Tumeurs sous muqueuses digestives

POST’U 2021

Objectifs pédagogiques

  • Connaître la classification des tumeurs sous muqueuses digestives, leur histoire naturelle, leur localisation préférentielle, leur aspect endoscopique
  • Connaître les indications de l’écho-endoscopie (EE) et des prélèvements EE-guidés
  • Connaître les principales indications thérapeutiques

Les 5 points forts

  1. Une tumeur sous-muqueuse (TSM) est observée lors d’une endoscopie sur 300. Sa découverte est le plus souvent fortuite.
  2. On distingue les tumeurs mésenchymateuses (GIST, léiomyome, lipome…) des lésions sous muqueuses non mésenchymateuses (lésions kystiques, pancréas aberrant, tumeurs neuroendocrines…).
  3. Le léiomyome qui ne dégénère jamais représente 95 % des tumeurs mésenchymateuses de l’œsophage et 15 % de ces tumeurs dans l’estomac, tandis que les tumeurs stromales (GIST) représentent 80 % des tumeurs mésenchymateuses de l’estomac. 30 % d’entre elles sont à risque de malignité.
  4. L’échoendoscopie plus ou moins associée à la biopsie guidée utilisant les aiguilles coupantes est indispensable en l’absence de complication révélatrice, pour affirmer ou infirmer le diagnostic de GIST.
  5. La résection endoscopique des léiomyomes hémorragiques et des GIST de taille limitée est possible en centre expert.

LIEN D’INTÉRÊTS

Aucun

MOTS-CLÉS

Tumeur sous muqueuse, échoendos–copie, traitement endoscopique

ABRÉVIATIONS

TSM = tumeur sous-muqueuse, GIST = gastro intestinal stromal tumor, TNE = tumeur neuro-endocrine, EE = echoendoscopie

Introduction

Les tumeurs sous-muqueuses (TSM) sont des lésions sous épithéliales qui se développent à partir des couches de la paroi digestive, de la partie profonde de la muqueuse jusqu’à la séreuse. Leur mode de révélation est variable, souvent de façon fortuite (1/300 gastroscopies) lors d’un bilan endoscopique, parfois au décours d’une complication (hémorragie digestive, compression). Il s’agit d’une voussure de la paroi digestive de taille très variable classiquement recouverte d’une muqueuse normale. Le principal diagnostic différentiel est la compression extrinsèque de la paroi digestive par un organe adjacent normal (vésicule biliaire pour l’antre, rate pour la grosse tubérosité, boucle de l’artère splénique pour la face postérieure du corps gastrique, lobe gauche du foie pour la face antérieure du corps gastrique, prostate ou utérus pour le rectum) ou pathologique comme une masse ganglionnaire, une tumeur bénigne du foie (volumineux kyste biliaire, HNF, Hémangiome géant…) ou maligne (Métastase, CHC), un pseudokyste d’origine pancréatique, une localisation péri-rectale d’endométriose ovarienne ou sous-péritonéale profonde postérieure respectant la paroi digestive. L’échoendoscopie est l’examen de référence pour différencier une TSM d’une compression extrinsèque de la paroi digestive.

Durant de nombreuses années, deux diagnostics principaux étaient évoqués devant une tuméfaction sous-muqueuse gastrique : le léiomyome et le schwannome. Les performances de l’échoendoscopie et l’identification de l’oncogène KIT ont permis de mieux appréhender les différents types de TSM du tube digestif et de les regrouper en tumeurs mésenchymateuses et non mésenchymateuses. Certaines d’entre elles ont un potentiel évolutif malin et doivent être identifiées.

Classification des TSM digestives, histoire naturelle, localisation préférentielle, aspect endoscopique

Les TSM regroupent l’ensemble des tumeurs mésenchymateuses ou non mésenchymateuses, qui peuvent être bénignes ou malignes. Les TSM mésenchymateuses comprennent les tumeurs stromales (GIST), les léiomyomes, les léiomyosarcomes, les schwannomes, les lipomes, les tumeurs à cellules granuleuses (tumeur d’Abrikossoff) [1-2]. Les tumeurs non mésenchymateuses sont représentées par des lésions sous muqueuses non néoplasiques comme les pancréas aberrants, les kyste bronchogéniques de l’œsophage, les duplications digestives, les kystes des glandes de la sous-muqueuse dans l’œsophage et le duodénum et les varices géantes et par les tumeurs neuro-endocrines du tube digestif (autrement désignées comme tumeurs carcinoïdes) qui sont par convention incluses dans les TSM du tube digestif alors qu’elles se développent à partir de la profondeur de la muqueuse.

Le mode de révélation est généralement fortuit. Plus rarement c’est un symptôme qui motive l’endoscopie (dysphagie, douleur abdominale, anémie chronique, hémorragie digestive) conduisant au diagnostic. Lors de l’analyse endoscopique, certaines TSM ont une coloration muqueuse différente de la muqueuse avoisinante, ce qui en association avec d’autres critères (taille et consistance) permet de suspecter, voire d’affirmer le diagnostic : petite lésion jaune clair et de consistance dure de l’œsophage pour la tumeur d’Abrikossoff, rose bleutée et volumineuse pour le kyste bronchogé- nique, translucide pour la dilatation kystique des glandes de la sous-muqueuse œsophagienne ou du duodénum, jaunâtre et de consistance molle (signe de l’oreiller lors de la compression avec l’extrémité d’une pince à biopsie) pour le lipome, aspect d’atrophie gastrique associée aux tumeurs carcinoïdes fundiques de type I. Mais le plus souvent les signes endoscopiques ne permettent pas d’affirmer un diagnostic, et on note simplement un aspect de bombement dans la lumière digestive avec parfois une ulcération en surface (GIST, schwannome, leiomyome, lipome).

Il est nécessaire d’identifier le type de TSM, en raison du risque de dégénérescence pour certaines. Il s’agit essentiellement des tumeurs mésenchy- mateuses qui naissent du muscle et elles doivent donc être caractérisées précisément. Celles-ci incluent les léiomyomes et les schwannomes toujours bénins, les exceptionnels léiomyosarcomes et surtout les GISTs.

Les GISTs sont les tumeurs mésenchymateuses les plus fréquentes, même si elles ne représentent que 1 % des tumeurs digestives. Elles expriment typiquement le phénotype KIT et DOG-1, ce qui n’est pas le cas des autres tumeurs mésenchymateuses [1-2]. Leur répartition dans le tube digestif est principalement gastrique dans 65 % des cas environ, puis 25 % dans le grêle, 5 % dans le côlon-rectum, moins de 5 % dans le mésentère et sont exceptionnelles dans l’œsophage. Elles représentent 80 % des TSM mésenchymateuses gastriques naissant du muscle. Elles représentent 1 % des TSM mésenchymateuses naissant du muscle œsophagien. Elles ne sont pas exceptionnelles dans le rectum. L’aspect endoscopique est peu spécifique. Les biopsies endoscopiques ne sont pas contributives du fait de la localisation de la tumeur en profondeur. Le rôle de l’échoendoscopie est donc essentiel.

Ces lésions ont un potentiel évolutif malin, qui dépend de plusieurs critères : la taille (> 3 cm), la localisation (rectum > grêle > estomac) et le nombre de mitoses. Dans l’estomac 30 % des GISTs ont un potentiel de malignité ou sont malignes au diagnostic. Dans le rectum, elles sont constamment agressives.

Le principal diagnostic différentiel de la GIST est le léiomyome. Il s’agit d’une tumeur à cellules fusiformes constamment bénigne quelle que soit sa taille, développée à partir des cellules musculaires lisses de la musculaire muqueuse ou de la musculeuse. C’est surtout dans l’œsophage que l’origine à partir de la musculaire muqueuse est observée. Elle concerne 10 % des léiomyomes œsophagiens. L’aspect endoscopique est proche de celui de la GIST. Il s’agit de la TSM la plus fréquente dans l’œsophage, elle est plus rare dans l’estomac siégeant surtout au niveau du cardia. Les léiomyomes représentent 98 % des TSM mésenchymateuses œsophagiennes naissant du muscle et 15 % des tumeurs mésenchymateuses gastriques naissant du muscle. La distinction histologique entre GIST et léiomyome repose sur l’immunohistochimie, le léiomyome exprimant les marqueurs musculaires lisses comme l’actine et la desmine, mais pas la protéine KIT.

Le schwannome est une TSM mésenchymateuse rare d’origine nerveuse développée à partir de la musculeuse digestive. Elle représente 1 % des TSM mésenchymateuses naissant du muscle dans l’œsophage et 5% des TSM mésenchymateuses naissant du muscle gastrique.

Organe Couche attente en EE Aspect en EE
Léiomyome Œsophage+++ 2e ou 4e Très hypoéchogène, homogène, parfois calcifié, prend peu le contraste
GIST Estomac++ 4e Hypoéchogène, vasculaire en Doppler, prend le contraste
T à cellules granuleuses (T d’Abrikossoff) Œsophage +++ Estomac 2e ou 3e Hypoéchogène, empreinte sur ballonnet
Schwannome Estomac 3e ou 4e Hypoéchogène
Kyste bronchogénique  Oesophage 3e ou 4e Anéchogène ou hétérogène pseudo-tissulaire mais avec renforcement périphérique, déformable par le ballonnet, avasculaire en EE contraste
Duplication Estomac,
Duodénum
3e Anéchogène ou hétérogène avec renforcement périphérique
(aspect liquidien). Paroi de 3 ou 5 couches de part et d’autre
de la formation kystique
Lipome Antre, colon 3e Hyperéchogène, brillante, bien limitée. Parfois moins brillante.
Pancréas aberrant Antre+++
Duodénum
2e
et/ou 3e
et/ou 4e
Hypo ou échogénicité mixte, structure canalaire possible,
seule TSM qui passe d’une couche à l’autre
TNE Estomac+++
Rectum+
Bulbe
2e
ou 3e
Hypoéchogène, homogène, vascularisée

Tableau I : Localisation préférentielle et aspect échoendoscopique des différentes TSM

Les indications de l’écho-endoscopie (EE) et des prélèvements EE-guidés

Dans la majeure partie des cas de TSM, l’aspect endoscopique est peu spécifique, d’où la poursuite des explorations par une échoendoscopie, qui permet d’orienter le diagnostic. L’analyse échoendoscopique permet d’abord d’éliminer une simple compression extrinsèque par un organe de voisinage. L’échoendoscopie permettra ensuite d’affirmer la localisation intrapariétale de la TSM, de préciser sa couche de naissance, son échogénicité, sa vascularisation, ses limites et sa taille. Par un certain nombre de faisceaux d’arguments, l’analyse échoendoscopique portera une orientationdiagnostique. Les différents aspects échoendoscopique des TSM sont résumés dans le Tableau I.

Généralement, le caractère agressif est évoqué si la TSM est volumineuse (> 3 cm), hétérogène, comporte des cavités kystiques ou des contours externes irréguliers ou envahie les couches adjacentes [3].

La ponction sous-échoendoscopie est rarement indiquée dans l’œsophage puisque la quasi-totalité des TSM sont bénignes et n’ont pas de potentiel de dégénérescence. Elle y est contre indiquée lorsqu’il y a un doute diagnostique (écho-structure très hypoéchogène pseudo-liquidienne ou au contraire assez échogène pseudo-tissulaire) avec le kyste bronchogénique (risque de médiastinite mortelle) d’où l’importance du contraste qui affirme le caractère tissulaire lorsqu’il montre une vascularisation intra-lésionnelle ou au contraire avasculaire en cas de contenu liquidien. Elle est en revanche le plus souvent discutée dans les autres localisations, notamment gastrique. Lorsqu’il y a une indication à une documentation histologique, le TNCD précise que la ponction sous échoendoscopique doit être privilégiée par rapport à la voie percutanée en raison d’un risque de dissémination périto- néale [4]. La ponction doit être discutée au cas par cas. Elle est recommandée dans les situations suivantes :

  • en cas de doute diagnostique avec un autre type de tumeur (lymphome, TNE, …) ;
  • en cas de chirurgie mutilante ;
  • en présence d’une tumeur non résécable ou métastatique nécessitant un traitement médical en première intention.

La précision diagnostique de la ponction sous échoendoscopie est de 80 % (60 à 100 %). De nombreuses études ont montré la supériorité des aiguilles à biopsies ou de 19 G par rapport aux aiguilles d’aspiration permettant une meilleure analyse immunohistochimique (cKIT) et histopro- nostique (n mitoses/champ). Le rendement de la ponction dépend de la taille et de la consistance de la lésion, de l’existence de zones de nécroses, du diamètre et du type d’aiguille (aspiration ou à biopsie), de l’organe (plus difficile dans région sous cardiale, la grosse tubérosité gastrique ou le deuxième duodénum) [5-7]. En réalité, l’avènement récent des aiguilles biopsiques efficaces (22G coupante, 20G coupante) a révolutionné l’effi- cacité du prélèvement EE-guidé qui est proche de 100 % avec un peu d’expérience. Il ne faut pas aspirer dans les lésions richement vascularisées (GIST, schwannome, et au contraire aspirer avec une seringue puissante (au mieux une seringue de 60 cc) et plutôt une aiguille volumineuse dans les lésions hypo-vasculaires comme le léiomyome.

Les principales indications thérapeutiques

Les indications du traitement sont fonction du contexte. Naturellement, toutes les lésions symptomatiques seront traitées. Certaines lésions bégnines ne seront ni traitées ni surveillées (lipome, pancréas aberrant). Pour les lésions asymptomatiques, cela dépend de plusieurs facteurs : la localisation, la taille, le type de tumeur (lésions avec un potentiel de dégénérescence ou non). Très schématiquement, en cas de TSM asymptomatique, le cutt of pour proposer un traitement ou une surveillance est de 2 cm pour les GIST, de 5 cm pour les léiomyomes, 2 cm pour les tumeurs d’Abrikossoff.

Le choix du traitement endoscopique ou chirurgical dépend de la couche d’origine de la lésion et de sa taille : une résection endoscopique par dissec- tion sous muqueuse peut être proposée aux lésions de la deuxième ou troisième couche. Classiquement, les lésions de la quatrième couche seront traitées généralement par chirurgie en raison du risque de perforation dès qu’elles dépassent 3 cm de diamètre.

Les traitements endoscopiques se font soit par dissection sous muqueuse, soit par résection sous muqueuse au moyen d’un tunnel (STER : submucosal tumor endoscopic resection) avec des taux de résection de 80- de 95 % et une récidive faible [8]. Ce dernier traitement est particuliè- rement bien adapté aux léiomyomes symptomatiques de petite taille(< 4 cm) et aux GISTs de petites tailles (< 4 cm) faisant saillie dans la lumière gastrique. En revanche ce traitement endoscopique est contre-indiqué en cas de TSM du muscle à développement extra-gastrique.

Le risque de récidive est bien établi dans les GIST. Il dépend de la taille, de la localisation et de l’index mitotique. Il va conditionner la nécessité ou non d’un traitement adjuvant par Imatinib.

Conclusion

La prise en charge des TSM s’est nettement améliorée grâce à l’échoendoscopie et la meilleure reconnaissance des GISTs depuis l’identification de KIT. L’exploration échoendoscopique garde une place centrale et permet d’identifier facilement certaines lésions totalement bénignes pour lesquelles est proposée une abstention thérapeutique ou une surveillance et les lésions à potentiel de dégénérescence pour lesquelles une exérèse (endoscopique ou chirurgicale) doit être envisagée.

Bibliographie

  1. Miettinen M et Lasota Gastrointestinal stromal tumors: pathology and prognosis at different sites. Semin Diagn Pathol 2006;23:70-83.
  2. Joensuu Risk stratification of patients diagnosed with gastrointestinal stromal tumor. Hum Pathol 2008;39:1411-1419.
  3. L Palazzo, B Landi, C Cellier, E Cuillerier, G Roseau et al. Endosonographic features predictive of benign and malignant gastrointestinal stromal cell Gut 2000;46: 88-92.
  4. Landi B, Blay JT, Bonvalot S, Brasseur M, Coindre JM et al. « Tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) » Thésaurus National de Cancérologie Digestive, Décembre 2018
  5. Kim GH, Cho YK, Kim EY, Kim HK, Cho JW et Scand J Gastroenterol. 2014;49: 347-54
  6. Hedenström P, Marschall HU, Nilsson B, Demir A, Lindkvist B et Surg Endosc 2018 32:1304–1313
  7. Gyu Young Pih and Do Hoon Clin Endosc 2019;52:314-320.
  8. Deepanshu Jaina, Aakash Desaib, Ejaz Mahmooda, Shashideep Singhalb Ann Gastroenterol 2017; 30 (3): 262-272.