Thérapies non conventionnelles et cancer digestif : que dire au malade ?
POST'U 2022
Cancérologie
Objectifs pédagogiques
- L’alimentation et le jeûne
- Le cannabis
- La phytothérapie
- Comment éviter les dérives « sectaires » ?
Les 5 points forts
- Les soins oncologiques de support sont l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades, parallèlement aux traitements spécifiques. Les thérapies non conventionnelles se différencient des soins de support conventionnels par leur niveau de preuve scientifique insuffisant.
-
Il est fondamental d’interroger les patients sur leur utilisation de thérapies non conventionnelles afin de les informer des effets et risques potentiels
de ces pratiques. -
Le jeûne et les régimes alimentaires restrictifs n’ont pas démontré d’intérêt sur la prévention des cancers, la tolérance des traitements ou le
pronostic des cancers. - Le cannabis doit encore faire la preuve de son efficacité et de son innocuité en cancérologie (expérimentation en cours).
- L’utilisation de la phytothérapie au cours du cancer nécessite une vigilance car elle peut exposer à des risques d’interactions avec le traitement conventionnel.
LIEN D’INTÉRÊTS
Aucun conflit d’intérêt en lien avec le sujet
MOTS-CLÉS
Thérapies non conventionnelles – Soins oncologiques de support – Cancer digestif
ABRÉVIATIONS
TNC : thérapies non conventionnelles SOS : soins oncologiques de support
Une thérapie non conventionnelle est-elle un soin de support en oncologie ?
Les thérapies non conventionnelles (TNC), aussi appelées pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, regroupent des approches, des pratiques, des produits de santé qui ne sont habituellement pas considérées comme faisant partie de la médecine conventionnelle, à un endroit et à une période données (définition du National Center for Complementary and Alternative Medicine).
Les soins oncologiques de support (SOS), définis lors du plan cancer 2007-2003, sont « l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades, parallèlement aux traitements spécifiques, lorsqu’il y en a, tout au long des maladies graves ».
En cancérologie et en France, c’est souvent dans le cadre des soins de support que ces TNC ont pu trouver leur place. Les soins oncologiques de support comprennent :
- Les pratiques dites conventionnelles basées sur des preuves établies par des méthodes scientifiques avec des niveaux de preuves suffisants (médicaments antalgiques, techniques de radiologie interventionnelle…).
- Les thérapies non conventionnelles dont le niveau de preuve scientifique reste Elles peuvent être perçues comme efficaces par des personnes malades qui y ont recours. Ces pratiques nécessitent d’utiliser ou de développer des méthodes d’évaluation validées notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales. Pour certaines d’entre elles, l’objectif à terme est de les identifier comme des pratiques conventionnelles recommandables en toute sécurité pour les patients (ce qui a été le cas par exemple de l’activité physique adaptée).
Le concept de cancérologie intégrative, initialement développé en Amérique du nord, combine des approches conventionnelles et complémentaires de manière coordonnée, dans le cadre d’une démarche participative interdisciplinaire et pluri professionnelle (1). Il est important de comprendre que la notion d’intégration n’est pas ici entendue comme l’absorption d’un système par un autre mais bien comme la mise en place d’une coordination et d’une recherche de synergie. Ce distinguo est fondamental pour penser une médecine intégrative qui puisse s’inscrire dans une réelle avancée thérapeutique.
Utilisation des TNC en cancérologie digestive
En cancérologie digestive, comme en cancérologie générale, le recours à des pratiques non conventionnelles est fréquent avec des chiffres de prévalence allant jusqu’à 75 % dans la population de patients atteints de cancer colorectal (2,3). Les thérapies les plus utilisées sont la phytothérapie, l’homéopathie et les techniques de relaxation. L’objectif de cette utilisation pour les patients est, dans la plupart des cas, d’améliorer la santé générale et le bien-être. Une grande part des utilisateurs débute l’utilisation de TNC après le diagnostic de cancer, souvent avec des niveaux élevés de satisfaction à l’égard de ces thérapies (4). Les patients ont recours à ces thérapies à tous les moments de leur prise en charge (5).
Quels sont les risques des TNC ?
Sous couvert d’une communication réductrice (naturel = sans danger), l’utilisation de ces pratiques n’apparaît pas pour les patients comme potentiellement à risque. Les risques sont pourtant de trois ordres :
- Un retard au diagnostic et à la prise en charge du malade par la médecine conventionnelle. Ce risque est d’autant plus important quand la thérapie est utilisée de façon alternative et fait le lit de dérives sectaires. L’étude de Johnson a montré que les patients ayant utilisé des thérapies non conventionnelles étaient plus susceptibles de refuser un traitement anticancéreux conventionnel et avaient une survie globale moindre que les non utilisateurs de ces thérapies (6).
Les dérives sectaires se caractérisent « par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société » (7).
En pratique, les patients atteints de cancer discutent peu avec l’équipe médicale de leur utilisation de TNC et les médecins initient rarement ce dialogue spécifique (8).
Les patients ont donc besoin d’informations pour être accompagnés dans leur choix d’utilisation de TNC, d’autant que le médecin reste pour eux la source d’information la plus fiable (5). Il est donc primordial que le soignant instaure un dialogue avec son patient pour lui donner une information minimale et objective sans jugement. Pour cela, le soignant doit être sensibilisé au sujet et doit interroger son patient. Fermer la porte au dialogue serait prendre le risque de voir un jour le patient quitter le système de soins conventionnels, à la recherche d’une écoute et d’une prise en charge plus globale. C’est souvent dans cette situation extrême qu’il se met le plus en danger. - Une toxicité directe de certaines des substances utilisées sur l’organisme (anaphylaxie, toxicité hépatique, insuffisance rénale…) (9,10).
- Les interactions possibles avec le traitement conventionnel (11,12,13), soit par interaction pharmaco-dynamique (substance pouvant soit potentialiser, soit diminuer l’effet d’un médicament par une action pharmacologique agoniste ou antagoniste) soit par interaction pharmacocinétique (substance pouvant modifier l’absorption, la distribution, le métabolisme ou l‘élimination du médicament notamment par les interactions au niveau de la voie des iso enzymes du cytochrome P450 ou de la glycoprotéine P) (14).
la phytothérapie
La phytothérapie dont l’objectif est de traiter ou prévenir des maladies par l’usage des plantes est à risque de toxicité directe ou d’interaction avec le traitement conventionnel.
En France, les plantes peuvent être conditionnées en produit médicamenteux (phytomédicaments) ou non (compléments alimentaires). Dans le cadre des phytomédicaments, les plantes inscrites sur la liste des plantes médicinales font l’objet de contrôles de qualité réalisés avant la commercialisation, et leur circulation est soumise à une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les compléments alimentaires sont des produits non médicamenteux dont la qualité est garantie par le fabricant et ne sont encore soumis qu’à une réglementation embryonnaire. La commercialisation des compléments alimentaires ne nécessite pas d’AMM individuelle. L’industriel est responsable de la conformité des compléments alimentaires commercialisés avec les dispositions réglementaires en vigueur, tant en matière de sécurité que d’information du consommateur.
Les produits utilisés en phytothérapie ont des contenus phytochimiques très variables d’un produit à un autre tant dans leurs compositions que dans leurs concentrations (15). On observe egalement une variabilité des propriétés de libération du produit et de leur biodisponibilité en fonction des différentes subtances commercialisés (16). Il est donc essentiel d’interroger les patients sur leur consommation éventuelle de ces substances et de les informer des risques. Le site américain « About Herbs » du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSKCC) donne des informations aux patients et aux professionnels de santé sur les mécanismes d’action, les interactions et les effets indésirables, et peut être une aide à la prise de décision (17). L’AFSOS (Association Francophone des Soins Oncologiques de Support) a mis à disposition des soignants, un livret « Question phytothérapie, répondre aux patients atteints de cancer » traitant de la composition de 20 plantes, de leurs formes et préparations, de leurs principales propriétés ainsi que des informations à connaître concernant les interactions ou contre-indications au regard notamment du principe de précaution (18).
Dans les cas spécifiques de cancers digestifs, des interactions pharmacocinétiques entre le millepertuis et les médicaments cytotoxiques comme l’irinotécan, l’imatinib ont été signalées (19,20). Pour les médicaments anticancéreux dont le CYP 3A4 est la principale enzyme impliquée dans leur métabolisme (taxanes, irinotécan, …), il conviendra donc d’éviter la prise de plantes connues pour interférer avec ces enzymes (curcuma, échinacée pourpre, d’extraits de pépins de raisins, de ginseng, …).
Le jeûne et les régimes
Le jeûne et les régimes restrictifs se sont progressivement développés ces dernières années en étant parfois médicalisés et/ou combinés à des programmes d’activité physique. Le jeûne est caractérisé par l’arrêt total de l’alimentation. Il peut être complet ou partiel, avec poursuite des apports hydriques, de durée variable, répété ou non et parfois pratiqué en alternance avec d’autres régimes restrictifs.
Les restrictions peuvent concerner les apports caloriques (réduction des apports énergétiques totaux par rapport aux apports recommandés), les apports protéiques (réduction des apports protéiques sans réduction des apports caloriques totaux), les apports glucidiques (réduction des apports glucidiques avec ou sans réduction des apports caloriques totaux). Le régime cétogène diminue l’apport glucidique sans restreindre l’apport calorique et consiste donc à augmenter la part de l’apport lipidique (21).
Le réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) a réalisé un rapport qui n’a pas mis en évidence d’intérêt de ces régimes que ce soit en prévention primaire du cancer, sur l’efficacité des traitements anti-cancéreux ou sur le pronostic des cancers. La plupart des études ont été réalisées chez l’animal et les données scientifiques chez l’homme sont de faible qualité.
Les baisses de poids et de masse musculaire observées lors de la pratique de ces régimes peuvent majorer la dénutrition et la sarcopénie, facteurs pronostiques péjoratifs reconnus en cancérologie. Cette dénutrition est fréquente, notamment dans les cancers du pancréas et œso-gastrique (prévalence de 60 %) et il convient donc d’être particulièrement vigilant pour identifier et combattre ces approches. En préopératoire de chirurgie digestive lourde pour cancer, les patients obèses pratiquant des régimes pour perdre du poids n’ont pas de bénéfice, voire un risque de surmorbidité. Le cannabis, une future thérapie conventionnelle ?
Le chanvre est une plante appartenant à la famille des Cannabaceae. La sous-espèce Cannabis sativa sert à obtenir des fibres à usage industriel tandis que Cannabis indica est utilisé principalement pour ses principes actifs à visée thérapeutique.
La plante est transformée sous différentes formes : herbe (marijuana), résine (haschich), huile. Parmi les 120 composés cannabinoïdes de la plante, les 2 principaux sont le Ä-9THC (Ä-9trans-tétrahydrocannabinol) qui a un effet psychotrope important et le CBD (cannabidiol) sans propriété psychoactive caractérisée. Les ratios THC/CBD varient d’une variété de plante à l’autre.
Les principales propriétés du CBD sont de nature anti-inflammatoire, antiépileptique, anxiolytique, analgésique et anti-psychotique. Le THC a notamment une action analgésique, antiémétique, psychoactive, anti-inflammatoire au niveau intestinal et stimulateur de l’appétit.
Actuellement il existe plusieurs produits de présentations diverses dont les indications varient en fonction des pays (nausées-vomissements chimio- induites, douleurs chroniques, spasticité de la SEP…)
Les indications restent cependant controversées avec des résultats d’études contradictoires. Aux États-Unis, la NCCN recommande l’utilisation de substances cannabinoïdes en cancérologie et en soins palliatifs dans le cadre de nausées-vomissements réfractaires et résistants au traitement antiémétique bien conduit.
En France, l’ANSM a lancé depuis mars 2021 une expérimentation sur l’utilisation du cannabis médical dont l’objectif est d’évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis et de recueillir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité. Les 7 symptômes cibles en oncologie et en situations palliatives dans le cadre de symptômes rebelles liés au cancer ou à ses traitements sont : la douleur, la fatigue, les nausées vomissements, les troubles du sommeil, l’inquiétude, la perte d’appétit, la tristesse (22).
Conclusion
Il reste encore beaucoup d’inconnues dans l’indication de ces TNC en cancérologie digestive. La nécessité de développer des études cliniques de bonne qualité méthodologique et adaptées à la pratique (évaluations qualitatives et quantitatives) est essentielle pour permettre d’apporter des preuves scientifiques d’efficacité et de sécurité. Le développement de la réglementation de ces TNC mais aussi de la formation de leurs praticiens est fondamental. Aujourd’hui il est important de briser les préjugés réciproques en instaurant le dialogue auprès de nos patients afin de les aiguiller au mieux dans leurs choix de TNC et d’en minimiser les risques.
Avant tout, exercer une médecine plus humaine, sans clivage, qui revalorise le temps de communication et de concertation, c’est aller dans le sens de soins de support de qualité. Et c’est cette qualité des soins de supports qu’il faut optimiser et systématiquement associer au traitement spécifique du cancer.
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