Surveillance de la gastrite atrophique hors Biermer

POST'U 2023

Gastro-entérologie

Objectifs pédagogiques

  • Connaître l’histoire naturelle de la gastrite atrophique
  • Savoir la reconnaître et l’évaluer en endoscopie
  • Connaître les modalités de surveillance en fonction du stade de la gastrite atrophique
  • Connaître les stratégies thérapeutiques en cas de dysplasie

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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.

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Les 5 points forts

  1. La gastrite atrophique secondaire à l’infection à Helicobacter pylori, est associée à la survenue de l’adénocarcinome gastrique selon sa sévérité, l’étendue des lésions histologiques et le contexte familial.
  2. La métaplasie intestinale incomplète est un facteur de risque majeur de dégénérescence, dont la présence doit déclencher systématiquement une surveillance endoscopique.
  3. L’évaluation initiale nécessite deux biopsies antrales, une angulaire et deux fundiques, en pots séparés, et d’éventuelles biopsies ciblées par la chromoendoscopie virtuelle.
  4. La gastrite chronique nécessite une surveillance par une endoscopie de qualité, avec un temps dédié suffisant, un appareil de haute définition, et l’utilisation de la chromoendoscopie virtuelle.
  5. La surveillance de la gastrite chronique est endoscopique, tous les 3 ans en cas d’atrophie et/ou métaplasie intestinale étendue sans dysplasie, tous les 1 à 2 ans en cas d’antécédent familial de cancer gastrique associé, et tous les 6 à 12 mois en cas de dysplasie.

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Mots-clés

Gastrite atrophique ; Métaplasie intestinale ; Chromoendoscopie virtuelle

Introduction

Le cancer de l’estomac est un cancer fréquent dans le monde, le 5e par son incidence et le 3e par sa létalité. En France, en 2018, le nombre de nouveaux cas de cancer de l’estomac était de 6 557 dont 4 264 chez l’homme et 2 293 chez la femme. La plupart des cas de cancer de l’estomac sont diagnostiqués à un stade avancé, et en dépit des progrès de la chirurgie et des traitements médicaux, la majorité des patients en meurt. Ainsi, durant cette même année 2018, 4 272 patients sont décédés d’un cancer de l’estomac. La recherche et la surveillance des patients à risque est un moyen permettant de faire diminuer la mortalité du cancer de l’estomac, par une détection et une prise en charge précoce : dans ce cadre, la gastrite atrophique chronique représente un enjeu majeur dans une politique de prévention du cancer gastrique. En effet, l’incidence annuelle de cancer de l’estomac chez une population suivie pour une gastrite atrophique est comprise entre 0,1 et 0,25 %, et elle est de 0,25 % lorsqu’il existe de la métaplasie intestinale (1). Certaines études asiatiques rapportent même une incidence cumulée à 5 ans de cancer gastrique de presque 10 % (2) !

Histoire naturelle de la gastrite atrophique

Qu’est-ce que la gastrite atrophique ?

La gastrite atrophique est le point de départ de la longue séquence de carcinogenèse qui aboutit à l’adénocarcinome gastrique, passant d’inflammation à atrophie, puis métaplasie intestinale (MI), puis dysplasie, et enfin, carcinome. La gastrite atrophique est donc une lésion pré-cancéreuse, conférant au patient un surrisque d’adénocarcinome gastrique.

Quelles sont les causes de la gastrite atrophique ?

Les 2 principales causes de gastrite chronique sont l’infection à Helicobacter Pylori (H. Pylori), de loin la plus fréquente même si sa prévalence a fortement diminué dans les pays occidentaux, et la gastrite auto-immune (maladie de Biermer), qui est une entité particulière qui ne sera pas traitée dans ce chapitre. On trouve également des diagnostics plus exceptionnels, tels que la gastrite chronique liée aux MICI, la gastrite lymphocytaire, ou encore la gastrite à collagène. Globalement, il y a peu de données épidémiologiques précises, mais il semble que l’infection par H. Pylori soit responsable de 80 à 90 % des gastrites chroniques (3). La prévalence de la gastrite chronique repose donc essentiellement sur celle de l’infection par H. Pylori : celle-ci est variable en Europe, de 11 à 18 % pour la Suède, à 63 à 84 % pour le Portugal (4).

Histoire naturelle de la gastrite atrophique

La gastrite chronique est définie histologiquement par la présence d’un infiltrat anormalement dense de cellules inflammatoires, essentiellement mononucléées, dans le chorion de la muqueuse gastrique. Des polynucléaires éosinophiles et plus rarement neutrophiles peuvent être présents au sein de l’infiltrat. Le diagnostic est assez subjectif pour l’anatomopathologiste car, en dehors de la classification de Sydney (5) qui ne concerne que l’infection à H. Pylori, il n’y a pas de définition précise du caractère anormalement dense de l’infiltrat inflammatoire. Au stade initial, l’infiltrat inflammatoire, essentiellement mononucléé, est confiné à la muqueuse superficielle. La lymphoplasmocytose sous-épithéliale s’étend par la suite, plus ou moins en profondeur, dans les glandes. Avec le temps, l’inflammation peut confluer jusqu’à occuper toute l’épaisseur de la muqueuse. Des polynucléaires éosinophiles et neutrophiles, macrophages, monocytes, mastocytes peuvent également infiltrer la muqueuse. L’évolution se fait vers le développement d’une atrophie glandulaire (disparition des glandes) dans l’antre et dans le fundus, remplacée par une fibrose ou une métaplasie intestinale (complète ou incomplète) ou pseudo-pylorique. Le plus souvent, H. Pylori est mis en évidence histologiquement soit avec les colorations standards soit avec des colorations spéciales (Giemsa…). Les germes se situent dans le mucus adhérent à l’épithélium. Une coloration immunohistochimique ou une recherche par PCR est nécessaire en cas de négativité de la recherche standard ou après coloration spéciale (6). À un stade plus tardif, l’atrophie devient plus importante ainsi que la métaplasie qui peut devenir prédominante. C’est sur ce terrain qu’apparaît alors la dysplasie, puis l’adénocarcinome gastrique (figure 1 : photographies de lames d’anatomopathologie correspondant aux différents stades de gastrite atrophique).

Figure 1A : Atrophie légère antrale avec métaplasie intestinale

Figure 1A : Atrophie légère antrale avec métaplasie
intestinale

Figure 1B : Atrophie modérée antrale

Figure 1B : Atrophie modérée antrale

Figure 1C : Métaplasie complète (flèche) et incomplète (cercle)

Figure 1C : Métaplasie complète (flèche)
et incomplète (cercle)

Figure 1D : Dysplasie de bas grade

Figure 1D : Dysplasie de bas grade

Le niveau de risque de cancer dans la gastrite liée à H. Pylori a été évalué par les scores OLGA (Operative Link for Gastritis Assessment) et OLGIM (Operative Link on Gastric Intestinal Metaplasia) qui reposent respectivement sur la sévérité et la topographie des lésions de gastrite chronique atrophique et de métaplasie intestinale. Cette classification est utile pour déterminer le rythme de surveillance. Ainsi, dans une méta-analyse récente, les risques relatifs de cancer gastrique chez les patients classés OLGIM III/IV et OLGA III/IV étaient respectivement de 3,99 et 27,70, par rapport aux patients classés niveau I/II (7). (figure 2 : classifications OLGA et OLGIM résumées dans deux tableaux).

 

Figure 2A : Classification OLGA
Classification OLGA Corps gastrique
Antre gastrique (incluant angulus) Score d’atrophie Pas d’atrophie Atrophie minime Atrophie modérée Atrophie sévère
Pas d’atrophie Stade 0 Stade 1 Stade 2 Stade 2
Atrophie minime Stade 1 Stade 1 Stade 2 Stade 3
Atrophie modérée Stade 2 Stade 2 Stade 3 Stade 4
Atrophie sévère Stade 3 Stade 3 Stade 4 Stade 4

MI : métaplasie intestinale ; OLGA : operative link on gastritis assessment

 

Figure 2B : Classification OLGIM
Classification

OLGIM

Corps gastrique
Antre gastrique (incluant angulus) Score MI Pas de MI MI minime MI modérée MI sévère
Pas de MI Stade 0 Stade 1 Stade 2 Stade 2
MI minime Stade 1 Stade 1 Stade 2 Stade 3
MI modérée Stade 2 Stade 2 Stade 3 Stade 4
MI sévère Stade 3 Stade 3 Stade 4 Stade 4

MI : métaplasie intestinale ; OLGIM : operative link on gastric intestinal metaplasia assessment

Influence de l’éradication d’H. Pylori

Plusieurs études et méta-analyses se sont intéressées à la réversibilité des lésions de gastrite atrophique chronique après traitement de l’infection à H. Pylori : la plupart sont en faveur d’un bénéfice net de l’éradication d’H. Pylori, à la fois sur l’amélioration histologique, et également sur la réduction du risque de cancer gastrique. Cet effet positif est très clair pour les patients ayant une gastrite chronique +/- une atrophie gastrique, et il existe également à des stades histologiques plus avancés (c’est-à-dire avec métaplasie intestinale). Ainsi, dans une étude récente ayant suivi presque 5 000 patients sur une quinzaine d’années, tous les stades de sévérité de la gastrite chronique régressaient après le traitement d’éradication d’H. Pylori (8). Enfin, aucune étude ne suggère que l’éradication d’H. Pylori puisse avoir un effet néfaste, et compte tenu de cet élément, l’éradication bactérienne peut certainement être considérée comme la règle, peu importe la présence de lésions de gastrite chronique ou non, et leur état d’avancement.

L’effet bénéfique de l’éradication d’H. Pylori a été plus controversé chez les patients ayant eu une résection endoscopique de cancer gastrique, avec plusieurs résultats contradictoires. Ce débat a récemment été interrompu après la publication d’un essai randomisé en double aveugle qui montrait  une réduction de 50 % du risque de cancer métachrone après éradication d’H. Pylori (9). Les choses sont donc simples, il faut traiter H. Pylori quelle que soit la situation !

Reconnaître et évaluer la gastrite chronique

Une endoscopie de qualité

Savoir reconnaître la gastrite chronique passe inévitablement par la pratique d’une endoscopie œso-gastro-duodénale. Cet examen, largement pratiqué, doit répondre à des critères de qualité, qui ont été précisés dans les recommandations de plusieurs sociétés savantes, qu’elles soient européennes (10) ou américaines (11). Un résumé de ces recommandations écrit par le Dr Sarah Leblanc pour la FMC-HGE en 2019 est également disponible (12).

En bref, un temps minimal d’examen (établi actuellement à 7 minutes), une préparation de la muqueuse digestive par le nettoyage puis l’insufflation, l’utilisation d’un endoscope de haute définition avec chromoendoscopie (CE) virtuelle, et un protocole standardisé d’images, sont indispensables à un examen complet et de bonne qualité.

La chromoendoscopie est essentielle

L’utilisation d’un endoscope moderne, de haute définition, avec CE virtuelle, est désormais recommandé. En effet, il permet d’obtenir des meilleures performances dans la détection des lésions pré-cancéreuses, et des carcinomes superficiels, par rapport à un examen en lumière blanche seule. L’utilisation de colorants tels que l’indigo carmin ou le bleu de méthylène, bien qu’efficace dans la détection et la caractérisation, est progressivement abandonnée dans cette indication du fait de son caractère chronophage, au profit des systèmes de coloration virtuelle (NBI : Narrow Band Imaging — Olympus, BLI : Blue Laser Imaging – Fujifilm, I-scan – Pentax Medical). La plupart des données proviennent d’études utilisant le NBI : dans une méta-analyse sur ses performances, la sensibilité et la spécificité pour le diagnostic de métaplasie intestinale étaient de 86 % et 77 %, et pour les dysplasie/ cancer superficiel les valeurs atteignaient 90 % et 83 % (13). Une classification basée sur l’observation avec NBI a été publiée en 2014, afin de guider et de simplifier l’interprétation des images endoscopiques permettant d’obtenir des performances élevées dans le diagnostic de la métaplasie intestinale et de la dysplasie (respectivement 84 % et 95 %) (14). Cette classification a été validée ultérieurement dans une étude multicentrique prospective internationale occidentale, avec des performances similaires (15) : elle résume la sémiologie endoscopique permettant d’approcher le diagnostic histologique en temps réel des lésions visibles (figure 3 : classification sémiologique).

 

Figure 3 : Classification sémiologique endoscopique des lésions de gastrite chronique évaluées avec le système Narrow Band Imaging – tiré de Pimentel-Nunes et al. Endoscopy 2012
Classification proposée pour les lésions de gastrite chronique en NBI
A B HP+ C
Aspect glandulaire Régulier, circulaire Régulier, tubulo- villeux Crêtes bleutées Régulier Irrégulier/absent

Substance blanche opaque

Aspect vasculaire Régulier, vaisseaux périphériques fins, vaisseaux centraux épais Régulier Régulier avec densité vasculaire variable Irrégulier
Diagnostic optique Muqueuse normale Métaplasie intestinale Infection H Pylori Dysplasie

 

Connaitre la sémiologie endoscopique

Cette classification utilise les paramètres d’analyse suivants :

  • Motif glandulaire (pitt pattern) : régulier et circulaire, avec des glandes ovales ou circulaires bien délimitées (figure 4a), régulier et tubulo-villeux (aspect bien délimité des glandes qui sont villeuses ou en tubulées) (figure 4b), ou irrégulier (distorsion architecturale, jusqu’à l’absence de glandes) (figure 4c).
  • Motif vasculaire : vaisseaux réguliers (au centre des glandes ou les surmontant, bien limités (figure 4a), ou irréguliers (figure 4c)
  • Crêtes bleutées (« blue light crest ») : qui correspondent en NBI à des zones légèrement surélevées d’aspect bleu-blanc (figure 4d)
  • Substance blanche opaque recouvrant la muqueuse
Figure 4A : Gastrite atrophique débutante sans métaplasie intestinale, en lumière blanche et BLI

Figure 4A : Gastrite atrophique débutante sans métaplasie intestinale, en lumière blanche et BLI

 

Figure 4B : Métaplasie intestinale en mode BLI

Figure 4B : Métaplasie intestinale en mode BLI

Figure 4C : Dysplasie de haut grade (dans le cercle) au sein d’une gastrite atrophique, en mode BLI

Figure 4C : Dysplasie de haut grade (dans le cercle) au sein d’une gastrite atrophique, en mode BLI

Figure 4D : Aspect de crêtes bleutées typiques de métaplasie intestinale, en mode BLI

Figure 4D : Aspect de crêtes bleutées typiques
de métaplasie Intestinale, en mode BLI

Les paramètres d’épaisseur des vaisseaux, ou de densité des vaisseaux, n’ont pas été pris en compte dans la classification, car jugés trop subjectifs. À partir de ces paramètres, on peut donc distinguer les lésions de MI qui présentent un aspect de glandes régulières tubulo-villeuses (la muqueuse normale a des glandes rondes), des vaisseaux réguliers, et les fameuses crêtes bleutées en NBI, qui sont spécifiques de la métaplasie intestinale. À noter que l’absence de crêtes bleutées n’élimine pas la présence de MI.

Comment faut-il biopsier ?

Pour évaluer correctement les patients avec une gastrite atrophique, il faut réaliser des biopsies systématiques afin d’une part, d’identifier le degré d’évolution et le niveau de risque de la gastrite atrophique, et d’autre part, de rechercher une infection par H. Pylori (pour la première endoscopie). Comment réaliser ces biopsies ? Les premières guidelines européennes MAPS I recommandaient l’usage du protocole révisé de Sydney (figure 5) : 5 biopsies gastriques au minimum, dont deux dans l’antre (sur la petite et la grande courbure gastrique, à 3 cm du pylore), deux dans le corps (sur la petite courbure, à 4 cm de l’angulus, et sur la partie médiane de la grande courbure), et une dans l’angulus. Depuis, de nombreuses études aux résultats parfois contradictoires ont été menées afin de déterminer l’intérêt de cette biopsie supplémentaire de l’angulus. En résumé, le gain diagnostique est probable mais faible : on peut recommander de l’effectuer si une analyse par chromoendoscopie virtuelle n’est pas réalisable pour effectuer des biopsies ciblées. On peut également le recommander lorsque la précédente endoscopie avec biopsies a permis de détecter un stade avancé de gastrite atrophique, c’est-à-dire avec au minimum de la MI.
Figure 5

Figure 5

Les biopsies ciblées par l’endoscopie haute définition avec chromoendoscopie virtuelle ne pourraient-elles pas remplacer les biopsies à l’aveugle du protocole de Sydney ? Pour le moment non, en particulier si l’on n’est pas expert dans la détection et la caractérisation des lésions pré-néoplasiques. Dans différentes études menées sur le sujet, les meilleurs résultats étaient obtenus par la combinaison des deux techniques, les biopsies à l’aveugle permettant d’augmenter le taux global de détection des zones de métaplasie intestinale, parfois non vues en NBI, bien que l’analyse en NBI dans des mains expertes soit très performante (16). Pour le ciblage des lésions plus avancées dysplasiques, l’utilisation du NBI semble indispensable en comparaison des biopsies ciblées en lumière blanche, avec des écarts de performances parfois majeurs (17). On estime ainsi à partir de différentes études que 10 % des cancers superficiels de l’estomac sont manqués par l’endoscopie sans chromoendoscopie virtuelle (18). L’idéal actuel est donc pour un gastro-entérologue non-expert, de continuer à biopsier selon le protocole de Sydney, avec deux biopsies antrales et deux biopsies corporéales (+/- une biopsie de l’angulus), et d’effectuer des biopsies complémentaires guidées par la chromoendoscopie (CE) virtuelle.

Stratégies de surveillance

Gastrite atrophique et métaplasie intestinale

Comme écrit précédemment, la gastrite atrophique est une pathologie très fréquente, en particulier dans les populations à taux élevé d’infection par H. Pylori. Pour une population atteinte de gastrite chronique, le risque de cancer gastrique est faible, avec une incidence annuelle de l’ordre de 0,1 à 0,25 %. Il faut donc définir la population cible chez qui le risque évolutif de cancer gastrique est jugé significatif, afin d’optimiser le rendement de la surveillance. L’étendue des lésions d’atrophie et de métaplasie intestinale, la présence d’une métaplasie intestinale incomplète, et des antécédents familiaux de cancer gastrique sont les 3 principaux paramètres utilisés.

De nombreuses études, asiatiques mais également occidentales, ont montré la corrélation entre métaplasie intestinale et cancer gastrique, la métaplasie intestinale étant vue comme un « surrogate marker » d’une atrophie gastrique sévère et étendue. Néanmoins, la prévalence de la métaplasie intestinale focale est élevée, pouvant concerner jusqu’à 25 % d’une population ayant pratiqué une endoscopie digestive haute (19), et il ne paraît pas concevable de surveiller autant de patients. En revanche, la métaplasie intestinale étendue à l’antre et au corps de l’estomac augmente nettement le risque de cancer gastrique par rapport à la métaplasie intestinale focale, et dans cette configuration, une surveillance doit être proposée. En cas de métaplasie intestinale focale, il faut rechercher la présence des autres facteurs de risque.

La métaplasie intestinale incomplète

La métaplasie intestinale incomplète est une entité anatomopathologique distincte, à ne pas confondre avec la métaplasie focale, qui définit simplement le fait que la métaplasie soit présente par « spots » et non de manière étendue. La métaplasie intestinale incomplète est composée de cryptes architecturalement déformées bordées par un épithélium colique avec de multiples gouttelettes de mucine intracytoplasmique de taille et de forme variables sans bordure en brosse. Pour rappel, la métaplasie intestinale complète comprend des cryptes droites bordées d’un petit épithélium intestinal avec une bordure en brosse bien définie et des cellules caliciformes matures (20). Il s’agit d’une notion peu présente dans nos comptes- rendus d’anatomo-pathologie… et pourtant ! Le risque de cancer gastrique en cas de métaplasie incomplète est multiplié par 6 à 11, en comparaison de la métaplasie intestinale complète. Si la métaplasie intestinale incomplète est rapportée, il faudra donc la considérer comme un facteur de risque à part entière, et l’intégrer au processus de sélection pour la surveillance des patients (21).

Histoire familiale

Bien que la majorité des cancers gastriques soit sporadique, 10 % s’inscrivent dans une agrégation familiale, et le risque de développer un cancer de l’estomac en cas d’antécédent familial au 1er degré est augmenté d’un facteur 2 à 10 (il varie avec l’origine ethnique et géographique) (22). La progression vers des stades avancés de gastrite atrophique (OLGA III/IV) et vers la dysplasie serait plus rapide que dans la population générale, plus élevée que dans l’infection par H. Pylori. Une susceptibilité génétique, et le partage de facteurs de risque liés à l’environnement et/ou au mode de vie sont également incriminés (23). Considérant ces éléments, il paraît donc raisonnable de suivre plus attentivement les patients avec une atrophie gastrique étendue et/ ou de la métaplasie intestinale, et un antécédent au 1er degré de cancer de l’estomac.

La dysplasie

En cas de dysplasie sur les prélèvements anatomopathologiques, il faut différencier deux situations : 1) les prélèvements ont été ciblés sur une lésion visible, et il faut réaliser un geste de résection par un gastro-entérologue pratiquant toutes les techniques d’exérèse, y compris la dissection sous-muqueuse 2) en l’absence de lésion visible, REFAIRE une endoscopie pour traquer la lésion non vue la première fois. En effet, la plupart des endoscopies digestives hautes de routine sont pratiquées en lumière blanche, et peuvent manquer une lésion superficielle. Ainsi, 10 % des patients avec un diagnostic de cancer gastrique avaient eu une endoscopie haute récente lors de laquelle aucune lésion significative n’avait été identifiée. La détection des lésions dysplasiques étant bien meilleure lorsqu’on utilise un endoscope de haute définition avec chromo-endoscopie virtuelle, il faut donc impérativement répéter l’examen. Dans une étude prospective incluant des patients avec un diagnostic de dysplasie de haut grade ou adénocarcinome superficiel, sans lésion visible, la répétition d’une endoscopie avec chromo-endoscopie permettait l’identification puis le traitement adéquat dans 18 cas sur 20 (24). Le temps passé lors de l’examen doit également être allongé, une durée supérieure à 7 min étant statistiquement reliée à un taux de détection plus élevé des lésions dysplasiques (25). Pour le statut « indéfini pour la dysplasie », il doit faire pratiquer une nouvelle endoscopie minutieuse. En effet, la lecture anatomopathologique est parfois difficile, et la révision des lames par des pathologistes experts peut faire porter le diagnostic de dysplasie de bas voire de haut grade dans environ 25 % des cas (26). En résumé, tout patient avec un diagnostic de dysplasie/ indéfini pour dysplasie, sans lésion visible, doit bénéficier d’une nouvelle endoscopie dans les meilleurs délais, par un endoscopiste expérimenté, avec une lecture des lames par un pathologiste expert. Si une lésion est visible, la résection endoscopique est pratiquée. En l’absence de lésion visible, une nouvelle série de biopsies est pratiquée :

  1. en l’absence de dysplasie, la surveillance sera définie par la sévérité et l’extension de l’atrophie
  2. en cas de dysplasie de bas grade, surveillance endoscopique à 12 mois.
  3. en cas de dysplasie de haut grade, surveillance endoscopique à 6 mois.

Comment surveiller après la stadification ?

Chez les patients avec une gastrite atrophique et/ ou de la métaplasie intestinale, on pourra proposer une surveillance conditionnée par certains critères (figure 6) :

  • En cas d’atrophie mineure ou modérée, uniquement localisée à l’antre, sans métaplasie intestinale : pas de surveillance ;
  • En cas de métaplasie intestinale limitée à l’antre ou corps de l’estomac : surveillance à 3 ans seulement en cas de FDR supplémentaire : métaplasie incomplète, histoire familiale de cancer gastrique, infection à H. Pylori persistante ;
  • En cas d’atrophie/ et ou métaplasie intestinale dans l’antre ET le corps de l’estomac : surveillance tous les 3 ans, intensifiée tous les 1 à 2 ans si histoire familiale de cancer gastrique ;
  • En cas de dysplasie, répéter l’endoscopie avec HD et CE si pas de lésion visible. En l’absence de lésion visible, surveiller tous les 6 mois si lésions de haut grade, tous les 12 mois si bas grade ;
  • Après résection d’une lésion dysplasique, une surveillance annuelle est requise. Écarter le suivi au-delà de 12 mois semble augmenter le risque de détection d’une lésion métachrone plus volumineuse voire non résécable (27).

Dans le cadre de la surveillance, les biopsies doivent être préférentiellement guidées par l’endoscopie avec chromoendoscopie virtuelle, avec prélèvement de toutes les zones irrégulières.

Figure 6 : Algorithme de surveillance proposé pour le suivi de la gastrite chronique atrophique à ses différents stades. Tiré des recommandations ESGE 2019

Figure 6 : Algorithme de surveillance proposé pour le suivi de la gastrite chronique atrophique à ses différents stades. Tiré des recommandations ESGE 2019

Références bibliographiques

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Abréviations

MI : métaplasie intestinale

FDR : facteur de risque

CE : chromoendoscopie

HD : Haute Définition

Remerciements

Dr Laure Dibombé de l’IHP Nantes, pour m’avoir fourni les photos d’anatomopathologie.