Quelles lésions coliques réséquer endoscopiquement dans les MICI ?

POST'U 2022

MICI

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les conditions de réalisation de la coloscopie
  • Connaître la sémiologie et la classification des lésions endoscopiques
  • Savoir identifier les lésions à réséquer
  • Connaître les protocoles de biopsies coliques en présence de lésions à réséquer

Les 5 points forts

  1. Le risque de cancer colorectal au cours des MICI reste le double de celui de la population générale malgré une amélioration régulière du dépistage.
  2. Le dépistage de la dysplasie colique est réalisé à un rythme adapté aux facteurs de risque individuels.
  3. Le dépistage optimal nécessite l’utilisation de coloscopes haute définition associés aux colorations vitale, voire virtuelle. Les biopsies ciblées sont préférables aux biopsies systématiques, sauf en cas de risque très élevé de dysplasie (muqueuse très remaniée, cholangite sclérosante primitive).
  4. La sémiologie des lésions dysplasiques des MICI est actuellement simplifiée. Leur description doit être rigoureuse pour prendre la bonne décision thérapeutique.
  5. La résection endoscopique est le traitement de référence des lésions n’ayant pas de critère formel d’invasion sous-muqueuse profonde.

LIEN D’INTÉRÊTS

Laboratoire Norgine

MOTS-CLÉS

Dépistage, chromo-endoscopie, résection endoscopique

Justification et modalités du dépistage endoscopique de la dysplasie colique au cours des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI)

L’amélioration de la prise en charge des MICI, dont les objectifs thérapeutiques se sont précisés, ainsi que le nombre et l’efficacité des traitements actuels, a permis une réduction du risque de cancer colorectal (CCR) qui demeure cependant toujours supérieur à celui de la population générale. Ainsi, une étude en population scandinave récente, montre une réduction du surrisque de CCR au cours des MICI depuis les années 1990, mais qui reste deux fois supérieur à celui de la population générale dans la période la plus récente de l’étude (1). De manière parallèle, les progrès techniques de l’endoscopie, permettant de mieux détecter et de mieux traiter les lésions dysplasiques coliques, ont fait évoluer les pratiques du dépistage et les recommandations internationales dans ce domaine. Ainsi les dernières recommandations européennes (2) et nord-américaines (3), proposent d’adapter le rythme de surveillance aux caractéristiques individuelles de chaque patient et de personnaliser le suivi.

Qui dépister ?

Tous les patients dont la rectocolite hémorragique dépasse le rectum ; les formes limitées au rectum (E1) n’ayant pas de surrisque de CCR, leur dépistage endoscopique suit les mêmes règles que celles de la population générale. Le dépistage par la recherche de saignement occulte dans les selles n’est pas indiqué pour les sujets atteints de MICI en raison du taux élevé de faux positifs. Le dépistage concerne également les patients ayant une maladie de Crohn colique jugée significative (2-3). Ce critère n’est pas strictement défini, mais la majorité des experts l’estiment à une atteinte de plus d’un tiers du côlon. Dans les deux types de MICI, il faut prendre en compte l’extension histologique des lésions (établies grâce à la réalisation de biopsies systématiques étagées à visée diagnostique), si celle-ci est plus étendue que l’attente macroscopique.

Quand débuter le dépistage ?

Il est classiquement recommandé de débuter le dépistage de la dysplasie colique 8 ans après le diagnostic de la MICI. Il est utile, lors de cette première endoscopie de dépistage, de refaire des biopsies étagées pour préciser l’extension histologique de la maladie. Cependant, chez les patients avec une cholangite sclérosante primitive (CSP), transplantée ou non, chez qui le risque de CCR est très élevé, le dépistage débute au diagnostic de la MICI.

Comment dépister ?

Les points suivants sont à respecter pour un dépistage de qualité :

  • Le dépistage doit être effectué dans une phase quiescente de la maladie, en l’absence de lésions inflammatoires dont les remaniements muqueux gênent le diagnostic macroscopique et souvent histologique des lésions Chez un patient ayant des signes d’activité inflammatoire, si une optimisation thérapeutique est possible et si cela est raisonnable, il vaut souvent mieux différer le dépistage de quelques mois (en discutant des bénéfices/risques de ce report au cas par cas).
  • S’assurer de la très bonne qualité de la préparation colique en sensibilisant les patients, à l’importance de cet enjeu pour leur surveillance.
  • Utiliser de préférence des endoscopes haute définition (HD).
  • Utiliser des techniques de coloration vitale (indigo carmin) ou virtuelles (numérique par traitement d’image selon la technologie de chaque fabricant) dont la supériorité à détecter les lésions dysplasiques par rapport à un examen en lumière blanche a été démontrée dans plusieurs séries issues de centres experts et une méta-analyse de 4 essais randomisés avec un gain de détection de la dysplasie de 60 % (4). La coloration vitale utilise de l’indigo carmin, généralement à la dilution de 0,1 % (5). Il est commode d’utiliser la solution colorée directement dans la pompe de lavage, plutôt que par un cathéter spray, ce qui permet d’utiliser le canal opérateur pour réaliser les biopsies, et de gagner du temps. Des études récentes, reprises dans une méta-analyse (6), montrent une équivalence de performance diagnostique entre les colorations vitales et virtuelles. En cas de CSP associée, les remaniements pseudo-villeux de la muqueuse et le risque élevé de lésions dysplasiques peu détectables font généralement préférer une coloration vitale et la réalisation de biopsies systématiques étagées multiples, en plus des biopsies ciblées sur les anomalies visibles.
  • Prendre le temps de bien analyser la muqueuse. Le temps minimal d’analyse n’est pas mentionné dans les recommandations, mais l’usage et le bon sens suggère qu’il doit être supérieur à 10 minutes.
  • La réalisation de biopsies dépend de la technique de diagnostic utilisée, selon l’expertise propre de chaque En cas de chromo- endoscopie (vitale ou virtuelle), et si l’endoscopiste est entraîné à la détection des lésions dysplasiques, seule l’exérèse des lésions visibles est requise. Il n’est plus recommandé de biopsier systématiquement la muqueuse avoisinante à la zone réséquée si cette muqueuse a un aspect normal. Les lésions visibles, non résécables, sont biopsiées. La rentabilité des biopsies aléatoires à identifier des lésions dysplasiques « invisibles » est très faible ; 0,2 % par biopsie aléatoire dans l’étude DYSCO du GETAID (7). En cas de coloscopie réalisée en lumière blanche avec un endoscope non HD (situation rare en 2022), il est toutefois recommandé de pratiquer de biopsies systématiques aléatoires (4 biopsies tous les 10 cm), et des biopsies additionnelles dans les zones où des lésions dysplasiques ont été réséquées lors de coloscopies précédentes. Les biopsies aléatoires sont également conseillées en cas de CSP et d’antécédent personnel de dysplasie.

À quel rythme faut-il dépister ?

Le rythme de la surveillance sera adapté aux caractéristiques spécifiques de chaque patient (son risque génétique et ses pathologies associées, CSP etc.), aux caractéristiques évolutives de sa maladie inflammatoire colique (extension et durée d’activité non contrôlée) ainsi qu’aux constatations endoscopiques et histologiques des examens antérieurs. Le rythme recommandé est résumé sur le tableau 1 (d’après Murthy S. et al, 3).

Tableau 1 : Rythme de la surveillance endoscopique recommandé à partir de la dernière endoscopie sans dysplasie détectée, en fonction des caractéristiques individuelles (d’après Murthy S. et al, 3)

Délai du dépistage endoscopique de la dysplasie colique par rapport à la dernière endoscopie sans dysplasie détectée

Adapté aux ATCD de dysplasie, du risque individuel et des caractéristiques de la muqueuse colique

1 an 2-3 ans 5 ans
• Muqueuse inflammatoire (modérée à sévère)
• CSP
• ATCD familial de CCR au premier degré < 50 ans
• Pseudopolypes nombreux
• ATCD de dysplasie « invisible » ou dysplasie de haut grade réséquée < 5 ans
• Muqueuse inflammatoire (minime)
• ATCD familiaux de CCR sans parents 1er degré < 50 ans
• Muqueuse cicatricielle témoignant d’une colite intense (pseudopolypes modérés, cicatrices fibreuse, colon tubulé)
• ATCD de dysplasie « invisible » ou dysplasie de haut grade reséquée > 5 ans
• ATCD de dysplasie de bas grade reséquée < 5 ans
Rémission clinique depuis le dernier examen avec cicatrisation muqueuse macroscopique, et au moins 1 critère suivant :

• Au moins 2 coloscopies consécutives sans dysplasie
• Extension antérieure des lésions limitée (rectite E1 pour la RCH, < 1/3 du côlon pour la MC)

ATCD = antécédent, MC = Maladie de Crohn. E1 = rectite selon la classification de Montréal.

Détection des lésions

La pathogénie de la dysplasie recto-colique au cours des MICI est différente de celle du cancer colo-rectal sporadique et aboutie à des lésions différentes. Il est important de préciser que les patients atteints de MICI sont susceptibles de développer également des adénomes/CCR sporadiques, qu’il y ait ou non une atteinte recto-colique de la maladie (8). Les lésions muqueuses contenant de la dysplasie recto-colique associée aux MICI sont typiquement multifocales, planes ou discrètement surélevées, à l’inverse des lésions polypoïdes rencontrées dans le CCR sporadique. L’aspect parfois informe des lésions avait amené aux définitions de DALM (dysplasia adenoma like mass) et ALM (adenoma like mass) en fonction de l’aspect endoscopique et de la localisation en zone inflammatoire ou non. On ne doit plus utiliser ces définitions depuis le consensus SCENIC de 2015 (5). L’opérateur doit être particulièrement attentif à toute variation de couleur, forme ou relief de la muqueuse, y compris l’interruption des sillons muqueux. Toute déformation de la paroi du côlon doit attirer l’œil, à la recherche notamment d‘une lésion discrètement surélevée. Le caractère friable, fragile, saignant au contact, d’un relief, même minime, doit alerter. Un érythème, ou une disparition de la trame vasculaire sous-muqueuse, même focales, doivent suggérer l’existence d’une lésion dysplasique. A fortiori, l’identification d’une structure villeuse, voire nodulaire, doit retenir l’attention. Toutes ces zones mériteront un examen minutieux, avec des manœuvres d’insufflation/exsufflation pour tenter de préciser le relief et une documentation photographique (9,10). Enfin, le concept de dysplasie « plane » doit être abandonné au profit de celui de lésion visible ou invisible, qu’elle soit plane ou pas (3).

Caractérisation des lésions

Toutes les lésions ne présentant pas de signe d’envahissement sous-muqueux profond à la caractérisation endoscopique devront être réséquées endoscopiquement ou être confiées à un centre expert. Après l’étape de détection, l’étape de caractérisation est indispensable et nous aidera à définir le caractère résécable de la lésion. L’utilisation combinée d’un endoscope haute définition et d’une chromo-endoscopie vitale à l’indigo carmin faiblement dilué est indispensable pour définir les différents critères de résécabilité : marges latérales (visibles ou invisibles), forme (classification de Paris), taille, caractéristiques glandulaires et vasculaires de surface, aspect de la muqueuse alentour. L’histogénèse de la dysplasie dans les MICI étant différente, les classifications de Kudo, Sano, CONECCT qui prédisent l’histologie des lésions en fonction du « pit pattern » et « vascular pattern » sont moins adaptées dans le dépistage de la dysplasie dans les MICI. Utilisant les caractéristiques de SCENIC, Sugimoto et al. ont classifié les aspects compatibles avec de la dysplasie de haut grade : lésion plane, érythémateuse et de localisation colique gauche (5). Il faudra également préciser pour toute lésion l’existence d’ulcérations/lésions élémentaires inflammatoires associées, la topographie sur une zone antérieurement inflammatoire macroscopiquement ou histologiquement. La classification FACILE (Frankfurt Advanced Chromoendoscopic IBD LEsions) a pour objectif de diagnostiquer les lésions dysplasiques. Une lésion avec peu de relief et un aspect irrégulier des glandes et des vaisseaux de surface et des signes d’inflammation alentour est fortement à risque d’être dysplasique (11).

Traitement endoscopique des lésions

La caractérisation permet de décider le traitement adéquat. Celui-ci sera endoscopique tant qu’il n’y a pas de signe d’invasion sous-muqueuse profonde. La règle est la résection endoscopique, immédiate ou différée de l’endoscopie diagnostique, en ce dernier cas, après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) MICI et double lecture histologique des éventuelles biopsies. La résection devra être monobloc afin d’être curative et sera réalisée dans des conditions de rémission (ou au moins de contrôle) clinique, endoscopique, voire histologique. Les critères de résection complète sont des marges lésionnelles bien définies en endoscopie, une résection endoscopique complète confirmée histologiquement, avec des biopsies réalisées sur la muqueuse adjacente à la lésion, indemnes de dysplasie réalisées en cas de doute sur le caractère complet de l’exérèse.

Les deux techniques possibles sont soit la mucosectomie standard (EMR), soit la dissection sous-muqueuse (ESD). Du fait d’une fibrose sous- muqueuse majeure dans les MICI (70 à 100 % des lésions), la résection endoscopique est difficile et le signe du non-soulèvement ne doit pas être interprété trop hâtivement comme un signe de non-résécabilité. L’ESD est possible mais sera réalisée par un opérateur aguerri à cette technique et préférée à l’EMR si la lésion fait plus de 20 mm, présente des signes d’invasion superficielle, est plane et donc difficile à attraper à l’anse.

Contrairement à l’ESD colique pour des lésions sporadiques, dans les MICI, il faudra faire un marquage des contours de la lésion et une incision des contours suffisamment à distance de la lésion (3-5 mm) afin de faciliter le passage sous-muqueux gêné par la fibrose sous-muqueuse. Il n’y a pas plus de complications que chez les patients non MICI mais il y a plus de récidive locale (4 à 20 %) et jusqu’à 20 % de colectomie post-ESD (pT1 avec emboles vasculaires, pT1 avec envahissement sous-muqueux supérieur à 1 000 m et de la dysplasie invisible sur les marges) (12). Rappelons qu’une fois réséquée, toute lésion dysplasique doit faire l’objet d’une confirmation histologique en double lecture.

En cas d’exérèse endoscopique de lésions dysplasiques, quel qu’en soit le grade, ou de dysplasie de bas grade invisible multifocale, la surveillance endoscopique doit être rapprochée (3). À 12 mois en cas d’exérèse complète d’une lésion de bas grade unifocale. À 3 ou 6 mois, en cas d’exérèse complète d’une lésion de haut grade unique, ou de lésions de bas grade multiples, visibles ou non. En cas d’exérèse incomplète, le contrôle par un endoscopiste expert doit être réalisé dans les 3 mois.

La chirurgie est donc indiquée dans les situations suivantes :

  • Lésion jugée non résécable endoscopiquement en raison de sa taille, sa localisation, ses caractéristiques (aspect en faveur d’un cancer invasif, fibrose sous-muqueuse importante, limites non visibles) ;
  • Cancer invasif sur la pièce d’exérèse endoscopique ;
  • Lésion dysplasique d’exérèse incomplète malgré au moins une tentative par un endoscopiste expérimenté, ou récidive locale précoce ;
  • Persistance de lésions de dysplasie de haut grade ou de dysplasie de bas grade « invisible » multifocale sur l’endoscopie de contrôle (3-6 mois) ;
  • Les sténoses infranchissables des MICI et les sténoses franchissables compliquant une RCH doivent faire l’objet d’une discussion au cas par cas, ainsi que les pseudopolypes multiples.

Bibliographie

  1. Olén O, Erichsen R, C Sachs M, et al. Colorectal cancer in ulcerative colitis: a Scandinavian population-based cohort study. Lancet. 2020 Jan 11;395(10218):123-131.
  2. Maaser C, Sturm A, Vavricka S, et ECCO-ESGAR Guideline for Diagnostic Assessment in IBD Part 1: Initial diagnosis, monitoring of known IBD, detection of complications. J Crohns Colitis. 2019 Feb 1;13(2):144-164.
  3. Murthy S, Feuerstein J, Nguyen G, et al. AGA Clinical Practice Update on Endoscopic Surveillance and Management of Colorectal Dysplasia in Inflammatory Bowel Diseases: Expert Gastroenterology. 2021 Sep ;161(3):1043-1051.e4.
  4. Wan J, Wang X, Ping Yang Z, et al. Systematic review with meta-analysis: Chromoendoscopy versus white light endoscopy in detection of dysplasia in patients with inflammatory bowel disease J Dig 2019 Apr;20(4):206-214.
  5. Sugimoto S, Naganuma M, Ixao Y, et Endoscopic morphologic features ogulcerativecolitis-associated dysplasia classified according to the SCENIC consensus statement. GastrointestEndosc. 2017;85:639-646
  6. El-Dallal M, Chen Y, Lin Q, et al. Meta-analysis of Virtual-based Chromoendoscopy Compared With Dye-spraying Chromoendoscopy Standard and High-definition White Light Endoscopy in Patients With Inflammatory Bowel Disease at Increased Risk of Colon Inflamm Bowel Dis. 2020 Aug 20;26(9):1319-1329.
  7. Moussata D, Allez M, Cazals-Hatem D, et al. Are random biopsies still useful for the detection of neoplasia in patients with IBD undergoing surveillance colonoscopy with chromoendoscopy? Gut. 2018 Apr;67(4):616-624.
  8. Beaugerie L, Itzkowitz Cancers Complicaiting Inflammatory Bowel Disease. N Engl J Med. 2015;373(2):195
  9. Dray X. Surveillance endoscopique dans les MICI : comment dépister la dysplasie ? FMCHGE. POST’U 2017.
  10. Soetikno R, Sanduleanu S, Kaltenbach An atlas of non polypoid colorectal neoplasms in inflammatory bowel disease. Gastrointest Endosc Clin N Am. 2014;24(3):483-520
  11. Lacucci M, McQuaid K, Sean Gui X, et A multimodal (FACILE) classification for optical diagnosis of inflammatory bowel disease associated neoplasia. Endoscopy 2019;51:133-141
  12. Yang DH, Kim J, Song EM, et al. Outcomes of ulcerative colitis-associated dysplasia patients referred for potential endoscopic submucosal dissection. J Gastroenterol Hepatol. 2019;34(5):1581-1589