Iléite de découverte fortuite : quelle prise en charge ?

POST’U 2021

MICI

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les causes d’iléite
  • Connaître les arguments permettant d’évoquer une maladie de Crohn et quelles explorations envisager ?
  • Connaître la prise en charge thérapeutique et la surveillance
  • Connaître le pronostic à long terme d’une maladie de Crohn iléale de découverte fortuite

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Les 5 points forts

  1. L’iléite fortuite se définit par sa découverte imprévue chez un patient asymptomatique ou avec des symptômes non évocateurs.
  2. léite toxique secondaire à la prise d’AINS est la cause principale d’iléite de découverte fortuite. Elle se résout généralement à l’arrêt de ceux-ci.
  3. En cas de découverte fortuite d’une iléite isolée, des ASCA positifs, une calprotectine supérieure à 250 microg/g et des signes histologiques de chronicité sont associés à un risque plus élevé d’évolution vers une maladie de Crohn avérée.
  4. Une iléite de découverte fortuite chez un patient asymptomatique progresse très rarement vers une maladie de Crohn. En l’absence de lésions sévères et de facteurs pronostics péjoratifs associés, aucune surveillance ni aucun traitement n’est préconisé.
  5. Une iléite de découverte fortuite endoscopique chez un patient pauci-symptomatique évolue plus fréquemment vers une maladie de Crohn. Un examen morphologique par entéro-IRM/scanner est souhaitable. En l’absence de lésion sévère, un traitement court par budésonide peut être proposé tandis que la présence de lésions sévères (creusantes ou étendues) nécessite une prise en charge plus pro-active, à discuter au cas par cas.

LIENS D’INTÉRÊTS

Abbvie, Merck-MSD, Ferring, Takeda, Janssen, Thermo-fisher, Pfizer

Introduction

L’intubation et l’évaluation de l’iléon terminal font actuellement partie de la routine lors de la réalisation d’une iléo-coloscopie. Des lésions limitées à l’iléon terminal peuvent également être mises en évidence de façon fortuite suite à l’utilisation de plus en plus large de la capsule endoscopique. La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique du tube digestif pouvant toucher de façon isolée l’iléon terminal dans 30 % des cas. Au moment de son diagnostic, elle se présente sur un mode purement inflammatoire dans 80 % des cas. Dès lors, la découverte de lésions muqueuses limitées à l’iléon au cours d’une endoscopie peut survenir sans que l’investigateur ne puisse se prononcer sur le caractère spécifique de ces lésions ni sur leur impact sur la prise en charge clinique future. Dans cette situation particulière, il est important pour le clinicien de pouvoir interpréter la signification d’une iléite terminale isolée, de pouvoir exclure d’autres causes d’iléite et de connaître leur évolution afin de proposer l’attitude clinique la plus pertinente.

Sémiologie endoscopique d’une iléite

L’iléite est une inflammation iléale au sens large quelles que soient son origine et les lésions qui la caractérisent. La sémiologie endoscopique est pauvre pour décrire les lésions iléales rencontrées en endoscopie et classifier celles-ci en légères à sévères. Par ailleurs, les scores endoscopiques disponibles (SES-CD, CDEIS) sont inadaptés à la description d’une iléite isolée et sous-estiment sa gravité. Diverses lésions peuvent être rencontrées : érythème muqueux (avec ou sans signes hémorragiques sous-muqueux), œdème, lésions nodulaires, plaie muqueuse allant de l’érosion à l’ulcération aphtoïde et à l’ulcération. Ces dernières peuvent être superficielles ou creusantes, courtes ou étendues. Le score de Rutgeerts définit précisément l’iléite de Crohn mais dans la situation spécifique de la récidive post-opératoire (1). Il a par ailleurs l’avantage d’être un score pronostique sur l’évolution clinique future. Par analogie avec cette classification, on peut considérer qu’une iléite aphtoïde diffuse avec muqueuse intercalaire inflammatoire (i3) ou une iléite diffuse avec ulcérations plus larges, nodules et/ou sténose (i4) doit être considérée comme sévère et à haut potentiel évolutif. Le caractère pronostique des ulcères creusants n’a jamais été démontré que dans le côlon (2). Par extrapolation, le bon sens clinique doit considérer des ulcères creusants iléaux comme des lésions sévères pouvant évoluer vers des lésions tissulaires irréversibles (Figure 1).

 

 Exemle de lésions iléales de découverte fortuite

Figure 1 : Exemple de lésions iléales de découverte fortuite. Ulcération aphtoïde avec halo inflammatoire, plages érythémateuses avec saignement sous-muqueux

Incidence et diagnostic différentiel d’une iléite terminale

Une étude espagnole a démontré que l’incidence d’une iléite radiologique ou endoscopique aux urgences, chez des patients symptomatiques, non connus pour une MC, était de 33 pour 100 000 (3). Une cause, le plus souvent infectieuse, était mise en évidence dans 60 % des cas. Dans une étude américaine, un diagnostic d’iléite terminale a été posé chez 40 /1 900 patients bénéficiant d’une coloscopie de routine sur une période de 5 ans (4). Moins de la moitié des patients présentaient des plaintes digestives.

Outre la MC, de nombreuses pathologies peuvent être responsables d’une iléite terminale (5). Comme pour la plupart des diagnostics différentiels, ceux-ci peuvent être classés en infectieux, néoplasiques, vasculaires, toxiques, infiltratifs et « idiopathiques ». Les deux causes infectieuses les plus fréquentes et l’iléite associée aux spondylarthtropathies sont détaillées ci-dessous. Un tableau plus exhaustif est proposé afin de ne pas méconnaître les causes plus rares (Tableau 1).

 

Principaux diagnostics différentiels d’iléite
Infectieux Yersinia spp

Salmonella spp

Mycobacterium tuberculois/avium

Actinomycose

Cytomegalovirus

Anisakiase

Histoplasma Capsulatum

Clostridioides difficile 

Inflammatoires Maladie de Crohn

Iléite associée aux spondylarthropathies

Médicamenteux AINS, KCl, contraceptifs oraux, ergotamine, digoxine
Vasculaires :
Vascularite
Ischémie
Lupus, périartérite noueuse, purpura rhumatoïde, Behcet, granulomatose de Wegener,
artérite de Takayasu
Tumoraux Adénocarcinome, lymphome, tumeur carcinoïde, métastase, lymphosacrome
Maladies infiltratives Entérite à éosinophiles, sarcoïdose, amyloïdose

d’après Ph. Seksik, Hépato-Gastro et Oncologie digestive, Volume 26 ; Numéro 8 ;octobre 2019

Tableau 1

 

Une des causes les plus fréquentes d’iléite aiguë est l’iléite à Yersinia enterocolica ou à Yersinia pseudotuberculosis (5, 6). Le tableau clinique est aigu à subaigu avec fièvre modérée depuis 1 à 3 semaines. Radiologiquement, on observe un épaississement et un rehaussement des parois de l’iléon terminal. Une adénite mésentérique d’accompagnement est également possible. En revanche, on ne note ni sténose(s) ni de fistule(s). Endoscopiquement, des lésions aphtoïdes du cæcum et de l’iléon terminal sont décrites. Le diagnostic est posé sur les coprocultures. Il est également possible de faire un diagnostic rétrospectif sur la base du taux d’anticorps anti-Yersinia 03, 09 et pseudotuberculosis. Un traitement par quinolone est efficace en 3 à 5 jours.

La tuberculose intestinale est une cause fréquente d’iléite infectieuse (5, 6). Il s’agit de la principale cause d’iléite dans les zones endémiques. Une tuberculose extra-pulmonaire est décrite chez 20 % des patients immuno-compétents et 50 % des patients immuno-déprimés. L’atteinte pulmonaire est absente dans 70 % des cas, ce qui rend le diagnostic différentiel difficile, avec une MC notamment. Une atteinte iléo-cæcale est décrite dans 90 % des cas. La clinique est non spécifique mais la fièvre est souvent élevée. Des complications telles des occlusions ou des perforations sont décrites.

L’aspect endoscopique est proche de la MC avec présence d’ulcérations, de pseudopolypes et de sténoses. Les techniques d’imagerie médicale objectivent un épaississement des parois iléales mais plus irrégulier que dans la MC. La présence d’adénopathies nécrotiques peut orienter le diagnostic. L’histologie ne permet pas de poser le diagnostic dans tous les cas : la coloration de Ziehl-Neelson n’est positive que dans 30 % des cas et la sensibilité de la PCR est faible, variant de 40 à 70 %. La technique de choix reste la coproculture mais sa positivation peut mettre 3 à 8 semaines. Il convient donc de garder ce diagnostic à l’esprit notamment chez des patients revenant de zones endémiques ou travaillant dans des milieux à risque.

Des lésions iléales peuvent être mise en évidence chez deux tiers des patients présentant une spondylarthropathie (6). Le plus souvent, il s’agit de lésions aphtoïdes, d’érythème et d’érosions. Elles sont plus fréquentes en cas de maladie évolutive et peuvent disparaître lorsque la pathologie articulaire s’améliore. Cependant, les spondylarthtospathies peuvent être associées à une maladie inflammatoire chronique intestinale dans 5 à 10 % des cas et il convient de ne pas méconnaître une MC débutante. Une étude gantoise a analysé 354 coloscopies de patients présentant une spondylarhtropathie (7). Soixante pour cent des patients présentaient une iléite microscopique et près de la moitié d’entre eux avait des signes d’iléite chronique. Le suivi a montré que 20 % de ces dernières correspondaient à une MC contre 11 % chez les patients présentant une iléite aiguë. En cas de lésions mineures chez un patient asymptomatique, avec histologie normale, aucun traitement ni suivi n’est nécessaire. En revanche, en cas de lésions histologiques particulièrement chroniques, un risque d’évolution vers une MC est significativement plus important et un suivi clinique et biologique avec suivi des biomarqueurs est recommandé.

Histoire naturelle d’une iléite terminale de découverte fortuite

À côté du diagnostic d’iléite aiguë chez un patient symptomatique (vide supra), une iléite isolée peut être découverte de façon fortuite. Il se pose alors la question du diagnostic différentiel d’une MC débutante ou de lésions non significatives sans implication clinique future. Connaître l’histoire naturelle d’une iléite terminale, et notamment le risque d’évolution vers une MC avérée, est capital pour proposer un traitement et un suivi adéquats afin d’éviter le risque de complications dans le futur.

Une des causes les plus fréquentes d’iléite de découverte fortuite est l’iléite induite par les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) (8). Une étude de la Mayo Clinic a analysé 108 cas d’iléites isolées, diagnostiquées lors d’une coloscopie dont les indications étaient diverses (symptômes digestifs, examen morphologique anormal, saignement digestif, dépistage). Elle était expliquée par une prise d’AINS dans les 6 mois précédents chez 47 % des patients. Dans une autre étude américaine, l’iléite de découverte fortuite était expliquée par une prise récente d’AINS chez 33 patients sur 40. L’aspect endoscopique était similaire à celui observé dans une MC avec présence d’érosions, et d’ulcérations aphtoïdes. Les lésions et les saignements se sont résolus dans tous les cas à l’arrêt des AINS. Les lésions digestives induites par les AINS peuvent toucher classiquement l’estomac et le duodénum, mais également l’iléon terminal. Elles sont rarement symptomatiques à l’exception de saignements occultes induisant carence martiale et anémie jusque dans 75 % de cas. L’arrêt des AINS permet généralement une résolution des lésions. La prise d’AINS est un élément important à rechercher à l’anamnèse lors de la découverte d’une iléite chez un patient asymptomatique.

Peu d’études sont disponibles sur l’histoire naturelle de l’iléite de découverte fortuite une fois que la prise d’AINS a été écartée. Les taux d’évolution vers une maladie inflammatoire de l’intestin varient de 1 à 34 % suivant les études. Cette large fourchette s’explique par l’inclusion dans les différentes études de patients tantôt symptomatiques, tantôt asymptomatiques, ces derniers ayant un plus faible risque d’évolution vers une MC. Une étude a spécifiquement analysé des patients asymptomatiques (9). Les patients porteurs d’ulcérations buccales, génitales, ou coliques ainsi que les patients consommant des AINS ont été exclus de l’analyse. Parmi les 93 patients suivis durant 30 mois, 60 patients ont vu les lésions iléales cicatriser spontanément. Parmi les 31 patients porteurs de lésions persistantes, les lésions sont restées stables chez 22 patients, se sont améliorées chez 6 patients et ont évolué de façon fluctuante chez 2 patients. Seul un patient a évolué vers une MC. Une autre étude a analysé 108 patients porteurs d’une iléite terminale à l’endoscopie, mais dont l’indication de coloscopie comprenait également des plaintes digestives et des anomalies à l’imagerie médicale (10). Cinq patients ont évolué vers une MC durant un suivi de 55 mois. La présence d’une sténose iléale était un facteur de risque d’évolution vers une MC. Une autre étude a analysé séparément les iléites isolées chez les patients symptomatiques et asymptomatiques (11). Aucun des 14 patients asymptomatiques n’a évolué vers une MC en 5 ans de suivi tandis que 2/3 des patients symptomatiques (10/15) ont développé une MC. Le caractère pronostique du type de lésion découverte n’a pas été étudié dans les études publiées.

L’histologie joue un rôle important dans le diagnostic différentiel et le pronostic d’une iléite terminale. Une étude a analysé la valeur prédictive des biopsies iléales chez des patients avec suspicion clinique de maladie inflammatoire chronique intestinale mais présentant un iléon macroscopiquement normal (12). Quinze pour cent des patients présentaient une iléite microscopique. Parmi eux, une iléite aiguë, chronique légère, chronique modérée à sévère et granulomateuse a été mise en évidence chez 61 %, 29 %, 5 % et 5 % respectivement. La présence d’une iléite chronique microscopique était associée à une évolution vers une MC dans 40 % des cas sur un suivi de 5 ans. Dans cette étude, 100 % des patients avec iléite microscopique modérée à sévère et granulomateuse ont évolué vers une MC. Les patients porteurs d’une iléite aiguë n’avaient pas de risque plus élevé d’évoluer vers une MC par rapport aux patients porteurs de biopsies normales. Ces données doivent nous inciter à la réalisation de biopsies qui permettent d’exclure certains diagnostics différentiels mais aussi de prédire le devenir des patients chez qui une MC est suspectée cliniquement.

Quelles explorations complémentaires proposer pour confirmer le diagnostic de MC ?

Les biomarqueurs peuvent aider à conforter un diagnostic de MC dans certaines situations difficiles (13). Les anticorps anti-saccharomyces cerevisiae (ASCA) sont positifs dans 50 à 80 % des cas de MC avec une spécificité de 90 %. Ils possèdent une valeur prédictive positive de 88 % et une valeur prédictive négative de 68 %. Bien que non utilisés en pratique clinique, d’autres anticorps ont été associés à la MC. Leur présence pourrait être associée à des formes plus compliquées de la maladie. Une étude a comparé l’expression de divers marqueurs sérologiques (IgA ASCA, IgG ASCA, pANCA, anti-OmpC, Anti-BIR) et génétique (NOD 2) entre patients présentant une MC iléale confirmée, une iléite terminale isolée et des contrôles. Les patients porteurs d’une iléite isolée présentaient des taux de séropositivité similaires aux contrôles. En revanche, près d’un quart des patients était porteur du variant génétique NOD2. Le dosage des ACSA permettrait donc d’orienter le diagnostic vers une iléite de Crohn versus une iléite aspécifique sans potentiel évolutif.

La calprotectine fécale est utilisée régulièrement pour le suivi de patients présentant une maladie inflammatoire chronique intestinale afin d’évaluer la réponse au traitement mais aussi afin de prédire une rechute future chez les patients en rémission clinique (14). Elle est également utilisée à des fins diagnostiques pour discriminer une maladie inflammatoire intestinale d’une maladie fonctionnelle avec une sensibilité de 80 à 98 % et une spécificité de 68 à 96 % pour des valeurs seuil de 30 à 100 mg/g de selles. Cependant, en cas d’iléite de Crohn isolée, la calprotectine fécale est moins bien corrélée à l’activité endoscopique qu’en cas de maladie colique ou iléo-colique. Les valeurs sont moins élevées en cas de maladie active, mais elles restent néanmoins pathologiques le plus souvent. Dans l’iléite de Crohn isolée, une corrélation a été démontrée entre la calprotectine et l’activité histologique. Compte tenu de ces éléments, la calprotectine fécale ne doit pas être négligée pour le diagnostic et le suivi de la MC iléale. Des valeurs >250 mg/g sont hautement suggestives d’une MC. De plus, une valeur seuil de 100 mg/g a été associée à la détection de lésions en capsule endoscopique chez des patients avec suspicion clinique de MC mais présentant une endoscopie normale. La calprotectine fécale étant non spécifique, d’autres causes d’iléite doivent être exclues, notamment une pathologie infectieuse ou la prise d’AINS.

La capsule endoscopique est un examen de plus en plus proposé pour le diagnostic et le suivi des MC du grêle. Des études ont démontré que pour le diagnostic de MC iléale isolée, l’iléo-coloscopie et la capsule endoscopique présentaient un rendement diagnostic similaire avec des taux de détection de lésions iléales identiques avec les 2 techniques dans cette indication (15). Cet examen permet également de mettre en évidence des lésions plus haut situées non détectées en entéro-IRM. Il peut donc être proposé comme examen complémentaire pour rechercher des lésions jéjunales et conforter ainsi le diagnostic de MC.

Une exploration de l’intestin grêle par imagerie médicale (échographie, entéro-scanner ou entéro-IRM) est recommandée pour évaluer l’extension des lésions et rechercher une atteinte transmurale iléale suggérant une MC.

Quel traitement et quel suivi proposer ?

En cas de découverte d’une iléite terminale pouvant correspondre à une MC, la décision de débuter un traitement doit tenir compte de la clinique. Chez un patient asymptomatique, l’histoire naturelle est rassurante. Très rares sont les patients qui évoluent vers une MC. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’instaurer un traitement spécifique ni de prévoir une surveillance particulière. La majorité des ulcérations disparaît d’ailleurs spontanément. L’examen endoscopique doit être répété si le patient développait dans le futur des symptômes digestifs compatibles avec une maladie inflammatoire intestinale. La découverte fortuite de lésions sévères iléales n’a pas été rapportée dans la littérature chez le patient asymptomatique. Elle est donc peu probable. Néanmoins, le cas échéant, le diagnostic de MC doit être évoqué et un suivi/traitement discutés au cas par cas.

Chez un patient symptomatique pour lequel les différents diagnostics différentiels ont été écartés, une MC débutante est possible. Pour adapter au mieux les traitements et le suivi, il convient d’identifier la proportion de ces malades qui n’évolueront pas vers des complications au fils du temps. En étude de population, seules 3 % des MC légères au diagnostic évoluent vers des symptômes sévères au fils du temps (Figure 2) (16). Une étude belge a montré que 50 % des patients gardaient une MC légère après 5 ans d’évolution. Au long cours cependant, quasiment 90 % de ces patients présentaient des lésions tissulaires (sténoses, fistules intra-abdominales ou périanales) imposant une escalade thérapeutique (Figure 3) (17). Ces données proviennent de centres tertiaires et en pratique, le risque est probablement moindre. Dès lors, hormis en présence de lésions sévères et de complications, une prise en charge agressive n’est pas nécessaire d’emblée. De plus, le Groupe d’Étude Thérapeutique des Affections Inflammatoires du Tube Digestif (GETAID) a montré que l’introduction précoce des immunomodulateurs ne modifie pas l’histoire naturelle de la maladie (18). Il convient avant tout de réaliser un suivi clinique régulier et un dosage des biomarqueurs 2 à 3 fois par an (calprotectine et CRP) qui témoigneraient d’une progression de la maladie. Des méta-analyses ont démontré un bénéfice significatif mais mineur de la mésalazine pour induire une réponse clinique et une rémission dans la MC (19). Un traitement court par budésonide (3 mois) peut également être proposé pour induire la rémission, mais il ne doit pas être poursuivi au long cours vu l’absence de bénéfice démontré et les toxicités secondaires. Le budésonide est supérieur à la mésalazine pour induire la rémission (20) et doit être le traitement de choix en cas de lésions iléales peu sévères. Le bénéfice de la mésalazine par rapport au placebo est controversé pour la prévention de rechute en cas de rémission induite par corticoïde. Il n’est pas recommandé en traitement d’entretien par le consensus ECCO (21). En cas de lésions sévères, étendues et de complications transmurales un traitement ciblé doit être débuté dans une philosophie « treat-to-target ». En d’autres termes, la réévaluation de l’atteinte des objectifs doit être régulière et conduire à adaptation thérapeutique secondaire si nécessaire. Un algorithme décisionnel est proposé (Figure 4).

 

Facteur prédictif Èvolution de la MC
Maladie iléale Complications, chirurgie
Maladie colique ou rectale Maladie périanale
Tabagisme Rechutes, complications
Ulcères coliques creusants Chirurgie
Maladie sténosante ou fistulisante au dia Chirurgie, MC sévère
Age <40 ans au dia Maladie instable
Corticoïdes au diagnostic Maladie instable
Maladie périanale Maladie instable

Tableau 2

Histoire naturelle de la maladie de Crohn

Figure 2 : Histoire naturelle de la maladie de Crohn Étude de population

Histoire naturelle d'une maladie de Crohn légère au diagnostic

Figure 2 : Histoire naturelle d’une maladie de Crohn légère au diagnostic.Survie sans complication et sans recours aux imunosuppresseurs/biologiques

Conclusions

La découverte fortuite d’une iléite isolée est une situation rencontrée de plus en plus fréquemment en raison d’iléoscopie plus systématique et des hautes performances des techniques d’imagerie médicale et de la capsule endoscopique. Après l’exclusion des différents diagnostics différentiels, une MC débutante reste une étiologie possible. Son potentiel évolutif en MC avérée est faible chez le patient asymptomatique. Aucun suivi, ni aucun traitement ne doit être proposé en première intention. Le risque évolutif est plus important chez le patient symptomatique, notamment en cas de signe d’iléite chronique histologique, de calprotectine fécale élevée et d’atteinte transmurale. Un suivi clinique régulier doit être proposé et le choix du traitement doit être discuté au cas par cas.

Références

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