Hépatites auto-immunes : situations difficiles
POST’U 2020
Hépatologie
Objectifs pédagogiques
- Connaître la démarche pour diagnostiquer et traiter une forme de chevauchement
- Comment reconnaître une forme sévère pouvant nécessiter une évaluation dans un centre de transplantation hépatique
- Connaître les critères de non réponse ou de réponse insuffisante à la corticothérapie
- Savoir envisager un traitement immunosuppresseur de 2ème ligne
Les 5 points forts
- Dans près d’un quart des cas, l’hépatite auto-immune peut se présenter sous une forme d’hépatite aiguë avec risque d’évolution fulminante.
- Les formes aiguës sévères en particulier avec encéphalopathie doivent être prises en charge dans un centre de transplantation hépatique.
- La forme la plus fréquente d’overlap syndrome associe hépatite auto-immune et cholangite biliaire primitive. Son diagnostic impose la biopsie hépatique.
- Le risque d’hypertension portale et de ses complications est plus important dans les formes avec overlap.
- Le traitement des formes overlap avec cholangite biliaire primitive combine le traitement immuno-suppresseur de l’hépatite auto-immune et l’AUDC à la dose utilisée dans la cholangite biliaire primitive.
LIENS D’INTÉRÊT
Mayoly Spindler, Intercept
MOTS-CLÉS
Hépatite auto-immune, cholangite biliaire primitive, insuffisance hépatique, syndrome de chevauchement
ABRÉVIATIONS
AUDC : acide ursodésoxycholique
CBP : cholangite biliaire primitive
HAI : hépatite auto-immune
Introduction
L’hépatite auto-immune (HAI) est une maladie chronique du foie immuno-médiée. Le diagnostic repose sur la présence de lésions histologiques évocatrices (hépatite interface), une élévation des transaminases et des IgG et la présence d’autoanticorps. L’HAI est une maladie inflammatoire chronique progressive du foie qui peut conduire à la cirrhose, à l’insuffisance hépatique, à la transplantation et au décès (1). Bien que l’association corticoïde et immunosuppresseur soit efficace, cette maladie est associée à long terme à une augmentation de la mortalité d’un facteur 2 par rapport à la population générale (2). Le traitement repose sur l’association corticostéroïde et immunosuppresseur (azathioprine) qui permet de contrôler la maladie dans la plupart des cas. La rémission est habituellement considérée comme la disparition des symptômes cliniques quand ils sont présents, la normalisation complète des paramètres biochimiques, c’est-à-dire des transaminases et des gammaglobulines (ou Ig G) ainsi que la résolution complète de l’activité inflammatoire au niveau du foie (1). Une bonne réponse thérapeutique s’accompagne d’une amélioration considérable du pronostic. Deux formes particulières de l’HAI sont à connaître du fait de leur gravité potentielle : d’une part les formes aiguës sévères et d’autre part les formes associées à la cholangite biliaire primitive (CBP) appelée aussi overlap syndrome.
Formes aiguës sévères
L’HAI peut se présenter sous la forme d’une hépatite aiguë dans environ 25 % des cas. Le risque est alors le développement d’une insuffisance hépatique aiguë avec une évolution vers les formes fulminantes. Récemment le groupe du King’s college à Londres a proposé une classification pour définir les formes aiguës hépatite auto-immune (3) qui est décrite sur le tableau 1. Dans une étude de 115 patients avec HAI, 10 avaient une présentation aiguë : une encéphalopathie était présente 8 fois sur 10. Par comparaison à 20 patients atteints de forme chronique, le taux d’albumine était plus bas et le taux de bilirubine était plus élevé. Les lésions histologiques étaient différentes : 6 patients sur 10 n’avaient pas de fibrose, l’hépatite interface était beaucoup plus marquée, l’activité lobulaire était également plus marquée et la nécrose était beaucoup plus étendue. Le taux de réponse au traitement était plus faible dans le groupe aigu (4/10 vs. 16/20 ; P= 0,043). Enfin dans le groupe hépatite aiguë il y a eu 2 décès, 3 transplantations hépatiques et 1 patient inscrit sur la liste de transplantation (4)
ictère | INR | encéphalopathie | |
HAI aiguë | présent | < 1,5 | absente |
HAI aiguë sévère | présent | ≥ 1,5 | absente |
HAI aiguë sévère avec encéphalopathie | présent | ≥ 1,5 | présente |
Tableau 1 – Classification proposée par l’équipe du king’s college des formes aiguës d’hépatite auto-immunes (Rahim 2019)
Dans une étude japonaise, rassemblant 11 cas d’hépatite auto-immune de type fulminante survenue entre 1990 et 2005, les valeurs médianes des paramètres biologiques étaient les suivantes : bilirubine 350 µmol/L ; ALAT 220 UI/L, TP 29 %. Huit patients ont été traités par corticostéroïdes et 3 n’en ont pas reçu. Cinq patients ont survécu sans transplantation, 1 patient a été transplanté et 5 patients sont décédés. Chez les patients qui sont décédés, la bilirubine avait augmenté entre le 8e et le 15e jour alors qu’elle avait baissé pour la même période chez ceux qui ont survécu. Les auteurs concluaient qu’une augmentation de la bilirubine au cours de l’évolution devait faire envisager une transplantation hépatique (5).
Dans une autre étude réalisée à Londres, 32 patients atteints de forme aiguë sévère d’hépatite auto-immune avec un INR ≥ 1,5 ont été identifiés : parmi les 23 qui ont été traités par corticostéroïdes, 10 ont finalement été transplantés. Les 9 patients qui n’ont pas reçu corticoïde ont également été transplantés. Il n’y avait pas de différence significative en termes de mortalité et de survenue d’infections entre les patients traités et non traités (6). L’utilisation des corticoïdes chez ces patients reste débattue : une étude similaire réalisée en France à l’hôpital Paul Brousse, suggère leur inutilité et même leur dangerosité dans les formes très sévères avec encéphalopathie (7).
Récemment une étude multicentrique a montré que le traitement initial des HAI avec de faibles doses de corticostéroïdes (< 0,5 mg/kg/j) ou doses élevées (≥ 0.5 mg/kg/j) avait la même efficacité, évalué par la normalisation des transaminases à 6 mois. Parmi les 47 patients atteints de forme aiguë sévère, le taux de réponse était un peu supérieur chez les patients qui recevaient une dose élevée (76 %) par rapport à ce qui recevaient une dose faible (61 %) mais la différence n’est pas significative (8).
Le recours à une dose faible, 20 à 40 mg de prednis(ol)one par jour, est recommandée par certains auteurs (3). Enfin chez les patients ictériques, il n’est pas recommandé d’utiliser azathioprine car le métabolisme est fortement ralenti : il y a dans cette situation un risque d’aggraver la cholestase (3)
Finalement le traitement des HAI de forme aiguë repose sur la sévérité initiale. Dans les formes ictériques avec préservation de l’hémostase (TP > 50 % ou INR < 1,5) il faut commencer par une corticothérapie par predniso(lo)ne entre 0,5 et 1 mg/ kilo/jour. En cas d’amélioration, il faut introduire l’azathioprine dès la régression de l’ictère. En l’absence de réponse au 7e jour, le recours aux anticalcineurines (tacrolimus) peut être envisagé dans un 2e temps tout en évaluant le patient pour une éventuelle transplantation. En cas d’altération de la coagulation (TP ≤ 50 % ou INR ≥ 50 %), il faut également commencer par une corticothérapie IV ou PO à une dose comprise entre 0,5 et 1 mg/kilo/jour. Une évaluation de la réponse doit être faite au 7e jour. En cas d’amélioration il faut poursuivre la corticothérapie et introduire l’azathioprine après régression de l’ictère. En l’absence d’amélioration, il faut interrompre la corticothérapie et envisager l’inscription du patient sur la liste de transplantation. En cas d’encéphalopathie hépatique, il ne faut pas encourir la corticothérapie et inscrire le patient d’emblée sur la liste de transplantation (3).
Chez les patients avec HAI ictériques au moment du diagnostic, l’absence d’amélioration de certains paramètres, notamment du score UKELD (MELD-Na modifié) après 7 jours de traitement et prédictif d’un échec du traitement (9) L’identification des formes aiguës est donc cruciale du fait du risque d’évolution vers l’insuffisance hépatique aiguë ou fulminante. Dans cette situation la réponse précoce au traitement est déterminante du pronostic.
Overlap syndrome
La forme la plus fréquente d’overlap syndrome (appelé aussi syndrome de chevauchement) et celle qui associe l’HAI et la CBP. Cette situation doit être suspectée lorsque des caractéristiques cliniques ou biologiques ou histologiques inhabituelles sont mises en évidence chez un patient atteint d’une maladie auto-immune du foie faisant suspecter une 2e maladie associée (1, 10). Les critères de Paris (cf. tableau 2) sont les plus fréquemment utilisés pour le diagnostic d’overlap syndrome (11). La fréquence de l’association HAI et CBP varie de 2,1 % à 19 % dans les différentes études publiées (12). Le diagnostic de ces formes particulières impose la réalisation d’une biopsie hépatique. Dans une étude rétrospective de 1 065 patients avaient à la fois une CBP et une HAI, il a été montré que 1,8 % des patients développaient l’overlap syndrome dans un 2e temps après un suivi moyen de 6,5 ans de la première maladie auto-immune du foie (13). Il n’y avait pas de facteurs prédictifs de cette évolution.
Maladies | Critères diagnostiques |
HAI | ALAT > 5 N
Ig G > 1,5 – 2 N ou anti-muscle lisse ≥ 1/80 Hépatite d’interface d’intensité marquée |
CBP | Phosphatases alcalines > 1,5 N ou GGT > 3 N
Anticorps anti-mitochondries ≥ 1/40 Lésions florides des canaux biliaires interlobulaires |
CSP | Phosphatases alcalines > 1,5 N ou GGT > 3 N
Cholangite fibreuse oblitérante ou anomalies cholangiographiques Association à une autre maladie (MICI) |
Tableau 2 – Critères diagnostiques des overlap syndromes : pour retenir le diagnostic, il faut au moins 2 critères sur 3
HAI : Hépatite Auto Immune ; CBP : Cholangite Biliaire Primitive ; CSP : Cholangite Sclérosante Primitive
Les patients avec overlap syndrome entre HAI et CBP sont plus sévères que ceux atteints de l’une ou l’autre de ces maladies. Ils ont plus fréquemment une hypertension portale, des varices œsophagiennes, des hémorragies digestives, de l’ascite et un recours à transplantation hépatique que ceux atteints d’HAI ou de CBP seul. Dans une étude comparant 227 patients avec CBP à 46 patients avec overlap CBP-HAI, le taux de survie sans complication à 5 ans était de 81 % chez les patients CBP et 58 % chez les patients avec overlap. Le taux bilirubine était plus élevé chez ces derniers (14).
Le traitement de ces patients reste débattu et repose sur l’association du traitement de l’HAI et celui de la CBP. Plusieurs petits essais thérapeutiques ont comparé l’AUDC seul à une combinaison AUDC et corticostéroïde. Récemment une méta-analyse de 8 essais thérapeutiques qui avaient inclus 214 patients atteints d’overlap HAI-CBP, a permis de comparer les 2 options thérapeutiques. La combinaison AUDC et corticostéroïde était supérieure à l’AUDC seul en termes d’amélioration du taux de phosphatase alcaline, d’ALAT, des lésions histologiques sans différence entre les 2 groupes en termes d’effets secondaires. Il n’y avait cependant pas d’amélioration des symptômes comme le prurit ou l’ictère ou de diminution du taux de mortalité ou du taux de recours à la transplantation. Les auteurs concluaient que la combinaison AUDC et corticostéroïde était supérieure à l’AUDC (15). Finalement les dernières recommandations de l’EASL sont d’associer l’AUDC (à la dose de 13 à 15 mg/kg/ jour) avec un traitement immunosuppresseur particulièrement chez les patients qui ont une hépatite d’interface sévère. Cette combinaison doit également être envisagée chez les patients qui d’interface modérée (10).
Le diagnostic d’overlap syndrome est souvent difficile et doit être envisagé d’une part chez les patients atteints de CBP en cas d’élévation marquée et persistante des transaminases ou d’élévation des Ig G et d’autre part chez les patients atteints d’HAI qui ont aussi une cholestase. Le diagnostic doit également être évoqué en cas de détérioration chez les patients qui avaient jusqu’à présent maladie auto-immune du foie bien contrôlé. Le pronostic semble plus sévère et le traitement repose sur l’association AUDC et corticoïdes/immunosuppresseur.
Références
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