Gastro-entérite à éosinophiles

POST'U 2023

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître sa définition et sa physiopathologie
  • Savoir distinguer une gastro-entérite à éosinophiles primitive des autres causes
  • Connaître la stratégie diagnostique
  • Connaître les principes du traitement

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Les 5 points forts

  1. La gastroentérite à éosinophiles (GEE) est définie par une infiltration isolée de la paroi de l’estomac, de l’intestin grêle et / ou du côlon par des polynucléaires éosinophiles.
  2. Les diagnostics différentiels de GEE sont les MICI, les causes parasitaires, systémiques, médicamenteuses et hématologiques d’hyperéosinophilie.
  3. Les allergies alimentaires sont probablement impliquées dans la physiopathologie.
  4. La présentation clinique varie en fonction du segment de tube digestif concerné et de la profondeur de l’atteinte pariétale (muqueuse, musculeuse, sous-séreuse).
  5. Le traitement repose sur les corticostéroïdes systémiques ou topiques, les immunosuppresseurs et les anticorps monoclonaux ciblant l’IL-5.

Liens d’intérêt

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Mots-clés

Gastro-entérite ; Éosinophiles ; IL-5 ; Corticothérapies

Résumé

L’œsophagite à éosinophiles, la gastrite, l’entérite, et la colite à éosinophiles représentent un ensemble de pathologies définies comme étant les « eosinophilic gastrointestinal disorders » (1). Contrairement à l’œsophagite à éosinophiles, qui présente une incidence en nette augmentation, la gastrite, l’entérite et la colite à éosinophiles, rassemblées sous le nom de gastroentérite à éosinophiles (GEE), restent des entités rares. Dans de nombreux cas, l’inflammation pourrait être déclenchée par des allergènes ingérés. Ce travail fait un état des lieux des connaissances concernant l’épidémiologie, les manifestations cliniques, les modalités diagnostiques et les options thérapeutiques de la GEE.

Introduction

L’avènement de la biologie moléculaire et des séquençages à haut débit a permis de mieux connaître les polynucléaires éosinophiles (PNE). Dans le sang, ils représentent environ 1-5 % des globules blancs. Ils sont au centre de nombreuses pathologies, l’allergie, les défenses antiparasitaires, et sont des acteurs de nombreuses maladies inflammatoires chroniques. L’éosinophile contient au sein de son cytoplasme de nombreux granules contenant la major basic protein (MBP), l’« eosinophil-derived neurotoxin », des enzymes hydrolytiques et la peroxydase. Ces molécules contribuent à la lyse de nombreux parasites, inaccessibles à la phagocytose. Ils sont fabriqués par la moelle osseuse et leur facteur de croissance spécifique est l’interleukine-5.(2)

Ces cellules ont un fort tropisme tissulaire et sont capables de résider dans de nombreux tissus. Le tube digestif normal contient de nombreux éosinophiles mais leur distribution n’est pas homogène. Ils sont en effet absents de l’œsophage normal (3). Ils sont en revanche présents dans l’estomac normal et leur nombre va croissant vers l’intestin grêle distal, pour atteindre une concentration maximale au niveau de l’iléon terminal et du côlon droit (3). Un accroissement du nombre de PNE dans le tractus digestif est observé dans différentes maladies qui sont réunies sous le nom de eosinophilic gastrointestinal disorders (EGID), comprenant l’œsophagite à éosinophiles, la gastrite, l’entérite, et la colite à éosinophiles. Nous allons limiter notre propos à la gastroentérite à éosinophiles (GEE).

Épidémiologie, mécanismes physiopathologiques

La GEE rassemble des atteintes inflammatoires du tractus digestif caractérisées par la présence des PNE, en l’absence de toute autre maladie pouvant expliquer leur présence anormale. L’ensemble du tractus digestif peut être atteint, de manière localisée, multiple ou étendue. La prévalence de la GEE est estimée à 25/ 100 000 habitants aux États-Unis. Ces maladies sont beaucoup moins fréquentes que l’œsophagite à éosinophiles dont la prévalence est estimée à environ 50/ 100 000 habitants. Les GEE se rencontrent chez les patients à tout âge. Il existe toutefois un pic observé autour de 30 ans, cette pathologie est plus fréquemment rencontrée chez les hommes.(4)

La GEE est souvent considérée comme une maladie allergique. Cette hypothèse est soutenue par un taux élevé d’IgE retrouvé chez de nombreux patients, définis comme étant allergiques, ainsi que par une amélioration des symptômes sous un régime d’éviction de certains allergènes. La moitié des patients atteints de GEE présente d’autres « manifestations de l’allergie » contemporaines comme un asthme, une polypose nasale, une rhinite, une conjonctivite où un eczéma. (5) Le mécanisme physiopathologique demeure encore mal connu, mais certaines hypothèses ont été émises : Secondairement à une exposition à des allergènes, les lymphocytes TH2 se différencieraient en TH2 IL5+, c’est-à-dire sécrétant de l’IL-5 et induiraient une infiltration des tissus par les éosinophiles (6). La persistance des éosinophiles au sein des tissus est favorisée par la présence de cytokines comme IL-3 et IL-5, mais aussi des chimiokines comme CCL26, responsable de l’homing tissulaire des PNE. Ainsi, l’éosinophilie tissulaire pourrait être pérennisée et les PNE entretiendraient à leur tour une inflammation locale via la libération de protéines cytotoxiques, présentes au sein de leurs granules cytoplasmiques. Bien qu’inconstante au cours des GEE, l’hyperéosinophilie pourrait s’intégrer dans les syndromes hyperéosinophiliques chroniques (7).

La GEE est souvent classée comme une manifestation tissulaire des Syndromes Hyper Eosinophiliques (SHE). Les SHE sont définis par l’existence d’une HE chronique (plus de 6 mois), habituellement > 1 500/mm3, et s’accompagnant d’un retentissement clinique avec la présence d’une atteinte d’organe directement lié à la présence de PNE dans les tissus. Les SHE rassemblent des entités clinico-biologiques et physiopathologiques très diverses. Il est désormais classique d’inclure au sein des SHE des maladies caractérisées par une hyperéosinophilie sanguine et tissulaire comme la pneumopathie à éosinophiles, la gastroentérite à éosinophiles, la cellulite à éosinophiles, les myocardites ou cystites à éosinophiles (8).

L’avènement des nouveaux outils de biologie moléculaire a permis de classer les SHE, et de proposer ainsi une prise en charge adaptée à chaque type. On distingue classiquement 4 grandes entités : 1) les SHE clonaux qui correspondent à un véritable syndrome myéloproliferatif, l’exemple le plus caractéristique reste celui de la leucémie à éosinophiles chronique due à la délétion 4q12 responsable de la fusion des gènes FIP1L1/PDGFRA. 2) les SHE réactionnels incluant des hyperéosinophilies de toutes causes et c’est souvent le traitement de la cause sous-jacente qui permet le contrôle de l’hyper éosinophilie. Cette catégorie inclue les SHE dits lymphoïdes qui est un syndrome lymphoproliferatif T indolent caractérisé par une sécrétion d’IL-5 excessive ; 3) les SHE restant idiopathiques malgré des explorations exhaustives. 4) Les SHE familiaux qui restent encore mal définis (9).

Les manifestations cliniques

Une GEE doit être suspectée chez un patient présentant des douleurs abdominales, des nausées, des vomissements, des diarrhées, une perte de poids, ou une ascite, associés à une éosinophilie sanguine (PNE > 0,5 G / l) ou une anamnèse d’allergie ou d’intolérance alimentaire. L’évaluation d’un patient suspect d’une GEE nécessite tout d’abord l’exclusion d’autres causes d’éosinophilie. Le diagnostic se base sur la présence d’une infiltration significative du tube digestif par des PNE, vérifiée histologiquement, en l’absence d’éosinophilie dans les autres organes (10). La présentation clinique reste donc souvent non spécifique et dépend essentiellement de la localisation de la maladie mais également de la profondeur de l’atteinte

de la paroi intestinale. Dans la plupart des cas, l’atteinte est superficielle et concerne donc essentiellement la muqueuse, pour laquelle les symptômes vont de douleurs abdominales avec nausées, vomissements et diarrhées jusqu’au syndrome de malabsorption avec amaigrissement (11). Plus rarement, la GEE se présente sous forme d’une obstruction inflammatoire induisant alors un iléus mécanique. Cette situation est plus fréquente en cas d’atteinte de la musculeuse, ou encore sous forme d’une ascite à éosinophiles en cas d’atteinte de la sous-séreuse (9).

Le diagnostic différentiel se pose avec les infections parasitaires, essentiellement les maladies hémato-oncologiques, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, le syndrome hyperéosinophilique idiopathique, la panartérite noueuse, la granulomatose éosinophilique avec polyangéite (syndrome de Churg-Strauss) et l’histiocytose Langerhansienne (1).

L’interrogatoire doit recueillir la prise de médicaments ou de suppléments diététiques pouvant induire une éosinophilie, la notion d’un séjour à l’étranger, ainsi que les habitudes alimentaires du patient. Il faut par ailleurs établir un inventaire des autres manifestations liées à une hyper éosinophilie, cutanée et pulmonaire notamment.

Démarche diagnostique

En présence d’une hyperéosinophilie accompagnée de manifestations digestives, plusieurs pathologies doivent être évoquées : Outre les parasitoses, il faut savoir évoquer une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, une maladie cœliaque ou une mastocytose systémique (intérêt dans ce dernier cas d’un dosage de tryptase sérique et d’un marquage CD117, CD2 et CD25 sur les biopsies) (12).

En dehors de l’hyper éosinophilie, il n’y a pas de syndrome inflammatoire biologique. En cas d’atteinte muqueuse profonde, on peut retrouver une carence martiale sur malabsorption et/ ou spoliation, ainsi qu’une hypoalbuminémie s’il existe une entéropathie exsudative.

L’exploration de l’hyperéosinophilie doit rester simple : un frottis sanguin, une cytométrie lymphocytaire avec analyse du réarrangement du récepteur T pour rechercher un clone lymphocytaire T, des dosages de vitamine B12, IgE, IgM, IgG, et de la tryptase. Il est inutile de faire davantage d’explorations complémentaires pour l’éosinophilie. Il est désormais admis qu’un taux normal de vitamine B12 dans un contexte d’hyper éosinophilie permet d’exclure un syndrome hyperéosinophilique clonal. Ce dernier sera aussi éliminé par un test de corticosensibilité. En effet, les hyperéosinophilies clonales sont cortico résistantes.

La gastroscopie et la coloscopie, vont confirmer le diagnostic via l’histologie. L’aspect macroscopique à l’endoscopie n’est pas spécifique : la muqueuse peut être érythémateuse, avec ou sans érosions voire normale. De nombreuses biopsies sont souvent nécessaires tant au niveau des zones macroscopiquement pathologiques qu’en zone saine. Les biopsies sont souvent suffisantes pour confirmer le diagnostic. Elles sont parfois négatives, essentiellement dans les atteintes de la musculeuse et de la sous-séreuse.

Le diagnostic histologique de GEE repose toujours sur les critères que Ingle et Hinge ont définis comme critères diagnostiques : une infiltration éosinophilique dépassant 50 PNE /HPF, en l’absence de toute autre cause d’éosinophilie intestinale et d’infiltration éosinophilique de tout autre organe extradigestif (13).

La figure 1 résume la démarche diagnostique devant une suspicion de GEE.

Figure 1 : Arbre décisionnel devant une suspicion de GEE

Figure 1 : Arbre décisionnel devant une suspicion de GEE

Traitement

L’évolution des GEE reste imprévisible. Bien que rare, la guérison spontanée reste possible. Des cas sévères avec progression vers un état de malnutrition ont également été décrits (14).

Les recommandations thérapeutiques font encore défaut. Chez les patients symptomatiques ou ceux présentant un syndrome de malabsorption, une éviction des allergènes les plus fréquemment impliqués (soja, blé, œufs, lait, cacahuètes, crustacés) peut être essayée, le plus souvent pour une durée de six semaines. Ces régimes sont rarement efficaces et la récidive fréquente.

Un traitement par corticostéroïdes est recommandé dans les cas sévères. Par exemple la prednisone à la dose de 40 mg par jour et un sevrage rapide sur 4 semaines Malgré un faible niveau de preuve, les corticoïdes systémiques sont souvent utilisés et les séries publiées rapportent une efficacité chez la majorité des patients atteints de GEE. Le budésonide peut être envisagé comme alternative. Peu de données sont cependant disponibles. L’émergence de thérapies ciblées, en particulier les anticorps monoclonaux visant l’IL-5 sont désormais disponibles dans le GEE et semblent bénéfiques pour prévenir les récidives, tout en ayant un bon profil de tolérance. Seules des observations éparses ont été publiés mais elles sont rassurantes en terme de tolérance et prometteuses en termes d’efficacité. Il semble raisonnable de proposer ce traitement en cas de GEE corticodépendante (15). Actuellement, trois biothérapies sont disponibles sur le marché, il s’agit de mépolizumab, le reslizumab et le benralizumab développés initialement pour l’asthme à éosinophiles ; ce sont des anticorps monoclonaux qui bloquent l’IL-5 ou son récepteur. Ils sont tous utilisés en sous cutané, avec des fréquences d’injection variables. Ils ont un rôle d’épargne cortisonique très important. Ils sont souvent bien tolérés en dehors de céphalées fréquentes et d’épisodes infectieux souvent mineurs. Leur utilisation reste encore anecdotique dans les atteintes digestives en dehors de l’œsophagite à éosinophilie. Quelques observations ont illustré leur efficacité dans le GEE.

La GEE, entité rare, peut s’intégrer dans un cadre plus large de maladies à éosinophile. L’augmentation de la fréquence des pathologies allergiques, et cela même chez les adultes, pourrait s’accompagner d’une augmentation de la fréquence des GEE. L’arrivée des biothérapies va en modifier le traitement, en particulier dans les formes sévères autorisant ainsi une épargne cortisonique. Il faut savoir évoquer ce diagnostic précocement surtout en présence d’une hyper éosinophilie.

Bibliographie

  1. Gonsalves, N. Eosinophilic Gastrointestinal Disorders. Clinic Rev Allerg Immunol 57. 2019,272–85.
  2. Klion AD, Ackerman SJ, Bochner BS. Contributions of Eosinophils to Human Health and Disease. Annu Rev Pathol. 2020; 15: 179–209. 10.1146/annurev-pathmechdis-012419-032756
  3. Sunkara T, Rawla P, Yarlagadda KS, Gaduputi V. Eosinophilic gastroenteritis: diagnosis and clinical perspectives. Clin Exp Gastroenterol. 2019;12:239–53
  4. Jensen ETMC, Kappelman MD, Dellon ES. Prevalence of eosinophilic gastritis, gastroenteritis, and colitis: estimates from national administrative database. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2016;62:36–42.
  5. Grandinetti T, Biedermann L, Bussmann C, Straumann A, Hruz P. Eosinophilic Gastroenteritis: Clinical Manifestation, Natural Course and Evaluation of Treatment with Corticosteroids and Vedolizumab. Dig Dis Sci. 2019;64:2231–41.
  6. Uppal V, Kreiger P, Kutsch E. Eosinophilic gastroenteritis and colitis : A comprehensive review. Clin Rev Allergy Immunol 2016;50:175–88.
  7. Prussin C, Lee J, Foster B. Eosinophilic gastrointestinal disease and peanut allergy are alternatively associated with IL-5+ and IL-5(-) T(H)2 responses. J Allergy Clin Immunol 2009;124:1326–32.
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  9. Butt NM et al (2017) Guideline for the investigation and management of eosinophilia. Br J Haematol 176(4):553–572
  10. Ingle SB, Hinge CR. Eosinophilic gastroenteritis : An unusual type of gastroenteritis. World J Gastroenterol 2013;19:5061–6.
  11. Talley NJ, Shorter RG, Philips RF, Zinsmeister AR. Eosinophilic gastroenteritis: A clinicopathological study of patients with disease of the mucosa, muscle layer, and subserosal tissues. Gut 1990;31:54–8.
  12. Sasaki Y, Abe Y, Mizumoto N, Nomura E, Ueno Y. Small Bowel Endoscopic Features of Eosinophilic Gastroenteritis. Diagnostics (Basel). 2022 Dec 30;13(1):113.
  13. Ingle SB, Hinge Ingle CR. Eosinophilic gastroenteritis: an unusual type of gastroenteritis. World J Gastroenterol. 2013 Aug 21;19(31):5061-6.
  14. Reed C, Woosley JT, Dellon ES. Clinical characteristics, treatment outcomes, and resource utilization in children and adults with eosinophilic gastroenteritis. Dig Liver Dis. 2015 Mar;47(3):197-201.
  15. Kuang FL, De Melo MS, Makiya M, Kumar S, Brown T, Wetzler L, et al. Benralizumab Completely Depletes Gastrointestinal Tissue Eosinophils and Improves Symptoms in Eosinophilic Gastrointestinal Disease. J Allergy Clin Immunol Pract. 2022 Jun;10(6):1598-1605.

Abréviations

PNE : Polynucléaires éosinophiles

GEE : gastro entérites éosinophiles

IL-5 : interleukine 5

EGID : Eosinophilic Gastrointestinal Disorders

SHE : Syndrome Hyper-Eosinophilique