Comment optimiser la prise en charge de l’ischémie intestinale ?

POST’U 2019

Colo-proctologie,  Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les causes et les bases physiopathologiques de l’ischémie intestinale
  • Savoir évoquer et confirmer une ischémie intestinale aiguë et chronique
  • Connaître les signes de nécrose intestinale indiquant à une chirurgie
  • Connaître le traitement d’urgence de l’ischémie intestinale
  • Connaître les principes de la surveillance et de prévention des récidives

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Les 5 points forts

  1. L’ischémie intestinale doit être évoquée dans sa forme aiguë devant toute douleur abdominale brutale et/ou non soulagée par les antalgiques de palier 2 et dans sa forme chronique devant tout signe digestif exacerbé par l’alimentation et/ou inexpliqué.
  2. Le diagnostic doit être confirmé par un angioscanner abdominal, mentionnant la suspicion d’ischémie intestinale, avec acquisitions aux temps non-injecté, artériel et portal.
  3. L’intestin grêle et le côlon droit ayant une vascularisation commune, toute colite ischémique droite est à considérer/traiter comme une ischémie intestinale.
  4. Une défaillance d’organe, une élévation des lactates sériques et une dilatation des anses intestinales au scanner constituent les trois signes prédictifs d’une nécrose intestinale irréversible nécessitant une évaluation chirurgicale sans délai.
  5. Une prise en charge en urgence pluridisciplinaire optimisée permet d’améliorer la survie. Elle associe de façon standardisée 1) un protocole médical incluant une antibiothérapie orale/entérale, 2) une revascularisation chaque fois que possible et 3) une résection de toute nécrose intestinale irréversible.

Remerciements

Professeur Olivier Corcos – Dominique Cazals-Hatem pour l’iconographie histologique.

Introduction

L’ischémie intestinale (ou ischémie mésentérique) est une urgence médico-chirurgicale absolue, digestive et vasculaire. L’évolution vers la nécrose est un tournant évolutif irréversible grevé de lourdes séquelles intestinales et d’une mortalité très élevée 1.Ainsi, toute ischémie intestinale devrait être reconnue et traitée à un stade potentiellement réversible, précoce ou chronique 2. En l’absence de biomarqueur disponible, cette démarche nécessite un haut degré de suspicion diagnostique et la conduite d’une thérapeutique spécifique ayant deux objectifs indissociables : sauver l’intestin et la vie du patient 3. Nous développons ici les bases physiopathologiques et les approches diagnostiques et thérapeutiques optimisées dans notre Structure d’URgences Vasculaires Intestinales (SURVI) ayant conduit à une amélioration récente du pronostic de l’ischémie intestinale dans ses différentes formes chroniques et aiguës 4-6.

Rappels physiopathologiques

L’ischémie intestinale est secondaire à une insuffisance vasculaire par occlusion ou bas-débit dans le territoire des artères splanchniques (Figure 1) 1, 7. L’hypoperfusion de la muqueuse intestinale est à l’origine d’une desquamation épithéliale par nécrose débutant au sommet de la villosité et s’étendant rapidement en profondeur. Ces lésions, aggravées par l’afflux de polynucléaires et médiateurs pro- inflammatoires, conduisent à une rupture de la barrière épithéliale permettant l’invasion des lésions muqueuses par le microbiote 8. À travers la circulation sanguine, la translocation des bactéries intestinales fait du tube digestif ischémique un véritable foyer infectieux 9. L’absence d’un rétablissement rapide d’une perfusion digestive suffisante conduit à une nécrose intestinale transmurale irréversible avec péritonite et syndrome inflammatoire de réponse systémique (SIRS) aboutissant à un décès par défaillance multi-viscérale 10.

Figure 1. Physiopathologie de l’ischémie intestinale aiguë
SIRS : syndrome inflammatoire de réponse systémique
SRAA : système rénine-angiotensine-aldostérone

Démarche diagnostique générale

L’ischémie intestinale est définie par l’association 1) d’une insuffisance vasculaire mésentérique, 2) d’une souffrance digestive et 3) l’absence de toute autre cause de souffrance digestive (Figure 2) 1, 3. L’insuffisance vasculaire est occlusive, par une embolie ou thrombose artérielle et/ou veineuse et objectivée par l’imagerie, ou non-occlusive par vasospasme et alors évoquée par un contexte de bas débit systémique ou toxique (vasoconstricteurs). La souffrance digestive est suspectée devant des signes cliniques et biologiques non spécifiques et objectivée par des examens morphologiques (imagerie, endoscopies, biopsies digestives) qui éliminent par ailleurs tout autre diagnostic différentiel. En cas d’ischémie intestinale aiguë (IIA), l’angioscanner abdominal est l’examen le plus adapté, sensible, spécifique et suffisant pour identifier ces trois éléments diagnostiques, vasculaire, digestif et différentiel 11, 12. Cependant, la performance diagnostique du scanner nécessite d’être optimisée par un protocole d’acquisition adapté (sans et après injection de produit de contraste aux temps artériel et portal) et par l’information du radiologue de la suspicion diagnostique (Figure 3) 13, 14. Ainsi, dans le travail de Lehtimaki et al., la sensibilité diagnostique du scanner était significativement améliorée lorsque la suspicion d’ischémie intestinale était mentionnée sur la demande d’examen (97 % vs 81 %, p = 0.04) 14. La systématisation vasculaire de l’atteinte digestive morphologique peut également suggérer une origine ischémique (Tableau 1). Lorsqu’elle touche le côlon droit, l’ischémie est associée à une lésion vasculaire de l’artère mésentérique supérieure dans 25 % des cas et rejoint alors le pronostic de l’IIA dont elle doit être considérée comme une forme segmentaire particulière 15-17.

Figure 2. Définition de l’ischémie intestinale

Figure 3. L’angioscanner abdominal aux temps non injecté, artériel et portal : pierre angulaire du diagnostic d’ischémie intestinale
A-B : Coupes transversales, (A) montrant une hyperdensité de la paroi intestinale par souffrance/suffusion hémorragique au temps non injecté, à ne pas confondre avec un rehaussement, l’aspect étant inchangé après injection au temps portal (B).
C-D : Coupes sagittales, temps artériel, sténose à 90 % par un thrombus aigu de l’artère mésentérique supérieure (flèches noires) avant (C) et après thrombolyse intra-artérielle (D).
E-F : Signes de nécrose intestinale. (E) Coupe frontale, temps portal, thrombose porto-mésentérique complète (flèches) associée à une dilatation et un défaut de rehaussement pariétal du jéjunum proximal (têtes de flèche blanches) en comparaison aux anses iléales normales (têtes de flèche noires). (F) Coupe transversale, temps portal, dilatation intestinale avec fécès sign (flèches).

Vaisseau digestif Organes vascularisés Topographie des lésions digestives
Ischémie occlusive proximale

(ex : thrombose athéromateuse)

Ischémie non occlusive ou occlusive distale

(ex : embolies, vascularite)

 

Tronc coeliaque

Estomac, duodénum Vésicule biliaire, pancréas Foie, rate Ulcères gastro-duodénaux Cholecystite, pancréatite Infarctus spléniques  

 

Ischémie gastro-intestinale segmentaire et (multi) focale sans systématisation vasculaire

Artère et veine mésentérique supérieure Jéjunum, iléon Côlons droit et transverse Ischémie intestinale étendue et colite ischémique droite
Artère et veine mésentérique inférieure Côlon gauche, haut rectum Colite ischémique gauche épargnant le rectum

Tableau 1. Vascularisation et systématisation des lésions digestives ischémiques en fonction du mécanisme et du vaisseau impliqué

Enfin, la prise en charge de toute ischémie intestinale doit inclure la recherche de la cause cardiovasculaire ou thromboembolique sous-jacente (facteurs de risque cardiovasculaires, cardiopathie emboligène, thrombophilie, vascularite) et le traitement d’un état de malnutrition ou carentiel souvent associé, au besoin par une nutrition parentérale péri-opératoire (Tableau 2).

Ischémie intestinale Causes et facteurs favorisants à rechercher
 

 

 

 

Occlusive

 

 

Maladie vasculaire

– Athérome (principale cause)

– Anévrysme, dissection

– Dysplasie fibro-musculaire

– Vascularites

– Traumatisme vasculaires (manœuvres chirurgicale ou endovasculaires, arrachements, compression tumorale, notamment neuroendocrine)

 

Maladie pro-thrombotique ou embolique

– Thombophillie

– Inflammation intra-abdominale ou systémique

– Hypertension portale

– Cardiopathie emboligène

– Embolies de cholestérol

 

 

Non-occlusive

– Bas débit systémique (hypovolémie, choc, déplétion dialytique)

– Clampages vasculaires, circulation extra-corporelle

– Toxiques et iatrogénie (cocaïne, amphétamines, catécholamines)

– Drépanocytose, leucostase

– Effort intense et prolongé (marathon)

Tableau 2. Causes d’ischémie intestinale et facteurs favorisants

Ischémie intestinale chronique (IIC)

Savoir évoquer le diagnostic d’IIC

L’ischémie intestinale chronique (IIC) ou angor intestinal, correspond à une ischémie d’origine arté- rielle intermittente et survenant « à l’effort digestif », i.e. déclenchée par chaque repas et améliorée par la restriction alimentaire ou le jeûne (« peur alimentaire »). La triade symptomatique classique associe 1) une douleur abdominale per ou postprandiale précoce entraînant 2) une restriction alimentaire antalgique et 3) une perte de poids. L’examen clinique, peu contributif, peut retrouver un souffle systolique abdominal 1, 7, 18, 19. Par ailleurs, de nombreuses présentations atypiques et confondantes ont été décrites, pseudo-occlusives (intolérance alimentaire, gastroparésie), pseudo-inflammatoires (ulcérations, malabsorption, syndrome inflammatoire biologique récidivants), sans perte de poids ou déclenchées par un effort physique (Figure 4) 6, 19-21. D’une manière générale, une origine vasculaire ischémique devrait être systématiquement évoquée devant toute symptomatologie digestive chronique exacerbée par l’alimentation orale et/ou inexpliquée et/ou devant toute ulcération muqueuse gastro-intestinale n’ayant pas fait la preuve de son origine, a fortiori lorsqu’il existe une perte de poids.

Figure 4. Triade symptomatique classique et formes atypiques d’ischémie mésentérique chronique

Savoir confirmer le diagnostic d’IIC

Le diagnostic d’IIC repose sur un faisceau d’arguments associant une symptomatologie postprandiale évocatrice, une lésion vasculaire potentiellement responsable (angioscanner, à défaut IRM ou écho-doppler), athéromateuse dans l’immense majorité des cas, l’exclusion des autres causes de symptomatologie abdominale chronique (scanner, endoscopies avec biopsies, vidéocapsule) et n’est parfois confirmé que par la résolution des signes après revascularisation.

À l’inverse de l’IIA, l’IIC est intermittente : les signes objectifs de souffrance intestinale peuvent manquer et la normalité des examens paracliniques n’élimine pas le diagnostic. De plus, la prévalence des lésions artérielles mésentériques augmente avec l’âge et atteint 5-18 % en population générale et jusqu’à 50 % en cas de terrain vasculaire 18. La plupart étant asymptomatiques, la responsabilité d’une lésion vasculaire à l’origine d’une symptomatologie digestive chronique peut être très difficile à affirmer. Elle nécessite généralement l’atteinte de 2 des 3 artères digestives, mais une atteinte unique responsable a été rapportée dans 30 % des cas 19, 22.

Compte tenu de ces difficultés diagnostiques, plusieurs méthodes d’évaluation fonctionnelle de la perfusion mésentérique ont été développées, parmi lesquelles l’échographie-doppler mésentérique avant et après repas-test  11, 23, la tonométrie gastro-intestinale 24 et la Visible Light Spectroscopy qui mesure la saturation en oxygène de la muqueuse digestive au cours d’une endoscopie 25. Leur intérêt dans l’IIA et l’IIC est actuellement évalué en France dans notre unité.

Principes thérapeutiques

En raison de ses complications propres et du risque imprévisible d’IIA, le traitement de toute IIC est une urgence médico-interventionnelle. Un angor méconnu et non traité est la cause de 19 à 52 % des IIA 5, 26. La pierre angulaire du traitement est la revascularisation, recommandée par l’American Heart Association et l’European Society of Vascular Surgery pour toute IIC symptomatique (grade B) 27, 28.

Chez un patient asymptomatique, la revascularisation préventive de lésions significatives de l’artère mésentérique supérieure n’est pas recommandée, sauf en préopératoire d’une chirurgie aortique ou rénale (grade B). En cas d’atteinte vasculaire multiple, une revascularisation première de l’artère mésentérique supérieure doit toujours être proposée. En cas d’impossibilité, et en raison du réseau de collatéralité entre les artères digestives, la revascularisation du tronc cœliaque et/ou de l’artère mésentérique inférieure peut amener à une résolution de l’IIC 29. À l’extrême, chez le patient non éligible à une revascularisation, nous avons observé une amélioration clinique chez 4 des 6 patients d’une série après perfusion d’iloprost (ilomédine®), analogue de la prostacycline ayant un effet vasodilatateur périphérique, antiagrégant et immunomodulateur et utilisé dans le syndrome de Raynaud, l’ischémie critique des membres inférieurs et l’hypertension artérielle 30. De plus, le traitement médical doit inclure un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) afin d’optimiser le flux sanguin muqueux gastrique et favoriser la cicatrisation des ulcérations gastro-intestinales ischémiques 18.

Les techniques de revascularisation chirurgicales ou endovasculaires percutanées sont associées à des taux de succès immédiats dépassant généralement les 90 %. L’angioplastie percutanée est associée à une morbidité moindre à court terme, mais expose à des récidives plus fréquentes à long terme surtout en l’absence de pose de stent 19. Néanmoins, le faible niveau de preuve des études scientifiques rend la comparaison des différentes techniques délicate et explique l’absence de consensus et recommandation actuels 27. De plus, la possibilité d’un échec ou d’une thrombose/acutisation per-procédure doit toujours être anticipée en vue d’une revascularisation chirurgicale immédiate au décours. Finalement, le choix de la technique repose sur une évaluation au cas par cas des bénéfices et risques interventionnels, des possibilités d’optimisation/préparation préopératoire (nutritionnelle et cardiovasculaire) et décidée en concertation multidisciplinaire et avec le patient.

Ischémie intestinale aiguë (IIA)

Savoir évoquer le diagnostic d’IIA

À l’encontre des idées reçues, la plupart des patients avec IIA consultent aux urgences à un stade précoce potentiellement réversible, mais encore insuffisamment reconnu. En effet et de façon déroutante, la majorité des malades se présente initialement sans antécédent cardiovasculaire connu, sans abdomen chirurgical, sans défaillance d’organe et sans élévation du lactate plasmatique 5, 31, 32. En revanche, la douleur abdominale aiguë est constante, en dehors du cas particulier du patient de réanimation recevant une sédation 1, 7. Elle peut être inaugurale ou succéder à un angor mésentérique. Elle est typiquement brutale (« vasculaire ») ou rapidement progressive, intense et résistante aux antalgiques non opiacés de palier 2, continue et sans répit, de siège péri-ombilical ou diffus, et contraste avec une palpation abdominale initialement faussement rassurante. Il peut s’y associer des vomissements (48 %), une diarrhée (31 %), une hémorragie digestive (18 %) et un syndrome inflammatoire biologique qui, inconstants et/ou trop tardifs n’ont aucune valeur diagnostique 5, 32. Dans une analyse préliminaire de notre cohorte de patients admis entre 2016 et 2018, comparant 52 cas d’IIA à 85 témoins ayant consulté aux urgences pour une douleur abdominale d’origine non- ischémique, les trois facteurs indépendamment associés à un diagnostic d’IIA étaient le caractère brutal de la douleur, son intensité requérant un morphinique et une protéine C réactive > 20 mg/dl. Ces résultats suggèrent qu’une seule de ces caractéristiques de la douleur abdominale aiguë (brutale, morphino-nécessitante et/ou avec syndrome inflammatoire) justifie la suspicion diagnostique d’IIA et la réali–sation d’un angioscanner en urgence, y compris chez le sujet jeune sans antécédent vasculaire 6, 7.

Savoir confirmer le diagnostic et identifier les signes de nécrose intestinale

Le scanner abdomino-pelvien, pratiqué sans et avec injection de produit de contraste aux temps artériel et portal, est le seul examen nécessaire et suffisant, recommandé en urgence pour le diagnostic positif d’IIA 1, 11, 12. Il doit être réalisé sans délai, y compris en présence d’une insuffisance rénale, le risque de méconnaitre une IIA dépassant largement celui de l’injection du produit de contraste 1, 11, 13. En outre, il permet un bilan des lésions vasculaires et des signes de nécrose intestinale qui vont guider respectivement le traitement de revascularisation 33 et l’indication de chirurgie digestive 5. Les signes de souffrance digestive incluent un épaississement pariétal, une pneumatose pariétale parfois associée à une aéroportie, une infiltration de la graisse mésentérique, une ascite. Les signes de nécrose intestinale sont l’amincissement et/ou le défaut de rehaussement de la paroi intestinale et une dilatation des anses intestinales > 25 mm (Figure 3) 5.

Afin de mieux identifier les patients à haut risque de nécrose irréversible justifiant d’une évaluation chirurgicale sans délai, nous avons établi un score prédictif de nécrose intestinale irréversible guidant la décision chirurgicale d’urgence (Figure 5) 5. Ce score simple inclut trois facteurs prédictifs indépendants, disponibles dès le diagnostic de l’IIA : présence d’une défaillance d’organe, d’une élévation du taux de lactates sériques > 2 mmol/l et d’une dilatation intestinale > 25 mm au scanner. Le taux de nécrose intestinale passait de 3 % en l’absence de ces facteurs, à 38 %, 89 % et 100 % en présence d’un, deux ou trois facteurs (Figure 6). L’aire sous la courbe ROC pour le diagnostic de nécrose irréversible était excellente (0.936 avec un intervalle de confiance à 95 % ; 0.866-0.997) 5. Ces résultats suggèrent qu’en l’absence ou en présence de ces facteurs, une laparotomie devrait être évitée ou proposée.

Figure 5. Principes thérapeutiques de l’ischémie mésentérique aiguë occlusive et critères de résection intestinale

Figure 6. Risque de nécrose intestinale en fonction du score prédictif

Connaître le traitement d’urgence d’une IIA

Le traitement de l’IIA est une urgence absolue dont l’objectif prioritaire est d’éviter/limiter une nécrose intestinale irréversible et ses complications vitales 3, 5. Nos chiffres les plus récents dans la SURVI montrent une mortalité passant de 2 % à 35 % lorsque l’ischémie intestinale est traitée au stade de nécrose irréversible 34. La stratégie repose sur 1) un protocole médical incluant une antibiothérapie orale systématique pour ralentir le processus lésionnel, 2) une revascularisation systématique chaque fois que possible, seule à même de cicatriser les lésions, 3) une résection intestinale en fonction du score de nécrose, avant que n’en surviennent les complications (perforation, péritonite) (Tableau 3, figure 5). Cette stratégie multidisciplinaire d’urgence coordonnée par un gastroentérologue nécessite une prise en charge dans un centre adapté capable de réaliser 24 h/24 une revascularisation et une résection intestinale, dans un environnement réanimatoire et en collaboration avec une unité d’insuffisance intestinale.

Protocole médical de l’ischémie intestinale
Systématique 1. Repos digestif complet (jeûne strict)

2. Oxygénothérapie 4l/min même en l’absence d’hypoxie, adaptée en cas d’hypoxie

3.   Remplissage vasculaire, même lorsque l’hémodynamique systémique est conservée et limiter l’utilisation de catécholamines

4. Inhibiteurs de la pompe à protons IV (Esoméprazole 80 mg/j)

5. Anticoagulation par héparine non fractionnée (HNF) avec objectif d’anti-Xa entre 0,5 et 0,8 ; y compris en cas d’hémorragie digestive non grave

6.   Antibiothérapie orale/entérale : Gentamicine 80 mg/j Métronidazole 1,5g/j

Optionnel – Aspirine IV 100 mg/j si atteinte artérielle

–  Piperacilline-tazobactam IV 4g x3/j en cas de SIRS, défaillance d’organe ou chirurgie digestive

– Aspiration digestive en cas d’iléus

– Transfusion sanguine si Hb < 8g/dL

–  HBPM plutôt qu’HNF en cas d’ischémie veineuse

–  Nutrition parentérale : d’emblée en cas de dénutrition préalable ou en cas de jeûne > 5 jours

L’administration systématique d’une antibiothérapie par voie orale dès le diagnostic d’IIA posé est associée à une diminution du risque de nécrose intestinale (HR = 0.16, IC 95 % : 0.03-0.62, p = 0.01), via une limitation probable de la composante septique de l’ischémie intestinale (pullulation/translocation bactérienne) et une optimisation de sa biodisponibilité luminale au site ischémique 34. En fonction de l’accessibilité des lésions vasculaires et de l’expertise locale, la revascularisation artérielle est réalisée idéalement par voie percutanée première et avant tout geste de résection digestive afin de préserver un maximum d’intestin grêle viable 6, 7, 33. En cas de résection, les segments intestinaux jugés viables seront laissés en stomie pour surveillance et anastomose ultérieures. Au moindre doute, une réévaluation vasculaire et digestive par un nouvel angioscanner et/ou une chirurgie de « second look » est envisagée à 24-48 h. Une nutrition parentérale exclusive est proposée tant que l’ischémie n’est pas levée, d’autant plus qu’il existe une dénutrition préexistante ou un syndrome de grêle court et la réalimentation orale/entérale ne doit être reprise que progressivement, après disparition conjointe de la douleur et du syndrome inflammatoire biologique.

Dans le cas particulier de l’ischémie non-occlusive (situation de réanimation) la priorité thérapeutique est au rétablissement d’une hémodynamique splanchnique suffisante par une revascularisation en cas de lésions vasculaires sténosantes souvent associées et par le traitement de la cause de l’hypoperfusion

(hypovolémie, sepsis, défaillance cardiaque, hémorragie), en privilégiant tant que possible le remplissage vasculaire à l’utilisation d’amines vasopressives. La souffrance ischémique de la muqueuse digestive justifie le maintien du protocole médical commun incluant les antibiotiques administrés par voie orale ou entérale. En l’absence d’amélioration rapide, une artériographie avec perfusion intra-artérielle de vasodilatateurs (papavérine) est recommandée 35, 36. Le traitement chirurgical n’est alors proposé qu’en dernier recours en cas d’aggravation persistante du patient malgré ces mesures dites « hémodynamiques » ou d’emblée en cas de péritonite/perforation, les signes de nécrose intestinale étant ininterprétables dans ce contexte 5.

Réhabilitation et suivi après une ischémie intestinale

La résection de la nécrose intestinale peut, lorsqu’elle est proximale ou étendue, se compliquer d’un syndrome de grêle court, transitoire ou définitif. Ces patients doivent être pris en charge en centre expert d’insuffisance intestinale, où la réhabilitation proposée permet une survie prolongée avec une nutrition parentérale souvent sevrée à long terme 31, 37. La réhabilitation après infarctus mésentérique est triple et multidisciplinaire : nutritionnelle avec le dépistage et la correction des déficits hydro-électrolytiques, caloriques et/ou en vitamines/oligo-éléments ; vasculaire avec la recherche d’une ischémie persistante en rapport avec une sténose vasculaire résiduelle, la prévention secondaire cardiovasculaire avec traitement anti-thrombotique au long cours 38 ; digestive avec le rétablissement de continuité avec éventuelle interposition d’une anse reverse 39.

Troubles moteurs et sténoses post-ischémiques

Toute ischémie intestinale peut entraîner des « séquelles » fonctionnelles intestinales, notamment motrices. Dans la plupart des cas, ces lésions sont liées à une souffrance intestinale dépassée, ayant saturé les mécanismes de réparation et évolué vers une fibrose pariétale sténosante et/ou des ulcérations muqueuses chroniques (Figure 7). Cliniquement révélés, dans des délais variables après la réalimentation, par un syndrome pseudo-occlusif, une diarrhée chronique et/ou des épisodes septiques d’origine digestive (translocations microbiennes), leur traitement est chirurgical. Dans certains cas, le trouble moteur est transitoire et pourrait être lié à un certain degré de sidération du muscle lisse intestinal en réponse à l’ischémie-reperfusion et s’améliorant progressivement après revascularisation 40,41.

Figure 7. Aspect histologique de l’entérite chronique post-ischémique
A : L’entérite chronique ischémique non fistulisante est caractérisée en histologie par une muqueuse déshabitée et une fibrose de la sous-muqueuse avec abondante angiogénèse, sans modification de la musculeuse en profondeur.
B : L’entérite chronique ischémique fistulisante est caractérisée en histologie par une ulcération chronique avec fistule pariétale en regard d’une musculeuse dissociée et fibreuse.

Conclusion

L’ischémie intestinale est aujourd’hui potentiellement réversible lorsqu’elle est diagnostiquée et traitée précocement et de façon adaptée. Le développement de structures, coordonnées par des gastroentérologues et spécialisées dans la prise en charge des urgences vasculaires digestives, constitue un espoir tant thérapeutique que diagnostique pour les malades. Ces structures, réparties dans les régions permettant de réduire les disparités géographiques en pouvant offrir localement une prise en charge multidisciplinaire centrée sur la viabilité intestinale, devraient voir le jour dans un avenir proche. Le regroupement des patients au sein de services hospitaliers spécialisés et leur recrutement dans des programmes de recherche dédiés sont un prérequis indispensable au progrès scientifique qui nourrit l’espoir d’obtenir bientôt un biomarqueur du diagnostic précoce, dont l’application clinique pourrait être généralisée à l’évaluation et la prise en charge de toute douleur abdominale et dont la place pourrait être majeure dans la gastroentérologie et la médecine d’urgence de demain.

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