Prise en charge des TIPMP (Recommandations européennes)

POST’U 2019

Objectifs pédagogiques

  • Connaître le bilan d’imagerie nécessaire lors du diagnostic initial et la sémiologie radiologique
  • Connaître les critères de gravité et les modalités de surveillance des TIPMP
  • Connaître les indications chirurgicales

Les 6 points forts

  1. Les lésions kystiques du pancréas sont fréquentes avec un risque de dégénérescence des lésions mucineuses en adénocarcinome.
  2. Les TIPMP nécessitent une caractérisation pour préciser leur potentiel de dégénérescence.
  3. L’examen radiologique de première intention dans la prise en charge des TIPMP est l’IRM pancréatique avec séquences canalaires.
  4. L’échoendoscopie est essentielle en cas de doute diagnostique sur la nature lésionnelle, pour la recherche de nodule mural intrakystique ou d’un nodule tissulaire parenchymateux.
  5. Les facteurs de risque cliniques (pancréatite aigüe, ictère, diabète, antécédents familiaux…) et morphologiques de dégénérescence conditionnent le rythme de surveillance et l’indication d’une chirurgie pancréatique.
  6. Il est inutile de surveiller des TIPMP en l’absence de possibilité de projet chirurgical (comorbidités majeures/âge).

Introduction

La prévalence des lésions kystiques pancréatiques est importante et varie entre 2 et 45 % de la population générale en fonction de l’âge. Les 3 lésions les plus fréquentes sont la tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse du pancréas (TIPMP), le pseudokyste et le cystadénome séreux. Les lésions kystiques pancréatiques constituent une entité cliniquement difficile. En effet, le risque de dégénérescence est variable selon la nature des lésions. Le but de la prise en charge de ces lésions est de faire un diagnostic précis de leur nature histologique, de déterminer leur risque de dégénérescence, de les surveiller ou de les opérer si nécessaire afin de prévenir l’apparition d’un adénocarcinome pancréatique. Cette stratégie doit néanmoins viser à réduire au maximum le besoin de surveillance tout au long de la vie et ses conséquences en termes de coûts et de qualité de vie. En 2018, des recommandations européennes ont été publiées sous l’égide du « groupe européen d’études des tumeurs kystiques du pancréas ». Elles visent à améliorer le diagnostic et la prise en charge des lésions kystiques pancréatiques avec un focus spécifique sur la prise en charge des TIPMP.

Modalités diagnostiques des lésions kystiques du pancréas

Biomarqueurs

Il n’existe pas de biomarqueurs sanguins permettant de différencier le type de kyste pancréatique ou d’identifier une dysplasie ou un cancer de haut grade. Le dosage sérique du CA 19.9 peut être envisagé en cas de transformation maligne d’une lésion mucineuse et de surveillance des TIPMP.

L’analyse du liquide intrakystique obtenu par échoendoscopie avec ponction peut être utile pour le diagnostic de la nature d’un kyste. Il repose sur la cytologie, le dosage de l’ACE et de l’amylase.

La cytologie du liquide kystique a une sensibilité de 42 % et une spécificité de 99 % pour la différenciation des kystes mucineux vs non mucineux. Un ACE ≥ 192 ng/mL permet de distinguer les kystes mucineux vs non mucineux avec une sensibilité de 52-78 % et une spécificité de 63-91 %. La différenciation entre cystadénome mucineux et TIPMP basée sur l’ACE et/ou la cytologie n’est pas possible. L’ACE ne peut pas permettre l’identification spécifique des kystes mucineux avec dysplasie de haut grade ou avec carcinome invasif. Un taux d’amylase amylase < 250 U/L permet seulement d’exclure les pseudo-kystes avec une sensibilité de 44 % et une spécificité de 98 %.

Radiologie

Les lésions kystiques pancréatiques sont de plus en plus détectées, avec une prévalence rapportée de 2,1 à 2,6 % pour le scanner et de 13,5 à 45 % pour IRM. La différence entre scanner et IRM est due à la résolution de contraste plus élevée de l’IRM comparée à la tomodensitométrie. Toutefois, la précision reste relativement faible pour identifier le type spécifique de kyste ou de les relier au système canalaire, qu’il s’agisse d’une seule modalité technique ou en combinant plusieurs modes d’imagerie.

La tomodensitométrie dédiée avec protocole pancréatique (coupes fines et injection triphasique) et l’IRM pancréatique avec séquences canalaires auraient une précision similaire pour la caractérisation des kystes.

L’IRM est néanmoins plus sensible que le scanner pour identifier la communication entre un kyste et le système canalaire pancréatique, ainsi que la présence d’un nodule mural ou de cloisons internes. De plus, l’IRM est très sensible pour déterminer si un patient est porteur de plusieurs kystes, le caractère multiple confortant le diagnostic de TIPMP des canaux secondaires multifocales. Les patients atteints de TIPMP peuvent nécessiter un suivi par imagerie tout au long de la vie. Des études ont montré qu’une exposition répétée aux rayonnements ionisants augmenterait le risque ultérieur d’apparition de cancer. Pour toutes ces raisons, l’IRM constitue la modalité de surveillance de première intention. Néanmoins le scanner reste indispensable pour la détection de calcifications, en cas de doute diagnostique, et pour le bilan d’extension locorégional et à distance en cas de dégénérescence d’un kyste ou d’adénocarcinome concomitant.

L’aspect typique d’une TIPMP des canaux secondaires est celle d’une dilatation kystique branchée par un canal communicant au canal pancréatique principal. En IRM, cette formation est en hypersignal sur les séquences pondérées en T2. Il faut cependant se méfier des surestimations de communication entre une lésion kystique du pancréas et le canal pancréatique principal à l’IRM, lorsque le canal communicant entre la formation kystique et le canal pancréatique principal n’est pas clairement visualisé et qu’il y a simplement un contact entre la formation kystique et le canal pancréatique principal. Une dilatation régulière de plus de 5 mm de diamètre du canal pancréatique principal surtout si elle est suspendue évoque fortement une TIPMP du canal pancréatique principal. L’aspect en nid d’abeille avec mise en évidence au scanner d’une cicatrice centrale avec calcification est évocateur d’un cystadénome séreux.

Endoscopie

Échoendoscopie

L’échoendoscopie est indispensable en cas de doute diagnostique sur la nature de la lésion lorsqu’elle mesure plus de 15 mm et que les résultats de la ponction pourraient modifier la prise en charge. Dans ce cas, le recours à la ponction est nécessaire avec analyse biochimique et analyse cytologique du liquide intrakystique (cf. plus haut). La recherche de la nature mucineuse du liquide par la réalisation du string test est utile. En cas de lésion uniloculaire indéterminée de plus de 20 mm, la réalisation d’une exploration de la lésion par endomicroscopie confocale peut être utile en raison de sa parfaite spécificité pour différencier les lésions mucineuses des cystadénomes séreux. En cas de suspicion de nodule mural à l’imagerie en coupes, l’échoendoscopie de contraste harmonique est très utile pour faire la différence entre un bouchon mucoïde et un véritable nodule tissulaire.

Duodénoscopie

Cet examen peut mettre en évidence une béance papillaire avec issu de mucus (« en bouche de tanche ») qui signe la présence d’une TIPMP.

Pancréatoscopie rétrograde endoscopique

Cet examen est à réserver au doute diagnostique de TIPMP du canal principal ou pour éventuellement en préciser l’extension le long du canal pancréatique principal avant une chirurgie.

Critères de gravité et modalités de surveillance des TIPMP

Facteurs de risque de dégénérescence (figure 1)

Les TIPMP sont des lésions précancéreuses de l’adénocarcinome pancréatique. Leur risque de dégénérescence dépend de plusieurs facteurs.

Facteurs de risque élevé de dégénérescence Facteurs de risque relatif de dégénérescence
Atteinte du canal principal avec une dilatation supérieure à 10 mm Atteinte du canal principal avec une dilatation comprise entre 5 et 10 mm
Présence d’une masse tissulaire parenchymateuse Taille supérieure à 40 mm en cas de TIPMP d’un canal secondaire
Présence de nodule mural intrakystique de plus de 5 mm et prenant le contraste Croissance d’un canal secondaire de plus de 5 mm par an
Ictère en rapport avec la compression par la lésion Présence d’un nodule mural intrakystique de moins de 5 mm et prenant le contraste
Cytologie positive (dysplasie de haut grade/ cancer) à la ponction sous échoendoscopie Pancréatite aigüe
Découverte d’un diabète de novo
Élévation sérique du CA 19.9
Figure 1. Facteurs de risque de dégénérescence


Les facteurs de risque élevé de dégénérescence sont :

  • L’atteinte du canal principal avec une dilatation supérieure à 10 mm
  • La présence d’une masse tissulaire parenchymateuse
  • La présence de nodule mural intrakystique de plus de 5 mm et prenant le contraste
  • Un ictère en rapport avec la compression par la lésion
  • Une cytologie positive (dysplasie de haut grade/cancer) à la ponction sous échoendoscopie

Les facteurs de risque relatif de dégénérescence sont :

  • L’atteinte du canal principal avec une dilatation comprise entre 5 et 10 mm
  • Une taille supérieure à 40 mm en cas de TIPMP d’un canal secondaire
  • Une croissance d’un canal secondaire de plus de 5 mm par an
  • La présence d’un nodule mural intrakystique de moins de 5 mm et prenant le contraste
  • Une pancréatite aigüe
  • La découverte d’un diabète de novo
  • L’élévation sérique du CA 19.9

Il est important d’évaluer également le nombre de facteurs de dégénérescence puisque plus le nombre de facteurs est grand, plus le risque de transformation est accru.

Modalités de surveillance

En l’absence de critères de dégénérescence, une surveillance doit être proposée à condition que le patient soit un candidat potentiel à une chirurgie pancréatique. Un sujet âgé ou avec de nombreuses comorbidités ne doit pas avoir de surveillance spécifique de sa TIPMP puisqu’en cas de dégénérescence, la chirurgie ne sera pas indiquée.

La surveillance de la TIPMP repose sur un examen clinique, un dosage du CA 19-9 sérique (peu utile en pratique mais recommandé par cette nouvelle recommandation), et une imagerie de type IRM et/ou échoendoscopie à la discrétion du médecin, de la disponibilité et des compétences locales. L’évaluation doit avoir lieu tous les 6 mois la première année, puis une fois par an. En cas de lésion indéterminée et de taille inférieure à 15 mm, une surveillance similaire doit être proposée pendant 3 ans. En cas de parfaite stabilité, une surveillance tous les 2 ans est suffisante.

Indications chirurgicales (figure 2)

La chirurgie est indiquée en cas de présence d’au moins un facteur de risque élevé de dégénérescence. Il s’agit alors d’une chirurgie de type pancréatectomie majeure avec lymphadénectomie (duodénopancréatectomie céphalique ou pancréatectomie caudale). La surveillance au décours de la chirurgie doit être poursuivie à vie. En cas d’atteinte du canal principal, de dysplasie de haut grade ou de cancer invasif sur l’analyse anatomopathologique définitive, la surveillance doit avoir lieu tous les 6 mois pendant 2 ans, puis 1 fois par an. Dans les autres cas, une surveillance annuelle est suffisante, même en présence de TIPMP des canaux secondaires dans le pancréas restant.

En cas de présence de facteurs de risque relatif de dégénérescence, l’indication chirurgicale va dépendre de plusieurs facteurs :

  • de l’existence de comorbidités
  • du nombre de facteurs de dégénérescence

En l’absence de comorbidités, dès la présence d’un facteur de risque, la chirurgie est indiquée. En présence de comorbidités, si un seul facteur de risque est présent on peut proposer une surveillance « intensive » tous les 6 mois et comprenant une échoendoscopie systématique. En présence de plusieurs facteurs de risque, la chirurgie est indiquée.

Figure 2 : Algorithme de prise en charg

Figure 2 : Algorithme de prise en charge

Référence

1.         European evidence-based guidelines on pancreatic cystic neoplasms. The European Study Group on Cystic Tumours of the Pancreas. Gut 2018;67:789-804.