Traitement de la fissure anale

POST’U 2021

Gastro-entérologie,  Proctologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les formes cliniques
  • Connaître le traitement médical, ses résultats et complications
  • Connaître les options chirurgicales, leurs résultats et complications
  • Connaître les indications thérapeutiques

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. La fissure anale est une pathologie très fréquente, invalidante, de diagnostic clinique.
  2. Devant une fissure anale atypique, il faut rechercher systématiquement une cause relevant d’un traitement spécifique (cancer, maladie de Crohn, IST…).
  3. Le traitement de première intention par antalgie et régularisation du transit permet à la fissure de cicatriser dans la plupart des cas.
  4. La sphinctérotomie latérale interne, longtemps controversée en France en raison du risque de troubles de la continence, retrouve une place dans la stratégie thérapeutique.
  5. La fissurectomie est le seul traitement chirurgical à envisager en cas de fissure compliquée ou atypique et en permet l’analyse histologique.

LIEN D’INTÉRÊTS

Aucun

MOTS-CLÉS

Fissure anale ; Sphinctérotomie latérale interne ; Fissurectomie

La fissure anale est la première cause de douleur anale. Elle correspond à une déchirure du revêtement cutané du canal anal, d’origine mécanique.

Diagnostics différentiels

Il faut avant tout différencier la fissure anale « simplex » de lésions fissuraires induites par une cause spécifique, relevant d’un traitement adapté que nous n’aborderons pas ici.

La syphilis primaire notamment, peut se traduire par une ulcération anale appelée chancre syphilitique ; il s’agit classiquement d’une ulcération indolore (Figure 1) ; d’autres infections sexuellement transmises telles que la chlamydiose, peuvent également donner lieu à des fissures. Dans le cadre de la maladie de Crohn, on peut retrouver des fissures anales atypiques, appelées lésions primaires. Enfin une lésion d’allure fissuraire peut aussi être d’origine néoplasique, essentiellement carcinome épidermoïde en lien avec une infection par Human Papilloma Virus. Plus rares sont les lésions ulcérées secondaires à une prise médicamenteuse de type nicorandil. Des fissurations cutanées à type de raghades, présentes en cas de dermites d’origines diverses, ne doivent pas être prises à tort pour des fissures anales ; elles remontent rarement dans le canal anal, et sont souvent plus superficielles (Figure 2). Enfin, une fissure peut être d’origine traumatique, faisant suite à un rapport sexuel anal notamment.

 

Chancre syphilitique

Figure 1 : Chancre syphilitique

Fissure anal antérieur simple

Figure 2 : Fissure anale antérieure simple

Diagnostic clinique

Le diagnostic de fissure anale est suspecté dès l’interrogatoire, et confirmé par l’inspection de la marge anale.

Elle se traduit en général par une douleur vive, pouvant être intolérable, décrite comme une sensation de brûlure, de déchirure, voire de « coup de couteau ». De façon presque constante cette douleur est rythmée par la défécation : déclenchée par le passage de la selle, et éventuellement réapparaissant après une courte période d’accalmie post défécatoire. On retrouve souvent la notion d’un saignement associé.

L’examen de la marge anale révèle une perte de substance superficielle au niveau de la marge, en forme de raquette, dont la tête est visible au déplissement des plis radiés de l’anus, et le manche remonte dans le canal anal, sans dépasser la ligne pectinée (Figure 3). On peut dans certains cas apercevoir, dans le fond de la fissure, les fibres du sphincter interne à nu.

 

Raghades fissuraires

Figure 3 : Raghades fissuraires péri anales dans le cadre d’une candidose périanale

Généralement de localisation postérieure, la fissure anale peut également être antérieure – notamment dans le post-partum –, ou latéralisée mais plus rarement (cet élément doit faire évoquer un diagnostic différentiel). L’examen peut être rendu difficile par l’intensité de la douleur, qui est aggravée par l’hypertonie sphinctérienne secondaire. Il convient, dans ce cas, de proposer un traitement antalgique premier, et de programmer un examen clinique ultérieur qui se fera dans de meilleures conditions. Exceptionnellement, il peut être difficile compte-tenu de la douleur et de l’hypertonie, d’éliminer en consultation la présence d’un abcès, notamment intra mural ; un examen clinique sous anesthésie générale est alors conseillé.

Le traitement de la fissure anale

Il est important, avant d’envisager les modalités du traitement de la fissure anale d’origine mécanique, de distinguer la fissure aiguë et simple,

« coupure » superficielle, de bordure nette, de la fissure anale compliquée d’éléments satellites (capuchon mariscal externe et/ou papille anale au niveau de la ligne pectinée) (Figures 4 et 5) ou d’un trajet fistuleux sous-jacent (certains emploieront ici le mot de fissure « surinfectée »).

En cas de fissure simple, le traitement de première intention passe par un traitement médical ayant plusieurs buts. D’abord il s’agira de soulager la douleur, ce qui entraînera une levée de l’hypertonie et par là-même favorisera la revascularisation locale et ainsi la cicatrisation. Le traitement antalgique pourra associer un anti-inflammatoire non stéroïdien, un antalgique type paracétamol +/- associé à un dérivé morphinique, et un myorelaxant.

 

Marisque et papille

Figure 4 : Marisque et papille hypertrophique sur une fissure mettant à nu les fibres du sphincter

Capuchon mariscal

Figure 5 : Fissure anale postérieure avec capuchon mariscal

En parallèle, il conviendra pour le patient d’obtenir des selles de consistance molle, dont l’évacuation se fera plus facilement. Pour ce faire, le régime alimentaire devra être adapté, enrichi en fibres, en eau riche en magnésium… Mais l’utilisation de laxatifs est très souvent nécessaire, en association aux règles diététiques. Laxatifs osmotiques, de lest ou autres ? Il n’existe pas de recommandations particulières. Pour le praticien, il ne s’agira pas de se contenter de prescrire ces laxatifs, mais bien d’insister auprès du malade pour que le traitement soit quotidien, et prolongé sur une période d’au moins un mois, voire deux, afin d’obtenir une cicatrisation solide et durable du canal anal.

Il n’existe pas de données fiables concernant l’utilisation de topiques type crèmes cicatrisantes ; elles sont souvent proposées au patient, sans certitude quant à leur efficacité.

Ce traitement médical, à condition qu’il soit bien conduit, permet de cicatriser la fissure anale dans près d’un cas sur deux.

En cas d’échec de ce traitement médical de première ligne, qui doit toujours être tenté, d’autres traitements non chirurgicaux existent, visant à diminuer le tonus sphinctérien pour aider la plaie fissuraire de l’anoderme à se refermer, en favorisant la revascularisation locale (1).

Les dérivés nitrés en topique semblent plus efficaces que le placebo pour diminuer le caractère douloureux de la fissure et permettre sa cicatrisation. Cependant ce traitement est fréquemment mal observé du fait de céphalées secondaires survenant chez presque un tiers des utilisateurs, et peu efficace sur le long terme puisque le taux de récidive dépasse les 50 %. Seul le Rectogesic® bénéficie de l’AMM en France, sans remboursement. Des topiques d’inhibiteurs calciques – nifedipine ou diltiazem – sont utilisés dans d’autres pays, avec les mêmes résultats que les dérivés nitrés ; s’il n’existe pas à ce jour de formule ayant obtenu l’AMM en France, des préparations magistrales peuvent être prescrites. On peut par exemple proposer l’application d’un mélange de 300 mg de nifédipine, 15 g de lanovaseline et 1 ml de paraffine, deux fois par jour (ce mélange est à conserver au frais et à l’abri de la lumière).

Les injections sclérosantes sous fissuraires de quinine urée, longtemps pratiquées, n’ont plus leur place dans l’arsenal thérapeutique aujourd’hui, du fait des douleurs et des risques d’abcès.

Des injections de toxine botulique dans le sphincter interne (autour de la fissure ou en 4 quandrants) sont réalisables, sans AMM en France, permettant une diminution du tonus musculaire et une meilleure vascularisation locale. Les résultats semblent équivalents aux alternatives précédemment décrites, soit une bonne efficacité sur le contrôle de la douleur, un taux de cicatrisation plutôt satisfaisant à court terme, mais qui s’avère décevant après un an de suivi (2). Le seul effet secondaire concerne une possible incontinence anale transitoire, évaluée à 10 % dans la littérature (3,4).

Si ces différents traitements, qui ont le mérite de calmer la douleur fissuraire sans effets secondaires importants, souffrent d’une efficacité moyenne sur la cicatrisation à long terme, ils peuvent offrir au patient une dernière chance de ne pas être opéré ou à défaut permettre de surseoir à une intervention chirurgicale pas toujours programmable immédiatement.

Quand les symptômes douloureux persistent malgré un traitement médical bien conduit, mais également en cas de fissure anale accompagnée de volumineux éléments satellites, ou compliquée d’un trajet fistuleux secondaire, on aura recours à la chirurgie.

Deux techniques sont envisageables : la sphinctérotomie latérale interne (ou mini-sphinctérorotomie), et la fissurectomie éventuellement associée à une anoplastie (5).

La première consiste à sectionner une partie du sphincter anal interne, afin de diminuer l’hypertonie anale et améliorer la vascularisation locale, ce qui permet une cicatrisation spontanée de la fissure, qui n’est pas nécessairement réséquée. Elle est pratiquée latéralement, avec ou sans ouverture cutanée ; on réalise une section partielle du sphincter sur sa hauteur, et partielle, voire complète, dans son épaisseur, sans jamais dépasser la ligne pectinée (6). Considérée comme la technique de référence dans de nombreux pays, elle était depuis plusieurs dizaines d’années dénigrée en France, du fait du risque de troubles de la continence anale secondaires, dont le taux avoisine 30 % pour les fuites incontrôlées de gaz, et 5 % pour les fuites fécales (et encore plus élevé si la section sphinctérienne est réalisée au pôle postérieur dans le lit fissuraire ; ce geste doit donc être proscrit).

Toutefois elle tend à revenir sur le devant de la scène, du fait de son efficacité indéniable, d’autant que les autres techniques chirurgicales ne sont pas exemptes de complications elles non plus. De plus, la section sphinctérienne est aujourd’hui beaucoup plus limitée que ce n’était le cas autrefois, ceci expliquant probablement les meilleurs résultats sur la continence post opératoire que ceux décrits dans la littérature ancienne (7).

Il est primordial que les indications de la sphinctérotomie soient correctement posées, considérant le type de pathologie fissuraire mais également, voire surtout, le terrain. En effet cette technique est particulièrement adaptée aux fissures hyperalgiques, associées à une hypertonie nette, et non compliquées. Il conviendra d’être prudent chez les patients présentant une continence anale imparfaite (fuites incontrôlées de gaz, impériosités fécales), chez les patients déjà opérés, ou chez les femmes multipares au sphincter anal possiblement déjà abîmé. Ces éléments, rarement évoqués spontanément par les patients en consultation, devront être spécifiquement recherchés par le chirurgien.

La sphinctérotomie a l’avantage d’être une technique relativement simple, rapide réalisable en ambulatoire et ne nécessitant pas de soins locaux particuliers dans les suites. Le soulagement est le plus souvent quasi immédiat et la cicatrisation rapide.

Dans les autres cas, fissure avec éléments satellites gênants, fissure compliquée de fistule, fissure atypique d’étiologie incertaine, il sera préférable d’envisager une fissurectomie, éventuellement associée à la réalisation d’un lambeau muqueux suturé au sphincter, appelée anoplastie (Figure 6).

Anoplastie

Figure 6 : Réalisation d’une anoplastie associée à une fissurectomie

À noter que les pays anglo-saxons préfèrent à l’anoplastie muqueuse les plasties cutanées. La fissurectomie consiste en la résection du tissu lésé, laissant place à une plaie plus large que la fissure, en zone saine, qui cicatrisera de façon dirigée. Elle seule offre la possibilité de faire analyser histologiquement la fissure. Selon les données de la littérature, cette technique est moins efficace dans le contrôle de la douleur que la sphinctérotomie, avec un risque de récidive plus élevé, de l’ordre de 20 % au-delà d’un an (5), et tout de même pourvoyeuse de troubles de la continence avec un taux rapporté de 7 % d’incontinence de novo selon une étude française prospective (8). De plus, il n’est pas rare de voir survenir, dans les suites d’une anoplastie muqueuse, des suppurations anales même à long terme.

En pratique, même si la fissurectomie reste encore l’intervention la plus pratiquée, on assiste ces dernières années, en France, à un revirement des indications opératoires, en faveur de la sphinctérotomie latérale ; il reste cependant primordial de bien peser le pour et le contre de chacune des ces deux techniques.

Il est également possible d’associer lors d’un même temps opératoire les deux gestes, notamment en cas de fissure compliquée d’annexes volumineuses, doublée d’une hypertonie sphinctérienne importante ; on réalise alors une sphinctérotomie, ainsi qu’une résection des éléments satellites. En ce qui concerne l’existence d’un trajet fistuleux sous jacent, on se devra d’être plus prudent ; en effet sphinctérotomie plus fistulotomie constituent logiquement un péril accru pour la fonction sphinctérienne.

Par ailleurs, il est parfois intéressant de réaliser un geste chirugical sur les hémorroïdes adjacentes. En effet, une fissure anale peut être engendrée et /ou entretenue par une procidence hémorroïdaire qui, lors des efforts de poussée défécatoire, génère un mouvement de traction sur le canal anal. L’opérateur optera selon les cas pour une hémorroïdectomie ou une mucopexie.

À noter que la dilatation anale autrefois utilisée dans le cadre du traitement de la fissure anale est aujourd’hui abandonnée, notamment du fait du risque important d’altération de la continence (5).

En conclusion, la fissure anale est une pathologie très fréquente et invalidante. Le traitement médical est souvent efficace pour les fissures « simples », à condition d’être réellement bien conduit ; la chirurgie (non exempte de complications) doit être réservée aux indications l’imposant. S’il n’existe pas de recommandations françaises quant au traitement de la fissure anale, les données de la littérature et la pratique courante permettent de proposer une prise en charge assez standardisée, selon l’algorithme présenté dans la Figure 7.

 

Algorithme de prise en charge thérapeutique de la fissure anal

Figure 7 : Algorithme de prise en charge thérapeutique de la fissure anale

Bibliographie

  1. Nelson RL, Thomas K, Morgan J, Jones Non surgical therapy for anal fissure. Cochrane database Systematic Review. 2012 (2) : CD003431
  2. Maria G, Cassetta E, Gui D, Brisinda G, Bentivoglio AR, Albanese A comparison of botulinum toxin and saline for the treatment of chronic anal fissure. N Engl J Med 1998; 338: 217-220.
  3. Lin JX, et al. Optimal dosing of botulinum toxin for treatment of chronic anal fissure: a systematic review and meta-analysis. Dis Colon Rectum 2016; 59: 886-94.
  4. Sahebally SM, et Botulinum toxin injection vs topical nitrates for chronic anal fissure: an updated systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Colorectal Dis 2018; 20: 6-15.
  5. Nelson RL, Chattopadhyay A, Brooks W, Platt I, Paavana T, Earl S. Operative procedures for fissure in ano. Cochrane Database Systematic Review 2011 (11): CD002199
  6. Littlejohn DR, Newstead Tailored lateral sphincterotomy for anal fissure. Dis Colon Rectum 1997; 40: 1439-42.
  7. Sutherland JM, et al. Health and quality of life among a cohort of patients having lateral internal sphincterotomy for anal Colorectal Dis 2020; DOI: 10.1111/codi.15191
  8. Abramowitz L, Bouchard D, Souffran M, et al. Sphincter-sparing anal fissure surgery: a 1 year prospective, observational, multicentre study of fissurectomy with Colorectal Dis. 2013; 15 (3): 359 – 67.