Parasites du tube digestif : tous pathogènes ?

POST'U 2023

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les principaux parasites à potentiel pathogène et leur épidémiologie
  • Savoir prescrire les examens complémentaires
  • Savoir affirmer leur responsabilité selon le contexte clinique
  • Connaître les traitements adaptés au parasite et à l’hôte

Les 5 points forts

  1. L’anisakidose est de plus en plus fréquente. La forme iléale occlusive est méconnue des urgentistes et des chirurgiens. Le diagnostic est suspecté par l’anamnèse et les examens morphologiques, confirmé par l’évolution sérologique.
  2. Chez les patients ayant vécu en zone d’endémie de l’anguillulose, il faut prescrire une sérologie ELISA et un examen parasitologique des selles avant d’initier une corticothérapie systémique, un traitement immuno suppresseur ou une biothérapie : un traitement par ivermectine est indiqué en cas de positivité.
  3. En cas de diarrhée prolongée, les PCR multiplex dans les selles peuvent être utiles pour détecter les protozooses ubiquitaires (giardiose, cryptosporidiose) ou importées (amoebose, cyclosporose).
  4. Jusqu’à un tiers des individus de la population générale sont porteurs sains de Blastocystis hominis lorsque la protozoose est recherchée par PCR.
  5. Chez les porteurs de Blastocystis hominis, une cure de métronidazole n’est justifiée que dans le contexte de diarrhée aiguë sans autre pathogène identifié.

Liens d’intérêt des 3 dernières années

Conseil, boards et activité d’enseignement : BMS, Janssen, Nordic Pharma, Takeda, Viatris.

Soutien à la recherche : Biogen, Celltrion, Ferring, Takeda, Viatris

Mots-clés

Anisakis – Anguillulose – Blastocystis hominis

Introduction

La parasitologie du tube digestif a connu des évolutions importantes ces dix dernières années, avec l’émergence de l’anisakidose, une détection facilitée des protozooses grâce aux PCR mutliplex, et une meilleure connaissance du rôle pathogène ou non de Blastocystis hominis selon le contexte clinique.

L’anisakidose : une parasitose émergente que les gastro-entérologues doivent connaître et faire connaître

Le portage des larves du parasite (essentiellement Anisakis spp. dans nos régions, et peu ou pas Pseudoterranova spp.) dans les poissons marins a été multiplié par 280 ces cinquante dernières années, en particulier en Atlantique Nord-Est, pour atteindre le chiffre moyen de plus d’une larve par poisson (1). À peu près tous les poissons peuvent être infectés (sauf les poissons d’élevage). Les seiches et calamars peuvent l’être aussi. S’il n’y   a pas congélation préalable du poisson (une semaine dans un congélateur domestique, 24 heures dans un congélateur professionnel), tous les plats suivants sont à risque : tartares, poissons mi-cuits, sushis, sashimis, ceviches, rollmops, harengs saur, poutargue, anchois marinés au vinaigre (sauf conserves), saumon sauvage gravlax.

La forme gastrique est de diagnostic facile (2). Des douleurs épigastriques intenses et permanentes dans les 3 heures suivant le repas amènent souvent le patient au service d’accueil des urgences. La biologie est normale ou à peine modifiée (CRP et éosinophiles). Si un scanner est fait, il montre un épaississement franc de tout ou partie de l’estomac, et souvent une inflammation péri-gastrique. Si une endoscopie est faite, elle peut être normale, montrer des lésions muqueuses minimes (sites de pénétration des larves), ou la présence d’une à plusieurs larves (libres dans la lumière ou à moitié lovées dans la paroi gastrique), qu’il faut enlever ou extraire avec une pince à biopsies, et envoyer au laboratoire de parasitologie pour identification. L’intérêt de l’albendazole n’est pas démontré. Les larves meurent en quelques heures et les douleurs qui peuvent relever d’antalgiques de niveau 2 s’estompent plus lentement. L’anamnèse et la morphologie (TDM et/ou endoscopie) aboutissent à une quasi certitude diagnostique, qui peut être encore renforcée encore par une positivation ou une élévation des anticorps IgG anti Anisakis simplex dans les 2 mois qui suivent la période douloureuse initiale.

Dans l’expérience de l’équipe de Saint-Antoine sensibilisée à cette parasitose depuis quelques années, les formes intestinales de la parasitose sont fréquentes. Il s’agit d’un tableau douloureux abdominal à tonalité obstructive apparaissant dans les 1 à 5 jours suivant l’ingestion des larves. Une élévation de la CRP et une hyperéosinophilie sont possibles. Au scanner, on note un à plusieurs épaississements segmentaires relativement courts et asymétriques du jéjunum ou plus souvent de l’iléon, mais en général pas de la dernière anse grêle, ce qui différentie ce tableau des formes habituelles d’iléites bactériennes. En cas d’occlusion, une cure d’albendazole peut être discutée pour accélérer la mort des larves. Si l’occlusion ne se lève pas médicalement, une résection chirurgicale des lésions peut s’avérer nécessaire. À l’examen histologique de la pièce opératoire, le parasite est parfois identifié en coupe, mais on parlera de granulomes éosinophiles quand les parasites morts ont déjà été digérés par les phagocytes.

Certains patients développent une allergie, parfois sévère, aux protéines du parasite. Il s’agit alors d’une allergie aux protéines du parasite du    poisson, pas aux poissons en général, ce qui peut être confirmé par un taux significatif dans le sang d’IgE anti-Anisakis simplex alors que les IgE anti- poissons (anti-maquereau par exemple) sont indétectables. Les épisodes allergiques suivent l’ingestion de poisson infecté, cru et non préalablement congelé bien sûr, mais aussi pour certains auteurs de poisson cuit, la cuisson ne dénaturant pas suffisamment les protéines allergènes. Ceci conduit les allergologues à déconseiller la consommation de tous les poissons potentiellement infectés (c’est-à-dire tous sauf les poissons d’élevage) pour éviter la survenue de nouveaux épisodes allergiques, en particulier lorsque les premiers épisodes ont été sévères.

L’incidence croissante de l’anisakidose (liée à la conjonction de nouvelles habitudes alimentaires et d’un parasitisme accru des poisson marins) échappe complètement aux radars de la veille sanitaire française. Il faut sensibiliser les urgentistes et les chirurgiens qui ne connaissent pas encore bien cette parasitose, et utiliser le code PMSI spécifique de l’anisakidose au terme des séjours hospitaliers (B81.0 dans la CIM 10).

Il existe une prévention 100 % efficace de la parasitose à travers la congélation préalable des poissons destinés à être consommés autrement qu’après une cuisson complète. Cette congélation est obligatoire pour les professionnels (règlementation européenne de 2004), mais peu respectée, en particulier par certains restaurateurs, qui estiment que la congélation (plus que la surgélation) altère la texture et la consistance de leurs mets.

La « tæniase du poisson » (Diphyllobothrium latum ou bothriocéphale), encore endémique dans des lacs de Suisse et de Savoie, est devenue très rare en France (moins de 100 cas par an). Elle complique l’ingestion de poissons de lacs crus ou insuffisamment cuits. Elle est habituellement peu ou pas symptomatique mais peut se compliquer rarement d’une carence en vitamine B12. Le diagnostic est fait par détection des œufs dans les selles. Le traitement se fait par niclosamide ou praziquantel. La parasitose peut être prévenue par une congélation domestique préalable d’au moins 24 heures ou une cuisson complète du poisson (pas de couleur rosée à l’arête).

Ténia du bœuf stable, ascaris en baisse, ténia du porc éradiqué en France

Malgré les contrôles sanitaires de la viande, il y a toujours plus de 30 000 cas de tæniase du bœuf (Taenia saginata) en France chaque année. Seule la congélation préalable (une semaine en congélateur domestique) prévient la contamination potentielle par consommation de toute viande de    bœuf non complètement cuite (brune) à cœur, en particulier bleue ou tartare. Les symptômes vont du portage sain à l’inconfort digestif, en passant par des manifestations générales d’imputabilité plus incertaine (boulimie, perte de poids, troubles de l’humeur). L’hyperéosinophilie est surtout présente à la phase d’invasion, avant l’expulsion des anneaux. Le ténia vit en moyenne 2-3 ans, au pire 35 ans. Le diagnostic est fait à partir de la description des anneaux, de l’identification parasitologique d’un anneau transmis au laboratoire, d’un scotch-test (œufs). La PCR nématode n’est pas très performante, car si la selle n’est pas homogénéisée, elle peut être faussement négative si l’échantillon ne contient pas d’œufs. Le traitement par niclosamide ou praziquantel est simple et efficace.

L’ascaridiose est de moins en moins fréquente. Lorsque les vers adultes sont uniques ou peu nombreux, il n’y a en général pas de symptômes après une hyperéosinophilie transitoire. Le diagnostic est évoqué lorsqu’un ver adulte est expulsé. Il est confirmé par un examen parasitologique des selles (œufs). Le flubendazole et l’albendazole sont très efficaces.

Le ténia du porc (Taenia solium) est maintenant éradiqué en France après avoir été endémique à la Réunion jusque dans les années 1990. Il existe deux formes cliniques importées de la parasitose. La première fait suite à la consommation de viande de porc infectée (dite ladre) insuffisamment cuite. Le tableau est bénin et comparable à la tæniase du bœuf. En revanche, la cysticercose larvaire disséminée est redoutable. Elle complique l’ingestion en zone d’endémie d’aliments contaminées par les œufs des déjections humaines, ou plus rarement par un phénomène d’auto-infestation d’un malade atteint de tæniase digestive. Le traitement repose sur l’albendazole ou le praziquantel, en association avec une corticothérapie dans les cysticercoses cérébrales.

Toujours chercher et traiter une anguillulose latente avant d’initier un traitement corticoïdes/ biologique chez les personnes ayant vécu en zone d’endémie

La strongyloïdose ou anguillulose est endémique dans les régions tropicales (pour la France : Antilles, Réunion et Guyane), particulièrement en Afrique subsaharienne, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est. Elle est aussi présente dans le Sud-Est des États-Unis, en Espagne et en Italie. La contamination se fait par pénétration active des larves dans la peau des pieds nus au contact d’un sol humide. L’invasion est souvent silencieuse ou marquée par des lésions urticariennes ou un syndrome de Löffler. Les décennies qui suivent (jusqu’à 40 ans) sont marquées par une auto-ré-infestation chronique le plus souvent asymptomatique ou pauci-symptomatique (douleurs épigastriques, tendance à la diarrhée), le plus souvent associée à une hyperéosinophilie fluctuante. Une anguillulose maligne disséminée et souvent fatale peut survenir au moment de l’initiation d’une corticothérapie systémique ou d’un traitement fortement immunosuppresseur. Il faut donc chercher une anguillulose latente chez toute personne ayant vécu en zone d’endémie et chez laquelle on s’apprête à débuter un traitement immunosuppresseur. Les deux tests recommandés par l’HAS en 2017 (3) sont la sérologie ELISA et l’examen parasitologique des selles classique, puis par extraction de Baermann, sur 3 jours. La PCR, non mentionnée par l’HAS, n’est pas très performante. En cas de positivité de l’un de ces tests, il faut prescrire une dose unique d’ivermectine per os (200 µg/kg), habituellement bien tolérée et efficace (négativation de l’examen parasitologique, disparition de l’hyper-éosinophilie).

Diagnostic des protozooses au cours des diarrhées aiguës, prolongées, voire chroniques : le triomphe des PCR multiplex

La durée d’évolution sans traitement des diarrhées virales n’excède pas en général quelques jours, celle des diarrhées bactériennes peut dépasser   une à deux semaines, mais certaines protozooses (giardiose, amoebose) peuvent causer une diarrhée fluctuante de plusieurs mois. Il est donc indiqué de chercher à exclure la présence d’une protozoose lorsqu’on explore par tests fécaux une diarrhée aiguë (qui ne se résout pas en 3 à 5 jours), une diarrhée prolongée (14 jours à un mois), ou une diarrhée chroniques (> un mois). Les tests moléculaires (PCR) sont ici très performants car ils sont très sensibles et spécifiques (4). Ils sont supérieurs à l’examen parasitologique des selles, qu’il faut répéter deux fois, qui peut être faussement négatif (en cas d’excrétion faible ou intermittente des protozoaires), qui ne détecte pas la cryptopsoridiose (technique spécifique) et qui ne peut pas faire la distinction entre les formes kystiques d’Entameoba histolytica et d’Entamoeba dispar, dix fois plus fréquente dans le monde entier. Les PCR multiplex du commerce incluent en général la recherche de deux protozooses ubiquitaires (giardiose, cryptosporidiose), une protozoose ubiquitaire très faiblement endémique en France (amoebose), et une protozoose essentiellement importée, contractée sur place en zone tropicale ou après consommation de fruits ou légumes crus importés (5) (cyclosporose).

Blastoscystis hominis (BH), vrai commensal et vrai pathogène à la fois !

Des travaux de recherche solides clarifient enfin le rôle pathogène ou non de BH. D’une part, les PCR systématiques chez les candidats donneurs à la transplantation fécale montrent qu’un tiers environ des individus de la population générale sont porteurs sains du protozoaire, et que les receveurs de transplants contenant le parasite ne développent pas de diarrhée (6). Un travail de Louvain suggère même que la présence de BH serait un signe  de bonne biodiversité, avec une prévalence réduite du protozoaire en cas de dysbiose des MICI (7). En pratique, ces faits invitent à ne pas tenter d’éradiquer BH chez les porteurs asymptomatiques.

En cas de diarrhée aiguë de l’enfant et de l’adulte, deux essais avec tirage au sort versus placebo ont évalué l’impact du métronidazole [1,5 g/jour 10 jours, (8)] ou de la nitazoxanide (9) chez des patients chez lesquels BH était le seul pathogène identifié par des méthodes microbiologiques conventionnelles. Dans les deux essais, le produit actif a eu des résultats très supérieurs au placebo, avec une bonne corrélation entre la réponse clinique et la négativation de l’examen des selles. Il est donc licite dans ce contexte précis de proposer à nos patients une cure de métronidazole (la nitazoxanide n’est precrite qu’en ATU).

Pourquoi BH est-il chez certains patients un commensal avéré et chez d’autres un pathogène probable ? Cela peut tenir aux sous-types (avec traits pathogènes ou non) du parasite qui seront peut-être mieux démembrés dans les années à venir, ou à des éléments de terrain. En attendant se pose la question de savoir quoi faire chez une personne atteinte de forme sévère de troubles fonctionnels (calprotectine fécale, biologie sanguine et examens morphologiques normaux) très anciens, avec découverte du protozoaire dans les selles. En l’absence d’évidence, j’ai tendance personnellement à ne rien faire en cas de PCR isolément positive, mais quand même tester la réponse clinique au métronidazole lorsque les parasites sont nombreux en recherche conventionnelle.

Il n’y pas d’éléments de preuve solides pour le caractère pathogène de Dientamoeba fragilis, quel que soit le contexte clinique

À ce jour, il n’y a aucun élément de preuve robuste du caractère pathogène de ce protozoaire (10), au point que la recherche de ce parasite ne fait pas partie de l’enquête microbiologique fécale systématique des candidats donneurs à la transplantation du microbiote fécal dans certains pays.

Références

  1. Fiorenza EA, Wendt CA, Dobkowski KA, King TL, Pappaionou M, Rabinowitz P, et al. It’s a wormy world: Meta-analysis reveals several decades of change in the global abundance of the parasitic nematodes Anisakis spp. and Pseudoterranova spp. in marine fishes and invertebrates. Glob Change Biol. 2020 May;26(5):2854–66.
  2. Hochberg NS, Hamer DH. Anisakidosis: Perils of the deep. Clin Infect Dis Off Publ Infect Dis Soc Am. 2010 Oct 1;51(7):806–12.
  3. HAS. Avril 2017. Actualisation des actes de biologie médicale relatifs au diagnostic de la strongyloïdose.
  4. McAuliffe GN, Anderson TP, Stevens M, Adams J, Coleman R, Mahagamasekera P, et al. Systematic application of multiplex PCR enhances the detection of bacteria, parasites, and viruses in stool samples. J Infect. 2013 Aug;67(2):122–9.
  5. Herwaldt BL, Ackers ML. An outbreak in 1996 of cyclosporiasis associated with imported raspberries. The Cyclospora Working Group. N Engl J Med. 1997 May 29;336(22):1548–56.
  6. Mehta N, Wang T, Friedman-Moraco RJ, Carpentieri C, Mehta AK, Rouphael N, et al. Fecal Microbiota Transplantation Donor Screening Updates and Research Gaps for Solid Organ Transplant Recipients. J Clin Microbiol. 2022 Feb 16;60(2):e0016121.
  7. Tito RY, Chaffron S, Caenepeel C, Lima-Mendez G, Wang J, Vieira-Silva S, et al. Population-level analysis of Blastocystis subtype prevalence and variation in the human gut microbiota. Gut. 2019 Jul;68(7):1180–9.
  8. Nigro L, Larocca L, Massarelli L, Patamia I, Minniti S, Palermo F, et al. A placebo-controlled treatment trial of Blastocystis hominis infection with metronidazole. J Travel Med. 2003 Apr;10(2):128–30.
  9. Rossignol JF, Kabil SM, Said M, Samir H, Younis AM. Effect of nitazoxanide in persistent diarrhea and enteritis associated with Blastocystis hominis. Clin Gastroenterol Hepatol Off Clin Pract J Am Gastroenterol Assoc. 2005 Oct;3(10):987–91.
  10. Wong ZW, Faulder K, Robinson JL. Does Dientamoeba fragilis cause diarrhea? A systematic review. Parasitol Res. 2018 Apr;117(4):971–80.

Abréviations

BH : Blastocystis hominis