Lésion colique de plus de 2 cm : mucosectomie ou dissection

POST’U 2021

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les critères de résécabilité endoscopique
  • Connaître les techniques de mucosectomie et de dissection sous muqueuse
  • Connaître les avantages et les inconvénients de la mucosectomie et de la dissection en fonction de la morphologie et de la localisation de la lésion
  • Connaître les avantages médico-économiques de chaque technique

Les 4 points forts

  1. Une caractérisation endoscopique précise reposant sur une classification validée est indispensable pour déterminer le choix thérapeutique.
  2. Une chirurgie de première intention n’est plus légitime, sauf en cas de suspicion d’invasion sous muqueuse profonde. Si nécessaire, le patient doit être référé à un centre endoscopique expert.
  3. La mucosectomie en fragments doit être complétée d’une coagulation des berges à la pointe de l’anse pour diminuer le risque de récidive.
  4. La contre-traction par élastique rend la technique de dissection sous muqueuse colique plus rapide et plus sûre.

LIEN D’INTÉRÊTS

L’auteur n’a pas déclaré de lien d’intérêt pour cet article

Introduction

Le cancer colorectal est un problème majeur de santé publique. En France, en 2015, son incidence était de 40 000 nouveaux cas et il avait causé 17 000 décès, avec un coût par patient de 28 000 €.

Le dépistage des populations à risque par la coloscopie (soit directement pour les patients à haut risque, soit motivé par un test FIT positif pour les patients à risque moyen) a permis de diminuer l’incidence et la mortalité de 33 % sur une période de 13 ans (1).

Et surtout, la résection par voie endoscopique des lésions précancéreuses a permis une réduction de la mortalité de 50 % (2).

Plus la taille de la lésion colique est importante, plus le risque de dégénérescence est élevé, et plus la résection endoscopique est difficile et à risque, mais néanmoins toujours inférieur à celui d’une chirurgie dont la morbidité est de 24 % (3).

La mucosectomie

La mucosectomie en fragments est la technique de référence en Europe et aux USA pour les lésions de plus de 2 cm (4). Ses avantages sont sa facilité d’apprentissage, sa faible morbidité et sa rapidité d’exécution.

Son inconvénient majeur est le faible taux de résection monobloc et R0 pour les lésions de plus de 2 cm. Dans cette indication, elle est discutable, car le risque de récidive est de 15 % (5), voire 30 % pour les lésions de plus de 4 cm (6), avec une moins bonne analyse histologique, la possibilité, d’une part, de perte de fragments histologiques et d’une étude partielle des pièces, et ainsi un risque de biaiser la décision de chirurgie complémentaire ou de suivi. Par ailleurs la nécessité de réaliser des coloscopies itératives en cas de récidive ou lors de la surveillance induit un surcoût et une perte de suivi du patient.

La dissection sous muqueuse

Développée au Japon, initialement pour les cancers gastriques superficiels, cette technique s’est rapidement étendue aux autres organes car elle permet une résection monobloc et R0 pour les lésions superficielles de plus de 2 cm.

Son principe est au départ le même que la mucosectomie avec un repérage de la lésion, à un marquage (non indispensable pour les lésions colorectales), puis l’injection sous muqueuse, et enfin, l’utilisation non pas d’une anse diathermique mais d’un couteau de dissection pour réaliser une incision muqueuse au large de la lésion en muqueuse saine et la dissection sous muqueuse à proprement parler avec la section et la coagulation des fibres et des vaisseaux de la sous-muqueuse au ras de la musculeuse pour une résection en monobloc avec des marges de sécurité.

Cette technique permet, contrairement à la mucosectomie, une résection monobloc visant le R0 pour tout type de lésion superficielle sans limite de taille, ce qui permet une analyse histologique sans perte de donnée avec un taux de récidive inférieur à 2 % (7).

Les inconvénients de la dissection sont cependant nombreux :

  • La technique est plus difficile avec une courbe d’apprentissage Depuis peu, un Curriculum Européen recommande un apprentissage de la technique sur modèle animal (vivant ou non) avec un minimum de 20 procédures complètes, avec pour les 10 dernières un taux de résection monobloc de 80 % sans perforation, d’observer de nombreuses procédures par des experts, et de réaliser les 10 premières procédures sous la supervision d’un endoscopiste formé sur des lésions sélectionnées (20 premières : moins de 30 mm de l’antre ou du rectum). Il n’est pas recommandé de débuter sa pratique dans le côlon (8).

Une activité d’un minimum de 25 cas par an est souhaitable, avec constitution d’un registre pour une autoévaluation en terme de complications et d’efficacité (taux de monobloc et de R0) (8) ;

  • La morbidité de la dissection est plus importante que celle de la mucosectomie avec un risque de perforation de 4 % vs 1 %. Ce taux de perforation varie nettement avec l’expérience passant de 11,8 % pour un centre à faible volume à 4,1 % pour un centre à volume important (9) ;
  • La durée de procédure est en moyenne trois fois supérieure à une mucosectomie ;
  • Le coût de la technique doit être pris en compte : temps d’occupation de bloc, et prix du matériel (un simple couteau de dissection à usage unique coûte en moyenne 400 € sans compter le reste du matériel : capuchon, pince d’hémostase, voire un autre couteau dans certaines situations) et ce, sans aucune cotation spécifique en France.

Doit-on opposer la mucosectomie en fragments à la dissection sous-muqueuse ?

Ce débat a lieu en Europe et aux USA alors que les Japonais, eux, ne réalisent plus de mucosectomie en fragments pour les lésions de plus de 2 cm dans le côlon, et ce, sans aucune étude prospective comparatrice entre ces deux procédures (10,11).Une étude multicentrique internationale (6 centres français et 1 centre belge) randomisée est en cours et va comparer ces deux techniques chez 330 patients avec une lésion colique de plus de 25 mm (RESECT COLON).

Le débat reste donc ouvert et dépendra surtout du type de lésion colique à réséquer, qui ne présente pas le même risque de dégénérescence. Et pour alimenter ce débat récemment chacune des techniques a fait de grandes avancées.

Concernant la mucosectomie fractionnée, elle requière une méthodologie rigoureuse pour éviter la récidive. La stratégie consiste à débuter par un bord de la lésion en emportant une marge de muqueuse saine, puis de poursuivre morceau après morceau en étant toujours jointif avec une précédente résection afin de ne jamais laisser en place un pont muqueux avec des glandes adénomateuses qui feraient le lit de la récidive.

Récemment, les Australiens ont rapporté, dans une étude prospective randomisée sur 390 patients avec 416 lésions de plus de 2 cm, l’intérêt de la coagulation des berges de la résection à la pointe de l’anse (Soft Coag 80W effet 4) à la fin de la mucosectomie en fragments avec une diminution très significative de la récidive à 6 mois (21 % versus 5,2 %) sans augmenter la morbidité (12). Il pourrait donc être logique de proposer systématiquement ce traitement complémentaire après chaque mucosectomie en fragments.

Quant à la dissection sous-muqueuse, la grande majorité des complications sont traitables endoscopiquement (hémorragie et perforation) et doivent être mis en en œuvre pour éviter un recours à la chirurgie toujours plus morbide (3). L’utilisation de pinces coagulantes, de clips TTS rotatifs et repositionnables fait partie intégrante de la procédure et permet la prise en charge des complications durant la procédure sous réserve d’une bonne formation des aides endoscopistes. Finalement seules les perforations secondaires nécessitent une prise en charge chirurgicale (7).

Le principal frein au développement de l’ESD colique en Europe repose sur la difficulté de la technique en particulier dans la durée d’apprentissage.

Les nouvelles pratiques permettent aujourd’hui d’améliorer la procédure avec en premier la «Pocket» technique qui est une adaptation de la méthode du tunnel pour le côlon et qui permet d’accélérer la dissection et de rendre les lésions fibreuses plus accessibles (13) et surtout la stratégie de contre- traction en utilisant deux clips et un élastique. Il s’agit d’une véritable révolution dans le fait d’aborder la dissection colique, décrite au CHU de Limoges. Cette méthode, si on la compare à la Pocket technique permet de doubler la vitesse de dissection de 16,7 à 28,2 mm2/min (p< 0,0001) tout en améliorant les taux de résection en bloc de 76,3 à 95,7 % (p< 0,0001) et de résection R0 de 64,5 % à 78,5 % (p= 0,04) (14).

Ces deux méthodes permettent de standardiser la dissection colique et de la rendre plus facile, rapide et donc plus abordable.

Si le coût de la procédure de dissection est plus important par rapport à la mucosectomie, il doit être mis en balance avec la nécessité de réaliser des endoscopies successives pour le contrôle des mucosectomies par fragments (15).

Que doit-on faire en pratique en 2020 ?

Toutes les lésions superficielles coliques de plus de 2 cm ne se valent pas. Si une lésion ne présente aucun signe de dégénérescence, une résection en fragments avec un risque de récidive est acceptable. À l’inverse, dans le cadre d’une lésion possiblement dégénérée avec un risque d’invasion sous muqueuse, la résection en monobloc avec marges de sécurité est l’objectif idéal à atteindre pour lever tout doute histologique et éviter la récidive ou une résection chirurgicale par excès.

Les recommandations européennes publiées en 2017 (4) préconisent de caractériser les lésions planes ou sessiles de plus de 2 cm afin de déterminer leur risque d’invasion sous muqueux et en fonction de cette analyse trois cas de figures sont possibles :

  • Soit il s’agit d’une lésion non invasive et la résection par mucosectomie est préconisée que ce soit en monobloc ou en fragments (mais en cas de lésion de plus de 4 cm ou avec une présentation complexe il est conseillé de référer le patient en centre expert) ;
  • Soit il s’agit d’une lésion suspecte d’invasion sous muqueuse superficielle ; il est alors recommandé de marquer la lésion par tatouage à 3 cm en dessous et de référer le patient à un centre expert pour organiser la résection en monobloc, soit par mucosectomie si elle est réalisable, soit par ESD ou à défaut par chirurgie.
  • Soit il s’agit d’une lésion suspecte d’invasion sous muqueuse profonde, il est alors recommandé de marquer la lésion par tatouage à 3 cm en-dessous et de référer le patient pour une colectomie carcinologique.

En résumé, la caractérisation initiale des lésions permet une étude bien plus informative que la réalisation de biopsies qui ne sont pas recommandées et même contre indiquées par certains experts.

Il existe trois groupes de classifications qui sont toutes à connaître et à maîtriser :

  • Le premier qui repose sur l’aspect des lésions :
    • Classification de PARIS(16).
    • Classification des LST(17).
  • Le second qui analyse la surface des glandes en utilisant une coloration :
    • Classification du pit pattern muqueux de Kudo (18).
  • Le troisième basé sur la coloration virtuelle et l’étude de l’aspect vasculaire :
    • Classification de SANO(19).

Une nouvelle classification a été proposée pour simplifier la caractérisation et orienter le choix thérapeutique, le tout en regroupant l’ensemble des points utiles des 3 grands groupes de classification : la Classification CONECCT créée par le docteur Mathieu Pioche et résumée dans le Tableau 1 (20).

 

CONECCT du Dr Mathieu Pioche

Tableau 1 : CONECCT du Dr Mathieu Pioche

En conclusion

Dans l’attente des résultats de l’étude comparative RESECT COLON aujourd’hui pour les lésions coliques de plus de 2 cm :

  • La chirurgie de première intention n’est plus légitime, hormis en cas de suspicion d’une invasion sous muqueuse profonde (PARIS 0-III, KUDO Vn, SANO IIIb donc CONECCT III).
  • S’il existe une suspicion d’invasion sous muqueuse superficielle (PARIS 0-IIc, LST NG, LST G avec macronodule, KUDO Vi, SANO IIIb donc CONECCT IIc) il est préférable de référer le patient à un centre expert pour envisager une résection endoscopique monobloc R0. Dans ce cas, la dissection sous muqueuse obtient de meilleurs résultats que la mucosectomie (meilleure analyse histologique et diminution des récidives).

Référence

  1. Mandel JS, Bond JH, Church TR, Snover DC, Bradley GM et Reducing mortality from colorectal cancer by screening for fecal occult blood. Minnesota Colon Cancer Control Study. N Engl J Med. Massachusetts Medical Society; 1993 May 13;328(19):1365–71.
  2. Zauber AG, Winawer SJ, O’Brien MJ, Lansdorp-Vogelaar I, van Ballegooijen M et Colonoscopic Polypectomy and Long-Term Prevention of Colorectal-Cancer Deaths. N Engl J Med. 2012 Feb 23;366(8):687–96.
  3. Le Roy F, Manfredi S, Hamonic S, Piette C, Bouguen G et al. Frequency of and risk factors for the surgical resection of nonmalignant colorectal polyps: a population-based Endoscopy. © Georg Thieme Verlag KG; 2016 Mar;48(3):263–70.
  4. Ferlitsch M, Moss A, Hassan C, Bhandari P, Dumonceau JM et al. Colorectal polypectomy and endoscopic mucosal resection (EMR): European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Clinical Endoscopy. 2017 Mar 1;49(03):270–97.
  5. Hassan C, Repici A, Sharma P, Correale L, Zullo A et al. Efficacy and safety of endoscopic resection of large colorectal polyps: a systematic review and meta-analysis. Gut. 2016 Apr 8;65(5):806–20.
  6. Moss A, Williams SJ, Hourigan LF, Brown G, Tam W et al. Long-term adenoma recurrence following wide-field endoscopic mucosal resection (WF-EMR) for advanced colonic mucosal neoplasia is infrequent: results and risk factors in 1000 cases from the Australian Colonic EMR (ACE) Gut. BMJ Publishing Group; 2015 Jan;64(1):57–65.
  7. Saito Y, Uraoka T, Yamaguchi Y, Hotta K, Sakamoto N et al. A prospective, multicenter study of 1111 colorectal endoscopic submucosal dissections (with video). Elsevier Inc; 2010 Dec 1;72(6):1217–25.
  8. Pimentel-Nunes P, Pioche M, Albéniz E, Berr F, Deprez P et Curriculum for endoscopic submucosal dissection training in Europe: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Position Statement. Endoscopy. 2019 Sep 26;51(10):980–92.
  9. Saito Y, Uraoka T, Yamaguchi Y, Hotta K, Sakamoto N et al. A prospective, multicenter study of 1111 colorectal endoscopic submucosal dissections (with video). YMGE. Elsevier Inc; 2010 Dec; 72(6):1217-25Pour toutes les autres lésions, la mucosectomie en fragments avec coagulation des berges à la pointe reste d’actualité.
  10. FACG YSMPF, MD AB et PhD TMM. Colorectal endoscopic submucosal dissection and its journey to the West. YMGE. American Society for Gastrointestinal Endoscopy; 2017 Jul 1;86(1):90–2.
  11. FRCPC SJHMM, FRACP Endoscopic submucosal dissection and EMR for large colorectal polyps: « the perfect is the enemy of good’’.YMGE. American Society for Gastrointestinal Endoscopy; 2017 Jul 1;86(1):87–9.
  12. Amir Klein MD, David J Tate MMM, Vanoo Jayasekeran MF, Luke Hourigan MF, Rajvinder Singh MF et al. Thermal Ablation of Mucosal Defect Margins Reduces Adenoma Recurrence After Colonic Endoscopic Mucosal Resection. The American Gastroenterological Association; 2018 Oct 5;:1–37.
  13. Sakamoto H, Hayashi Y, Miura Y, Shinozaki S, Takahashi H et Pocket-creation method facilitates endoscopic submucosal dissection ofcolorectal laterally spreading tumors, non-granular type. Endosc Int Open. © Georg Thieme Verlag KG; 2017 Feb;5(2):E123–9.
  14. Jacques J, Charissoux A, Bordillon P, Legros R, Rivory J et al. High proficiency of colonic endoscopic submucosal dissection in Europe thanks to countertraction strategy using a double clip and rubber Endosc Int Open. © Georg Thieme Verlag KG; 2019 Sep;7(9):E1166–74.
  15. Ham NS, Kim J, Oh EH, Hwang SW, Park SH et Cost of Endoscopic Submucosal Dissection Versus Endoscopic Piecemeal Mucosal Resection in the Colorectum. Dig Dis Sci. Springer US; 2019 Sep 6:1–9.
  16. Endoscopic Classification Review Update on the Paris Classification of Superficial Neoplastic Lesions in the Digestive Tract. Endoscopy. 2005 Jun;37(6):570–8.
  17. Yamada M, Saito Y, Sakamoto T, Nakajima T, Kushima R et Endoscopic predictors of deep submucosal invasion in colorectal laterally spreading tumors. Endoscopy. 2016 Apr 26;48(05):456–64.
  18. Kudo S-E, Lambert R, Allen JI, Fujii H, Fujii T et al. Nonpolypoid neoplastic lesions of the colorectal mucosa. Gastrointestinal Endoscopy. 2008 Oct;68(4 Suppl):S3–47.
  19. Ikematsu H, Matsuda T, Emura F, Saito Y, Uraoka T et al. Efficacy of capillary pattern type IIIA/IIIB by magnifying narrow band imaging for estimating depth of invasion of early colorectal BMC Gastroenterology. BioMed Central; 2010 Mar 27;10(1):33–6.
  20. Fabritius M, Gonzalez JM, Becq A, Dray X, Coron E et al. A simplified table using validated diagnostic criteria is effective to improve characterization of colorectal polyps: the CONECCT teaching program. Endosc Int Open. © Georg Thieme Verlag KG; 2019 Oct;7(10):E1197–206.