Situations particulières dans les MICI : cancer

POST'U 2023

Cancérologie,  MICI

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les traitements autorisés pendant la grossesse
  • Connaître les effets secondaires des traitements sur la grossesse et le fœtus
  • Connaître les traitements autorisés en cas d’antécédent de cancer ou de cancer évolutif
  • Connaître la surveillance des patients pris en charge pour cancer
  • Savoir gérer la reprise ou la poursuite des traitements

Les 5 points forts

  1. Les MICI sont à sur-risque de développer un cancer (grêlique et colo-rectal)
  2. L’administration d’un anti-TNF n’est pas associée à un sur-risque de rechute du cancer
  3. L’ustekinumab et le vedolizumab ne sont pas associés à un sur-risque carcinogène
  4. Le risque de rechute de la MICI est faible chez un patient traité par chimiothérapie
  5. La poursuite ou la reprise d’un traitement immunosuppresseur et/ou biologique est possible et doit être décidée au cas par cas en concertation avec l’oncologue

Liens d’intérêt

Abbvie, Amgen, Celltrion, Janssen, MSD, Pfizer, Servier, Sanofi, Takeda

Mots-clés

MICI, cancer, immunosuppresseurs

Introduction

Les tumeurs malignes représentent la première cause de mortalité en France, les cancers de la sphère digestive représentant environ 25 % des    tumeurs solides. La probabilité de développer un cancer au cours de la vie dans la population générale est donc élevée. Les patients atteints de MICI représentent une population à sur-risque de cancer du fait de l’inflammation intestinale (adénocarcinome colorectal et de l’intestin grêle) et de la prise d’immunosuppresseurs auxquels ils sont exposés de plus en plus précocement. Par ailleurs, le taux de cancer incident chez les patients porteurs d’une MICI et ayant un antécédent de cancer est doublé qu’ils soient exposés ou non à des immunosuppresseurs. Ainsi, la prise en charge thérapeutique d’une MICI ayant un antécédent de cancer ou développant un cancer au cours de son suivi constitue une thématique émergente. Le risque de rechute après traitement curatif d’un cancer et le pronostic d’un cancer invasif chez un patient traité pour une MICI sont éminemment variables selon le type de tumeur et les comorbidités du patient. La décision thérapeutique nécessite donc une analyse au cas par cas en concertation avec l’oncologue.

Peut-on recevoir l’ensemble des traitements prescrits au cours d’une MICI en cas d’antécédent personnel de cancer ?

Il n’y a aucune contre-indication aux traitements usuels (salicylés, corticoïdes, budésonide) chez un patient atteint de MICI ayant un antécédent de cancer ou un cancer évolutif quel qu’il soit. Dans une large méta-analyse de 16 études, le risque de rechute était superposable que le patient soit non exposé ou traité par immunosuppresseurs (thiopurines et méthotrexate) ou anti-TNF en monothérapie (33,8 à 37,5 cas/1 000 patients années) (1). Il était numériquement supérieur mais non statistiquement significatif en cas de combothérapie. Dans un registre national danois portant sur plusieurs maladies inflammatoires dont les MICI, le risque de rechute ou de cancer de novo n’était pas influencé par le délai de reprise d’un anti-TNF (< ou > 2 ans) au décours du diagnostic de cancer (2). Dans une étude de vraie vie américaine, le risque de cancer incident n’était pas influencé par la durée d’exposition à l’anti-TNF (3). Il parait raisonnable de ne pas reprendre les thiopurines en cas d’antécédent de tumeur favorisée par ce traitement (lymphome EBV-induit et T hépato-splénique, leucémie aiguë myéloïde, cancer des voies urinaires, cancer cutané non-mélanocytaire) à l’exception de la première survenue d’un carcinome baso-cellulaire. Il en est de même pour l’utilisation du méthotrexate chez les patients ayant un antécédent de carcinome épidermoïde cutané. Chez les patients ayant un antécédent personnel de cancer, il n’a pas été démontré de sur-risque de cancer incident en cas d’exposition ultérieure à un traitement par Ustekinumab ou Vedolizumab (4,5). Il n’existe pas de données solides concernant l’utilisation des anti-JAK chez des patients ayant un antécédent de cancer. Dans une étude récente dans la polyarthrite rhumatoïde, l’exposition au Tofacitinib était associée à un sur-risque de cancer en comparaison à un anti-TNF (6). Bien qu’il n’y ait pas de sur-risque de cancer avec les anti-JAK 1 dans les essais pivotaux, ces données sont trop préliminaires et les études de vraie vie manquantes. De ce fait, l’introduction d’un anti-JAK chez un patient ayant un antécédent de cancer ne peut être actuellement conseillée.

Quel traitement de la MICI peut-on poursuivre en cas de diagnostic de cancer invasif ?

La conférence de consensus ECCO recommande d’interrompre le traitement par immunosuppresseur ou biothérapie lors de la survenue d’un   cancer, au moins jusqu’à la guérison de celui-ci sauf dans le cas d’un cancer avancé à un stade palliatif où on privilégiera la qualité de vie. Il est conseillé de différer si possible la reprise d’un traitement par immunosuppresseur ou biothérapie dans les 2 ans qui suivent le diagnostic de cancer   et d’être particulièrement prudent si le cancer est à risque de rechute intermédiaire ou élevé (7). Dans une étude française récente chez des patients ayant présenté un cancer colorectal compliquant l’évolution d’une MICI, le taux de rechute de la MICI était de 4 % malgré l’arrêt du traitement immunosuppresseur et/ou biologique chez tous les patients (8). Dans une autre étude multicentrique française portant sur des patients atteints de lymphome, il n’était observé aucune rechute de la MICI sous chimiothérapie malgré l’arrêt du traitement immunosuppresseur et/ou biologique chez la totalité des patients exposés au diagnostic de l’hémopathie (9). Le taux de rechute de la MICI était de 23 % à 3 ans de la fin de la chimiothérapie. Il semble donc que l’exposition à la chimiothérapie puisse s’accompagner d’un effet immuno-modulateur permettant de maintenir la MICI en rémission. Ainsi la nécessité de devoir reprendre un traitement pour la MICI en cours de chimiothérapie est très faible et les options thérapeutiques nombreuses en cas de rechute ultérieure.

Comment suivre une MICI présentant un antécédent de cancer ou un cancer en cours de traitement ?

Dans cette situation, il n’y a aucune spécificité concernant le suivi de la MICI. Il faut adapter la fréquence et les modalités du suivi en fonction des données oncologiques. Après s’être assuré qu’il n’existe pas de surinfection, il est parfois difficile de faire la différence entre une toxicité digestive de la chimiothérapie et une poussée de MICI. Une étude cas-témoin a montré que la tolérance et la toxicité de la chimiothérapie étaient identiques que le patient soit porteur ou non d’une MICI (10). De plus, L’ancienneté de la MICI et le fait qu’elle soit active ou non au diagnostic de cancer   ne présageaient pas d’une sur-toxicité de la chimiothérapie. L’immunothérapie est un traitement de plus en plus utilisé dans les cancers y compris digestifs. Il existe peu de données sur leur toxicité en cas de MICI connue. Dans la plus grosse série de la littérature portant sur 102 patients, le  taux de troubles digestifs immuno-induit était de 41 % (dont 21 % de diarrhée de grade 3-4) vs 11 % pour des patients ayant un cancer colorectal sporadique avec une médiane de survenue de 2 mois (11). Le taux de perforation était de 4 % et de colectomie de 2 %. La moitié des patients ayant présenté une toxicité digestive ont interrompu l’immunothérapie au décours. Le risque était significativement plus élevé pour les patients traités par anti CTLA-4. Tout comme dans les colites immuno-induites, l’Infliximab et le Vedolizumab peuvent être utilisés en cas de cortico-résistance. Bien qu’il n’y ait pas de recommandations, il parait raisonnable de faire une endoscopie avant de débuter une immunothérapie et sans attendre en cas de toxicité digestive aigue sévère afin d’adapter au plus vite le traitement.

Que choisir en cas de rechute de la MICI résistante aux traitements usuels ?

Le risque d’évolutivité du cancer est à l’appréciation de l’oncologue et relève du cas par cas. De façon générale, une tumeur localisée et/ou une maladie tumorale en rémission depuis plus de 5 ans quel que soit son stade initial s’accompagne d’un faible risque de rechute. Dans cette situation, il n’existe habituellement pas de contre-indication formelle à l’introduction ou à la reprise d’un quelconque traitement de la MICI si celui-ci n’est pas impliqué dans la carcinogenèse de la tumeur. En cas de MICI en poussée sévère sans alternative médico-chirurgicale viable, la reprise d’un traitement agressif de la MICI (immunosuppresseurs et/ou biologiques) est légitime quelle que soit la situation carcinologique et guidée par l’historique du patient. La reprise précoce d’un immunosuppresseur et/ou d’un biologique au décours du diagnostic de cancer pour rechute de la MICI résistante aux traitements usuels est le plus souvent retenu en cas de tumeur localisée et/ou de bon pronostic. Il existe de nombreuses situations intermédiaires sur le plan carcinologique. En cas de poussée modérée, le vedolizumab et l’ustekinumab qui ne s’accompagnent d’aucun signal de carcinogenèse avérée et le méthotrexate qui s’accompagne de moins de complications potentielles que les thiopurines sont fréquemment privilégiés en pratique courante.

Références

  1. Shelton E, Laharie D, Scott FI, et al. Cancer Recurrence Following Immune-Suppressive Therapies in Patients With Immune-Mediated Diseases: A Systematic Review and Meta-analysis. Gastroenterology 2016 Jul;151(1):97-109. doi: 10.1053/j.gastro.2016.03.037.
  2. Waljee AK, Higgins PDR, Jensen CB, et al. Anti-tumour necrosis factor-α therapy and recurrent or new primary cancers in patients with inflammatory bowel disease, rheumatoid arthritis, or psoriasis and previous cancer in Denmark: a nationwide, population-based cohort study. Lancet Gastroenterol Hepatol 2020 Mar;5(3):276-284. doi: 10.1016/S2468-1253(19)30362-0. Epub 2019 Dec 10.
  3. Axelrad J, Bernheim O, Colombel JF, et al. Risk of New or Recurrent Cancer in Patients With Inflammatory Bowel Disease and Previous Cancer Exposed to Immunosuppressive and Anti-Tumor Necrosis Factor Agents. Clin Gastroenterol Hepatol 2016 Jan;14(1):58-64. doi: 10.1016/j. cgh.2015.07.037.
  4. Vedamurthy A, Gangasan N, Ananthakrishnan AN. Vedolizumab or Tumor Necrosis Factor Antagonist Use and Risk of New or Recurrent Cancer in Patients With Inflammatory Bowel Disease With Prior Malignancy: A Retrospective Cohort Study. Clin Gastroenterol Hepatol 2022 Jan;20(1):88-95.    doi:10.1016/j.cgh.2020.10.007.
  5. Sandborn WJ, Rebuck R, Wang Y, et al. Five-Year Efficacy and Safety of Ustekinumab Treatment in Crohn’s Disease: The IM-UNITI Trial. Clin Gastroenterol Hepatol 2022 Mar;20(3):578-590. doi: 10.1016/j.cgh.2021.02.025.
  6. Ytterberg SR, Bhatt DL, Mikuls TR, et al. Cardiovascular and Cancer Risk with Tofacitinib in Rheumatoid Arthritis. N Engl J Med 2022 Janv 27;386(4):316-326. doi: 10.1056/NEJMoa2109927.
  7. Annese V, Beaugerie L, Egan L, et al. European Evidence-based Consensus: Inflammatory Bowel Disease and Malignancies. J Crohns Colitis 2015 Nov;9(11):945-65. doi: 10.1093/ecco-jcc/jjv141.
  8. Hammoudi N, Dig Liver Dis 2022 (in press).
  9. Severyns T, Kirchgesner J, Lambert J, et al. Prognosis of Lymphoma in Patients With Known Inflammatory Bowel Disease: A French Multicentre Cohort Study. J Crohns Colitis 2020 Sep 16;14(9):1222-1230. doi: 10.1093/ecco-jcc/jjaa048.
  10. Axelrad J, Kriplani A, Osbek U, et al. Chemotherapy Tolerance and Oncologic Outcomes in Patients With Colorectal Cancer With and Without Inflammatory Bowel Disease. Clin Colorectal Cancer 2017 Sep;16(3):e205-e210. doi: 10.1016/j.clcc.2016.09.005.
  11. Abu-Sbeih H, Faleck DM, Ricciuti B, et al. Immune Checkpoint Inhibitor Therapy in Patients With Preexisting Inflammatory Bowel Disease. J Clin Oncol 2020 Feb 20;38(6):576-583. doi: 10.1200/JCO.19.01674.