Manifestations Osseuses des affections digestives inflammatoires
POST’U 2019
Rhumatologie
Objectifs pédagogiques
- Connaître la prévalence des atteintes osseuses dans la maladie de Crohn, la RCH et la maladie caeliaque
- Connaître les conséquences osseuses des thérapeutiques et régimes des maladies inflammatoires digestives
- Connaître les modalités du diagnostic
- Connaître les principes de la prise en charge thérapeutique
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 6 points forts
- La prévalence des fractures ostéoporotiques est augmentée d’environ 40 % au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et de la maladie cœliaque de l’adulte.
- Les principaux facteurs de risque de fracture sont l’âge > 50 ans et un IMC bas.
- La recherche d’une diminution de la densité minérale osseuse par ostéo-densimétrie (DEXA) est recommandée dans la prise en charge thérapeutique à tout âge dans la maladie cœliaque et dans les MICI traitées par corticoïdes. Dans les autres cas, cela dépend de la présence de facteurs de risque d’ostéoporose.
- L’utilisation des biothérapies au cours des MICI est un espoir de voir diminuer les fractures notamment celles liées à la corticothérapie.
- Le traitement préventif repose sur la correction des facteurs de risque, notamment les carences en nutriments, calcium et vitamine D.
- Les traitements curatifs de l’ostéoporose par bisphosphonates sont les seuls actuellement évalués dans les MICI et la maladie cœliaque.
Introduction
Des complications osseuses sont attendues au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et de la maladie cœliaque chez l’adulte en raison de la présence au cours de ces affections de divers facteurs de risque reconnus d’ostéoporose. La prévalence de l’ostéoporose a été longtemps peu ou mal évaluée en faisant appel à des études non prospectives, non contrôlées sur des populations très différentes, ce qui a conduit à des résultats très variables pouvant aller de 5 à 70 %. Des méta-analyses récentes permettent d’avoir une évaluation plus juste de la prévalence des fractures, de l’ostéoporose et de l’ostéopénie densitométrique. Le mécanisme physiopathogénique et le rôle des différents traitements sont mieux connus. L’effet des biothérapies est en cours d’évaluation.
Les sociétés savantes internationales de gastroentérologie ont édité des recommandations qui incluent l’utilisation de la mesure de la densité minérale osseuse à visée diagnostique. La prise en charge thérapeutique est empruntée à celle de l’ostéoporose post ménopausique ou à celle de l’homme en l’absence de corticothérapie et de l’ostéoporose cortisonique, avec la particularité dans les maladies digestives intestinales que l’âge moyen des patients au diagnostic est habituellement < 50 ans.
Modalités du diagnostic
Le diagnostic d’ostéoporose ou d’ostéopénie repose sur la mesure de la densité minérale osseuse (DMO) par absorptiométrie biphotonique à rayons X double énergie (DEXA : Dual Energy X-Ray Absorptiometry) au rachis lombaire, au col fémoral et si besoin à l’avant-bras (fig. 1). L’examen est contre indiqué chez la femme enceinte. La machine permet également d’analyser la composition corporelle, la microarchitecture de l’os spongieux (TBS : trabecular Bone Score) et le score FRAX® (score qui permet de quantifier le risque individuel de fracture sous forme de probabilité de fracture sévère à 10 ans). Selon l’OMS, l’ostéoporose est définie chez le sujet de plus de 50 ans par un T score (valeur mesurée comparée à celle observée à 30 ans) au col fémoral < -2,5 alors que l’ostéopénie est définie par un T score compris entre -1 et -2,5 et que la DMO normale est définie par un Tscore > -1. Chez le sujet de moins de 50 ans, l’ostéoporose est définie par un Z score (valeur mesurée comparée à celle observée au même âge) < -2 et l’ostéopénie par un Z score entre -1 et -2 (1).
Les fractures de faible énergie, encore appelées de fragilité, correspondent à des fractures par chute de sa hauteur. Les fractures sévères sont les fractures vertébrales, de hanche, de l’humérus et du bassin. Les fractures non sévères sont les fractures du poignet et des côtes (s’il y en a moins de 3). La diminution de taille de 4 cm par rapport à la taille de référence et la diminution de taille de 2 cm au cours de la prise en charge de l’ostéoporose doivent faire rechercher une fracture vertébrale dorsale ou lombaire. Les fractures vertébrales peuvent être détectées par la morphométrie vertébrale réalisée en même temps que la mesure de DMO. Elles peuvent également être repérées sur un scanner abdominal sans avoir besoin de faire des radiographies complémentaires du rachis dorsolombaire (2).
Les marqueurs biologiques osseux de résorption (Crosslaps, ou CTX) ou de formation (octéocalcine) ont peu d’intérêt dans le suivi des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (3).
Prévalence des fractures et de l’ostéoporose au cours des MICI
Fractures
La prévalence des fractures est augmentée de 38 % dans les MICI. Elle est plus élevée dans la maladie de Crohn que dans la RCH.
La méta-analyse récente de Szafors (4) a évalué le risque de fracture et de diminution de la DMO chez 42 568 patients âgés en moyenne de 41 ans. Le risque global de fracture dans les 9 études incluant ce critère est significativement augmenté de 38 % par rapport à la population générale avec un risque relatif (RR) de 1,38 et un intervalle de confiance (IC) compris entre 1,11 et 1,73. Les résultats sont significatifs à la fois dans la maladie de Crohn avec un RR de 1,28 et un IC entre 1,17 et 1,40 mais également dans la rectocolite hémorragique avec un RR de 1,24 et un IC entre 1,04 et 1,48. Si on étudie les différents sites de fracture, seul le risque de fractures vertébrales radiologiques (214/15 922) est significativement augmenté avec un odd ratio (OR) de 2,26 et un IC entre 1,04 et 4 ,90. Le risque est plus élevé dans la maladie de Crohn (OR 1,58 avec un IC [1,19-2,10]) que dans la RCH (OR 1,33 avec un IC [1,01-1,74]). Le risque de fracture du col fémoral (764/32 365) est augmenté de façon modérée et non significative (OR 1,29 avec un IC [0,84-1,96]). En revanche, le risque de fracture des 2 os de l’avant-bras (167/15 862) et de l’humérus (189/15 815) n’est pas augmenté.
Ostéoporose
La prévalence de l’ostéoporose densitométrique dans la littérature est extrêmement variable, elle est évaluée de 5 à 70 % selon les études (3).
Au rachis lombaire, elle est évaluée à 11,7 % dans la maladie de Crohn et à 3,8 % dans la RCH dans une étude polonaise de 208 patients. Elle est plus faible au col fémoral 5,8 % et 2,9 % respectivement (5).
Nous avons réalisé une DMO chez les patients suivis pour MICI dans le service du Pr Bouhnik (centre de référence, hôpital Beaujon) ayant une plainte rhumatologique, soit une population de 105 patients âgés en moyenne de 43,5 ans dont 67 % étaient sous biothérapie. Une ostéoporose a été retrouvée chez 10 patients (9,5 %).
Dans la-méta analyse de Szafors (4), la DMO a été évaluée chez 1 338 patients âgés de 33 à 48 ans comparés à 808 contrôles. Il est retrouvé une diminution significative (p < 0,001) de la DMO de -0,06 g/ cm2 au rachis lombaire (IC [-0,10- -0,002]) et de -0,04 g/cm2 (IC [-0,06- -0,02]) au col fémoral, ce qui correspond à un delta de Z score respectivement de -0,52 (p < 0,0001) et -0,45 (p < 0,00001).
Les études prospectives qui évaluent l’évolution de la perte osseuse au cours des MICI sont rares. Targownik(6) a étudié 86 patients (50 Crohn, 32 RCH) âgés en moyenne de 46,7 ans par DMO à 4,3 ans d’intervalle. Il n’y avait pas de perte osseuse au rachis lombaire. Au col fémoral, il était observé une diminution significative (p < 0,008) de la DMO de -0,016 g/cm2 sans que cela ne modifie la prévalence de l’ostéoporose densitométrique qui était évaluée à 7 % au début et à la fin de l’étude. Roux et l’équipe de Cochin (7) ont évalué la DMO chez 35 patients âgés de moins de 50 ans dans les années 1990 pendant 19 mois et ont observé une diminution de la DMO de l’ordre de 6 % par an à tous les sites. Au col fémoral, la perte osseuse était principalement liée à la corticothérapie à forte dose prescrite lors des poussées. Tous les patients avaient un déficit en vitamine D dans cette étude.
Ostéopénie
L’ostéopénie est un facteur de risque parmi d’autres (tabac, corticothérapie, faible IMC, ménopause) de fracture ostéoporotique.
L’ostéopénie densitométrique est évaluée à 36 % dans la maladie de Crohn et 28 % dans la RCH (5). Dans notre étude réalisée à Beaujon, on observe une ostéopénie chez 34,3 % des patients. 72 % des patients avaient un déficit en vitamine D.
Mécanisme physiopathogénique et facteurs de risque
L’origine de l’ostéoporose au cours des MICI est multifactorielle (3). Le rôle de l’inflammation est mieux connu.
Rôle de l’inflammation
L’inflammation digestive conduit à l’activation des lymphocytes et à la production de cytokines pro- inflammatoires principalement le TNF alpha, et l’IL 6 qui activent la production de RANK L et de ce fait stimulent la différenciation, la formation et l’activation des ostéoclastes, mais également de sclérostine qui inhibe la formation osseuse (8). Ce phénomène a été reproduit sur des modèles de colite inflammatoire du rat (9).
S’il existe un rôle théorique de l’inflammation, celui-ci est faible et inférieur à ce que l’on observe dans les rhumatismes inflammatoires chroniques comme la polyarthrite rhumatoïde ou la SPA. L’étude canadienne de Targownik (cohorte de la province de Monitoba) a comparé la DMO de 1 230 patients à celle de 45 000 patients ne souffrant pas de MICI. Elle montre que l’inflammation a un faible retentissement sur la DMO si on fait abstraction des autres facteurs de risque (âge, IMC, sexe, corticoïdes) avec diminution tout juste significative du T score attribuable à la maladie inflammatoire comprise entre -0,05 et -0,11 (10).
Les facteurs prédisposants liés aux MICI sont plus la sévérité, selon la classification de Montréal (11), que l’activité. Dans la maladie de Crohn, le sexe masculin, l’âge > 50 ans, le caractère pénétrant et l’existence d’une atteinte périnéale sont les facteurs favorisant la diminution de la DMO alors que dans la RCH, c’est le sexe masculin, l’atteinte du côlon gauche et le recours aux corticoïdes.
Le microbiote intestinal joue un rôle dans l’inflammation intestinale et interagit par l’intermédiaire des lymphocytes Th17 et les cytokines avec les acteurs du remodelage osseux. Son effet sur l’ostéoporose n’est pas connu (12).
Âge
Dans toutes les études, l’âge supérieur à 50 ans est un facteur de survenue de l’ostéoporose. Il est le reflet de la durée de la maladie, du recours à de nombreux traitements, d’éventuelles conséquences anatomiques, des anomalies endocriniennes (ménopause notamment et du vieillissement osseux) (2,10).
A contrario, lorsque la maladie débute avant 18 ans, la baisse de DMO peut être plus importante car elle survient en cours de constitution du pic de masse osseuse. Cependant, elle est le plus souvent réversible lors de la rémission.
IMC
Un indice de masse corporelle bas (< 19 kg/m2) est un facteur reconnu d’ostéoporose (2,4). La perte de poids secondaire à la maladie, aux conséquences anatomiques comme les sténoses, et à la perte d’appétit associée à une intolérance au lactose favorise la survenue d’une ostéoporose.
Chirurgie
Le rôle de la chirurgie est différent selon la maladie intestinale et le geste réalisé.
La chirurgie des RCH réfractaires par coloproctectomie avec anastomose iléoanale peut augmenter modérément la DMO du fait de la suppression de l’inflammation intestinale et de l’arrêt de la corticothérapie. Cependant la création d’une poche iléale modifie l’anatomie et le fonctionnement de l’intestin grêle et peut être source de malabsorption de la vitamine D du fait de la pullulation bactérienne (2).
Le recours à des résections intestinales, évalué à 50 % dans la maladie de Crohn, est un facteur reconnu d’ostéoporose. Les résections du grêle avec iléostomie sont source de perte de poids, de malabsorption des nutriments et peuvent entraîner une diminution de la vitamine D. L’étude de Van Hogezand (13) a porté sur 146 patients suivis dans un centre de référence à Leiden aux Pays Bas (61 hommes, 85 femmes) âgés en moyenne de 43 ans. La durée moyenne de la maladie était de 20 ans. 86 % des patients avaient été traités par corticoïdes et 66 % opérés. Le risque d’ostéoporose densitométrique évalué à 26 % était significativement augmenté avec un RR à 3,84 et un intervalle de confiance de 1,24 à 9,77. La prévalence des fractures vertébrales était de 6 % et celles des fractures non vertébrales de 12 %. Le recours à la nutrition assistée en cas de défaillance intestinale augmente également le risque d’ostéoporose malgré la nutrition contrôlée (14).
Corticothérapie
La corticothérapie orale à dose forte ou prolongée (6 mois) à plus faible dose est une cause reconnue d’ostéoporose dans toutes les maladies inflammatoires chroniques. Au cours des MICI, 35 % des patients sont traités par corticoïdes (10). Les principaux mécanismes de l’ostéoporose cortisonique sont la diminution de l’absorption digestive du calcium, l’augmentation de son excrétion urinaire et l’inhibition de la formation osseuse par effets directs sur les ostéoblastes. Dans les maladies inflammatoires, le phénomène est aggravé car l’effet des corticoïdes survient sur un os remanié par l’inflammation chronique.
Le risque de diminution de la densité minérale osseuse est moins élevé avec le budésonide (corticostéroïde d’action locale avec un faible passage systémique) qu’avec les corticostéroïdes systémiques. L’effet du budésonide a été comparé dans une étude multicentrique randomisée en double aveugle. 271 patients ont été randomisés entre un traitement par 40 mg de prednisolone et 9 mg de Budésonide et ont eu une DMO tous les 6 mois. Au terme de 24 mois, la DMO a été moins diminuée dans le groupe budésonide (-1,04 % versus -3,84 %) que dans le groupe corticoïdes systémiques. Le moindre effet délétère du budésonide était surtout observé durant les 6 premiers mois (15). L’utilisation du budésonide doit être privilégiée lorsque l’atteinte intestinale le permet.
Rôle des biothérapies
L’utilisation des biothérapies et notamment des anti TNF a révolutionné la prise en charge des MICI. L’effet des anti TNF sur la prévention de l’ostéoporose n’est pas encore bien défini. Une étude rétrospective a porté sur 464 patients d’âge moyen de 47,5 ans, atteints de maladie de Crohn qui évoluait depuis plus de 10 ans. 290 patients étaient sous anti TNF et 174 sans biothérapie ont été suivis consécutivement de 2008 à 2015. La DMO aux différents sites n’était pas significativement différente chez les 100 patients sous anti TNF et les 68 sans biothérapie (16). Cependant les fractures étaient plus nombreuses sans biothérapie (8,6 %) versus 4 % sous anti TNF sans que la différence ne soit significative. En revanche l’ostéoporose densitométrique était significativement plus fréquente dans le groupe sans biothérapie chez les plus de 60 ans (30 %) par rapport aux moins de 60 ans (3,6 %). Cette différence liée à l’âge n’était pas observée dans le groupe sous anti TNF (18,2 % versus 15,4 %).
Carence en calcium et vitamine D
Les carences en calcium et vitamine D favorisent la perte osseuse. La prévalence de la carence en vitamine D est élevée chez les patients atteints de MICI, proche de 80 % (1). Cependant la présence d’ostéomalacie histologique qui est par ailleurs peu étudiée est rare (18).
Évaluation du risque de fracture et d’ostéoporose (tableau 1)
L’évaluation de l’ostéoporose repose sur la mesure de la DMO (1). En pratique quotidienne, la question est de savoir s’il faut faire une DMO à tous les patients. La réponse est positive et consensuelle en cas de corticothérapie, notamment si la dose est d’au moins 7,5 mg/j pendant 3 mois ou en cas d’antécédent de fracture de fragilité. Dans les autres cas, elle diffère selon les recommandations. Les recommandations européennes (19) dans les MICI sont les mêmes que celles de l’ostéoporose post ménopausique (20). Elles prennent en compte les facteurs de risque liés au terrain et ceux liés à la maladie inflammatoire intestinale (tableau 1). Les recommandations de l’American Gastroenterology Association de 2003 (21) mises à jour en 2017 (22) sont, quant à elles, plus restrictives du fait du faible risque et du rapport coût/bénéfice. Une DMO n’est sytématiquement recommandée que chez la femme de plus de 65 ans et l’homme de plus de 70 ans.
Tableau 1. Facteurs de risque d’ostéoporose
Facteurs de risque liés à la maladie | Facteurs de risque liés au terrain |
---|---|
Gravité de la maladie
Corticothérapie Résections intestinales Carences en calcium et vitamine D Poids faible (IMC) et modification de la composition corporelle |
Âge > 50 ans
Ménopause Hypogonadisme et ménopause précoce < 40 ans Ostéoporose ou fracture préexistante Tabagisme Sédentarité |
Traitement préventif de l’ostéoporose au cours des MICI
Dans tous les cas, la prévention du risque osseux nécessite la correction des facteurs aggravant une éventuelle perte osseuse au premier rang desquels la carence en calcium et vitamine D, la perte de poids, l’arrêt du tabagisme, de la consommation d’alcool et le maintien d’une activité physique. Le contrôle de la maladie est essentiel et permet de recourir à la dose minimale de corticoïdes (23, 24).
Le GRIO (groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses) met à disposition sur son site des brochures à destination des patients et des recommandations à destination des professionnels de santé.
Les apports calciques recommandés sont évalués à 1 gramme par jour. La supplémentation est en priorité alimentaire en prenant en compte l’intolérance au lactose qui peut être associée. Les fromages à pâte dure sont privilégiés ainsi que les produits laitiers sans lactose. Les eaux minérales riches en calcium (Hépar, Contrexéville, Courmayeur) sont utiles. Le taux minimal recommandé de 25OH D2/D3 est 30 ng/ml (75 nmole/l). Le déficit en vitamine D défini par une 25 OHD2/D3 entre 30 et 10 ng/ml est observé dans plus de 60 % des cas. La carence définie par une 25 OH D2/D3 inférieure à 10 ng/ml (25 nmole/l) est observé dans 10 % des cas des patients suivis dans un centre de référence. La supplémentation est assurée par le cholecalciférol 100 000 unités sous la forme d’ampoule (tableau 2). Si le dosage de 25 OH D2/D3 est inférieur à 10 ng/ml, on donnera quatre ampoules au total à raison d’une ampoule toutes les 2 semaines, Si la 25OH D2/D3 est entre 10 et 20 ng/ml, on donnera trois ampoules au total à raison d’une ampoule toutes les 2 semaines. Si elle est entre 20 et 30 ng/ml, on donnera deux ampoules au total à raison d’une ampoule toutes les 2 semaines. La dose d’entretien est d’une ampoule tous les 2 à 3 mois pour une durée prolongée.Cependant, le traitement vitaminocalcique ne suffit pas à lui seul à prévenir les fractures ostéoporotiques. Un traitement anti-ostéoporotique peut être nécessaire. Son indication diffère selon l’existence ou non d’un traitement par corticoïdes.
- En cas de corticothérapie, les recommandations françaises de la prise en charge de l’ostéoporose cortisonique peuvent être appliquées (25).
Chez la femme ménopausée ou l’homme de plus de 50 ans il est recommandé de considérer comme à haut risque de fracture justifiant d’un traitement anti-ostéoporotique les situations suivantes :
- antécédent personnel de fracture de fragilité
- T score ≤ -2,5 à l’un des 2 sites lombaire ou fémoral
- Corticothérapie prolongée à dose ≥ 7,5 mg/j d’équivalent prednisone pour une durée supérieure à 3 mois
- âge supérieur à 70 ans
Dans les autres cas, il est recommandé de prendre en compte la valeur du score FRAX ajusté sur la dose de corticoïdes. Le score FRAX a été proposé par l’OMS en 2008 pour la quantification du risque absolu de fractures majeures à 10 ans (fractures vertébrales, col fémoral, humérus, bassin) chez les sujets de plus de 40 ans. Il peut être calculé grâce à l’application dédiée sur internet (fig. 2). Les variables prises en compte sont l’âge, l’IMC, le sexe, le tabagisme, la corticothérapie et la valeur de la DMO au col fémoral. Sa valeur peut être ajustée sur la dose quotidienne de corticoïdes (tableau 2). L’indication thérapeutique est posée si le score FRAX calculé est supérieur à la valeur du seuil thérapeutique théorique calculée en fonction de l’âge (1,26) (fig. 3).
Tableau 2. Apports recommandés de vitamine D en fonction du dosage sérique
25 OH D2/D3 ng /ml (mmole/l) | Cholecalciférol 100 000 unités (ampoule) |
---|---|
< 10 ng/ml (25 mmol/l) | 1 ampoule à 2 semaines d’intervalle, 4 fois |
Entre 10 et 20 ng/ml | 1 ampoule à 2 semaines d’intervalle, 3 fois |
Entre 20 et 30 ng/ml | 1 ampoule à 2 semaines d’intervalle, 2 fois |
> 30 ng/ml (75 mmol/l) | 1 ampoule tous les 2 à 3 mois en dose d’entretien |
Tableau 3. Score FRAX (risque fracturaire) ajusté selon la dose de corticoïdes
Équivalent prednisone(mg/j) | Coefficient d’ajustement | |
---|---|---|
Risque de fracture sévère d’ostéoporose | < 2,5
2,5-7,5 > 7,5 |
0,8
Pas d’ajustement 1,15 |
Chez les sujets de moins de 50 ans ou chez la femme non ménopausée, le risque est plus faible.
Cette population est fréquente chez les patients souffrant de MICI. La décision thérapeutique est plus complexe en raison du faible niveau de preuve d’efficacité des traitements anti-ostéoporotiques dans cette population, de l’absence de validation du seuil thérapeutique selon la valeur du FRAX ajusté en dessous de 40 ans et du risque de grossesse.
- En l’absence de corticothérapie, la décision dépend de la présence ou non de facteurs de risque d’ostéoporose et le score FRAX peut être utilisé.
- Traitement anti-ostéoporotique dans les MICI.Les traitements préconisés sont les bisphosphonates et le tériparatide en cas d’ostéoporose cortisonique, mais également le dénosumab dans les autres cas. Ces différents traitements sont contre indiqués en cas de grossesse en raison du risque d’anomalie squelettique chez le fœtus selon le Centre de référence des agents tératogènes (CRAT).
Les bisphosphonates sont le traitement recommandé de première intention. Ils sont poursuivis pendant 2 ans, puis l’indication est réévaluée tous les 2 ans. Chez la femme non ménopausée, la mise en route d’un traitement justifie une contraception et l’utilisation d’un bisphosphonate à faible effet rémanent (risedronate). Une grossesse est possible 6 mois après l’arrêt du traitement (CRAT).
Le teriparatide peut être prescrit en première intention uniquement chez les patients à risque d’ostéoporose cortisonique fracturaire. Il n’est remboursé que s’il existe au moins 2 fractures vertébrales et pour une durée de 18 mois.
Au cours des MICI, seuls les bisphosphonates sont efficaces pour augmenter la DMO à tous les sites (0,51 au rachis ; 0,26 à la hanche) avec une diminution très significative des fractures vertébrales de 62 % avec un IC entre 0,15 à 0,96 selon les données de la méta-analyse conduite à partir de 19 études portant sur différents traitements de l’ostéoporose (27). La tolérance digestive des bisphosphonates par voie orale est bonne, sans augmentation du risque de poussée digestive. La forme injectable (acide zolédronique 5 mg une fois par an) peut également être utilisée. Le risque d’ostéonécrose de la mâchoire est rare, il est évalué entre 1/10000 et 1/100000 patient année. Les fractures atypiques de la diaphyse fémorale ont quant à elles une incidence de 0,8/10000 patient année.
Ostéopathie fragilisante de la maladie cœliaque de l’adulte
La maladie cœliaque est une cause classique d’ostéoporose. Elle est retrouvée dans 1,6 % des cas d’ostéoporose (28).
Ostéoporose et Ostéopénie
La prévalence de l’ostéoporose et de l’ostéopénie densitométrique est extrêmement diverse en fonction des études. Dans une étude prospective récente de 214 patients âgés en moyenne de 38 ans (29), l’ostéoporose est évaluée à 17,8 % chez l’adulte dans une population de maladie cœliaque de l’adulte nouvellement diagnostiquée n’ayant pas suivi de régime sans gluten. La prévalence de l’ostéopénie est quant à elle de 42,5 %.
Les principaux facteurs de risque sont l’âge > 45 ans (OR 6,5 avec IC 1,3-32), le sexe masculin (OR 4,7, IC 1,1-20), le faible poids (OR 7,4, IC 1,3-42), la présence de troubles digestifs et l’importance de l’atteinte histologique (Marsch 3C) (29).
Fractures
La prévalence des fractures a été évaluée dans une méta-analyse de 8 études incluant 20 955 patients atteints de maladie cœliaque et 96 777 contrôles (30). Le taux de fracture était significativement augmenté (8,7 %) dans le groupe maladie cœliaque versus 6,1 % dans le groupe contrôle avec un OR de 1,43 et un intervalle de confiance entre 1,15 et 1,78. Les fractures périphériques sont plus fréquentes, poignet principalement, que les fractures vertébrales.
Le principal mécanisme de l’atteinte osseuse de la maladie cœliaque est l’hyperparathyroïdie secondaire à l’hypocalcémie chronique induite par le défaut d’absorption du calcium et de la vitamine D tout au long de l’intestin grêle (duodénum > jejunum > ileum) (31). Des anomalies de la microarchitecture osseuse sont également observés (32). Les carences en divers nutriments et les modifications inflammatoires qui influencent le remodelage osseux en raison de l’augmentation des cytokines pro inflammatoires Il 1, IL6 et TNF alpha participent également à l’ostéopathie fragilisante.
Prise en charge
L’American Gastroenterology Association recommande une mesure de la DMO au rachis lombaire, au col fémoral et à l’avant-bras chez les patients ayant une maladie cœliaque un an après le début du régime sans gluten une fois que l’état osseux s’est stabilisé (21). Au Canada, il est suggéré de faire une DMO avant la mise sous régime sans gluten chez l’adulte dans les formes classiques de maladie cœliaque ou chez ceux ayant des facteurs de risque d’ostéoporose (âge, ménopause, tabac, IMC). Dans cette situation, un contrôle est nécessaire un an après la mise sous régime en cas d’ostéopénie ou d’ostéoporose et 2 ans plus tard si la DMO est normale.
Le régime sans gluten entraîne une augmentation de 5 à 10 % de la DMO dès la 1re année chez le sujet jeune. Chez l’adulte, malgré le régime, une ostéoporose peut persister chez 15 % des patients (33).
Le déficit en calcium et vitamine D est très fréquent. Les apports calciques recommandés doivent être de 1,2 à 1,5 g. Les produits laitiers peuvent être mal tolérés du fait d’une intolérance au lactose consécutive à un déficit de la synthèse de lactase par les villosités intestinales (34, 35). Dans ce cas, les produits laitiers sans lactose doivent être alors privilégiés. Si l’alimentation n’est pas suffisante, un supplément par apport de sels de calcium est nécessaire. Le citrate de calcium est mieux absorbé que le carbonate. Il a l’avantage de pouvoir être pris à n’importe quel moment de la journée. Le fractionnement des doses est recommandé. La supplémentation en vitamine D doit être adaptée au dosage de la 25 OHD2/D3 comme décrit précédemment.
Un contrôle densitométrique est recommandé un an après le début du traitement. En cas de persistance d’une ostéoporose, un traitement anti-ostéoporotique est discuté selon les recommandations des sociétés savantes.
Cependant, il n’y a pas d’étude évaluant l’efficacité du traitement par bisphosphonates dans cette pathologie (31). Le teriparatide a été utilisé avec succès dans quelques cas.
Conclusion
Le risque de fracture ostéoporotique est augmenté de l’ordre de 40 % dans les MICI et la maladie cœliaque. Les principaux facteurs de risque sont l’âge, le retentissement de la maladie sur l’IMC et la corticothérapie. Le dosage de la vitamine D circulante sous la forme de 25 OH vitamine D est nécessaire afin d’optimiser la supplémentation avec l’objectif d’atteindre un taux de > 30 ng/ml ou 75 mmol/l. L’évaluation de la DMO est recommandée dans tous les cas dans la MCA. Elle l’est également à tout âge au cours des MICI en cas de traitement corticoïdes ou d’antécédent de fracture de fragilité mais également chez les patients de plus de 50 ans ou lorsqu’il existe d’autres facteurs de risque d’ostéoporose.
Le traitement repose non seulement sur le contrôle de la maladie intestinale mais également sur la supplémentation vitaminocalcique et la correction de la malnutrition. Un traitement par bisphosphonates est parfois proposé selon les recommandations nationales ou internationales. D’autres molécules comme le dénosumab et le teriparatide méritent d’être évalués dans les MICI et la maladie cœliaque.
Références
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