Comment traiter une poussée compliquée inaugurale de maladie de Crohn luminale ?
POST'U 2022
MICI
Objectifs pédagogiques
- Savoir définir une poussée compliquée inaugurale
- Connaître les traitements médicaux et la stratégie thérapeutique
- Savoir évaluer l’efficacité du traitement médical
- Connaître les indications chirurgicales
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
- La maladie de Crohn luminale est révélée par une complication dans 20 % des cas.
- L’IRM permet d’évaluer l’activité inflammatoire et la morphologie des lésions, voire de prédire la réponse au traitement médical en cas de sténose.
- Les anti-TNF, prescrits en association avec des thiopurines, doivent être privilégiés dans cette situation.
- L’objectif du traitement est d’obtenir une rémission clinique avec une amélioration des marqueurs d’inflammation (IRM, calprotectine fécale).
- La décision de résection intestinale doit être prise de manière collégiale.
LIENS D’INTÉRÊTS
Anthony BUISSON déclare avoir exercé une activité de consultant pour Abbvie, Amgen, Arena, Biogen, Celltrion, CTMA, Ferring, Galapagos, Janssen, Nexbiome, Pfizer, Takeda, Tillotts, de conférencier pour Abbvie, Amgen, Biogen, Celltrion, Ferring, Janssen, Pfizer, Takeda, Tillotts, Vifor-Pharma et avoir obtenu des financements de recherche de la part de Abbvie, Celltrion, Pfizer et Takeda.
MOTS-CLÉS
Maladie de Crohn ; complications ; anti-TNF
ABRÉVIATIONS
CDAI : Crohn’s disease activity index
CDOS : Crohn’s disease obstructive score ; GETAID : groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires digestives ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; MICI : maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ; PEG : polyéthylène glycol ; TDM : tomodensitométrie ; TNF : tumor necrosis factor
Introduction
La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) dont l’évolution naturelle tend vers la destruction intestinale (sténose, fistule ou résection intestinale) et qui peut considérablement altérer la qualité de vie des patients. La maladie de Crohn luminale se révèle sous forme inflammatoire, c’est-à-dire non compliquée, dans environ 80 % des cas au diagnostic (1). Les formes luminales compliquées inaugurales concernent donc environ un patient sur 5 au moment du diagnostic et peuvent être de deux types : sténosantes, pénétrantes (présence d’une ou plusieurs fistules intra-abdominales indépendamment de la présence de lésions ano-périnéales) ou les deux de manière concomitante. Il faut noter que les formes compliquées sont plus fréquentes en cas d’atteinte iléale de la maladie (2).
Formes sténosantes inaugurales
Épidémiologie et diagnostic
Les formes sténosantes sont préférentiellement localisées au niveau de l’iléon ou de la valvule iléo-caecale et touchent entre 5 et 10 % des patients au moment du diagnostic (1,2). La symptomatologie est différente de la forme luminale classique avec une diarrhée au second plan ou absente. En revanche, on observe des douleurs abdominales fréquentes associées à des signes obstructifs tels qu’un syndrome de Koenig (douleurs abdominales déclenchées par les repas, de localisation constante et cédant brutalement avec le passage de gaz et/ou de selles parfois suivies d’une débâcle diarrhéique), des nausées, voire des vomissements, une restriction alimentaire et un amaigrissement involontaire. Il faut noter qu’une maladie de Crohn sténosante peut être asymptomatique ou paucisymptomatique dans certains cas et découverte en endoscopie ou en imagerie. Les indices d’activité de la maladie tels que le CDAI (Crohn’s Disease Activity Index) ou l’indice d’Harvey-Bradshaw ne sont pas adaptées à ces formes. Le CDOS (Crohn’s disease obstructive score), variant de 0 à 6, est basé sur la présence, l’intensité et la durée de douleurs obstructives, la présence de nausées ou vomissements associés, de restriction alimentaire et d’une hospitalisation reliée. Il a été développé et proposé au cours de l’étude CREOLE (3), mais reste à valider dans une cohorte indépendante. Le diagnostic est rarement évoqué en première intention devant cette symptomatologie, mais l’imagerie abdominale, souvent réalisée dans le contexte sub-occlusif, permet d’évoquer une maladie de Crohn. Comme pour la forme non compliquée, le diagnostic de maladie de Crohn sténosante repose sur un faisceau d’arguments anamnestiques, cliniques, biologiques, endoscopiques et histologiques. Si l’endoscopie reste centrale, elle peut être rendue difficile par les symptômes obstructifs responsables d’une préparation mal tolérée par les patients et donc potentiellement de mauvaise qualité. De plus, la sténose, définie endoscopiquement comme un rétrécissement de la lumière digestive rendant impossible ou difficile le passage par un coloscope adulte (4), peut s’avérer non franchissable par l’endoscope, rendant la coloscopie incomplète. L’imagerie est donc particulièrement importante dans le diagnostic des formes sténosantes. Si le scanner abdominal est souvent réalisé en urgence compte tenu de la symptomatologie, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est l’examen de référence en raison de l’absence d’irradiation (5). On parle d’entéro-IRM en raison de l’utilisation d’une distension intestinale par 0,5 à 1 L de polyéthylène glycol (PEG) par voie orale (pas de sonde d’entéroclyse), qui est nécessaire afin de visualiser au mieux les lésions. Cette dénomination ne doit pas faire oublier qu’il permet également l’examen du colon. L’entéro-TDM est une alternative présentant des performances relativement proches, mais dont l’utilisation est limitée par les problèmes d’irradiation précédemment cités. La définition en IRM d’une sténose, proposée par un consensus d’experts en 2018 reposait sur l’association des 3 critères suivants : rétrécissement (au moins 50 %) localisé de la lumière intestinale, épaississement pariétal associé et dilatation pré-sténotique (> 3 cm) (5). Il faut noter que l’IRM permet une meilleure évaluation des lésions que l’endoscopie (longueur, atteinte péri-intestinale, fistule ou abcès associés) mais reste moins sensible. Aussi n’est-il pas rare d’avoir une sténose modérée, notamment valvulaire, en endoscopie qui n’est pas visible en IRM.
Traitement médical d’une forme sténosante inaugurale
Si l’arsenal thérapeutique s’est élargi ces dernières années, il faut bien reconnaître que les données d’efficacité des traitements immunosuppresseurs ou des biothérapies restent limitées et d’un faible niveau de preuve dans la maladie de Crohn sténosante (6). Les corticoïdes sont souvent prescrits dans cette situation. Une étude précédant l’ère des biothérapies indiquait que sur une cohorte de 68 patients hospitalisés et traités par corticoïdes pour une maladie de Crohn sténosante, seuls 11 (16,2 %) d’entre eux n’avaient pas été opérés au cours du suivi (médiane = 8 ans). Ainsi, la corticothérapie ne doit être considérée que comme un traitement symptomatique de courte durée au cours des formes sténosantes (donc inutile en l’absence de symptômes) d’autant plus qu’elle augmente le risque de complications péri-opératoires et donc de stomie provisoire (7). Les données concernant l’efficacité des thiopurines en cas de maladie de Crohn sténosante sont faméliques et ne permettent pas de recommander cette classe thérapeutique en monothérapie dans cette indication (6). Après avoir été refroidi dans un premier temps par des données préliminaires suggérant que les anti-TNF pourraient aggraver les sténoses préexistantes, l’utilisation des anti-TNF semble maintenant justifiée par les données de l’étude CREOLE (3) conduite par le GETAID (groupe d’études thérapeutique des affections inflammatoires digestives). Il s’agissait d’une cohorte prospective observationnelle incluant des patients naïfs de biothérapie mis sous adalimumab pour une maladie de Crohn iléale sténosante symptomatique. Parmi les 97 patients inclus, 62 (64 %) étaient considérés en succès thérapeutique, défini comme le maintien à la semaine 24 du traitement par adalimumab, sans corticoïde, sans dilatation endoscopique ni résection intestinale (3). Les données à longs termes montrent que 46 % des 62 patients étaient encore sous adalimumab avec une médiane de suivi à 4 ans. Au total, 47 % des patients initialement inclus ont dû être opérés au cours du suivi. Des facteurs prédictifs de succès thérapeutiques à la semaine 24 ont été identifiés permettant de stratifier les patients en fonction de leur probabilité de succès sous traitement médical. Ils incluaient les 7 critères cliniques et radiologiques (IRM) suivants : thiopurines concomitantes, CDOS > 4, durée depuis l’apparition des symptômes obstructifs < 5 semaines, longueur de sténose < 12 cm, diamètre maximal pré-sténotique compris entre 18 et 29 mm, une prise de contraste tardive en séquence T1 et l’absence de fistule associée. Un score ≤ 2, = 3 ou ≥ 4 était associé à une probabilité de succès à 24 semaines de 6 %, 61 % et 89 %, respectivement (tableau 1). Ces critères de médecine de précision méritent néanmoins d’être validés dans des cohortes indépendantes. En plus de son intérêt diagnostique évoqué plus haut, l’IRM a donc également un intérêt dans la prédiction de la réponse au traitement médical (anti-TNF notamment). La présentation dichotomique entre sténose inflammatoire et fibreuse doit être abandonnée au profit d’une vision plus réaliste caractérisée par un continuum entre ces deux entités. Les traitements médicaux seront d’autant plus efficaces que le curseur se déplacera vers la composante inflammatoire. Toutefois, des critères liés à la morphologie de la sténose doivent être également pris en compte pour prédire la réponse au traitement médical. Ainsi, le caractère serré d’une sténose, illustré de manière directe (réduction de la lumière intestinale) ou indirecte (diamètre de la dilatation pré-sténotique), comme sa longueur ou la présence d’une fistule associée semblent être associés à une diminution de la probabilité d’efficacité des traitements médicaux (8).
Facteurs de bon pronostic | Score |
---|---|
Immunosuppresseur associé | 1 point |
Crohn’s disease obstructive score (CDOS) > 4 | 1 point |
Durée des symptômes obstructifs < 5 semaines | 1 point |
Longueur de la sténose < 12 cm | 1 point |
Diamètre maximal de la dilatation pré-sténotique comprise entre 18 et 29 mm | 1 point |
Prise de contraste marquée après injection (séquence T1) au temps tardif | 1 point |
Absence de fistule associée | 1 point |
Score de CREOLE | |
---|---|
Score de CREOLE ≤ 2 => probabilité de succès thérapeutique = 6 % | |
Score de CREOLE = 3 => probabilité de succès thérapeutique = 61 % | |
Score de CREOLE ≥ 4 => probabilité de succès thérapeutique = 89 % |
Tableau 1 : Facteurs prédictifs de réponse au traitement médical (anti-TNF) en cas de maladie de Crohn sténosante d’après l’étude CREOLE
En revanche, aucune donnée n’est actuellement disponible quant à l’efficacité de l’ustekinumab ou du vedolizumab dans la maladie de Crohn sténosante. Un algorithme de prise en charge de la maladie de Crohn inaugurale sténosante est proposé figure 1. En l’absence de données scientifiques en cas d’échec primaire à un premier anti-TNF, la prise en charge n’est pas consensuelle, ce qui pourrait rendre utile de discuter la prise en charge thérapeutique avec un centre expert.
Figure 1 : Proposition d’algorithme de prise en charge d’une maladie de Crohn sténosante inaugurale
Comment évaluer le succès d’un traitement médical au cours d’une forme sténosante inaugurale ?
Il n’existe actuellement aucun consensus sur la façon d’évaluer le succès du traitement médical dans la maladie de Crohn sténosante. Dans l’étude CREOLE, le succès thérapeutique était défini à 6 mois comme la poursuite du traitement médical (adalimumab dans cette étude) sans recours à une corticothérapie au-delà de la 8e semaine de traitement, sans dilatation endoscopique ou résection intestinale. Cette définition semble malgré tout trop subjective et dépendante de la pratique des différents cliniciens. Un avis d’expert, publié en 2018, proposait une définition clinico-radiologique pour l’évaluation de l’efficacité des traitements ciblant fibrose (les traitements disponibles traitent l’inflammation et non la fibrose à l’heure actuelle) dans la maladie de Crohn sténosante entre 24 et 48 semaines incluant la disparition des symptômes obstructifs et une amélioration des lésions en IRM (5). Les signes IRM proposés étaient : 1) augmentation d’au moins 50 % du diamètre de la lumière intestinale, 2) diminution d’au moins 50 % de l’épaisseur pariétale, 3) baisse d’au moins 50 % du diamètre de la dilatation pré-sténotique, ou un diamètre pré-sténotique redevenu normal ou < 2,5 cm (5). Cette définition, très morphologique, ne prend pas en compte l’activité inflammatoire et ne semble donc pas applicable pour évaluer l’efficacité des biothérapies actuelles. Compte tenu de l’absence de consensus, une approche pragmatique est donc de proposer une définition utilisable en pratique quotidienne. La rémission clinique, c’est-à-dire la disparition des symptômes obstructifs semble l’objectif indispensable mais probablement insuffisant, notamment lors d’une maladie inaugurale. Une amélioration des lésions en IRM devrait être associée même s’il n’existe, comme dans la maladie luminale, aucune définition consensuelle à ce jour. On peut tout de même considérer qu’une optimisation thérapeutique (augmentation de dose ou diminution de l’intervalle) devrait être proposée en cas de persistance de signes inflammatoires marqués (épaississement pariétal important, œdème important, ulcères ou signes d’inflammation péri-intestinale). Un dosage de calprotectine fécal pourrait être utile dans ce contexte pour évaluer la cinétique de l’activité inflammatoire. En revanche, les caractéristiques morphologiques de la sténose tels que son caractère serré, illustré directement par le diamètre luminal, ou indirectement par la dilatation pré-sténotique, ou sa longueur semblent plutôt correspondre à des facteurs prédictifs de recours à la chirurgie qu’à des critères sur lesquels baser une éventuelle intensification thérapeutique même si une aggravation des caractéristiques morphologiques de cette sténose pourrait faire discuter une optimisation thérapeutique. En cas de persistance de symptômes obstructifs malgré une optimisation maximale du premier anti-TNF, une chirurgie doit être discutée avec le patient. Une question difficile reste de savoir s’il faut changer de traitement en cas de rémission clinique obtenue sous anti-TNF optimisé au maximum (disparition des symptômes obstructifs) mais persistance de signes inflammatoires en IRM. Dans cette situation, un avis auprès d’un centre expert pourrait être utile.
Indications chirurgicales au cours d’une maladie de Crohn sténosante inaugurale
Il faut retenir que la décision chirurgicale doit être individualisée et discutée avec les patients.
La chirurgie peut être proposée à tout moment dans la prise en charge d’une sténose symptomatique. Le choix entre traitement médical et chirurgie s’appuiera sur la balance entre les bénéfices (chance de succès) et les risques (effets secondaires pour le traitement médical et risque de stomie provisoire et de conversion en laparotomie pour la chirurgie). Il faut toutefois garder en tête qu’en raison de l’histoire naturelle de la récidive post- opératoire de la maladie de Crohn, une biothérapie sera nécessaire dans la majorité des cas (9). Dans l’étude LIRIC, comparant l’infliximab à une résection iléo-cæcale en cas d’iléïte non abcédée résistante à une corticothérapie et/ou un immunosuppresseur chez les patients naïfs de biothérapie, seuls 22 % des patients avaient pu se passer de traitement (immunosuppresseurs ou anti-TNF) à 5 ans (10). Toutefois, la chirurgie semble indiquée dans certains cas spécifiques (tableau 2). L’étude CREOLE menée par le GETAID a permis d’identifier des facteurs prédictifs de réponse aux anti-TNF dans les formes sténosantes. Un score ≤ 2 étant associé à une probabilité de succès à 24 semaines de 6 %, une chirurgie d’emblée pourrait donc être proposée dans cette situation. La chirurgie semble également une option pertinente en cas d’échec d’un ou plusieurs traitements médicaux utilisés de manière optimale (combothérapie avec optimisation de doses) ou dans les cas beaucoup plus rares de perforation ou de découverte d’un cancer associé.
Maladie de Crohn sténosante | Maladie de Crohn fistulisante (hors lésions ano-périnéales) |
---|---|
Choix du patient | |
Échec des traitements médicaux bien conduits (anti-TNF optimisé en combothérapie) | |
Cancer associé (très rare) | |
Risque important d’échec du traitement médical (score de CREOLE ≤ 2) | – |
Perforation (très rare) | – |
Tableau 2 : Indications chirurgicales en cas de maladie de Crohn luminale compliquée de manière inaugurale
En pratique quotidienne, il n’est pas rare dans ces formes compliquées inaugurales que la chirurgie soit refusée par les patients dans un premier temps conduisant à la tentative d’un ou plusieurs traitements médicaux malgré de faibles chances de succès. Cela peut permettre de laisser le temps au patient de cheminer vers la décision chirurgicale. A contrario, certains patients pourront opter pour un traitement chirurgical d’emblée en espérant éviter le recours aux biothérapies.
Formes luminales fistulisantes inaugurales (hors lésions ano-périnéales)
Épidémiologie et diagnostic
Les formes fistulisantes (B3 selon la classification de Montréal) touchent préférentiellement l’iléon et représentent entre 10 et 15 % des patients au moment du diagnostic (1,2). En dehors de la forme compliquée d’abcès qui doit être suspectée devant une fièvre, une douleur abdominale importante et une CRP très élevée, les formes fistulisantes de maladie de Crohn se présentent de manière assez proche des formes luminales inflammatoires non compliquées. Des symptômes obstructifs peuvent être également présents témoignant soit d’une sténose associée soit d’une compression extrinsèque par un abcès. On distingue classiquement les fistules entéro- ou colo-cutanées de diagnostic assez aisé et les fistules internes entre l’intestin et un organe de voisinage dont certaines peuvent se révéler par une symptomatologie particulière comme les fistules entéro-vésicales (infections urinaires à répétition, fécalurie et pneumaturie). Une fistule intra-abdominale peut être découverte uniquement sur l’imagerie chez des patients asymptomatiques. La conduite diagnostique ne diffère que très peu de la forme luminale non compliquée (faisceau d’arguments anamnestiques, cliniques, biologiques, endoscopiques et histologiques). La fistule est définie endoscopiquement comme un orifice profond et bien limité, avec issu de pus ou de matière fécale, ou avec suspicion de communication avec un autre organe (4). Toutefois, elle n’est pas toujours clairement identifiée ou atteinte lors de la coloscopie. L’imagerie joue donc un rôle central dans les formes fistulisantes de maladie de Crohn. En urgence, le scanner abdominal ou l’échographie peuvent être utiles pour détecter un abcès et visualiser la fistule. Mais l’examen de référence est l’IRM qui permettra d’évaluer l’activité de la maladie (comme dans les formes luminales) et d’établir la cartographie de la fistule (11).
Traitement médical d’une forme fistulisante inaugurale
Comme la chirurgie a longtemps été considérée comme nécessaire dans cette situation, peu de données sont disponibles quant à l’efficacité des traitements médicaux dans les formes fistulisantes de maladie de Crohn (hors lésions ano-périnéales). En cas d’abcès associé, il faut rappeler que la première étape consiste à prendre en charge cet abcès par antibiotiques en le drainant si possible et en privilégiant toujours la voie la moins invasive possible (endoscopique, radiologique le plus souvent voire chirurgicale). L’efficacité de la prise en charge de l’abcès doit être vérifiée avant de démarrer un éventuel traitement médical de la maladie. L’échographie peut alors être l’examen de choix. Attention, il n’est pas rare en pratique quotidienne, qu’après traitement, il persiste une coque résiduelle de l’abcès, ce qui ne doit pas empêcher la mise en route d’un traitement médical. Habituellement, il est proposé de couvrir la mise en route du traitement médical par la poursuite de l’antibiothérapie pendant 2 semaines. Les corticoïdes doivent être évités, particulièrement en cas d’abcès associé. Il n’existe pas de donnée justifiant l’utilisation des thiopurines ou du méthotrexate en monothérapie dans cette indication. Seuls les anti-TNF ont démontré un intérêt en cas de formes fistulisantes. Une cohorte rétrospective du GETAID de 48 patients avec fistules majoritairement entéro-cutanées traités par anti-TNF avait observé une fermeture complète de la fistule dans 33 % des cas à 3 mois (12). La moitié d’entre eux n’avait pas présenté de réouverture de la fistule à 3 ans (12). Au total, une résection intestinale avait dû être réalisée pour la moitié de la cohorte (12). Plus récemment, une autre étude rétrospective du GETAID s’est intéressée au devenir des fistules internes sous anti-TNF. Parmi 156 patients, le risque cumulé de résection intestinal était de 51 % à 5 ans alors que la probabilité cumulée de cicatrisation de la fistule était de 43,9 % à 5 ans (13). À noter que 20,5 % des patients avaient présenté une récidive d’abcès sous traitement (13). La présence d’une sténose était associée à un risque plus important de chirurgie et plus faible de cicatrisation de la fistule (13). L’étude MICA, une cohorte prospective du GETAID, a évalué le taux de succès thérapeutique sous anti-TNF chez les patients avec maladie de Crohn fistulisante compliquée d’abcès. Parmi les 190 patients, 117 (61,5 %) ont pu être inclus et ont été traités par anti-TNF après antibiothérapie seule (91 %) ou drainage (9 %) pour traiter l’abcès (taille médiane de 2,9 mm) (14). Un succès thérapeutique (critère composite défini comme l’absence de recours à une corticothérapie après S12, pas de récidive d’abcès, pas de résection intestinale, pas de rechute clinique (CDAI > 220 et CRP > 10 mg/L à 2 visites consécutives) et poursuite de l’adalimumab) était observé chez 84 % (87/117) des patients à la semaine 24. La probabilité cumulée d’éviter une chirurgie était de 75,4 % à 2 ans. Aucun facteur prédictif de succès thérapeutique n’avait pu être identifié.
Comment évaluer le succès d’un traitement médical au cours d’une forme fistulisante inaugurale ?
L’objectif thérapeutique doit être, comme dans les formes luminales non compliquées, d’obtenir une rémission clinique, incluant la fermeture de l’orifice externe en cas de fistule entéro- ou colo-cutanée, associée à une amélioration objective des signes inflammatoires évalués en imagerie (IRM, échographie), voire en endoscopie. La définition de la réponse thérapeutique en IRM n’est pas consensuelle, mais la persistance de signes inflammatoires marqués (épaississement pariétal important, œdème intense, ulcères ou signes d’inflammation péri-intestinale) doit conduire à une intensification thérapeutique. Le dosage de la calprotectine fécale peut être utile dans cette situation. La persistance d’une fistule interne ne doit pas être considérée comme un échec en tant que tel contrairement à la récidive d’abcès qui doit faire envisager un geste chirurgical. Un algorithme de prise en charge est proposé figure 2.
Figure 2 : Proposition d’algorithme de prise en charge d’une maladie de Crohn fistulisante inaugurale (hors lésions ano-périnéales)
Indications chirurgicales au cours d’une maladie de Crohn fistulisante inaugurale
En rappelant, comme expliqué précédemment, l’importance d’une décision chirurgicale personnalisée et discutée de manière collégiale, les principales indications de résection intestinale sont l’échec de la prise en charge ou du drainage de l’abcès, l’échec d’un ou plusieurs traitements médicaux optimisés au maximum, ainsi que les rares cas de cancer (tableau 2). Dans la mesure du possible, il est préférable d’éviter de réaliser la résection intestinale sans avoir tenter de drainer l’abcès au préalable sous peine de devoir recourir à une résection étendue.
Cas particulier de la maladie de Crohn compliquée de localisation colique
Comme précisé dans l’introduction, les formes inaugurales compliquées touchent très majoritairement le grêle, raison pour laquelle les données de la littérature concernent quasi-exclusivement la localisation iléale (1,2). Par extrapolation, les principes évoqués précédemment sont applicables aux localisations coliques incluant l’utilisation de l’IRM comme examen de référence et la prise en charge thérapeutique. Il faut simplement garder en tête le cancer colorectal comme diagnostic différentiel en cas de sténose colique infranchissable. Fumery et al. avaient rapporté un risque de dysplasie de bas grade, de haut grade ou de cancer de 1 %, 0,4 % et 0,8 %, respectivement, chez 248 patients atteints de maladie de Crohn avec sténose colique infranchissable opérée malgré des biopsies préopératoires négatives.
Conclusions
La maladie de Crohn luminale se révèle sous forme compliquée de manière inaugurale dans près de 20 % des cas. L’IRM est l’examen de référence pour évaluer l’activité inflammatoire et la morphologie des lésions, voire prédire la réponse au traitement médical en cas de sténose. Les anti-TNF, prescrits en association avec des thiopurines, doivent être privilégiés dans cette situation. L’objectif du traitement doit être d’obtenir une rémission clinique avec une amélioration objectives des signes inflammatoires (IRM, calprotectine fécale). La décision de résection intestinale doit être personnalisée et prise de manière collégiale notamment en cas de souhait du patient ou d’un échec des traitements médicaux.
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