041 Sleeve suivies sur 6 ans, la présence d’un reflux sévère était une cause de conversion en RYGB chez 1,2 % des patients [18]. Devant le risque de reflux après sleeve certains auteurs préconisent d’expliquer aux patients qu’ils seront à risque de prendre des IPP à vie dans les suites de la chirurgie.
Anneau gastrique et RGO
L’anneau gastrique est encore posé par quelques équipes en France car il s’agit de la technique la moins morbide et c’est une chirurgie à caractère réversible, sans modification anatomique contrairement au RYGB et à la SG. Certains réservent cette indication à des sujets jeunes ayant un IMC <50, à l’inverse d’autres équipes posent un anneau chez des patients âgés du fait du risque opératoire moindre [2]. Cela ne correspond à aucune recommandation validée. Globalement, l’anneau engendre du reflux de novo. Trois ans après la pose d’un AG, une étude a montré l’apparition de symptômes de reflux chez 20 % des patients [24]. Comme après la SG, un reflux réfractaire au traitement médical bien conduit par IPP après anneau est une cause de reprise chirurgicale pour conversion en RYGB [27] qui permet de guérir les symptômes. En cas de reflux préopératoire, une période d’amélioration des symptômes peut être constatée les 6 premiers mois, avec un retour symptomatique secondaire et chronique [28, 29].
Cas particulier du mini by-pass en oméga et du reflux biliaire
La technique de chirurgie bariatrique dite du « mini by-pass Gastrique en Oméga » tend à être de plus en plus pratiquée. Le montage chirurgical a été décrit il y a environ 20 ans par Rutledge [30]. Il consiste en une anse en oméga anastomosée directement sur un tube gastrique créé par agrafage (fig. 1) avec une seule anastomose à réaliser par rapport au RYGB. Par rapport au RYGB, cette opération est plus rapide, environ 30 % de temps opératoire en moins, moins morbide et aussi efficace sur la perte de poids [31]. Ce montage chirurgical s’est répandu rapidement notamment aux USA et se développe en France. Cependant le montage anastomotique entre l’anse en oméga et le tube gastrique est objet de controverse. Il favorise, au moins théoriquement, le passage des secrétions bilio-pancréatiques dans le tube gastrique (Fig. 1). À ce jour une seule étude incluant 15 patients ne retrouve pas d’augmentation du reflux biliaire [32] après mini by-pass gastrique en Oméga. Enfin, le reflux biliaire est suspect d’être carcinogène au long cours.
Conclusions et recommandations sur la chirurgie bariatrique et le RGO
Il faut retenir que le RYGB guéri du RGO, et que SG et AG peuvent créer ou aggraver un RGO. Il n’existe à ce jour aucune recommandation validée de l’HAS sur l’intérêt de pratiquer systématiquement une pH-mètrie, ou une pH-impédancemètrie, et une manométrie avant la pratique d’une chirurgie bariatrique. Il n’y a aucune recommandation non plus sur l’attitude chirurgicale à privilégier devant la découverte d’une hernie hiatale sur une gastroscopie dans le bilan préopératoire de chirurgie bariatrique. Cependant, il existe actuellement un consensus de pratiques respecté par la grande majorité des équipes chirurgicales :
- La présence de symptômes de reflux en préopératoire doit orienter vers une indication de RYGB plus que de SG ou d’anneau. Dans ce cas, il est possible de compléter les démarches préopératoires par la pratique d’une pH-mètrie et décider de l’indication en fonction du résultat.
- La présence de signes endoscopiques de reflux, œsophagite et endobrachyœsophage, doit orienter vers une indication de RYGB plutôt que vers une SG ou un ou d’anneau.
- La présence d’une hernie hiatale de grande taille, 4 à 5 cm, lors de l’endoscopie préopératoire doit orienter vers une indication de RYGB plus que de sleeve ou d’anneau.
Pour la pratique :
- Le RYGB guérit le reflux acide, la sleeve et l’anneau peuvent créer ou aggraver un reflux acide.
- La sleeve et l’anneau gastrique peuvent être convertis en RYGB pour cause de reflux symptomatique post opératoire.
- Le mini by-pass est un montage chirurgical en expansion qui pourrait engendrer un reflux biliaire.
- À ce jour il n’est pas recommandé de pratiquer systématiquement une manométrie ou une pH-mètrie ou une pH-impédancemètrie avant une chirurgie bariatrique. La place de la manométrie n’est pas déterminée, il ne paraît pas abusif de la réaliser si un bilan fonctionnel est nécessaire.
- À ce jour le consensus de pratique est de réaliser un RYGB plutôt qu’une Sleeve ou un anneau chez des patients ayant des symptômes et/ou des signes objectifs de reflux.
- À ce jour il n’est pas recommandé de dépister par EOGD les conséquences au long cours d’un reflux après une sleeve ou un anneau, en particulier la survenue d’un endobrachyœsophage.
Troubles moteurs après chirurgie digestive haute
La survenue d’une gastroparésie postopératoire est évoquée devant une satiété précoce, une sensation de nausée et des vomissements postprandiaux précoces ou tardifs. Il s’agit d’une anomalie motrice qui ne doit pas être confondue avec l’effet restrictif induit par les modifications anatomiques des chirurgies. La gastroparésie est la conséquence d’une lésion du nerf vague, systématique en cas de chirurgie carcinologique, accidentelle après fundoplicature ou chirurgie bariatrique. L’examen complémentaire de référence pour porter le diagnostic gastroparésie est la scintigraphie de vidange gastrique après ingestion d’un repas radio-marqué, montrant un ralentissement de la vidange des solides et/ou des liquides. Le test respiratoire à l’acide octanoïque est aussi une technique validée mais moins diffusée.
Troubles moteurs après chirurgie carcinologique de la jonction œsogastrique
Ces chirurgies s’accompagnent systématiquement d’une vagotomie tronculaire. Après œsophagectomie totale, les anomalies motrices du tube gastrique sont fréquentes et souvent sévères. Un tiers des patients a une scintigraphie de vidange très altérée mais il faut noter que la vidange tende à s’améliorer avec le temps [33]. Après gastrectomie totale et anastomose œso-jéunale en Y, le syndrome de l’anse de Roux est une anomalie sur l’anse montée en Y, favorisée par une anse trop longue (supérieure à 40 cm) et qui crée une stase alimentaire dans l’anse. Cela concerne environ un tiers des patients. Les symptômes associent des douleurs thoraciques, des symptômes reflux, des vomissements et une sensation de plénitude post prandiale [34]. La manométrie sur l’anse montée peut être utile pour confirmer le diagnostic même si elle n’aura que peu de conséquence sur les options thérapeutiques ; elle montre des anomalies de propagation du complexe moteurs migrant de présentation variable et non spécifiques.
Troubles moteurs après fundoplicature
Avant toute fundoplicature, la manométrie œsophagienne est indispensable. Elle détecte 7 à 10 % de troubles moteurs de l’œsophage qui sont considérés comme des contre indications à la réalisation d’une chirurgie anti-reflux [35]. Qui plus est, en cas de dysphagie post opératoire persistante sans sténose à l’endoscopie, elle sert d’élément de référence pour la nouvelle manométrie. Les troubles moteurs sont en général peu spécifiques mais il existe parfois des achalasies secondaires après fundoplicature (Nissen) ; une étude portant sur 250 patients opérés ayant eu une manométrie préopératoire retrouvait une achalasie secondaire chez 7 patients (2 ,8 %) [36]. Enfin, la gastroparésie postopératoire est une situation rare qui résulte d’une lésion accidentelle du vague.[37]
Troubles moteurs après chirurgie bariatrique.
L’incidence des troubles de la vidange gastrique après RYGB est peu connue. Une seule série de 6 cas a été publiée, 4 patients avaient un retard de vidange sévère et 2 une accélération de la vidange [38]. Après SG, il existe le plus souvent une accélération significative de la vidange des solides comme des liquides, liée à la baisse de compliance de l’estomac tubulisé et n’est pas considérée comme pathologique [39]. Il est possible que cette modification de la motricité participe à la perte de poids [40].
La pratique d’une manométrie œsophagienne systématique avant une SG, un RYGB ou la pose d’un anneau gastrique n’est pas recommandée. Cependant, quand elle est pratiquée, il est fréquent de mettre en évidence des troubles moteurs de l’œsophage avant la chirurgie. Dans une étude chez 77 patients, 14 (18 %) avaient des anomalies à la manométrie. Après AG, l’incidence des troubles moteurs de l’œsophage a été évaluée à 1,9 %. Dans 55 % des cas il s’agit d’une pseudoachalasie [41]. Cette complication rare de l’AG survient quand l’anneau se positionne en regard du sphincter inférieur de l’œsophage. Le diagnostic est évoqué en cas de dysphagie ou de douleurs rétro-sternales, le scanner ou le TOGD montre souvent une dilatation œsophagienne. Le diagnostic est fait par la manométrie qui montre une absence de relaxation du SIO associée à un apéristaltisme de l’œsophage. Le desserrage de l’anneau peut permettre une amélioration des symptômes et du tracé manométrique. Le retrait ne garantit pas un retour complet à la normale car il peut persister des troubles moteurs. Dans une série de 6 cas [42] , le desserrage de l’anneau entraînait une amélioration des symptômes chez 5 patients sur 6, mais 2 conservaient un apéristaltisme. Il existe des cas décrits d’achalasie après SG [43] comme après RYGB [44] , il pourrait s’agir de cas incidents d’achalasie sans rapport avec la chirurgie.
Traitement des troubles moteurs
Le traitement des achalasies secondaires après fundoplicature répond au même organigramme thérapeutiques que les achalasies primitives [36] : dilatations itératives, éventuellement toxine botulique, puis en cas d’échec il faut envisager la reprise chirurgicale. Le traitement de la pseudo-achalasie après AG repose sur le desserrage et le retrait de l’anneau. Quel que soit le montage chirurgical, le traitement des anomalies de la vidange gastrique vise à diminuer les symptômes, bien qu’il n’y ait aucune étude sur le sujet. Il repose d’abord sur le fractionnement de l’alimentation. Les prokinétiques, métoclopramide et dompéridone sont d’une efficacité souvent limitée. En cas d’échec il est possible d’introduire sous surveillance hospitalière de l’érythromycine en intra veineuse lente avec relais per os en cas d’efficacité de la voie IV. La dilatation pylorique au ballonnet ou l’injection intra-pylorique de toxine botulique ont été proposées, il n’est pas possible de conclure quant à leur efficacité. La stimulation électrique gastrique par pace-maker gastrique peut être efficace dans les gastroparésies liée aux vagotomies [45].
Pour la pratique :
- La pseudo-achalasie est une complication rare de l’anneau gastrique qui se traite par le desserrage et/ou le retrait de l’anneau.
- Une scintigraphie de vidange gastrique permet de confirmer le diagnostic de gastroparésie.
Diarrhée, flatulences et vomissements après chirurgie bariatrique
La diarrhée a une prévalence de 5 % à 30 % après by-pass [46]. Elle est souvent de composante multifactorielle associant colonisation bactérienne chronique du grêle, anomalies motrices et dumping syndrome [47]. Elle est en général bien contrôlée par la prise de lopéramide. En cas de diarrhée profuse et d’une perte de poids qui ne se stabilise pas, il est impératif de chercher une complication mécanique de type fistule intestinale (fistule jejuno-jéjunale ou jéjuno-colique). Le diagnostic est fait par un scanner avec opacification digestive et le traitement est la reprise chirurgicale. L’incidence de l’incontinence fécale est largement sous estimé après la chirurgie bariatrique [49]. Des épisodes de pertes fécales sont rapportées chez 40,5 % [46] des patients après RYGB. L’AG en revanche est associé à de la constipation [46].
Les vomissements sont habituels en post opératoire immédiat, quel que soit le montage chirurgical. Au long cours, des vomissements occasionnels sont présents chez un à deux tiers des patients et correspondent le plus souvent à des écarts alimentaires. Ces symptômes sont en règle générale contrôlés par des mesures hygiéno-diététiques simples comme diminuer le volume des repas, diminuer la vitesse d’ingestion et fractionner les prises alimentaires [47]. En cas d’anomalies persistantes, il faudra rechercher une gastroparésie.
Le dépistage systématique par test respiratoire au glucose, de la pullulation bactérienne après by-pass montre une augmentation de l’incidence [48] des tests positifs. Toutefois la positivité n’était pas corrélée à une diarrhée ni à des carences en vitaminiques. Les flatulences sont loin d’être un symptôme bénin : l’incidence des flatulences est particulièrement élevée, passant de 4,5 % à 55 % des patients après RYGB. Souvent sévères, elles impactent fortement la qualité de vie car elles sont fréquentes et peuvent être particulièrement malodorantes avec une altération de la vie sociale. Le mécanisme en est mal compris, le traitement repose sur les mesures habituelles, comme le charbon, parfois efficaces.
Pour la pratique
- Nausées et vomissements sont habituels et se traitent par le fractionnement des repas.
- L’incontinence fécale est fréquente et sous estimée après chirurgie bariatrique.
- Les flatulences après by-pass concernent 50 % des patients, elles altèrent fortement la qualité de vie.
- La diarrhée est fréquente, souvent multifactorielle, et habituellement bien contrôlée par le lopéramide.
Dumping syndrome après chirurgie digestive haute
Le dumping syndrome se définit comme « toute sensation de malaise survenant après l’ingestion d’un repas ». Il peut compliquer tous les montages chirurgicaux. Il existe deux types, dumping précoce et tardif. Ils ont deux mécanismes différents et se distinguent cliniquement par le temps de survenue après le repas et par la présence ou non d’une hypoglycémie [50].
Le dumping précoce survient dans les 30 à 60 minutes après le repas. Il correspond à un mécanisme osmotique lié à l’arrivée trop rapide d’aliments hyperosmolaires dans le jéjunum. Ceci entraîne un appel d’eau, une distension du grêle et une diarrhée accompagnée par une symptomatologie clinique floride : flush, tachycardie, nausées, vomissements, borborygmes et douleurs abdominales. Le dumping tardif survient 90 à 240 minutes après l’ingestion du repas. Il correspond à un pic insulinique postprandial et une hypoglycémie. Ces hypoglycémies peuvent être particulièrement sévères et handicapantes avec malaise et chutes. Elles altèrent considérablement la qualité de vie.
Stratégie thérapeutique du dumping syndrome
La stratégie de prise en charge est bien codifiée. Elle repose majoritairement sur les règles hygiéno-diététiques, essentiellement le fractionnement de la prise alimentaire et la diminution voire la suppression des sucres d’absorption rapide, qui permettent de traiter le dumping dans près de 90 % des cas. En cas d’échec des règles hygiéno-diététiques il est possible d’utiliser l’acarbose (Glucor®), un inhibiteur de l’alphaglucosidase qui ralentit le fractionnement des di- en monosaccharides et baisse la vitesse absorption des monomères de sucres. L’acarbose a montré son efficacité dans les dumpings tardifs en réduisant les hypoglycémies [51]. La supplémentation en fibres (pectine, 2 ,5 à 5 g par repas, ou guar 5 à 10 g par repas) est également efficace. Cependant c’est astreignant et lassant pour les patients du fait de mauvaise tolérance gustative. En dernier recours, l’octréotide (hors AMM) est un traitement très efficace dans les deux types de dumping [50]. L’octrétotide ralentit la vidange gastrique et le transit intestinal, inhibe la vasodilatation postprandiale et diminue la sécrétion d’insuline. Le traitement doit être d’introduction hospitalière (50 microgrammes par voie sous-cutanée trois fois par jour avant les repas). Le relais par une forme retard (20 mg à libération prolongée mensuel) peut être fait en cas d’efficacité de la forme immédiate. De façon exceptionnelle, il faut savoir envisager la reprise chirurgicale ou la nutrition parentérale en cas de dumping réfractaire qui conduit à une dénutrition liée à l’impossibilité de s’alimenter [52].
Pour la pratique :
- Les dumping syndromes (précoces ou tardifs) sont de diagnostic clinique et se traitent par le simple respect des règles hygiéno-diététiques dans la plupart des cas.
- En cas de résistance, l‘acarbose est efficace dans les dumpings tardifs, l’octréotide est efficace dans les deux types et doit être introduit en milieu hospitalier avec relais par injections à libération prolongée.
Complications fonctionnelles après fundoplicature
Les complications et les résultats fonctionnels parfois mauvais ont fait reculer les indications des fundoplicatures. On estime à 10 % le nombre de patients qui seront réopérés, majoritairement pour des dysphagies ou des récidives du reflux. Il est fréquent (37 % des cas) que les patients poursuivent un traitement IPP au long cours après l’opération [53]. Le pré requis reste de bien identifier les patients en préopératoire. Dans la majorité des cas les symptômes fonctionnels persistants au-delà de 3 mois s’améliorent au bout de 6 mois. La dysphagie, habituelle en post-opératoire immédiat (10 à 50 %) ne persiste que dans 3 à 24 % des cas [37]. Le gas-bloat syndrome, que l’on peut définir comme une sensation de ballonnement abdominal postprandial avec impossibilité d’éructer, est plus fréquent après une fundoplicature de Nissen (circulaire) que de Toupet (partielle) et son incidence varie de 1 à 85 % selon les séries. Cependant, dysphagie et gas-bloat syndrome sont souvent ressentis comme mineurs par rapport au ressenti du reflux avant la chirurgie [54]. En cas de ré-intervention, des anomalies du montage (lâchage de la valve ou migration du montage en intra-thoracique) sont présentes dans 80 % des cas. Les dilatations endoscopiques du cardia, comme au cours de l’achalasie, sont une option thérapeutique en cas de dysphagie persistante [55]. La prise en charge thérapeutique du gas-bloat syndrome n’est pas codifiée, certains proposent des dilatations avec des résultats médiocres.
Pour la pratique :
- Après fundoplicature la récidive du RGO doit faire rechercher une ascension du montage ou un démontage.
- Après fundoplicature il est fréquent de continuer à consommer des IPP.
- En cas de dysphagie, en l’absence de complication mécanique, la dilatation est une option efficace surtout après intervention de Nissen.
Références
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Les Six points forts
- Après chirurgie œso-gastrique, les complications fonctionnelles sont fréquentes. Elles ne s’envisagent qu’après des explorations morphologiques (endoscopie, transit baryté, TDM) éliminant les complications mécaniques (sténose, fistule, ulcération).
- La chirurgie bariatrique est la principale cause de complications fonctionnelles après une chirurgie œso-gastrique. La présence d’un RGO sévère en pré opératoire ou d’une volumineuse hernie hiatale doit faire préférer la réalisation d’un by-pass gastrique à la sleeve gastrectomie.
- Après fundoplicature pour RGO, environ 10 % des patients ont des séquelles fonctionnelles. L’évaluation paraclinique préopératoire doit être rigoureuse.
- Après chirurgie à visée carcinologique curative, les sacrifices fonctionnels et nutritionnels sont constants ; le patient les accepte mieux mais il doit en être prévenu.
- En cas de symptômes digestifs hauts post-opératoires, les explorations fonctionnelles œsophagiennes (manométrie, pH-mètrie ou pH-impédancemètrie) permettent de confirmer la réalité du RGO ou l’existence d’un trouble moteur œsophagien.
- L’incontinence fécale est fréquente et sous-estimée après by-pass.
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