Prise en charge des lésions colo-rectales transformées
POST'U 2022
Endoscopie
Objectifs pédagogiques
- Connaître les critères endoscopiques de transformation maligne
- Savoir différencier endoscopiquement cancer superficiel et profond
- Savoir choisir la technique de résection en fonction de la caractérisation
- Connaître les critères anatomopathologiques définissant une résection endoscopique curative
- Connaître la surveillance après traitement endoscopique
Testez-vous
Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
- La transformation maligne des lésions colorectales débute le plus souvent par une dégénérescence focale avec un continuum de l’adénocarcinome intra-muqueux à l’adénocarcinome profondément invasif (> 1 000 microns).
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La caractérisation endoscopique est la technique la plus efficace pour prédire l’histologie et choisir la meilleure stratégie thérapeutique.
- La résection endoscopique, moins morbide que la chirurgie, est le traitement de choix des lésions transformées superficielles à très bas ou à bas risque d’évolution métastatique ganglionnaire.
- La double expertise endoscopique/anatomopathologique est déterminante pour la bonne prise en charge des patients.
- L’histologie de la pièce et le degré de qualité de la résection permettent de décider en réunion de concertation pluridisciplinaire de cancérologie digestive du caractère curatif de la résection et de la nécessité de proposer une surveillance ou un traitement complémentaire.
Remerciements : je remercie bien sûr mes anapaths (Valérie Hervieu et Tanguy Fenouil) ainsi que le groupe de recherche conjoint avec Jérémie Jacques, Jérôme Rivory, Timothée Wallenhorst, Romain Legros, Jean-Baptiste Chevaux, Marion Schaefer, Jérémie Albouys, Vincent Lépilliez, Sarah Leblanc et Florian Rostain.
LIENS D’INTÉRÊTS
Participe à des sessions de formation à la caractérisation et à la dissection sous-muqueuse pour Olympus, Norgine, Boston Scientific, Provepharm.
MOTS-CLÉS
Lésion néoplasique colorectale Caractérisation endoscopique Résection endoscopique
ABRÉVIATIONS
CONECCT : colorectal neoplasia classification to choose the treatment
ADK : adénocarcinome Bd : Budding
JSCCR : Japanese society of colorectal cancer RCP : réunion de concertation pluridisciplinaire
ESGE : european society of gastrointestinal endoscopy LVI : lymphovascular invasion
Introduction
La prise en charge des polypes transformés, pour être optimale, débute avant même que la malignité ne soit affirmée par les anatomo-pathologistes. En effet, le choix de la stratégie thérapeutique (endoscopie ou chirurgie) et de la technique de résection endoscopique (mucosectomie ou dissection sous-muqueuse) se base sur la prédiction de la malignité et du degré d’invasion en se basant sur les données de la caractérisation endoscopique.
Devant une lésion colorectale venant d’être détectée, le praticien doit pratiquer un examen diagnostique avancé, pour analyser la lésion et décrire sa forme macroscopique (vue distante (de loin) en lumière blanche), la présence ou non de zones démarquées d’intérêt (examen global lumière blanche et/ ou chromoendoscopie virtuelle) et leur taille, et préciser l’aspect du relief muqueux et glandulaire de surface dans les zones d’intérêt (vue de près avec chromoendoscopie virtuelle et/ ou zoom). À partir de ces éléments, une prédiction statistique du risque de malignité est possible et une prédiction de la profondeur d’invasion (superficielle < 1 000 microns dans la sous-muqueuse ou profonde > 1 000 microns) vont permettre de choisir la technique de résection la plus adaptée. Ainsi, les lésions à bas risque de malignité peuvent faire l’objet d’une résection monobloc ou fragmentée à l’anse sans risque de sous-traitement, les lésions à risque de malignité superficielle peuvent faire l’objet d’une résection En Bloc avec marges R0 par dissection sous-muqueuse pour avoir une analyse histologique de qualité permettant d’évaluer précisément le risque de récidive ganglionnaire des patients, et les lésions à risque de malignité profondément invasive dans la sous-muqueuse peuvent être divisées en deux sous partie : les lésions avec dégénérescence invasive focale (< 10 mm) qui peuvent dans près de 50 % des cas être guéries par une résection endoscopique R0 et les lésions invasives de manière large (> 10 mm) qui doivent être considérées comme des maladies plus avancées justifiant d’un bilan complémentaire d’extension locorégionale avec échoendoscopie et/ ou IRM en cas de lésion rectale et générale (scanner thoracoabdominopelvien) avant une éventuelle chirurgie avec curage ganglionnaire. Après la résection, l’analyse histologique va s’attacher à préciser la profondeur d’invasion, la présence ou non de budding significatif, la présence d’invasion lymphovasculaire et la présence ou non d’un composant peu différencié. En fonction de cette analyse histologique, et après un bilan d’extension vérifiant l’absence de maladie métastatique pour les cancers T1 (N+ ou M+), le risque de récidive ganglionnaire ou métastatique peut être évalué afin de déterminer si le malade est à très bas risque de récidive, à bas risque ou à haut risque, avant de décider d’une surveillance ou d’un traitement complémentaire en fonction de ce risque. Le traitement complémentaire dépend de la localisation de la lésion avec des stratégies néoadjuvantes de radiochimiothérapie dans le rectum alors que la chirurgie reste le traitement de 1re intention des lésions coliques à haut risque non métastatique. Après le traitement de ces lésions transformées, trois types de surveillance doivent alors être conduites en parallèle, la surveillance du risque de récidive locale lorsque la résection n’était pas R0, la surveillance du risque régionale et générale pour les lésions à risque de récidive ganglionnaire (bas et haut risque) et la surveillance du côlon restant pour la recherche des lésions métachrones colorectales.
Épidémiologie
Sur les 44 000 nouveaux cas de cancers colorectaux annuels, environ 20 % sont des formes superficielles d’adénocarcinomes T1 (1). Parmi ces cancers T1, plus de 90 % n’ont pas de métastase ganglionnaire au moment du diagnostic (2) et sont donc des maladies essentiellement à risque local et non régional. Le risque d’évolution métastatique étant plus important dans le rectum et le côlon gauche (15 %) que dans le côlon droit (< 3 %).
Qu’appelle-t-on une lésion transformée ?
La définition même des lésions transformées est un sujet de vive discussion. Si la dénomination cancer in situ, uniquement basée sur des données cytologiques sans invasion de la membrane basale n’est plus utilisée (carcinome in situ = dysplasie de haut grade), l’adénocarcinome intramuqueux correspond bien à une tumeur invasive puisque la lame basale est franchie avec une invasion du chorion, voire de la musculaire muqueuse. Pourtant, pour la plupart des auteurs européens, le cancer colorectal commence au stade T1b, c’est à dire avec les lésions envahissant la sous-muqueuse, que l’on appelle d’ailleurs cancer T1, excluant du débat les T1a. C’est à ce stade T1b que le risque de métastase ganglionnaire semble apparaître faisant passer la lésion d’une maladie assurément locale à une maladie à risque minime d’évolution régionale. Pourtant cette définition arbitraire est très discutable, et accepter que le piece meal soit suffisant pour l’intramuqueux mais pas pour le sous-muqueux semble une option très imprécise ! La dégénérescence des lésions coliques n’est pas homogène, il est exceptionnel de trouver une lésion transformée sans qu’une majorité de la lésion ne soit en dysplasie de bas ou de haut grade (non transformée). Pour aller plus loin, il n’est pas exceptionnel que les composants d’invasion sous- muqueuse démarrent à partir d’une zone plus large d’adénocarcinome intra-muqueux. En réalité, il existe un continuum entre les lésions dysplasiques et le point le plus invasif d’une lésion avec des zones de plus en plus invasives en se rapprochant du point le plus profond. Cela revient à dire que, compte tenu de la largeur des coupes anapath de 2 mm, découvrir un intra-muqueux doit conduire à la plus grande prudence car un foyer plus invasif pourrait partir d’une zone d’adénocarcinome intra-muqueux entre deux coupes. La figure 1 montre combien l’échantillonnage induit par les largeurs de section des pièces de dissection peut conduire à des résultats discordants.
En effet, à l’échelle d’une tumeur colique où les foyers d’invasion ne dépassent parfois pas le mm, avoir des coupes tous les 2 mm conduit forcément à une perte d’information, qui est tolérée certes car intégrée dans les études montrant les faibles risques de récidive en fonction de l’histologie. Cependant, il est tout de même indispensable de prendre du recul sur ce gold standard histologique dont la technique elle-même induit des erreurs d’échantillonnage et dont la reproductibilité inter-observateur est loin d’être parfaite. Une lésion transformée est une lésion invasive, c’est-à-dire contenant des cellules malignes capables d’envahir les structures adjacentes et cela existe dès le stade intra-muqueux. Pour ces lésions invasives, une résection carcinologique semble préférable de manière à obtenir une pièce orientée et fixée plutôt qu’une multitude de petis fragments où la détection de l’information devient aléatoire (figure 2).
Comment peut-on prédire l’histologie de la lésion avant de la réséquer ?
La meilleure technique de prédiction de l’histologie et de l’extension des lésions colorectales est la caractérisation endoscopique (3) qui est capable de séparer les lésions bénignes [cf. synthèse CONECCT figure 8, CONECCT IS et IIA (4)], les lésions à risque de malignité ou les lésions malignes mais superficielles (CONECCT IIC) et les lésions profondément invasive (CONECCT III, T1 avec invasion sous-muqueuse > 1 000 microns). En effet, l’IRM et l’écho-endoscopie sont mises en défaut pour le staging des tumeurs T1 (5) et c’est seulement dans le cas des lésions invasives profondes que l’IRM (dans le rectum uniquement) est un examen-clef pour évaluer le degré de cette invasion en profondeur (T2, T3 ou T4) et rechercher des ganglions. L’écho-endoscopie rectale peut également être utile pour les lésions mobiles ou en cas de contre-indication à l’IRM afin de prédire si la tumeur envahit ou non le muscle. En sus, le scanner thoraco-abdominopelvien est également utile, non pas pour préciser le stade T mais pour évaluer le statut ganglionnaire et métastatique à distance. Mais le point de départ commun à toutes ces prises en charge est bien la caractérisation endoscopique, obtenue au cours d’un examen diagnostic avancé, véritable examen d’expertise qui fait de l’endoscopiste un véritable aiguilleur de la prise en charge diagnostique et thérapeutique (figure 3). Sa décision se fera le plus souvent en temps réel, conduisant immédiatement à la prise en charge thérapeutique adaptée (mucosectomie par exemple) pour les lésions les moins suspectes de dégénérescence, ou de manière reportée, lorsque la lésion requiert un avis diagnostique extérieur (téléexpertise sur dossier photos), une prise en charge thérapeutique endoscopique par une autre technique (résection par dissection sous-muqueuse par exemple) ou un bilan d’extension avant une éventuelle chirurgie.
Peut-on prédire la transformation par les techniques de caractérisation endoscopique ?
En d’autres termes, s’agit-il ou non d’une lésion contenant un foyer d’adénocarcinome ou non ? Il existe deux types de raisonnement permettant de répondre à cette question selon que la zone de dégénérescence est visible ou non.
Les critères statistiques
Des critères statistiques associés au risque de dégénérescence existent en fonction de la forme macroscopique de la lésion notamment, ou encore l’existence d’un aspect en « peau de poulet » péri-lésionnelle même lorsque le cancer n’est pas clairement visible. Ces deux critères peuvent être étudiés à partir d’images en lumière blanche de la lésion, et la photo parfaite permettant de répondre à la question serait une image unique visualisant l’ensemble de la lésion de suffisamment loin (figure 4A) pour avoir toute la lésion mais de suffisamment près pour en déterminer la forme macroscopique (nodules, dépression…) et repérer des zones d’intérêt comme une zone déprimée, un nodule ou encore une zone rouge en lumière blanche (red sign) (6). Cette image, compromis entre la forme macroscopique entière et la netteté du détail, n’est pas toujours évidente à obtenir mais semble très utile pour prédire la taille et la durée d’intervention et guider les étapes de l’examen minutieux ultérieur des zones d’intérêt.
Sur la forme macroscopique, indépendamment de l’aspect du relief muqueux des cryptes (pit pattern) et des vaisseaux de surface (vascular pattern), il est possible de prédire le risque de cancer invasif. Dans l’étude japonaise du National Cancer center Hospital (7), le risque de cancer T1 (T1b exactement) était corrélé à la forme macroscopique des tumeurs à extension latérale LST (Laterally spreading tumours). Ainsi, les LST non granulaires pseudodéprimées (figure 5) sont les plus à risque avec près de 47 % de risque de cancer T1b devant les LST non granulaires planes ou surélevées. Pour ces LST non granulaires, la distribution de la dégénérescence n’est pas focale mais le plus souvent multifocale, et extrêmement difficile à localiser avant exérèse.
L’aspect en peau de poulet est un autre élément dont la présence est associée à un sur-risque de malignité (8) et qui doit être utilisé que comme un critère d’alerte, poussant à faire un examen encore plus minutieux et non comme un critère robuste pouvant à lui seul orienter la prise en charge.
La détection des zones d’intérêt
La deuxième étape de notre travail de photographe, cherchant par un minimum d’images à traduire le maximum d’information est de détecter les zones d’intérêt éventuelles, car ce qui nous intéresse est de détecter une éventuelle zone de dégénérescence dont l’histologie emportera la décision thérapeutique et le pronostic du patient. En effet, faire 200 photos de l’adénome de 10 cm a peu d’intérêt quand il contient aussi un foyer de cancer invasif profond à 1 000 microns sur quelques millimètres sur un foyer de la lésion (figure 3B, 3C). Repérer les zones de dégénérescence est parfois évident lorsqu’un nodule ou une dépression sont clairement identifiés (figure 7) dans la lésion mais peut parfois être plus difficile lorsque la zone est petite ou lorsque la forme macroscopique de la zone est peu différente du reste de la lésion. Le repérage des couleurs peut être utile car la densité vasculaire dans les zones de dégénérescence peut être différente du reste de la lésion créant alors un contraste spontané. Ce contraste se traduit par la présence de zones démarquées souvent rouges en lumière blanche et parfois encore plus évidente en utilisant les modes de chromoendoscopie virtuelle réhaussant le contraste vasculaire où elles apparaissent alors en vert (6).
Les critères visibles
Certains critères d’analyse fine de la lésion permettent de prédire la dégénérescence plus précisément que les statistiques macroscopiques. Pour bien les voir, il faut produire des images nettes, si possible zoomées, de la zone d’intérêt en chromoendoscopie virtuelle (et/ ou réelle). Ainsi la présence d’une zone démarquée de pattern plus irrégulier [Kudo Vi (9,10), Sano IIIa (11)] est associée à un risque plus élevé de foyers d’adénocarcinome qu’une lésion avec du pattern parfaitement régulier de type Sano II ou Kudo IV. Lorsqu’un foyer de pit pattern Vn est présent, on retrouve dans notre expérience quasiment toujours de l’adénocarcinome (95.7 % dans notre expérience) alors qu’en cas de pit pattern Vi (lésions CONECCT IIC), la fréquence des adénomes est beaucoup plus importante avec près de 65 % de lésions complétement bénignes. Il reste à évaluer la proportion d’adénocarcinome lorsque le pit pattern irrégulier est limité à une zone démarquée pouvant correspondre à une zone focale de dégénérescence.
Résultats de la caractérisation endoscopique (figures 8 et 9)
Lorsque l’on classe une lésion CONECCT IIA, son risque de contenir du cancer T1b est nul, et de ce fait, la mucosectomie fragmentée semble être la bonne solution thérapeutique pour combiner faible morbidité, accessibilité, et efficacité carcinologique. Pour les lésions CONECCT IIC, qui représentent une proportion importante des lésions, plus de 60 % des lésions sont en réalité des adénomes, mais il n’est pas possible à l’heure actuelle de différencier parmi ces lésions celles qui seront transformées et celles qui ne le sont pas encore. De ce fait, deux approches sont possibles selon l’accès et l’expertise en dissection sous-muqueuse. Soit on est en faveur de la dissection sous-muqueuse, et on considère qu’il vaut mieux traiter toutes ces lésions par dissection sous-muqueuse pour ne pas sous-traiter les 37 % d’adénocarcinomes contenus parmi les lésions CONECCT IIC, acceptant de faire des dissections un peu « abusives » dans 63 % des cas. Dans cette stratégie, toutes les lésions sont réséquées avec un objectif de R0, permettant d’avoir une analyse histologique de qualité carcinologique permettant d’évaluer le budding, l’infiltration lymphovasculaire et la profondeur d’invasion pour évaluer précisément et de manière individualisée le risque de récidive métastatique ganglionnaire. Cependant, cette qualité carcinologique ne rend vraiment service qu’aux patients avec lésion transformée. Si au contraire, on est en faveur de la mucosectomie et que l’on accepte d’avoir des résections fragmentées d’adénocarcinomes intramuqueux (25 %), et sous-muqueux (11 %), cela peut conduire dans un certain nombre de cas à des chirurgies de précaution adjuvantes pour ne pas méconnaître une forme de haut risque à risque de métastase ganglionnaire.
En réalité, il n’existe aucune étude randomisée entre mucosectomie fragmentée et dissection sous-muqueuse R0 pour évaluer l’information histologique perdue lorsqu’une pièce est coupée en multiples fragments plutôt qu’en monobloc R0. Pourtant, le poids d’un embole lymphovasculaire manqué est majeur puisque que le risque de métastase ganglionnaire est multiplié par 8 à 10 passant de 4 à 43 % (14), pour un budding manqué le risque passe de 12 à 70 % (15) alors qu’une mesure imprécise de la profondeur d’invasion a beaucoup moins d’impact (14). L’étude randomisée multicentrique nationale RESECT, coordonnée par Jérémie Jacques, permettra de répondre à cette question mais aussi d’évaluer le risque de récidive locale et l’intérêt médico-économique d’une stratégie de dissection sous-muqueuse par rapport à la mucosectomie fragmentée.
Peut-on prédire la profondeur d’invasion des lésions transformées ?
La prédiction de la profondeur d’invasion par caractérisation endoscopique est beaucoup plus efficace que la prédiction de la transformation superficielle (< 1 000 microns dans la sous-muqueuse).
En effet, la corrélation entre la prédiction superficielle et profonde est assez bonne avec les critères de pattern muqueux et vasculaire.
Les cancers superficiels ont généralement des reliefs muqueux irréguliers (Kudo Vi, Sano IIIa, CONECCT IIC, JNET 2B) mais conservés sans zone amorphe ou avasculaire. Ces lésions peuvent être discrètement déprimées mais non ulcérées. Au contraire, les lésions invasives profondes (> 1 000 microns) ont généralement des reliefs très altérés avec des zones amorphes (Kudo Vn) ou avasculaires (Sano IIIb) et peuvent avoir, dans les formes très invasives (> T2), des formes macroscopiques ulcérées (Paris III).
En réalité, les choses sont plus complexes et d’autres paramètres sont nécessaires pour trancher. Ainsi, par exemple, la taille de la zone Vn ou Sano IIIb est importante et, lorsque la zone focale de pattern invasif est petite (< 10 mm) ou très petite (< 6 mm), une partie des lésions aura une invasion superficielle (< 1 000 microns, lésion à très bas risque dans 30 % des cas) ou profonde sans autre critère péjoratif (lésion à bas risque dans 25 % des cas). Ainsi les indications de dissection sous-muqueuse sont maintenant étendues à des lésions CONECCT III focal (< 10 mm) car une partie des patients pourrait être guérie par dissection sous-muqueuse R0 sans chirurgie (figure 3).
Considérations techniques
Mucosectomie
La mucosectomie à l’anse a connu une révolution ces dernières années faisant même remettre en question l’intérêt et le caractère protecteur de l’injection sous-muqueuse. En tout cas, pour obtenir une résection En Bloc et a fortiori R0, il apparaît que la technique standard de mucosectomie n’est pas optimale et ne doit plus vraiment être utilisée en première intention. En effet, deux optimisations de la mucosectomie sont venues animer le débat avec d’une part la mucosectomie avec ancrage (avec injection sous-muqueuse) (16,17) et d’autre part la mucosectomie sous-marine sans injection sous-muqueuse (18). Dans un essai randomisé japonais récent, le taux de résection En Bloc pour les lésions de 15 à 25 mm passait avec l’ancrage de 73 à 90.2 % (19). En parallèle, la technique de mucosectomie sous-marine a montré des bénéfices similaires passant de 75 à 89 % de résections En Bloc et de 50 à 69 % de résections R0 (20). En attendant des données comparatives et des critères de jugement (festonnée versus adénome) pour choisir entre sous-marine et ancrage, toute résection de lésion de 15 à 25 mm avec une volonté de En Bloc doit être tentée avec une version optimisée de la mucosectomie.
Pour les lésions de diamètre supérieur à 25 mm, la résection sera le plus souvent fragmentée. Là encore, les choses ont évolué avec l’apparition de technique de résections fragmentées à l’anse froide, qui semblent surtout adaptée pour les lésions peu épaisses comme les festonnées. Pour cette technique, l’injection sous-muqueuse n’est pas indispensable et des données complémentaires sont nécessaires pour le confirmer. Pour les adénomes épais, la technique de mucosectomie fragmentée conventionnelle, en étant le plus jointif possible, semble encore la référence.
Une évolution majeure à intégrer dans toutes nos résections fragmentées est de détruire les berges après la résection par du courant de coagulation douce afin de diminuer, voire de quasi annuler, le risque de récidive locale tel que décrit par nos collègues australiens (21).
Dissection
La dissection en 2021 est une dissection optimisée, avec des outils de nouvelle génération multifonctions, qui ne s’envisage plus sans système de traction dans les services expérimentés (22). D’une traction simple, nous sommes passés à une traction multipolaire sur l’ensemble de la lésion afin d’exposer le plan sous-muqueux au mieux et gagner du temps et renforcer la sécurité (23). La technique est efficace, à faible risque avec environ 0.5 % de risque de chirurgie pour complication et une mortalité nulle dans toutes les séries.
Décision en RCP tumeur superficielle
Critères histologiques attendus
Pour prendre en charge les lésions superficielles colorectales, le binôme endoscopiste/ anatomo-pathologiste est d’importance capitale. En effet, si l’expertise endoscopique est indispensable pour bien caractériser et bien réséquer les lésions, l’expertise anatomopathologique est peut-être encore plus importante.
L’expertise du service d’anatomopathologie débute par le travail des techniciens qui vont photographier, et effectuer la prise en charge macroscopique de la lésion. La coupe de la lésion est très exigeante afin de pouvoir répondre à la question des marges latérales.
En effet, selon la technique de coupe et le positionnement des coupes après examen macroscopique de la pièce, il est possible ou non de détecter la marge positive qui fait de cette résection une résection R1 (figure 10b) et non R0 (figure 10a).
Une fois les lames produites (et/ ou numériser), les informations nécessaires pour statuer sur le risque d’évolution métastatique ganglionnaire de la lésion sont :
- Le degré d’invasion en distinguant les intramuqueux (chorion ou contact avec la musculaire muqueuse sans la franchir) des cancers T1 dont l’invasion sous-muqueuse est prouvée.
- La profondeur d’invasion mesurée au micromètre en utilisant une des techniques de mesure et en la précisant clairement car des discordances importantes peuvent exister selon la méthode de mesure [Kitajima (24), Ueno (25) ou JSCCR (26)]. Ainsi, lorsque la musculaire muqueuse peut être identifiée, la mesure de la profondeur d’invasion sous-muqueuse se fait à partir du niveau de la musculaire muqueuse alors que si elle est détruite ou non identifiable, la mesure se fait depuis la surface de la lésion donnant alors des chiffres d’invasion beaucoup plus élevés. Pour l’instant, il n’existe pas encore de données comparatives permettant aux anatomopathologistes de choisir la meilleure technique de mesure.
- La différenciation tumorale avec la description des contingents indifférenciés avec ou sans cellules indépendantes.
- La présence de bourgeonnement tumoral (Budding) sur le front d’invasion et son classement en budding minime (Bd1) ou significatif (Bd2 ou Bd3) (27).
- La présence d’une infiltration lymphovasculaire (terme de la littérature en anglais), que l’on qualifie souvent d’emboles en français, et qui peuvent être lymphatiques (facteur de risque de métastases ganglionnaires) ou veineuses (facteur de risque de métastases à distance).
Il sera probablement très important à l’avenir de savoir si l’analyse a été faite avec ou sans technique d’immunohistochimie (et lesquelles) pour déterminer la sensibilité de l’analyse microscopique selon la technique utilisée par l’anatomo-pathologiste.
Risque de récidive ganglionnaire des cancers T1 et conséquences
Risque nul
Les adénocarcinomes intramuqueux ont un risque nul d’évolution métastatique ganglionnaire et leur résection R0 conduit à une résection curative. Par contre, une coloscopie de contrôle à un an est recommandée comme pour tous les adénocarcinomes coliques afin de dépister les lésions synchrones qui auraient pu être manquées au moment de la coloscopie initiale, focalisée sur la lésion péjorative.
Très bas risque
Dans les recommandations ESGE, sont définies comme à très bas risque de récidive ganglionnaire (< 1 %) les lésions sm1 (< 1 000 microns), bien différenciées, sans infiltration lymphovasculaire ni budding significatif (Bd0 ou Bd1).
Pour ces lésions, la surveillance par imagerie se discute pour un risque de récidive métastatique < 1 %. Elle n’est pas recommandée aux Pays-Bas mais dans notre centre par exemple, nous avons décidé de suivre les patients par un TDM TAP annuel pendant 5 ans associé à la coloscopie à un an qui elle est recommandée par l’ESGE.
Bas risque
Cette notion de bas risque est nouvelle en France et concerne les lésions T1 avec invasion sous-muqueuse > 1 000 microns sans autre critère péjoratif (bien différenciées, sans infiltration lymphovasculaire ni budding significatif) dont le risque de récidive ganglionnaire est de l’ordre de 3 %. Pourtant les Hollandais ont d’ores et déjà franchi le pas en ne demandant plus à leurs anatomopathologistes de mesurer la profondeur d’invasion car leur méta-analyse sur plus de 21 000 cancers T1 montre que la profondeur d’invasion n’est pas un facteur de risque indépendant et surtout que la chirurgie prophylactique systématique ne protège pas significativement du risque de récidive chez ces patients (28). Quand les chiffres de la colectomie montrent jusqu’à 1.7 % de mortalité aux Pays-Bas, et plus de 20 % de morbidité, toute recommandation de chirurgie adjuvante pour un risque bas de récidive devrait être pesée et exposée au patient dans une discussion partagée.
Haut risque
Pour toutes les autres lésions T1, c’est à dire avec budding significatif ou infiltration lymphovasculaire ou composant indifférencié, les risques d’évolution métastatique ganglionnaire dépassent largement les 10 % et le bilan d’extension en vue de la chirurgie adjuvante est obligatoire.
En cas de lésion rectale à haut risque avec un seul critère péjoratif, et en l’absence d’atteinte ganglionnaire de voisinage ou métastatique à distance, des stratégies de conservation rectale avec traitement adjuvant de type radiochimiothérapie sont en cours d’évaluation.
En conclusion, la prise en charge des lésions transformées est évolutive et complexe mais très exigeante en termes de compétences diagnostiques et thérapeutiques. Le premier rôle de l’endoscopiste, une fois la lésion détectée, est de la caractériser par endoscopie avancée afin de choisir la meilleure stratégie thérapeutique pour la lésion et pour le patient. Une fois caractérisée, le choix thérapeutique dépend du terrain du patient, du type de lésion et en particulier de son risque d’atteinte adénocarcinomateuse avec envahissement sous-muqueux ainsi que de l’expertise locale pour chacune des techniques. L’avantage majeur de la dissection sous-muqueuse par rapport à la musosectomie est d’offrir à toutes les lésions à risque l’opportunité d’avoir une résection de qualité carcinologique ainsi qu’une analyse histologique optimale. Le traitement par mucosectomie des lésions accessibles en dissection expose à des traitements insuffisants et la discussion en RCP est toujours sensible : doit-on opérer ou non un patient du fait de la perte d’information induite par le piece meal ou peut-on être optimiste et considérer le malade guéri malgré une histologie suboptimale ?
En 2021, il semble difficile de ne pas intégrer le patient dans ce choix. Il est alors nécessaire de lui présenter d’une part le sur-risque minime de la dissection pour une prise en charge optimale, plus précise, et d’autre part, si ce sur-risque n’est pas acceptable, évoquer la mucosectomie piece meal plus sûre mais à risque de perte d’information et de récidive locale. L’inconvénient principal de la dissection sous-muqueuse par rapport à la mucosectomie reste sa faible disponibilité sur le territoire et l’absence de prise en charge financière adaptée (cotation et remboursement de l’acte ainsi que prise en charge des surcoûts matériels liés à la technique). Après résection à visée curative, l’histologie reste le juge de paix pour classer la lésion en sans risque (adénomes, adénocarcinome intramuqueux), à très bas risque (T1 sm1, LVI -, Budding-, bien ou moyennement différencié), à bas risque (T1 sm2 ou sm3, LVI -, Budding -, bien ou moyennement différencié) ou à haut risque (Budding +, LVI +, peu différencié). En fonction, la prise en charge adjuvante (bilan d’extension, chirurgie et surveillance ultérieure) sera décidée.
Références
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- Okabe S, Shia J, Nash G, et Lymph node metastasis in T1 adenocarcinoma of the colon and rectum. J Gastrointest Surg 2004; 8: 1032–1039; discussion 1039-1040. doi:10.1016/j.gassur.2004.09.038
- Sumimoto K, Tanaka S, Shigita K, et al. Clinical impact and characteristics of the narrow-band imaging magnifying endoscopic classification of colorectal tumors proposed by the Japan NBI Expert Team. Gastrointest Endosc 2016. doi:10.1016/j.gie.2016.07.035
- Fabritius M, Jacques J, Gonzalez J-M, et al. A simplified table mixing validated diagnostic criteria is effective to improve characterization of colorectal lesions: the CONECCT teaching. Endoscopy International Open 2019; in press
- Salinas HM, Dursun A, Klos CL, et al. Determining the need for radical surgery in patients with T1 rectal Arch Surg 2011; 146: 540–543. doi:10.1001/archsurg.2011.76
- Lafeuille P, Fenouil T, Bartoli A, et Green-colored areas in laterally spreading tumors on narrow-band imaging: a future target for artificial- intelligence-assisted detection of malignancies? Endoscopy 2021. doi:10.1055/a-1488-6297
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