Œsophagite à éosinophiles : de la pathologie au traitement
POST'U 2023
Œsophage – Motricité
Objectifs pédagogiques
- Connaître la physiopathologie
- Connaître les explorations nécessaires au diagnostic
- Connaître les modalités thérapeutiques
- Connaître l’évolution et savoir organiser le suivi
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
- L’œsophagite à éosinophiles est caractérisée par une inflammation avec polynucléaires éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne (> à 15 éosinophiles par champ à fort grossissement) et une fibrose.
- L’œsophagite à éosinophiles représente la première cause de dysphagie chez le sujet jeune.
- Son diagnostic nécessite la réalisation d’au moins 6 biopsies œsophagiennes étagées.
- Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont prescrits en première intention et la corticothérapie locale est indiquée après échec des IPP.
- Un traitement d’entretien est souvent nécessaire pour éviter la récidive et/ ou l’aggravation de la fibrose.
Liens d’intérêt
Consultante pour Dr Falk Pharma, Sanofi ; Bourse recherche : Medtronic, Diversatek Healthcare
Mots-clés
Dysphagie ; biopsies ; corticothérapie locale
Introduction
L’œsophagite à éosinophiles (OeE) est aujourd’hui la première cause de dysphagie du sujet jeune. Elle est caractérisée par la présence d’un infiltrat inflammatoire avec polynucléaires éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne et une fibrose. Sa prévalence de l’ordre de 50 cas pour 100 000 habitants est en augmentation. Elle est plus fréquente chez l’homme que chez la femme et le pic d’incidence est observé dans la 3e et 4e décade. Des antécédents d’asthme, de rhinite allergique ou d’atopie sont fréquemment retrouvés. Le diagnostic nécessite des symptômes évocateurs, au premier rang desquels la dysphagie, et la présence d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne. Les signes endoscopiques, bien que très souvent présents, peuvent être absents et une endoscopie normale n’élimine pas le diagnostic. Ainsi la réalisation de biopsies œsophagiennes est fondamentale dès lors qu’il existe une dysphagie sans cause évidente en endoscopie qu’il y ait ou non des signes endoscopiques évocateurs d’OeE. D’après les recommandations européennes et internationales, le traitement de 1re intention repose sur la prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), de corticoïdes en topiques et/ou d’un régime d’éviction alors qu’en France les corticoïdes locaux ont l’AMM après échec des IPP. Le traitement endoscopique est proposé en cas de sténose œsophagienne prédominante. Différents consensus européens et internationaux proposent une conduite à tenir diagnostique et thérapeutique pour la prise en charge de cette maladie émergente (1-3).
Physiopathologie
L’œsophagite à éosinophiles est une inflammation œsophagienne chronique avec une réponse immune de type T helper 2 (Th2). Ce type de réponse immune est également impliquée dans la physiopathologie de l’asthme, de la dermatite atopique et de la rhinite allergique. Reflux gastro-œsophagien (RGO) et achalasie peuvent être associés à l’OeE (figure 1).
L’œsophagite à éosinophiles : maladie inflammatoire de type Th2
Dans une réponse immune de type Th2, lors de la présentation de l’antigène par une cellule présentatrice d’antigène, les lymphocytes T deviennent Th2 en sécrétant de l’interleukine (IL)-4, de l’IL-5, de l’IL-6, de l’IL-10 et de l’IL-13. Ce profil Th2 est responsable d’une réponse humorale avec synthèse d’IgE spécifiques par les lymphocytes B sous le contrôle de l’IL-4 et de l’IL-13. L’IL-5 attire et active les polynucléaires éosinophiles. L’IL-6 favorise la synthèse d’immunoglobulines. Il existe également une activation des mastocytes (4).
Dans l’OeE, l’activation des lymphocytes T peut être déclenchée par des allergènes alimentaires. Le blé et les protéines de lait de vache sont les allergènes le plus souvent incriminés. Le reflux gastro-œsophagien (RGO) joue un rôle « facilitateur » dans la survenue de l’OeE en altérant l’intégrité de la barrière épithéliale œsophagienne. Ceci a pour conséquence une augmentation de la perméabilité épithéliale œsophagienne, et donc un passage accru des allergènes au niveau de la muqueuse œsophagienne. La dysbiose œsophagienne pourrait également intervenir dans la genèse de l’OeE puisque des différences de microbiote œsophagien ont été observées chez les sujets atteints d’OeE et chez les sujets contrôles. La naissance par césarienne et la prise d’antibiotiques dans l’enfance ont été évoqués comme facteur de risque de l’OeE renforçant l’hypothèse d’un rôle du microbiote dans la physiopathologie de l’OeE (4).
L’activation de cytokines dans l’OeE entraîne l’activation de protéases comme la calpain-14. Cette dernière joue un rôle dans l’altération de l’intégrité de la barrière épithéliale, ce qui va amplifier l’action des allergènes et des facteurs « environnementaux » (RGO, microbiote). L’éotaxine 3 (dont la production par les cellules épithéliales est stimulée par l’IL-13) et l’IL-5 attirent les polynucléaires éosinophiles sur le site de l’inflammation (4).
L’inflammation est à l’origine de lésions muqueuses œsophagiennes (cf. aspects endoscopiques) et de symptômes (dysphagie notamment). En effet, les éosinophiles peuvent sécréter des protéines et des cytokines interférant avec la relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO) et avec le péristaltisme œsophagien. La présence d’éosinophiles est majoritairement intra-muqueuse, mais il existe des cas où les polynucléaires éosinophiles sont dans la musculeuse et peuvent alors interagir directement avec les cellules musculaires lisses œsophagiennes (5). Les données actuelles ne permettent pas de déterminer si les symptômes et l’évolution sont différents en cas d’éosinophilie intra-muqueuse ou intra-musculeuse.
Enfin, en plus de l’inflammation à éosinophiles et de l’altération de l’intégrité de la barrière épithéliale, il existe dans l’œsophagite à éosinophiles un remodelage épithélial et une fibrose. Ceci est la conséquence de l’inflammation chronique. La calpain-14 en particulier joue un rôle dans le remodelage épithélial et le TGF-beta a été impliqué dans la survenue de la fibrose. Remodelage épithélial et fibrose peuvent être à l’origine des symptômes en entraînant un défaut de distensibilité de l’œsophage (4).
Œsophagite à éosinophiles, RGO et IPP
Initialement le diagnostic d’OeE nécessitait d’exclure un RGO. En effet, le RGO peut induire une inflammation œsophagienne avec présence de polynucléaires éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne au niveau de la zone exposée au RGO c’est-à-dire au niveau du tiers distal de l’œsophage. Cette éosinophilie disparaît lorsque le RGO est traité.
Molina-Infante a été le premier en 2011 à mettre en évidence une éosinophile œsophagienne répondant aux IPP indépendamment de la présence ou non d’un RGO pathologique (6). Ceci suggère un possible rôle anti-inflammatoire propre des IPP, certaines études in vitro ayant démontré une diminution de la sécrétion d’éotaxine 3 lors d’un traitement par IPP. Une autre explication de l’effet des IPP est la restauration de l’intégrité de la barrière épithéliale en diminuant l’exposition acide œsophagienne et limitant ainsi les possibilités d’interaction entre les allergènes et la muqueuse œsophagienne. Aujourd’hui il est admis que le RGO est un co-facteur de survenue d’OeE et l’éosinophilie œsophagienne répondant aux IPP est une forme d’OeE. Par conséquent, il n’est plus nécessaire d’éliminer un RGO pathologique pour retenir le diagnostic d’OeE et les IPP sont un traitement de 1re ligne de l’OeE (7).
Œsophagite à éosinophiles et achalasie
Dans l’achalasie, la stase œsophagienne secondaire au défaut d’ouverture de la jonction œso-gastrique peut être la cause d’une éosinophilie œsophagienne. L’achalasie est donc un diagnostic différentiel de l’OeE. L’éosinophilie œsophagienne pourrait aussi jouer un rôle dans la physiopathologie de l’achalasie via la sécrétion de substances cytotoxiques (par les polynucléaires éosinophiles et par dégranulation mastocytaire) détruisant les plexus myentériques (la perte des plexus myentériques est impliquée dans la genèse de l’achalasie) (5). À partir de biopsies du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO) effectuées chez des patients traités chirurgicalement pour achalasie et chez des sujets contrôles lors de prélèvements multi-organes, une dégranulation mastocytaire a été observée dans les plexus myentériques du SIO chez les patients avec achalasie mais pas chez les sujets contrôles (8). Ceci suggère un rôle potentiel de la dégranulation mastocytaire, et donc de l’allergie, dans la survenue de l’achalasie.
Diagnostic de l’OeE : quelles sont les explorations nécessaires ?
Le diagnostic d’OeE est suspecté sur la présentation clinique et sera confirmé par la présence d’éosinophiles sur des biopsies œsophagiennes
réalisées lors d’une endoscopie œso-gastro-duodénale. Le délai médian entre les premiers symptômes et le diagnostic est de 4 à 6 ans (9,10). Ce délai diagnostique ne semble pas avoir changé depuis la première description de la maladie en 1993, près d’un tiers des patients sont diagnostiqués plus de 10 ans après le premier symptôme. Toutefois une étude récente suggère qu’une meilleure reconnaissance de la maladie et l’inclusion de patients dans des registres puissent réduire le délai diagnostique (11).
Présentation clinique
Plus de 80 % des patients atteints d’OeE ont une dysphagie pour les solides (3). Les symptômes sont souvent intermittents. Des épisodes d’impaction alimentaire sont fréquemment rapportés et les passages aux urgences pour aphagie causée par une impaction alimentaire ne sont pas rares. Ainsi, environ 30 % des patients ont eu au moins un épisode d’impaction alimentaire avant le diagnostic d’OeE (9). Une enquête récente réalisée auprès de 308 endoscopistes en Europe et aux États-Unis révèle une prise en charge hétérogène des impactions alimentaires à l’origine en partie de retard diagnostique de l’OeE (12). Seulement 2/3 des endoscopistes interrogés recommandaient aux patients d’aller aux urgences en cas d’impaction alimentaire (dans les 1 à 2 h suivant l’impaction pour 44 %). De plus, même si les patients vont aux urgences, l’endoscopie n’est pas toujours réalisée car les symptômes cèdent souvent spontanément et les patients ne reviennent pas toujours à distance de l’épisode d’impaction pour l’endoscopie. La perforation œsophagienne peut compliquer l’impaction alimentaire et représenter un mode d’entrée dans la maladie. Elle reste rare (moins de 1 % des cas) même si certains auteurs considèrent que l’OeE est la 1re cause de perforation œsophagienne (2).
Des douleurs thoraciques notamment lors de la prise d’aliments acides ou de vin sont également rapportés dans l’OeE. S’il existe des symptômes évocateurs de RGO, ils ne sont pas isolés et sont accompagnés d’épisodes de dysphagie.
Les symptômes sont souvent anciens et il n’y a généralement pas de perte de poids chez l’adulte. Les patients s’adaptent et la durée des repas est allongée avec une mastication des aliments pendant plusieurs minutes. La prise de boissons pendant le repas est fréquente pour faciliter la progression du bol alimentaire. Les patients évitent certains aliments et/ou certaines situations qui pourraient être à l’origine de la survenue de symptômes. Ces conduites d’évitement sont responsables d’une diminution des interactions sociales et d’une altération de la qualité de vie, et peuvent contribuer au retard diagnostique.
Chez les jeunes enfants, la présentation clinique est différente, avec des vomissements, des symptômes évocateurs de RGO et résistants aux IPP, des douleurs abdominales, un refus de s’alimenter voire un retard de croissance. Chez l’enfant de plus de 10 ans et chez l’adolescent, la présentation clinique est identique à celle de l’adulte.
Aspects endoscopiques
L’endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies œsophagiennes est l’examen clé pour le diagnostic d’OeE.
Différents aspects endoscopiques ont été décrit dans l’OeE (figure 2). Des anneaux concentriques avec à l’extrême un aspect pseudo trachéal de l’œsophage doivent faire évoquer une OeE. Un anneau de Schatzki et des sténoses isolées ou étagées sont également rencontrés dans l’OeE tout comme les stries longitudinales. Un piqueté blanchâtre ressemblant à une candidose est une présentation classique de l’OeE. Ceci correspond sur le plan histologique à des micro-abcès à éosinophiles. Un œdème muqueux et un érythème font également partie des aspects endoscopiques à rechercher. Tous ces aspects peuvent être présents chez un même patient ou peuvent être isolés. L’analyse du registre européen de patients avec OeE montre qu’environ 25 % des patients ont des sténoses lors du diagnostic (11). Toutefois ce pourcentage tend à diminuer avec la diminution du délai diagnostique. Dans une série publiée en 2008, l’endoscopie initiale était considérée comme normale chez 42 % des patients avec OeE (13). Avec la meilleure connaissance de la pathologie et l’amélioration de la définition des images en endoscopie, le pourcentage d’endoscopies normales a diminué et les recommandations les plus récentes rapportent une endoscopie macroscopiquement normale dans 10 à 30 % des cas (2,14).
La sévérité des lésions endoscopiques peut être évaluée par le score EREFS (figure 2) (15). Ce score n’a pas d’intérêt diagnostique. Il est utilisé dans les essais thérapeutiques pour évaluer la réponse endoscopique.
Biopsies œsophagiennes
Le diagnostic d’OeE repose sur la réalisation de biopsies œsophagiennes. Au minimum, 6 biopsies doivent être réalisées, dans différents sites de l’œsophage (par exemple 3 dans l’œsophage proximal et 3 dans l’œsophage distal comme le recommandent les sociétés européennes et américaines d’endoscopie) (2,3,14). Les biopsies sont à réaliser dans les zones avec des lésions endoscopiques et au niveau de la muqueuse œsophagienne normale. Seule la Société Européenne d’Endoscopie recommande de mettre les biopsies dans des flacons séparés (16). Cette préconisation n’est pas notée dans les recommandations les plus récentes (2,14). En effet, depuis qu’il est reconnu que l’absence de RGO n’est pas un critère diagnostique d’OeE et qu’il a bien été démontré que la distribution des éosinophiles dans l’œsophage était hétérogène, la localisation de l’éosinophilie œsophagienne n’a pas d’intérêt pour le diagnostic d’OeE. Il ne semble donc pas nécessaire de mettre les biopsies dans des flacons séparés.
La réalisation de biopsies œsophagiennes doit être effectuée systématiquement en cas de dysphagie (même si l’endoscopie est normale). Les recommandations les plus récentes insistent sur la réalisation de biopsies œsophagiennes lors de l’endoscopie initiale, même si celle-ci est effectuée pour retirer un corps étranger, afin de réduire le délai diagnostique et la récidive des impactions alimentaires (2,14). Il est également recommandé de réaliser des biopsies gastriques et duodénales lors de l’endoscopie initiale pour éliminer une gastroentérite à éosinophiles si le patient présente des symptômes et/ou un aspect endoscopique compatible avec ce diagnostic (14).
Aspects anatomopathologiques : examen de référence pour le diagnostic
Le diagnostic d’OeE est retenu s’il existe, dans la muqueuse œsophagienne, plus de 15 éosinophiles par champ à fort grossissement (environ 60 éosinophiles par mm²) sur au moins une biopsie. La distribution des éosinophiles est hétérogène dans la muqueuse œsophagienne. Les éosinophiles peuvent parfois être localisés dans la musculeuse.
D’autres signes histologiques peuvent être notés : des micro-abcès à éosinophiles, une hyperplasie de la zone basale, une dilatation des espaces intercellulaires, une couche en surface d’éosinophiles, et/ ou une fibrose de la lamina propria. La présence de ces signes histologiques peut permettre de retenir le diagnostic si la clinique est évocatrice et que le seuil des 15 éosinophiles par champ à fort grossissement n’est pas atteint.
Les diagnostics différentiels à évoquer en cas d’éosinophilie œsophagienne sont la gastroentérite à éosinophiles, le syndrome hyperéosinophilique (hyperéosinophilie sanguine avec douleur abdominale, diarrhée, et/ou ascite), l’achalasie, la maladie de Crohn, les infections parasitaires, certaines connectivites, une réaction d’hypersensibilité à un médicament (7). Ils ne sont pas à éliminer systématiquement mais à rechercher en cas de signes cliniques évocateurs.
Faut-il réaliser un bilan allergologique systématique ?
La présence d’une atopie est retrouvée chez 40 à 75 % des patients avec OeE (9,11). Toutefois, il n’y a pas de corrélation entre le résultat des tests allergologiques et la réponse au régime d’éviction. Ainsi un régime d’éviction ciblé sur les allergies retrouvées à partir des tests ne fait pas mieux qu’un régime d’éviction empirique (17). La proportion des patients chez qui sont réalisés des tests allergologiques a diminué au fil des années (11). Il n’est pas recommandé d’effectuer des tests systématiques (2,3). Ces tests peuvent toutefois être réalisés s’il existe des signes évocateurs d’allergie alimentaire (œdème, érythème, difficulté respiratoire après prise de certains aliments).
Quelle place pour les autres explorations ?
Le transit œso-gastrique baryté (TOGD) est utile pour apprécier le retentissement des sténoses œsophagiennes et identifier un œsophage de petit calibre. Ceci est particulièrement utile chez les patients gardant une dysphagie sous traitement malgré une réponse histologique. Une sténose significative et/ou un œsophage de petit calibre peut expliquer la persistance des symptômes et justifier une dilatation endoscopique.
La réalisation d’explorations fonctionnelles œsophagiennes n’a pas d’intérêt pour le diagnostic d’OeE. Il n’y a pas d’aspect manométrique spécifique. La réalisation d’une manométrie œsophagienne n’est proposée que si un patient reste symptomatique sous traitement alors qu’il n’y a plus d’éosinophiles dans l’œsophage afin d’éliminer un trouble moteur (2). L’objectivation d’un RGO en pHmétrie ne modifie pas la prise en charge thérapeutique. Il est désormais admis que les IPP sont un des traitements de première intention de l’OeE et que l’éosinophilie répondant aux IPP rentre dans le spectre de l’OeE.
La mesure de la distensibilité de l’œsophage par planimétrie par impédance (EndoFLIP™) est utilisée comme une mesure indirecte de la fibrose dans de nombreuses études évaluant des nouveaux traitements pour l’OeE. Toutefois en pratique clinique il n’y a pas d’intérêt à réaliser cet examen.
Enfin, la Cytosponge™ a été proposée pour suivre les patients avec OeE et remplacer l’endoscopie (18). Il s’agit d’une petite brosse en forme de gélule qui est avalée par le patient, cette brosse est reliée à un fil qui permet de la retirer de l’œsophage en réalisant un « brossage de l’œsophage ». L’analyse cytologique peut révéler la présence d’éosinophiles. La faisabilité de la technique a été démontrée mais des études sont nécessaires pour démontrer son utilité en pratique clinique.
Modalités thérapeutiques
Les modalités thérapeutiques de l’OeE sont représentées par les 3 D : drogues, diète, dilatation. Les traitements recommandés en première intention sont les IPP et le régime d’éviction. La corticothérapie locale est proposée en 1re intention dans les différentes recommandations européennes et internationales mais n’a l’AMM en France qu’après échec des IPP. La réponse au traitement est évaluée cliniquement et histologiquement. Le traitement endoscopique est proposé en cas de sténose œsophagienne significative ou d’œsophage de petit calibre. Si aucun des 3 traitements (IPP, corticothérapie locale, régime d’éviction) n’a permis d’obtenir de réponse clinique et histologique, il est conseillé d’adresser le patient à un centre expert pour discuter la prescription d’une diète élémentaire ou l’inclusion dans un essai thérapeutique. Les résultats prometteurs de certaines biothérapies pourraient modifier la prise en charge des OeE ne répondant pas aux traitements de première intention.
Les inhibiteurs de la pompe à protons
Le mode d’action des IPP dans l’OeE est probablement multifactoriel : ils réduisent un facteur favorisant, le RGO, ils diminuent la perméabilité épithéliale (donc rendent la muqueuse œsophagienne moins sensible aux facteurs environnementaux) et ils ont un effet anti-inflammatoire (via un effet anti-éotaxine 3).
Les IPP permettent d’obtenir une rémission histologique (moins de 15 éosinophiles par champ à fort grossissement) chez environ 50 % des patients et une rémission clinique dans 60 % des cas (19). Les études sont toutefois hétérogènes et il n’y a pas d’étude contre placebo. D’après le consensus européen de 2017, un traitement par oméprazole 20 à 40 mg 2 fois par jour ou équivalent est recommandé (3). La durée du traitement d’attaque est de 8 à 12 semaines. À l’arrêt des IPP les symptômes récidivent généralement en 3 à 6 mois. Un traitement d’entretien à la dose minimale permettant la rémission est donc conseillé (2,3). Sous IPP, la rémission est maintenue à long terme chez 70 à 80 % des patients (20).
Il faut noter que les IPP n’ont pas l’AMM en France pour le traitement de l’OeE. Toutefois l’AMM obtenue récemment par le budésonide oro-dispersible mentionne clairement que ce traitement doit être utilisé dans l’OeE après échec des IPP !
La corticothérapie locale
La corticothérapie locale est efficace pour induire une rémission clinique et histologique. La corticothérapie systémique n’est pas recommandée en cas d’OeE car il n’y a pas de gain d’efficacité par rapport à la corticothérapie locale mais plus d’effets secondaires significatifs.
Le fluticasone et le budésonide sont les corticostéroïdes les plus fréquemment utilisés dans l’OeE, sous forme de spray dégluti, de solution visqueuse ou de tablettes effervescentes. Les posologies proposées dans les différentes études sont variables ainsi que la durée du traitement d’induction (21). Une méta-analyse a mis en évidence la supériorité des formes visqueuses ou effervescentes par rapport au spray dégluti pour le traitement d’induction (22).
Une forme orodispersible de budésonide a été récemment développée et a obtenu l’AMM en France en 2022 pour le traitement d’induction et d’entretien de l’OeE après échec des IPP (le budéosonide orodispersible est la seule molécule à avoir l’AMM pour le traitement de l’OeE en France). Les études ont montré que le budésonide orodispersible à la dose de 1 mg matin et soir permettait une rémission clinico-histologique (score symptomatique ≤ 2 et nombre d’éosinophiles < 16 éosinophiles/mm² soit < 5 par champ à fort grossissement) chez 58 % des patients
non répondeurs aux IPP après 6 semaines de traitement et chez 85 % après 12 semaines (23). Le traitement d’induction recommandé est donc le budésonide orodispersible 1 mg matin et soir pendant 6 à 12 semaines. Un traitement d’entretien par budésonide orodispersible 0,5 mg 2 fois par jour ou 1 mg 2 fois par jour permet le maintien de la rémission dans respectivement 73,5 % et 75 % des patients répondeurs au budésonide (24). La posologie préconisée pour le traitement d’entretien est de 0,5 à 1 mg 2 fois par jour, la durée du traitement d’entretien n’est pas codifiée. Le budésonide oro-dispersible est bien toléré : l’effet secondaire le plus fréquemment rapporté est une candidose buccale (16 % des patients dans l’essai sur le traitement d’entretien), cette dernière répond bien au traitement antifongique et n’impose pas l’arrêt du budésonide. Il n’a pas été observé d’insuffisance surrénale mais une diminution du cortisol sanguin était notée chez 2 % des patients traités. Il n’y a pas à ce jour d’indication à rechercher systématiquement une insuffisance surrénale chez les patients sous budésonide orodispersible au long cours.
Une forme orale de fluticasone est également en cours de développement et donne des réponses similaires à celles observées avec le budésonide oro-dispersible (25).
Les régimes d’éviction
Les régimes d’éviction ont montré leur efficacité dans la prise en charge de l’OeE et sont un traitement de première ligne. Initialement il a été proposé d’éliminer 6 groupes d’aliments (lait, soja, œuf, blé, fruits à coque et poissons et fruits de mer) pendant 6 semaines (26). Les taux de réponse symptomatique et histologique sont de l’ordre de 80 %. Une réintroduction des groupes d’aliments 2 par 2 avec endoscopie de contrôle et biopsies œsophagiennes à chaque étape de réintroduction est nécessaire afin d’identifier le ou les groupes d’aliments à cause. Dans l’étude de Gonsalves et al, un seul groupe d’aliments était en cause chez 1/3 de patients, 2 groupes chez 1/3 et 3 groupes ou plus chez 1/3 (26). Les groupes d’aliments les plus souvent incriminés étaient le lait de vache, le blé, et les œufs. Les tests allergiques ne permettaient de prédire la réponse au régime que chez 13 % des patients. Afin de rendre le régime plus acceptable et de réduire le nombre d’endoscopies, il a été proposé de limiter le régime à 4 groupes d’aliments (lait, blé, œuf, légumineuses) avec des taux de réponse de l’ordre de 50 à 60 % (27). Finalement une stratégie d’escalade a été étudiée avec en première intention une éviction du gluten et du lait qui permettait une rémission chez 43 % des patients. En cas d’échec, une escalade avec éviction de 4 puis 6 groupes d’aliments était proposée. Le taux de réponse cumulée était de 68 % (28). Une méta-analyse a montré que le régime guidé par les tests allergiques était associé à un moins bon taux de réponse que les régimes empiriques (29). Il n’est donc pas conseillé de proposer systématiquement des tests allergiques pour guider une prise en charge diététique, sauf en cas de manifestations d’hypersensibilité immédiate.
Bien qu’efficace, le régime d’éviction empirique est souvent réservé à des patients motivés. Il est nécessaire de répéter les endoscopies et les biopsies œsophagiennes pour identifier le ou les groupes d’aliments en cause. L’encadrement par une diététicienne est souhaitable.
Le traitement endoscopique
La dilatation endoscopique est indiquée en cas de sténose œsophagienne ou d’œsophage de petit calibre. Elle peut être réalisée au ballonnet ou à la bougie. Une méta-analyse a montré que le risque de perforation était faible (9 cas pour 2 034 dilatations réalisées chez 977 patients) (30). Initialement les dilatations étaient recommandées chez les patients avec sténose ou œsophage de petit calibre restant symptomatiques malgré une rémission histologique. Deux études rétrospectives, une chez l’adulte et l’autre chez l’enfant, ont montré que le traitement endoscopique pouvait être combiné au traitement médical (corticoïdes locaux ou régime d’éviction) en cas de sténose œsophagienne sévère (ne laissant pas passer un endoscope de 9 mm) (31,32).
Les traitements à proposer en cas d’échec
En cas d’échec clinique et histologique des IPP, de la corticothérapie locale, des régimes d’éviction et en l’absence de sténose significative pouvant justifier une dilatation, il est conseillé d’adresser les patients à un centre expert. La diète élémentaire et les biothérapies sont des options thérapeutiques qui peuvent être envisagées. Leur prescription nécessite de bien confirmer que le patient est toujours symptomatique et qu’il existe toujours une élévation du nombre d’éosinophiles (> 15 par champ à fort grossissement) dans la muqueuse œsophagienne. Si le patient reste symptomatique alors qu’il n’y a plus d’éosinophilie œsophagienne significative, il faut s’assurer de l’absence de sténose œsophagienne et rechercher une autre cause aux symptômes (troubles moteurs œsophagiens par exemple).
La diète élémentaire consiste à utiliser des formules à base d’acides aminés (type Néocate®, Modulen®…). Ce traitement hors AMM est non remboursé et coûteux. Il est prescrit pour 6 semaines et permet une rémission dans 70 % des cas(33). Une fois la rémission obtenue un traitement d’entretien doit être associé à la réintroduction alimentaire pour éviter la récidive. Si la diète élémentaire est un traitement efficace, elle est mal acceptée par les patients du fait de son mauvais goût et des modifications majeures de la vie quotidienne qu’elle impose. Elle est très peu utilisée en pratique et ne peut être envisagée qu’à court terme pour induire une rémission.
Différentes biothérapies ont montré un intérêt dans le traitement de l’OeE. Toutefois aucune n’a encore d’AMM en France et il est conseillé de privilégier l’inclusion dans des essais thérapeutiques si un traitement de ce type est envisagé. Le dupilumab (qui bloque le récepteur commun de l’IL4 et de l’IL13) est plus efficace que le placebo pour réduire les symptômes et l’éosinophilie œsophagienne. Dans un essai de phase 2 le taux de réponse symptomatique à 10 semaines était de 39 % pour les patients sous dupilumab (une injection sous cutanée hebdomadaire de 300 mg) contre 13 % pour ceux sous placebo et le taux de réponse histologique (< 15 éosinophiles par champ à fort grossissement) était respectivement de 83 %
et 0 % (34). Le dupilumab a l’AMM en France dans l’asthme, la dermatite atopique et la polypose naso-sinusienne mais pas encore dans l’OeE. Le benralizumab (anti-IL5) qui a également l’AMM pour le traitement de fond de l’asthme est efficace pour réduire le taux d’éosinophiles dans la gastro-entérite à éosinophiles mais l’effet clinique est hétérogène (35). Un essai récent dans l’OeE a été arrêté prématurément faute d’amélioration suffisante de la dysphagie. Un anticorps monoclonal dirigé contre l’IL13 (RPC4046 – une injection sous cutanée hebdomadaire) a montré, dans un essai de phase 2, une diminution significative du nombre d’éosinophiles dans l’œsophage avec une réponse histologique (< 15 éosinophiles par champ à fort grossissement) chez 50 % des patients (pour les 2 dosages testés, 180 et 360 mg hebdomadaire) après 16 semaines de traitement (36). Cet essai a également mis en évidence une amélioration symptomatique significative par rapport au placebo pour les patients recevant la dose de 360 mg hebdomadaire mais pas chez ceux recevant la dose de 180 mg.
Le montelukast, le cromoglycate de sodium, l’omalizumab (anti IgE) et les anti-TNF (infliximab) n’ont pas montré d’effet significatif et ne sont pas recommandés (37).
Évolution et suivi
Si les traitements de première ligne (IPP, corticothérapie locale et régime d’éviction) sont efficaces pour induire la rémission clinique et histologique dans l’OeE, les symptômes récidivent fréquemment à l’arrêt du traitement. Par ailleurs, plus le diagnostic d’OeE est tardif, plus il existe de formes fibrosantes (38). Ainsi il a été suggéré qu’un traitement d’entretien au long cours pourrait être bénéfique pour maintenir la réponse histologique et clinique et prévenir la survenue de la fibrose. Ceci a été fait par analogie aux maladies inflammatoires intestinales même si aujourd’hui il n’y a pas de preuve de l’efficacité d’un traitement d’entretien dans l’OeE pour prévenir la survenue de la fibrose (39).
L’observance thérapeutique est un sujet important chez les patients avec OeE. En effet, l’observance du traitement médical ou diététique était mauvaise chez 42 % des patients suivis dans un centre de référence au Pays Bas (40). Le jeune âge des patients, la longue durée d’évolution des symptômes, leur sévérité (symptômes souvent intermittents), et la croyance que le traitement était peu utile, étaient des facteurs de mauvaise observance. Une étude suisse récente met en évidence qu’un suivi clinique régulier, tous les 12 à 18 mois, pourrait permettre de réduire la survenue de sténoses grâce à une prise en charge plus précoce de ces dernières (41).
Enfin, il n’y a à ce jour pas d’argument pour considérer l’OeE comme un facteur de risque de carcinome épidermoïde œsophagien.
Conclusions
L’OeE est la première cause de dysphagie du sujet jeune. Elle est caractérisée par une infiltration par des éosinophiles de la muqueuse œsophagienne. Même si l’exposition à des allergènes alimentaires est vraisemblablement à l’origine de la maladie, la réalisation de tests allergiques n’a pas d’intérêt dans le diagnostic de l’OeE. Le diagnostic nécessite la réalisation d’une endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies œsophagiennes même en l’absence de lésion macroscopique. L’impaction alimentaire est un mode classique de découverte de la maladie et la réalisation des biopsies œsophagiennes doit être préconisée lors de l’endoscopie d’urgence pour retrait de corps étranger impacté dans l’œsophage chez un patient non connu pour avoir une OeE. L’infiltration de la muqueuse œsophagienne par des éosinophiles étant hétérogène au minimum de 6 biopsies réparties dans différents sites de l’œsophage. Le diagnostic d’OeE est retenu s’il y plus de 15 éosinophiles par champ à fort grossissement (environ 60/mm²) dans la muqueuse œsophagienne.
Le traitement de 1re intention est selon les recommandations internationales, les IPP, la corticothérapie locale ou le régime d’éviction. Le choix se fait en fonction des préférences du patient. Toutefois, l’AMM du budésonide orodispersible en France concerne les patients en échec des IPP. Donc il semble raisonnable de proposer d’abord des IPP pour une durée de 8 à 12 semaines puis, en cas d’échec des IPP, du budésonide orodispersible pour 12 semaines (figure 3). En théorie, la réponse histologique doit être documentée par des biopsies œsophagiennes. Un traitement d’entretien est nécessaire pour maintenir la réponse mais la durée de ce traitement n’est pas codifiée. En cas de sténose ou d’œsophage de petit calibre, des dilatations endoscopiques peuvent être proposées. En cas d’échec de traitement, on essaie alternativement les 3 traitements de 1re intention. S’il n’y a pas de réponse, une diète élémentaire ou une biothérapie, de préférence dans un essai thérapeutique, sont à discuter. Enfin, le suivi régulier des patients semble un facteur important pour l’observance thérapeutique et limiter la survenue des sténoses œsophagiennes.
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Abréviations
AMM : Autorisation de Mise sur le Marché
EREFS : Endoscopic REFerence Score ou Edema Rings Exsudates Furrows Stricture (NB il y a bien 2 explications possibles pour EREFS)
IPP : Inhibiteurs de la Pompe à Protons
IL : InterLeukine
OeE : Oesophagite à Eosinophiles
RGO : Reflux Gastro-Œsophagien
Th2 : Thelper 2
TGF : Tumor Growth Factor
FMC HGE : Organisme certifié Qualiopi pour la catégorie ACTIONS DE FORMATION