Traitement des adénocarcinomes de la jonction oeso gastrique

POST’U 2021

Cancérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la classification de Siewert des tumeurs de la jonction œsogastrique
  • Connaître le bilan préthérapeutique
  • Connaître les indications thérapeutiques en fonction de la classification de Siewert

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Les 5 points forts

  1. Les adénocarcinomes de la Jonction Œso-Gastrique (JOG) sont des tumeurs dont l’épicentre est au plus à 5 cm au-dessus ou 5 cm au-dessous de la JOG selon la définition de Siewert (Siewert I, II ou III).
  2. Le caractère R0 de la résection chirurgicale est le principal facteur pronostique, suivi de l’envahissement ganglionnaire.
  3. L’œsophagectomie trans-thoracique avec gastrectomie polaire supérieure et la gastrectomie totale avec résection trans-hiatale de l’œsophage distal sont les 2 types d’exérèse possibles ; le choix dépend de la topographie et du degré d’extension œsophagienne.
  4. Dès le stade IB, un traitement complémentaire à la chirurgie doit être proposé en pré-opératoire : chimiothérapie péri-opératoire ou radio-chimiothérapie concomitante pré-opératoire.
  5. Le standard de chimiothérapie péri-opératoire est le FLOT (4 cures pré et 4 cures post-opératoires) ; le standard de
    radio-chimiothérapie concomitante pré-opératoire est le schéma « CROSS » (41,4 Gy + Carbo-Paclitaxel hebdomadaire concomitant).

LIEN D’INTÉRÊTS

Aucun

MOTS-CLÉS

JOG ; Classification de Siewert ; Œsogastrectomie

ABRÉVIATIONS

JOG : jonction œso-gastrique

RCT : Radiochimiothérapie concomitante

 

Cette revue sur le traitement des adénocarcinomes de la jonction œso-gastrique exclut la problématique des rares tumeurs superficielles (Tis, T1a : envahissement de la lamina propria ou de la musculaire muqueuse, sans atteinte de la sous-muqueuse) pouvant faire l’objet d’un traitement limité à une résection endoscopique et des formes métastatiques ou régionalement avancées relevant d’un traitement non curatif dont la prise en charge ne diffère pas de celle des adénocarcinomes gastriques de mêmes stades.

Définition des adénocarcinomes de la jonction œso-gastrique et classifications

Les adénocarcinomes de la jonction œsogastrique (JOG) sont des tumeurs qui se développent à proximité de la jonction anatomique entre l’œsophage et l’estomac.

Il s’agit d’une pathologie de « zone frontière » plutôt que d’un organe et leur prise en charge emprunte aux principes de la prise en charge des cancers de l’œsophage et de ceux de l’estomac.

La définition même de la jonction œsogastrique reste variable. Elle peut être définie de manière anatomique comme le passage du hiatus diaphragmatique (mais cette définition est mise en échec en cas de hernie hiatale) ou anatomo-endoscopique avec des définitions discordantes entre asiatiques (la définissant comme la zone de terminaison des vaisseaux dits « palissadiques » de la terminaison de l’œsophage) et occidentaux (fin des plis longitudinaux gastriques). Elle peut être également définie de manière histologique : transition entre l’épithélium pavimenteux de l’œsophage

et de la muqueuse de l’estomac (ligne Z repérable endoscopiquement) mais la transition histologique est altérée en cas de métaplasie (elle-même facteur de risque de l’adénocarcinome de la JOG)…

Du fait du caractère « frontière » des tumeurs de la JOG, l’analyse de la littérature et la standardisation thérapeutique est restée difficile par manque de classification standard unique.

Une définition anatomo-clinique des tumeurs de la JOG a été proposée dès 1996 par Siewert : il s’agit d’un adénocarcinome dont le centre est situé au plus à 5 cm au-dessus et au-dessous de la jonction œso-gastrique (1).

La classification de Siewert et Hölscher (2), reposant sur la topographie anatomique, divise les tumeurs de la JOG en trois types en fonction de la position de l’épicentre de la tumeur par rapport à la jonction œsogastrique anatomique :

  • Type I : adénocarcinome de l’œsophage distal. Le centre de la tumeur se trouve entre 1 et 5 cm au-dessus de la JOG.
  • Type II : « vraie tumeur du cardia » : Le centre se trouve entre 1 cm au-dessus et jusqu’à 2 cm au-dessous de la JOG.
  • Type III : tumeur de la région sous-cardiale. Le centre de la tumeur se trouve entre 2 à 5 cm au-dessous de la JOG.

Ces trois types ne se comportent pas de la même manière en termes de pronostic et d’envahissement lymphatique.

Sur 1 002 tumeurs consécutives rapportées par Siewert (3), de stade localement avancé pour la majorité (30 à 60 % pT3/4 en fonction du type et 65 à 80 % pN+), si la plupart des métastases ganglionnaires se situaient pour les 3 types dans la région paracardiale, la petite courbure gastrique, l’artère gastrique gauche et le bas médiastin, l’atteinte du bas médiastin concernait essentiellement les types I (32 %) et diminuait avec les types II (16 %) et types III (12 %). L’atteinte ganglionnaire du moyen et haut médiastin (évaluable uniquement pour des types I) était présente dans 10 et 5 % des cas dans cette série et l’atteinte ganglionnaire gastrique distale (aire supra-pylorique, grande courbure et région infra-pylorique) n’était présente que dans 2 % des types II et 15 % des types III. Cette topographie d’extension lymphatique a été confirmée par des études asiatiques incluant également des tumeurs de plus bas stade avec un risque proportionnellement moindre d’atteinte ganglionnaire (4, 5). L’impact de la classification de Siewert sur la décision du geste chirurgical, en vue d’une résection R0 et d’un curage adapté au risque d’extension ganglionnaire, apparaît donc évident.

En revanche ces trois types de la classification de Siewert ne semblent pas correspondre à des entités moléculaires distinctes. En effet, des études de profilage moléculaire ont clairement différencié les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage des lésions « Siewert I » qui ressemblent principalement au sous-type chromosomique instable (CIN) que l’on trouve dans la majorité des lésions de type « Siewert II/III » et dans environ 50 % des adénocarcinomes gastriques distaux. Par conséquent, bien qu’il existe des distinctions chirurgicales entre les types I-II et III de Siewert, ceux-ci sont considérés comme assez similaires sur le plan moléculaire.

Il existe bien sûr des limites à cette classification de Siewert et il est parfois difficile pour les endoscopistes d’identifier avec précision l’épicentre de la tumeur car la masse intra-luminale peut s’étendre au-delà de ces frontières de type I-III, la présence d’une hernie hiatale ou la déformation par la tumeur elle-même peuvent rendre difficile ce classement. Cependant, même si elle n’a pas réglé tous les problèmes, cette classification a permis une approche chirurgicale sur mesure et plus de cohérence dans la présentation des résultats associés aux interventions thérapeutiques.

Depuis 2016, une définition plus restrictive des adénocarcinomes de la JOG a été proposée puisque la 8e édition de la classification IUCC définit le cancer de la JOG comme toute tumeur dont le centre, sur pièce opératoire, se trouve dans les 2 centimètres proximaux ou distaux de la JOG. Cette classification post-opératoire restreint donc la définition des adénocarcinomes de la JOG aux Siewert II et quelques Siewert I (ceux avec un épicentre situé entre 1 et 2 cm de la JOG). Ainsi les tumeurs Siewert III s’assimilent aux adénocarcinomes gastriques et la majorité des Siewert I à des adénocarcinomes œsophagiens.

Néanmoins dans la littérature c’est la classification de Siewert qui a été utilisée dans les études actuellement disponibles et qui prévaut dans nos recommandations thérapeutiques.

Bilan pré-thérapeutique

La fibroscopie œso-gastro-duodénale est l’examen diagnostique fondamental :

  • Elle doit décrire la lésion, préciser (en centimètres) la localisation de son épicentre par rapport à la JOG et la hauteur de son extension proximale vers l’œsophage et de son extension distale vers l’estomac.
  • Elle permet la réalisation de biopsies : au moins huit biopsies sur les anomalies de relief muqueux en atteignant autant que possible la sous- Les biopsies sont utilisées pour la définition du type histologique, de la différenciation et la classification de Lauren, mais également pour la recherche d’une surexpression de HER2 en immunohistochimie (IHC). Les données récentes incitent à demander systématiquement le statut MMR (instabilité microsatellite) en raison de l’impact prochain possible sur le traitement péri-opératoire.

Le bilan d’extension comporte :

  • L’examen clinique complet (notamment aires ganglionnaires cervicales et sus-claviculaires).
  • Un scanner thoraco-abdomino-pelvien spiralé avec injection de produit de contraste pour apprécier l’extension locorégionale et surtout éliminer une extension métastatique.
  • Une écho-endoscopie (dans les formes non métastatiques et franchissables) afin d’évaluer l’infiltration pariétale (et à moindre degré ganglionnaire) de la tumeur et d’évaluer précisément l’extension de la lésion sur l’œsophage, fondamentale pour guider le geste chirurgical.
  • Un TEP scan au 18-FDG à la recherche d’une extension métastatique à distance non visible au scanner dans 15 à 20 % des cas (6) et afin d’objectiver l’atteinte ganglionnaire dont la topographie doit guider le type de geste chirurgical +/- le traitement préopératoire.

Enfin, un bilan général, l’évaluation de l’état nutritionnel et du pourcentage de perte de poids, l’évaluation des pathologies associées et un bilan d’opérabilité (notamment cardio-pulmonaire) sont bien sûr nécessaires en vue de la prise en charge médico-chirurgicale qui doit être envisagée pour la prise en charge optimale de cette pathologie.

Ce bilan de base peut être complété en fonction des cas par une cœlioscopie en cas de forte suspicion de carcinose péritonéale, une IRM hépatique en cas de suspicion de lésion hépatique non caractérisée au TDM, etc.

Indications et modalités thérapeutiques

La chirurgie reste la principale modalité de traitement curatif des adénocarcinomes de la JOG. Toutefois, le pronostic global de cette maladie reste médiocre en raison de la récidive locale et à distance, avec des taux de survie à 5 ans d’environ 30 % en moyenne avec la chirurgie seule. Par conséquent, des stratégies multimodales néo-adjuvantes ou péri-opératoires intégrant la chimiothérapie, la radiothérapie ou la combinaison des deux ont émergé au cours des dernières décennies.

Exérèse chirurgicale

Le but est de choisir la modalité chirurgicale permettant de retirer en bloc la tumeur primaire ainsi que les ganglions lymphatiques impliqués, en marge proximale, distale et latérale saine (R0). Ceci doit dicter le choix de l’approche chirurgicale. Le principal facteur pronostique est, en effet, le caractère R0 de la résection : dans une étude rétrospective de 1 602 patients, la survie à cinq ans était de 43,2 % pour les marges négatives en comparaison de 11 % pour les marges positives (7). Ce facteur pronostique a été largement confirmé dans d’autres séries. Le second facteur pronostique est l’envahissement ganglionnaire justifiant un curage étendu à la fois à visée de « staging » mais aussi à visée curative. Enfin l’impact du volume du centre a également été démontré sur la diminution de la mortalité post-opératoire et l’augmentation de la survie.

Compte tenu des capacités d’extension tumorale pariétale proximale (vers l’œsophage) et/ou distale (vers l’estomac) des tumeurs de la JOG ainsi que des caractéristiques de la diffusion lymphatique en fonction de la localisation de ces tumeurs, deux principales approches chirurgicales sont possibles :

  • L’œsophagectomie trans-thoracique avec gastrectomie polaire supérieure (œsogastrectomie polaire supérieure)
  • La gastrectomie totale avec résection trans-hiatale de l’œsophage distal.

Pour les tumeurs de la JOG de type Siewert I, l’œsophagectomie trans-thoracique avec gastrectomie polaire supérieure et anastomose œso-gastrique haute est recommandée. Les marges de résection distale et proximale doivent être de 5 centimètres, avec un curage ganglionnaire thoracique et abdominal.

Pour les tumeurs de la JOG type Siewert III, l’approche chirurgicale standard est la gastrectomie totale avec résection trans-hiatale de l’œsophage distal qui consiste en une gastrectomie totale avec un curage ganglionnaire de type D2 (le curage ganglionnaire thoracique est limité) avec anastomose œso-jéjunale.

Pour les tumeurs de la JOG type Siewert II, « véritables tumeurs du cardia », l’approche chirurgicale optimale reste controversée et varie selon les habitudes des équipes chirurgicales et des chirurgiens.

Le choix entre les deux types de geste doit être guidé :

  1. par l’estimation de l’extension de la tumeur sur l’œsophage et/ou l’estomac afin, d’une part, d’assurer une résection en marges saines et, d’autre part, d’éviter la résection inutile d’un œsophage ou d’un estomac normal ;
  2. par l’estimation du risque ganglionnaire (justifiant ou non un curage médiastinal).

Concernant l’étendue de la résection, la décision ne peut pas se réduire à la seule notion de type II de la tumeur puisque la classification se réfère au centre de la tumeur, mais ne prend pas en compte l’étendue proximale et distale du cancer. L’étendue de l’infiltration œsophagienne est la plus déterminante puisque l’approche trans-hiatale de l’œsophage par voie abdominale est limitée, alors que l’estomac est beaucoup mieux exposé. Or l’exposition de l’œsophage distal est essentielle pour obtenir une marge de résection œsophagienne appropriée et pour construire une anastomose sûre dans le médiastin inférieur. Si l’une ou l’autre de ces conditions (ou les deux) ne sont pas possibles, l’approche trans-hiatale n’est pas indiquée et l’approche trans-thoracique doit être privilégiée.

Concernant le drainage lymphatique, les tumeurs de type II posent problème puisqu’elles sont exactement localisées à la jonction de la cavité thoracique et abdominale, et entre l’œsophage et l’estomac. Il semble maintenant établi que la propagation lymphatique dépend de la distance entre la JOG et le bord proximal et distal de la tumeur respectivement pour les ganglions lymphatiques médiastinaux et abdominaux. Kurokawa et al. ont en effet récemment démontré qu’une distance entre la JOG et le bord proximal de la tumeur supérieure à 3 cm était le seul facteur de pronostic indépendant pour les ganglions lymphatiques médiastinaux métastatiques moyens chez les patients atteints de tumeurs de type Siewert II (5). Dans ce sous-groupe de patients, une approche trans-thoracique pourrait donc apporter un bénéfice thérapeutique. À l’inverse, chez les patients dont la distance entre la JOG et le bord distal de la tumeur est inférieure à 3 cm, l’incidence des ganglions lymphatiques métastatiques dans la zone de grande courbure gastrique ou dans la région infra-pylorique n’est que de 2,2 % (4).

Dans l’étude rétrospective multicentrique française compilant les cas de la cohorte FREGAT, les tumeurs de type II semblaient être mieux traitées par gastrectomie totale (et résection trans-hiatale de l’œsophage distal) que par œso-gastrectomie polaire supérieure, seulement en cas de résection R0.

Cette étude suggère donc que, si le geste est susceptible de produire des marges de résection saines, une approche de type gastrectomie totale devrait être privilégiée.

Idéalement, la réponse devrait être apportée par un essai randomisé incluant des patients avec adénocarcinome de type II de Siewert, dont la résection complète de la tumeur semble possible par ces deux approches chirurgicales, en utilisant des critères de localisation standardisés basés sur les bords des tumeurs plutôt que sur leur épicentre.

Traitements complémentaires

Le pronostic des adénocarcinomes de la JOG reste médiocre malgré le traitement chirurgical. Près de 25 à 30 % des patients présentent des marges de résection microscopiquement positives, y compris la marge de résection circonférentielle, près de la moitié des patients développent des métastases à distance et près de 40 % des récidives locorégionales. Plusieurs thérapeutiques néo-adjuvantes ont donc été testées afin de diminuer le taux de résection incomplète ainsi que les risques de récidive locale ou à distance. Ces traitements complémentaires sont justifiés dès le stade IB (T1N1M0 ou T2N0M0) compte tenu des risques ; ce qui correspond à la large majorité des adénocarcinomes de la JOG diagnostiqués dans notre pays.

Comme déjà évoqué, étant donné leur localisation anatomique frontière, les adénocarcinomes de la JOG ont souvent été regroupés dans les essais cliniques avec les cancers de l’œsophage (incluant parfois des carcinomes épidermoïdes) ou de l’estomac, et ont rarement été évalués comme une entité distincte. Les essais de phase III incluant les adénocarcinomes de la JOG, et à partir desquels nous établissons nos recommandations, ont donc des critères d’inclusion variables et, de plus, il est très souvent difficile de séparer clairement les tumeurs de la JOG de type I, II et III.

Principalement deux standards de prise en charge complémentaire à la chirurgie des cancers gastro-œsophagiens localement avancés sont validés : la chimiothérapie péri-opératoire et la radio-chimiothérapie préopératoire. Étant donné l’absence d’études comparant directement ces deux stratégies pour les adénocarcinomes de la JOG localement avancés, il est difficile d’affirmer quelle pourrait être la stratégie préopératoire la plus efficace pour ces patients.

Chimiothérapie péri-opératoire

La chimiothérapie péri-opératoire a été évaluée et validée par deux études princeps randomisant une chimiothérapie péri-opératoire versus la chirurgie seule : l’essai britannique MAGIC et l’essai français FNCLCC/FFCD 9703 démontrant un impact bénéfique sur la survie globale. La première étude à se concentrer principalement sur les adénocarcinomes de la JOG a été l’essai français de chimiothérapie péri-opératoire FNCLCC/FFCD 9703 évaluant l’intérêt de 2 à 3 cures de 5FU-Platine en pré-opératoire et 3 à 4 cures en post-opératoire (8). La majorité des 224 patients inclus étaient atteints d’adénocarcinome de la JOG (64 %), 11 % de l’œsophage distal et 25 % d’adénocarcinome gastrique. Le bénéfice en survie globale était net et les tumeurs de la JOG en tiraient le plus grand bénéfice. Le bénéfice se traduisait également en termes de survie sans récidive et taux de résection R0.

L’essai britannique MAGIC évaluait l’intérêt de 3 cures d’ECF (Epirubicine + 5FU-Platine) en pré et post-opératoire (9). À l’inverse de l’étude française, la majorité des 503 patients inclus présentait un adénocarcinome gastrique et seuls 26 % un adénocarcinome de la JOG et de l’œsophage distal (JOG : 11,5 % et œsophage distal : 14,5 %). Une amélioration significative de la survie sans progression et de la survie globale était démontrée par rapport à la chirurgie seule. Toutes les localisations anatomiques (œsophage, JOG et estomac) en retiraient un bénéfice ; le sous-groupe JOG semblant en tirer le plus grand bénéfice.

Ces deux études démontrant également l’absence de majoration de la morbidité, la mortalité ou la durée d’hospitalisation de la chimiothérapie pré-opératoire par rapport à la chirurgie seule, ont permis d’établir la chimiothérapie péri-opératoire à base de 5U-Platine comme standard thérapeutique des adénocarcinomes de l’estomac distal et de la JOG.

Plus récemment, l’essai allemand FLOT4-AIO a renforcé les arguments en faveur d’une approche par chimiothérapie péri-opératoire et a démontré la supériorité d’une trichimiothérapie à base de docétaxel selon le schéma FLOT (associant 5-FU, oxaliplatine et docétaxel), par rapport au schéma ECF (ou son équivalent ECX dans lequel le 5FU est remplacé par la pro-drogue Capecitabine) établi par l’étude MAGIC (10). Un total de 716 patients atteints d’adénocarcinome gastrique ou de la JOG, localement avancé et résécable, ont été randomisés entre 4 cures de FLOT pré et post-opératoires et 3 cures d’ECF/ECX pré et post-opératoires. La plupart des patients (56 %) avaient un adénocarcinome de la JOG (24 % de type I de Siewert, 32 % de type II/III), tandis que 44 % avaient un adénocarcinome gastrique. La surgie globale médiane était significativement améliorée par le FLOT (50 mois vs. 35). Cette efficacité thérapeutique s’accompagnait d’une amélioration significative de la survie médiane sans maladie, d’un taux accru de résection R0 (85 % vs. 78 %), d’un « down-staging » tumoral significatif et d’une majoration du taux de réponse pathologique complète (pCR) atteignant 16 % dans le bras FLOT (vs. 6 %) et même 23 % dans le sous-type histologique intestinal qui est le sous-type le plus souvent associé aux adénocarcinomes de la JOG. Enfin la qualité de la chirurgie n’était pas altérée par le FLOT. L’ensemble de ces résultats a donc renforcé la place de la chimiothérapie péri-opératoire comme traitement complémentaire du traitement chirurgical des adénocarcinomes gastriques et de la JOG et a établi le schéma FLOT comme nouveau standard.

Radio-chimiothérapie pré-opératoire

L’intérêt de la radio-chimiothérapie concomitante (RCT) pré-opératoire tient aux caractéristiques anatomiques de la JOG. Comme l’œsophage n’est pas recouvert d’une membrane séreuse et se trouve à proximité de nombreux organes et structures, la propagation par extension directe est fréquente. En outre, le riche réseau lymphatique sous-muqueux de l’œsophage et de la JOG entraîne un risque élevé d’atteinte des ganglions lymphatiques.

Anatomiquement, les tumeurs de la JOG de type I/II ressemblent aux adénocarcinomes œsophagiens distaux (et sont classées dans la classification TNM de l’AJCC comme des tumeurs œsophagiennes) et en partagent le pronostic avec un taux élevé d’échec local après une œsophagectomie seule et le rôle déterminant du caractère R0 de la résection.

Si l’intérêt de la RCT pré-opératoire apparaît clairement, les essais cliniques ayant évalué cette modalité thérapeutique sont néanmoins d’effectifs plus limités et comportent une hétérogénéité de patients.

L’essai princeps de RCT pré-opératoire est l’essai néerlandais CROSS (11). Cette étude, incluant 366 patients, portait principalement sur l’adénocarcinome œsophagien de type I et certains cancers de la JOG de type II, mais également sur des carcinomes épidermoïdes œsophagiens (25 %). Elle a démontré un bénéfice de la RCT (41,4 Gy + Carboplatine – Paclitaxel hebdomadaire) par rapport à la chirurgie seule en termes de taux de résection chirurgicale R0 et de survie. Néanmoins, bien que la survie globale médiane était significativement améliorée par la RCT (HR 0,66 ; [0,495-0,871]) le sous-groupe des adénocarcinomes (75 % de la population globale) en bénéficiait moins (HR 0,741 [0,536-1. 024]) que le groupe des épidermoïdes (HR 0,422 [0,226-0,788]) ; cependant les résultats spécifiques des sous-groupes d’adénocarcinome de type I et de type II ne sont pas connus et le suivi à long terme a confirmé le bénéfice thérapeutique de la RCT préopératoire tant pour les carcinomes épidermoïdes que pour les adénocarcinomes (12). Par ailleurs, aucune différence n’a été constatée en termes de morbidité ou de mortalité opératoire.

Sur la base de ces résultats, la RCT pré-opératoire a été établie comme standard thérapeutique des adénocarcinomes de l’œsophage distal ou de la JOG.

Critères de choix entre chimiothérapie péri-opératoire et RCT pré-opératoire

Le seul essai randomisé de phase III visant à comparer la RCT néoadjuvante et la chimiothérapie pré-opératoire dans les cancers de la JOG est l’étude allemande POET de Stahl (13). Dans cette étude déjà ancienne et de petite taille, fermée en raison d’un défaut de recrutement, 126 patients atteints d’un adénocarcinome de l’œsophage distal (55 %) ou de la JOG type II/III (45 %) ont été randomisés entre chimiothérapie pré-op (5FU-platine) et chimiothérapie suivie d’une RCT pré-op (15 x 2 Gy + Cisplatine – Etoposide). On constatait une tendance statistique à l’amélioration des taux de survie globale sur trois ans dans le groupe RCT. De plus le taux de réponse histologique complète (16 % vs. 2 %) et le statut ganglionnaire négatif étaient en faveur du bras comprenant la RCT. Néanmoins, même si les résultats à longs termes suggèrent toujours un avantage à la RCT (14), l’étude POET est un essai négatif et présente plusieurs limites importantes, notamment le fait que l’analyse n’a pas été effectuée en intention de traiter car seulement 119 des 126 patients ont été analysés. De plus cette étude ancienne a étudié un schéma de chimiothérapie limité au 5FU-platine surpassé maintenant pas le standard actuel FLOT.

Plusieurs essais de phase III sont en cours pour tenter de déterminer le meilleur schéma thérapeutique entre RCT pré-opératoire et chimiothérapie péri-opératoire :

  • L’essai allemand ESOPEC compare directement le schéma « CROSS » (RCT pré-op) versus le schéma FLOT (chimiothérapie péri-opératoire) (15). Un total de 438 patients avec adénocarcinome œsophagien (incluant toutes les tumeurs de la JOG de type I ainsi que les types II et III en cas d’infiltration œsophagienne) seront inclus avec un objectif portant sur la survie globale afin de détecter une supériorité du
  • L’essai Neo-AEGIS compare également le schéma « CROSS » (RCT pré-op) versus la chimiothérapie péri-opératoire selon le schéma MAGIC ou le schéma FLOT chez 594 patients atteints d’un adénocarcinome de l’œsophage ou de la JOG avec un objectif portant sur la survie globale afin de détecter une supériorité de la RCT pré-opératoire (16).
  • L’essai international TOPGEAR évalue la RCT néo-adjuvante (45 Gy associé au 5FU, précédée de 2 cures d’ECX ou ECF) puis une chimio post-opératoire vs. la chimiothérapie péri-opératoire (3 cures d’ECX ou ECF pré- et post-opératoire). Un total de 752 patients porteurs d’un adénocarcinome gastrique, du cardia ou du bas œsophage résécables seront Actuellement, seuls les résultats de la phase II de l’étude ont été publiés, concernant 120 patients dont un peu plus de la moitié avec une tumeur de la JOG ou du tiers inférieur de l’œsophage, et ont démontré la faisabilité et l’acceptabilité des traitements notamment sur la morbidité chirurgicale (17).

Dans l’attente d’essais de phase III concluants, plusieurs méta-analyses ont tenté d’évaluer la place de la RCT par rapport à la chimiothérapie pré-opératoire. Aucune n’a permis de répondre clairement à la question puisque d’une part elles ont inclus des essais concernant les cancers de l’œsophage et non exclusivement de la JOG, dont une grande part de carcinomes épidermoïdes, et d’autre part elles recensent des modalités thérapeutiques qui ont largement évolué au cours de ces dernières années que ce soit dans l’approche chirurgicale ou les modalités médicales (techniques de radiothérapie et schémas de chimiothérapie).

Plus récemment une méta-analyse a tenté de se centrer sur les cancers de la JOG en sélectionnant les essais (randomisés ou non, prospectifs ou rétrospectifs) dont la population comprenait plus de 80 % de patients avec adénocarcinome de l’œsophage ou de la JOG et excluant ceux avec plus de 20 % de patients avec un carcinome épidermoïde œsophagien (18). Au total, 22 études (publiées au plus tard mi-2018, n’incluant donc pas les résultats de l’essai FLOT-AIO) comprenant 18 260 patients ont été prises en compte pour l’analyse finale. Les résultats montrent que la RCT pré-opératoire, par rapport à la chimiothérapie pré-opératoire, n’apporte pas de bénéfice en termes de survie globale médiane, malgré une majoration du taux de réponse histologique complète et une diminution du risque de récidive locorégionale. En dehors d’une sélection des études plus centrée sur la JOG cette « méta-analyse » se heurte aux mêmes critiques que les précédentes notamment en termes d’obsolescence des modalités thérapeutiques.

Autres modalités thérapeutiques

Si l’approche pré-opératoire s’impose dans le traitement complémentaire des cancers de la JOG résécables, la composante post-opératoire (incluse dans la modalité de « chimiothérapie péri-opératoire ») mérite également d’être évaluée.

L’étude européenne CRITICS a évalué l’intérêt d’une RCT post-opératoire chez les patients traités par chimiothérapie pré-op puis gastrectomie (ou résection œso-cardiale) pour un adénocarcinome gastrique ou de la JOG de types II/III (19). Le bras de référence était la chimiothérapie péri- opératoire selon le schéma MAGIC (3 cures d’ECF en pré et post-opératoire) et les patients du bras RCT post-opératoire (45 Gy + 5FU-Platine) recevaient le même schéma de chimiothérapie pré-op (ECF 3 cures). Un total de 788 patients a été inclus dont seuls 17 % avaient une tumeur de la JOG (II/III) et 20 % un adénocarcinome de l’estomac proximal. Outre une observance médiocre du traitement post-opératoire, aucune différence du taux de survie à 5 ans n’était notée et l’analyse en sous-groupes (limitée par l’effectif faible) n’était pas en faveur de la RCT post-op dans les tumeurs de la JOG.

Enfin l’amélioration des traitements de radiothérapie des cancers de l’œsophage localisés (majoration de la dose, association aux immunothérapies…) et des traitements médicaux des adénocarcinomes gastriques localisés (inhibition HER2, immunothérapie des adénocarcinomes d-MMR, EBV+ ou à charge mutationnelle élevée), en cours d’évaluation actuellement, nous amènerait, en cas d’effet concluant, à évaluer leur impact dans la prise en charge des adénocarcinomes de la JOG.

Au total, les adénocarcinomes de la JOG restent une pathologie de « zone frontière » et empruntent aux principes de la prise en charge des cancers de l’œsophage et de ceux de l’estomac. Si la classification de Siewert a permis de mieux cerner cette pathologie et harmoniser les conduites à tenir et les résultats des études, leur prise en charge ne peut pas se résumer à leur type, parfois difficile à établir, et chaque cas doit être attentivement discuté en RCP avec des équipes entraînées tenant compte de leur extension locale, distale et proximale pour adapter le geste chirurgical et la stratégie pré et post-opératoire. Leur pronostic reste malgré tout médiocre et de nouvelles stratégies thérapeutiques doivent continuer à être recherchées.

Bibliographie

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