Entéropathies médicamenteuses

POST’U 2020

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la définition d’une entéropathie médicamenteuse
  • Savoir comment évaluer le lien de causalité entre une diarrhée et un médicament
  • Connaître les principaux médicaments responsables
  • Savoir quand faire des explorations endoscopiques avec biopsies et connaître les lésions intestinales d’origine médicamenteuse
  • Connaître les principales modalités de la prise en charge et la place du test de ré-introduction

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. L’origine médicamenteuse d’une maladie de l’intestin est évoquée devant des critères chronologiques (délais entre introduction du médicament et apparition du trouble digestif, entre arrêt du médicament et régression ou disparition de l’évènement, récidive à la réintroduction), l’absence d’autre cause et le signalement de cas similaires.
  2. Devant une colite microscopique, il est nécessaire de rechercher une cause médicamenteuse.
  3. Les principales lésions intestinales induites par les médicaments sont les colites microscopiques, les atrophies villositaires, les entérocolites inflammatoires, les perforations intestinales, les angio-œdèmes, les hématomes, les ischémies, les colites infectieuses et les colites neutropéniques.
  4. Les inhibiteurs des points de contrôle immunologique sont à l’origine d’effets indésirables immuno-médiés dont les localisations digestives sont fréquentes et graves. Les deux principales formes cliniques sont la colite aiguë (similaire aux poussées de colites inflammatoires) et la colite microscopique.
  5. À l’exception des diaphragmes de l’intestin grêle, les lésions intestinales induites par les anti-inflammatoires non stéroïdiens régressent à leur arrêt. Ce critère permet de les différencier des MICI.

LIENS D’INTÉRÊT

Abbvie, Amgen, Astra, BMS, Enterome, Ferring, Janssen, Medtronic, Merck, MSD, Pfizer, Pharmacosmos, Pileje, Roche, Takeda, Tillots.

MOTS-CLÉS

Entéropathies, anti CTLA-4, anti PD-1, anti inflammatoires non stéroïdiens, mycophenolate mofetil, inhibiteurs de la pompe à protons

Définition et critères de causalité

Cet article traite des maladies de l’intestin, plus précisément, des lésions intestinales macroscopiques et/ou microscopiques causées par la prise de médicaments. Il n’abordera pas les symptômes (constipation, diarrhée) sans lésion décelable par les moyens diagnostiques actuels.

Le lien de causalité entre un médicament et un effet indésirable peut être évalué par différents systèmes, celui du «World Health Organization-Uppsala Monitoring Centre system», l’algorithme de Naranjo et l’«updated Logistic method». Les trois systèmes sont assez bien corrélés entre eux (1). Les critères de causalité, communs aux trois systèmes, sont les suivants : la prise du médicament est antérieure à l’évènement indésirable, l’arrêt du médicament permet la disparition de l’évènement, sa reprise entraîne une récidive, l’absence d’autre cause, le signalement d’un ou plusieurs cas similaires à celui observé. Un score spécifique aux colites microscopiques a été proposé ; il s’inspire des scores généralistes d’effets indésirables des médicaments (2). La démarche médicale en cas de suspicion d’effet indésirable induit par un médicament est fondée sur les mêmes critères : chronologie, effet de l’arrêt et de la reprise, données de la littérature, absence d’autre cause. Le diagnostic d’entéropathie médicamenteuse est parfois difficile. C’est le cas lorsque le malade a oublié ou n’est pas en capacité de signaler la prise médicamenteuse. L’ordonnance et l’interrogatoire de l’entourage peuvent être utiles. L’imputabilité d’un évènement de santé à une prise médicamenteuse est encore plus délicate lorsque l’effet indésirable n’est pas encore décrit.

Principales lésions intestinales d’origine médicamenteuse et leurs causes

De nombreux médicaments ont une toxicité intestinale. Ils sont présentés dans le tableau 1.

Toxicité intestinale Médicaments en cause
Colites microscopiques AINS, aspirine, beta bloquants, statines, inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, ranitidine, levodopa, inhibiteurs de la pompe à protons, olmesartan, acarbose, ticlopidine, biphosphonates, anti PD-1, anti CTLA-4, sertraline, cyclo 3 fort, cirkan, inhibiteurs de l’enzyme de conversion
Entéropathies sévères (atrophies villositaires) Olmesartan, mycophenolate mofetil, idelalisib
MICI Antibiotiques, œstro-progestatifs, anti IL17, AINS inhibiteurs de dipeptidyl peptidase-4
Entérocolites inflammatoires AINS, sels d’or, anti CTLA-4 et anti PD-1, idelalisib, mycophenolate mofetil
Perforations intestinales Bevacizumab, chlorure de potassium, erlotinib, idelalisib, trametinib
Colites à éosinophiles AINS, clozapine, carbamazepine, rifampicine, tacrolimus, gabapentine, pregabaline, sulphasalazine, sels d’or
Diaphragmes de l’intestin grêle AINS
Entéropathies exsudatives Clofazimine
Angio-œdèmes Inhibiteurs de l’enzyme de conversion, AINS, aspirine, œstroprogestatifs
Hématomes de l’intestin grêle Anticoagulants
Ischémies Ergotamine, œstroprogestatifs, kayexalate, alosetron, docetaxel
Colites infectieuses Antibiotiques (Clostridiodes difficile et Klebsiella oxytoca), deferoxamine (Yersinia), corticoïdes et immunosuppresseurs (malakoplakie), inhibiteurs de la pompe à protons (infections à bactéries acido-sensibles (Yersinia, Campylobacter, Clostridioides difficile))
Mucite intestinale 5-FU, irinotecan
Colites neutropéniques Chimiothérapies anticancéreuses incluant le docetaxel

Tableau 1 : principaux médicaments ayant une toxicité intestinale. À partir de Cappell MS. Colonic toxicity of administered drugs and chemicals. Am J Gastroenterol. 2004;99:1175-90.

Quelques exemples d’entéropathies induites par les médicaments

Toxicité intestinale des inhibiteurs de point de contrôle immunologiques [anti CTLA-4 et anti PD-1 (3, 4)]

Ces médicaments sont principalement utilisés chez les malades atteints de mélanome métastatique, de maladie de Hodgkin, de cancer du poumon non-à-petites cellules, de cancer du rein, de carcinome urothélial, de cancer ORL et de tumeur avec instabilité des microsatellites. Le bénéfice apporté par l’immunothérapie est important et sa tolérance meilleure que celle de la chimiothérapie. Cependant, les inhibiteurs de point de contrôle immunologiques provoquent des effets indésirables immuno- médiés qui peuvent affecter la peau (vitiligo, exacerbation de psoriasis), les glandes endocrines (insuffisance hypophysaire, thyroïdite, diabète), le rein, le poumon, les articulations, le sang (cytopénies), le cœur, le système nerveux, le foie et le tube digestif (3).

Entérocolites aux anti CTLA-4

Dix-sept à 54 % des patients traités par anti-CTLA-4 ont la diarrhée et 8 à 22 % développent une entérocolite. Les entérocolites sont des complications sévères et représentent la principale cause d’arrêt du traitement pour toxicité. Le délai d’apparition de l’entérocolite varie entre une et 10 perfusions. Des perforations coliques ont été rapportées chez 1 % à 6 % des patients.

Les principaux symptômes sont la diarrhée, quasi-constante, les douleurs abdominales et l’amaigrissement. La définition d’une diarrhée sévère est donnée par le «National Cancer Institute Common Terminology Criteria for Adverse Events, version 4» (tableau 2).

Grade Diarrhée
1 Augmentation de 4 ou moins du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; légère augmentation des volumes de stomie par rapport à l’état initial
2 Augmentation de 4 à 6 du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; augmentation modérée des volumes de stomie par rapport à l’état initial
3 Augmentation de 7 du nombre de selles par jour par rapport à l’état initial ; incontinence ; hospitalisation requise ; augmentation sévère des volumes de stomie par rapport à l’état initial ; interférant avec les activités élémentaires de la vie quotidienne
4 Mise en jeu du pronostic vital ; nécessitant une prise en charge en urgence
5 Décès

Tableau 2 : classification de la diarrhée induite par les médicaments anticancéreux, selon le National Cancer Institute Common Terminology Criteria for Adverse Events, version 4

Une diarrhée est considérée comme sévère lorsqu’elle est de grade 3 ou 4, ou de grade 1 ou 2 avec déshydratation, fièvre, tachycardie ou rectorragies.

Les examens biologiques montrent une anémie, une hypo-albuminémie, une élévation de la CRP et de la calprotectine fécale. L’hypokaliémie, l’hyponatrémie et l’insuffisance rénale fonctionnelle sont possibles. Le scanner montre un épaississement de la paroi colique. L’atteinte de l’intestin grêle, lorsqu’elle est observée, est le plus souvent associée à l’atteinte colique.

Une infection doit être éliminée par une coproculture et la recherche de la toxine du Clostridioides difficile. L’endoscopie est l’examen clé. L’atteinte du rectum, du sigmoïde et du côlon gauche est observée chez la plupart des patients ; tous les segments coliques peuvent être atteints. Deux malades sur trois ont une colite étendue en amont de l’angle gauche et un malade sur deux a des intervalles de muqueuse saine. Un malade sur cinq a des lésions iléales (tableau 3). La présence de lésions significatives en recto-sigmoïdoscopie dispense de la coloscopie totale.

Site des lésions N %
Iléon 5/25 20
Côlon droit 27/33 82
Côlon transverse 28/35 80
Côlon gauche 35/38 92
Côlon sigmoïde 36/38 95
Rectum 32/39 82
Colite étendue 23/35 66
Intervalle de muqueuse saine 18/33 55

Tableau 3 : distribution des lésions inflammatoires de l’iléon et du côlon chez les malades ayant une inflammation intestinale induite par les anti-CTLA-4 (référence 5).

Les lésions endoscopiques élémentaires sont l’érythème, l’érosion et les ulcérations superficielles ou profondes. Les biopsies coliques montrent des lésions de colite aiguë caractérisées par un infiltrat inflammatoire riche en neutrophiles et des abcès cryptiques dans la lamina propria. Les lésions de colite chronique et les granulomes sont moins fréquents.

Les malades qui ont une diarrhée de grade 1 peuvent poursuivre l’anti CTLA-4 et recevoir un ralentisseur du transit. Le budésonide ou les corticoïdes oraux (à la dose initiale de 40 mg/j) peuvent être prescrits en cas d’évolution prolongée (> 14 jours). Les patients ayant une diarrhée de grade 2, 3 ou 4 doivent arrêter l’anti CTLA-4 et recevoir un traitement spécifique. Les corticoïdes représentent le traitement de première intention et permettent une rémission durable chez 30 à 60 % des malades. Le traitement de 2e intention, après échec primaire ou perte de réponse aux corticoïdes, est l’infliximab. Le plus souvent, une à quatre injections d’infliximab sont nécessaires pour obtenir et maintenir la rémission. L’infliximab ne paraît pas aggraver le cancer. La prise en charge d’un malade ayant une entérocolite sévère (grade 3 ou 4) aux anti-CTLA-4 peut être schématisée de la manière suivante : arrêt des anti-CTLA-4, methylprednisolone 0,8 à 2 mg/kg et par 24 heures, surveillance médico-chirurgicale avec évaluation entre J3 et J7. Chez les répondeurs à la corticothérapie intra-veineuse, un relais par voie orale est effectué avec une décroissance progressive sur 8 semaines. Les malades ne répondant pas aux corticoïdes intraveineux ou rechutant pendant la diminution des doses relèvent d’un traitement de seconde intention par infliximab. Quelques données suggèrent que le vedolizumab est actif chez les malades ayant une réponse insuffisante ou une intolérance à l’infliximab (3).

Entérocolites aux anti PD-1

Environ 10 % des malades traités par anti PD-1 ont la diarrhée et 1,5 % ont une entérocolite. Le principal diagnostic différentiel est l’atteinte digestive liée à la tumeur : carcinose péritonéale, métastase grêlique d’un cancer du poumon ou d’un mélanome. La toxicité gastro-intestinale des anti-PD-1 est polymorphe : colite aiguë similaire à celle observée avec les anti- CTLA-4, colite microscopique (lymphocytaire ou collagène), gastrite ulcérée sévère, pseudo-obstruction, entérite, atrophie villositaire. Environ 40 % des malades ayant une diarrhée sous anti PD-1 ont une coloscopie normale (3, 6, 7).

Le traitement de première intention est fondé sur les corticoïdes par voie orale (colite aiguë de grade 2, colite microscopique) ou intraveineuse (colite aiguë de grade 3 ou 4, gastrite ulcérée sévère). Trois malades sur quatre répondent aux corticoïdes.

Cependant, la durée médiane des symptômes est plus longue qu’avec les anti CTLA-4, d’environ 90 jours (8). Les rechutes à l’arrêt ou à la diminution des doses de corticoïdes sont fréquentes.

La toxicité gastro-intestinale du traitement combiné par anti-CTLA-4 et anti-PD1 est similaire à celles des entérocolites à l’ipilimumab, quoique plus fréquente et plus sévère.

Le risque de récidive de toxicité gastro-intestinale après reprise d’un traitement par inhibiteur de point de contrôle immunologique varie de 11 à 32 %, est plus fréquent si le traitement repris est un anti-CTLA-4 plutôt qu’un anti-PD-1, et si l’entérocolite initiale était sévère et/ou prolongée (8, 9). En pratique, la reprise d’un inhibiteur de point de contrôle immunologique chez un malade qui a eu une entérocolite doit être discutée au cas par cas, en réunion pluridisciplinaire.

Colites neutropéniques aux chimiothérapies anticancéreuses, incluant le docetaxel

Les colites neutropéniques ou typhlites sont des inflammations du caecum pouvant s’étendre au côlon droit et à l’iléon, observées chez des malades ayant une neutropénie, quelle qu’en soit la cause (10). Dans la majorité des cas, elles atteignent les malades traités par chimiothérapie anti cancéreuse (agents alkylants, anthracyclines, antimétabolites, sels de platine, étoposide, vinca-alcaloïdes, irinotecan). Les lésions consistent en des ulcérations, une invasion de la muqueuse par des micro-organismes (bactéries ou champignons) et de la nécrose. La cytarabine et les taxanes ont une toxicité directe sur la muqueuse intestinale. Le docetaxel peut également être à l’origine de colites ischémiques.

Entre août 2016 et février 2017, cinq patientes traitées par docetaxel pour cancer du sein sont décédées d’entérocolite en France. Ces patientes étaient âgées de 46 à 73 ans. Elles étaient traitées par docetaxel, en monothérapie ou en association, en situation adjuvante et néo-adjuvante. L’INCA a réuni une commission d’experts qui a émis des recommandations disponibles en ligne sous le titre : « Place des taxanes dans le traitement des cancers du sein infiltrants non métastatiques et conduites à tenir pour la prévention, le suivi et la gestion de certains effets indésirables potentiellement graves ».

Les patients doivent être informés des symptômes évocateurs d’une entérocolite : diarrhée, douleurs abdominales, fièvre, parfois rectorragies. La survenue de tels symptômes doit être promptement signalée, par téléphone, courrier électronique ou  de vive voix, à un professionnel de santé : infirmière de coordination, médecin traitant, oncologue. Un hémogramme et un ionogramme sanguin doivent être réalisés, au moyen d’une ordonnance établie à l’avance et remise au patient. L’hémogramme montre une neutropénie, généralement inférieure à 500/mm3. En cas de suspicion d’entérocolite, la coproculture, la recherche de la toxine du Clostridioides difficile, les hémocultures (près de la moitié des malades ont une bactériémie ou une fungémie) et le scanner abdominal avec ou sans injection sont nécessaires. Le scanner montre un épaississement de la paroi colique avec une prise de contraste muqueuse et dans les formes compliquées, une pneumatose pariétale, une perforation, un abcès péricaecal.

Une antibiothérapie à large spectre doit être mise en place rapidement. Elle doit couvrir les bactéries gram-positif (Staphylococcus, Streptococcus), gram-négatif (E.coli, Pseudomonas) et les anaérobies. Une antibiothérapie probabiliste par Pipéracilline-tazobactam ou carbapénème est indiquée. Un traitement antifongique (caspofungine, voriconazole, amphotericine B) doit être discuté s’il n’y a pas de réponse après 48 heures d’antibiotiques ; il est impératif en cas d’hémoculture positive à levures. L’hydratation avec correction des désordres électrolytiques est nécessaire. La transfusion de concentrés érythrocytaires, les facteurs de croissance, l’assistance nutritionnelle doivent être discutés au cas par cas. Un avis chirurgical urgent doit être demandé pour les patients ayant une perforation intestinale, une dilatation colique supérieure à 6 centimètres ou pour ceux dont l’état clinique s’aggrave sous traitement médical.

Le 5-FU et l’irinotecan peuvent être à l’origine de mucite gastro-intestinale (inflammation ou ulcérations) avec ou sans neutropénie (11, 12).

Toxicité intestinale du bevacizumab (13)

Le Bevacizumab peut être à l’origine de perforations gastro-intestinales et de fistules ; les mécanismes possibles sont la nécrose tumorale, la formation d’ulcères, le défaut de cicatrisation, et l’ischémie mésentérique due à des phénomènes de thrombose ou de vasoconstriction. Une perforation intestinale doit être recherchée chez tout malade traité par bevacizumab ayant une douleur abdominale aiguë. Le taux de mortalité peut atteindre 50 % mais un diagnostic précoce peut réduire leur mortalité et morbidité. Le risque de perforation est augmenté chez les malades ayant une prothèse colique, ce qui contre-indique leur pose chez les malades traités par bevacizumab. De plus, un délai de 6 à 8 semaines devrait être respecté entre la dernière dose de bevacizumab et une intervention chirurgicale.

Toxicité intestinale de l’olmesartan

L’olmesartan est un inhibiteur du récepteur à l’angiotensine II qui a reçu une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de l’hypertension artérielle aux USA et en Europe, respectivement en 2002 et 2003. L’olmesartan est à l’origine de colites microscopiques et d’entéropathies caractérisées par une diarrhée sévère, avec ou sans atrophie villositaire. Des complications telles que l’acidose métabolique, l’hypokaliémie, la déshydratation, l’insuffisance rénale aiguë et la dénutrition sont possibles (14). Une étude effectuée à l’échelle de la France entière portant sur 9 010 303 patients-années, dont 860 894 patients-année exposés à l’olmesartan, a montré une association hautement significative entre la prise d’olmesartan et le risque d’hospitalisation pour malabsorption intestinale (15). L’association était significative au-delà d’un an d’exposition à l’olmesartan et plus encore après 2 ans d’exposition. En janvier 2017, la sécurité sociale française a décidé de ne plus rembourser l’olmesartan.

Toxicité intestinale des inhibiteurs de la pompe à protons

La prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons est associée au risque de colite collagène et lymphocytaire (OR ajustés : 6,98 ; CI à 95 % : 6,45-7,55 et 3,95 ; 95 % CI : 3,60-4,33, respectivement dans une étude réalisée à l’échelle du Danemark ; référence 16). L’association est plus forte pour une exposition actuelle que pour une exposition antérieure. Elle est significative pour tous les inhibiteurs de la pompe à protons, le lansoprazole étant celui le plus souvent incriminé (OR ajusté 15,74 ; IC à 95 % : 14,12-17,55 et 6,87 ; IC à 95 % : 6,00-7,86, pour la colite collagène et lymphocytaire, respectivement). Plusieurs articles ont décrit des colites collagènes associées à des ulcérations endoscopiques linéaires ou à des hémorragies muqueuses causées par le lansoprazole (17, 18).

D’autre part, les inhibiteurs de la pompe à protons sont associés à une augmentation du risque d’infection intestinale causée par des bactéries acido-sensibles telles que yersinia, campylobacter et clostridium (19).

Toxicité intestinale du mycophénolate mofetil

Le mycophénolate mofetil (MMF) est un inhibiteur de la synthèse des purines, plus précisément de l’inosine monophosphate dehydrogenase (IMPDH) dont dépend la synthèse de novo des purines. Les effets antiprolifératifs du MMF affectent le renouvellement de l’épithelium intestinal. Sa principale indication est la prévention du rejet d’allogreffe. La leucopénie et la diarrhée sont les principaux effets indésirables du MMF. Ce médicament peut être à l’origine d’atrophie villositaire sans hypertrophie des cryptes ni lymphocytose intra épithéliale (20), d’entérocolites inflammatoires avec endoscopie normale ou montrant de l’érythème, des érosions et parfois des ulcérations endoscopiques (21). Les biopsies montrent une inflammation aiguë, un aspect pouvant évoquer une MICI, une réaction de greffon contre l’hôte ou un aspect ischémique. Les diagnostics différentiels de la colite au MMF chez les receveurs d’allogreffe sont l’entérocolite à CMV, la colite inflammatoire de novo après transplantation, une poussée de RCH chez un malade greffé pour cholangite sclérosante primitive. La présence de corps apoptotiques est évocatrice de l’imputabilité du MMF. La diminution de moitié des doses de MMF est parfois efficace. À l’arrêt du MMF, la disparition de la diarrhée peut prendre plusieurs semaines. Environ la moitié des malades est améliorée après que le MMF ait été remplacé par le mycophenolate à délitement entérique.

Toxicité intestinale des AINS (22)

La région iléo-caecale et le côlon sont les sites préférentiels de l’atteinte intestinale des AINS. Les lésions élémentaires sont les érosions, les ulcérations, les sténoses (incluant les diaphragmes), les perforations et les colites pouvant mimer les MICI. Les diaphragmes de l’intestin grêle sont spécifiques de l’atteinte aux AINS. Les études ayant utilisé la vidéocapsule ont montré que les lésions intestinales sont fréquentes chez les malades prenant des AINS, mais la proportion des malades ayant des symptômes intestinaux est faible. Les lésions intestinales induites par les AINS régressent ou disparaissent à leur arrêt.

À l’inverse, l’aspect pavimenteux de la muqueuse et les pseudo-polypes, la présence de granulomes et d’une distorsion des cryptes à l’histologie sont en faveur de la maladie de Crohn plutôt que d’une colite aux AINS. En cas de doute, une coloscopie pourra être effectuée 6 à 8 semaines après l’arrêt des AINS. Certaines études ont montré que les anti Cox-2 comme le celecoxib ont une moindre toxicité intestinale que les AINS. Un essai de phase 3 a montré que le misoprostol permettait de cicatriser les érosions et ulcérations induites par l’aspirine et les AINS ; ce médicament n’est plus disponible en France (23).

Enfin, plusieurs études cas-témoin ont montré une association entre la prise d’AINS et le risque de colite microscopique (24).

Conclusion

Les médicaments peuvent provoquer diverses entéropathies à l’origine de symptômes parfois sévères. Les gastroentérologues et les prescripteurs de ces médicaments, quelle que soit leur spécialité, doivent penser aux entéropathies médicamenteuses et savoir les reconnaître. La conduite à tenir dépend de la gravité du tableau clinique, de l’indication de la prescription et des alternatives possibles. La liste des entéropathies induites par les médicaments n’est pas close, de nouvelles formes étant régulièrement décrites.

Références

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