Colites aiguës graves bactériennes en l’absence d’immunodépression
POST'U 2025
Gastro-entérologie
Objectifs pédagogiques
- Connaître les principales bactéries à potentiel pathogène et leur épidémiologie
- Connaître les critères de gravité
- Connaître le bilan à réaliser devant une colite aiguë grave
- Connaître la prise en charge thérapeutique et ses mesures complémentaires (Isolement -DO)
- Connaître les complications des colites aiguës graves
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Nous vous invitons à tester vos connaissances sur l’ensemble des QCU tirés des exposés des différents POST'U. Les textes, diaporamas ainsi que les réponses aux QCM seront mis en ligne à l’issue des prochaines journées JFHOD.
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Les 5 points forts
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Le Clostridioides difficile (C.difficile) est la principale cause de colite infectieuse sévère compliquée chez l’immunocompétent et doit être recherchée systématiquement même en l’absence de prise récente d’antibiotiques ou d’hospitalisation.
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La survenue d’une fièvre> 38,5°C et/ou d’une insuffisance rénale aiguë (> 50 % d’augmentation du taux de créatinine) et/ou d’une hyperleucocytose> 15 G/L sont des critères de sévérité de la colite à C.difficile et impliquent une hospitalisation.
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En cas d’infection à C.difficile sévère-compliquée réfractaire, une transplantation de microbiote fécal doit être envisagée en alternative à la colectomie.
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En cas de colite sévère présumée infectieuse, en plus des mesures réanimatoires, un traitement antibiotique probabiliste par céphalosporines de 3e génération et métronidazole [ou pipéracilline/tazobactam en cas de défaillance hémodynamique ou de SEPSIS (qSOFA ≥2)] devra être débuté après réalisation des prélèvements infectieux.
- Une bactériémie à Campylobacter spp doit faire débuter un traitement par amoxicilline-acide clavulanique du fait d’une résistance naturelle des Campylobacter spp aux céphalosporines de 3e génération ou à l’association pipéracilline-tazobactam.
Vidéo
LIENS D’INTÉRÊT
Consultant : Ferring Pharmaceuticals ; Tillots pharma ; Frais de voyage : Tillots pharma
MOTS-CLÉS
Iléocolites infectieuses ; colite à Clostridioides difficile ; colite aiguë sévère
ABRÉVIATIONS
BHRe : Bactéries hautement résistantes émergentes
BMR : Bactéries Multi-Résistantes
BU : Bandelette urinaire
CMV : Cytomégalovirus
ECBU : Examen cytobactériologique des Urines
ICD : Infection à Clostridioides difficile
MICI : Maladie Inflammatoire Chronique Intestinale
RCH : Rectocolite hémorragique
TIAC : Toxi-infection alimentaire collective
TMF : Transplantation de Microbiote Fécal
Introduction
En dehors de l’infection à Clostridioides difficile (ICD ; cf. infra), les critères de sévérité d’une iléocolite infectieuse reposent sur les critères cliniques habituels de sévérité d’une infection avec la présence de signe de sepsis (score de quick SOFA≥2, tableau 1) (1), de signes de gravité biologiques (troubles hydroélectrolytiques et insuffisance rénale aiguë), des signes de complication chirurgicale ou pré-chirurgicale clinique (défense, contracture) ou radiologiques (colectasie≥ 5,5 cm quel que soit la portion colique, pneumatose pariétale, aéroportie, perforation, amincissement ou défaut de rehaussement de la paroi colique, épanchement intra-abdominal abondant).
Tableau 1 : Score de quick SOFA. Un score ≥ 2 est associé à une mortalité hospitalière ≥ 10 %
Paramètres cliniques | Score |
Pression Artérielle ≤ 100 mmHg | 1 |
Fréquence respiratoire ≥ 22/min | 1 |
Altération de la conscience (Glasgow score ≤ 14) | 1 |
La prise en charge diagnostique infectieuse initiale repose sur la recherche systématique de pathogènes dans les selles à l’aide de méthode moléculaire de PCR syndromique si disponible, de résultats plus rapides et plus sensibles que les coprocultures standards qui nécessitent au moins 5 jours de culture. Le diagnostic différentiel principal est une colite aiguë grave survenant dans le cadre d’une maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI) dont le diagnostic sera à rechercher à l’aide d’une recto-sigmoïdoscopie et la réalisation de biopsies à la recherche d’inclusion à CMV et de signes histologiques d’inflammation chronique. En particulier, une distorsion des cryptes ou un infiltrat lympho-plasmocytaire ne sont pas observés dans le cadre d’une colite aiguë infectieuse isolée et doit orienter vers le diagnostic de MICI (2). Les autres diagnostics différentiels sont à évoquer en fonction du contexte (neutropénie ou traitement médicamenteux spécifique, figure 1).
Figure 1 : Prise en charge initiale dans la cadre d’une suspicion de colite infectieuse avec critères de sévérité
Une fièvre élevée (> 38,5°C) et un début brutal doivent faire évoquer une cause infectieuse (3).
Épidémiologie des iléo-colites infectieuses sévères
Les iléo-colites sévères purement infectieuses chez l’immunocompétent restent un évènement clinique peu fréquent en France. Leur épidémiologie reprend les principales causes virales et bactériennes d’entérocolites infectieuses (tableau 2) (4). Il n’existe pas de registre spécifique intégrant l’ensemble des pathogènes responsables de ce type de pathologie mais en reprenant les statistiques des colites infectieuses les plus fréquentes à partir des données agrégées des différents CNR correspondants (Campylobacter, C.difficile, Salmonella, E.coli productrice de Shiga-toxin, Shigella, Yersinia spp), on peut estimer un ordre de grandeur des colites infectieuses sévères, c’est-à-dire avec nécessité d’hospitalisation, de l’ordre de 15 000 cas/an en France (tableau 2) (5). On peut mettre ce nombre en perspective avec l’incidence classiquement décrite des colites aiguës graves survenant dans un contexte de MICI estimée de l’ordre de 10 à 15 % dans la rectocolite hémorragique (RCH) pour 80 000 patients en France. La mortalité des colites infectieuses bactériennes reste toutefois très faible avec moins de 4 000 décès par an en Europe pour ICD et moins de 200 décès pour colite bactérienne hors ICD par an en France.
Les colites à CMV en dehors d’un contexte connu d’immunodépression ou de MICI restent extrêmement rares et les cas décrits chez l’immunocompétent surviennent essentiellement dans un contexte que l’on pourrait qualifier « d’immunodépression fonctionnelle » chez des patients âgés comorbides hospitalisés ou en réanimation (6). Pour le gastroentérologue, le diagnostic de colite à CMV doit surtout être évoqué systématiquement dans un contexte de RCH en poussée sévère réfractaire aux corticoïdes (7).
Enfin, la colite à Klebsiella oxytoca est une entité rare mais qu’il convient d’évoquer dans un contexte de colite hémorragique survenant dans les suites d’un traitement antibiotique notamment par amoxicilline ou pristinamycine. Elle serait à l’origine de 50 à 80 % des cas de colites hémorragiques C.difficile négatives après antibiotiques (8). La recherche de K.oxytoca ne se fait pas sur les coprocultures standards ou par PCR syndromique et n’est pas systématiquement réalisée par les laboratoires de biologie. Sa recherche doit donc faire l’objet d’une demande spécifique au moment de l’envoi du prélèvement de selles pour une mise en culture sur milieu spécifique. Le traitement de K.oxytoca sera alors orienté suivant les résultats de l’antibiogramme et repose en première intention sur l’utilisation des céphalosporines de 3e génération et l’arrêt si possible des autres traitements antibiotiques favorisant.
Chez les patients au retour de voyage en pays tropical ou à faible niveau d’hygiène, la recherche d’Entamoeba histolytica devra également être réalisée en particulier dans un contexte de syndrome dysentérique avec diarrhée glairo-sanglante sans fièvre associée. Les forme graves d’amoebose intestinale surviennent essentiellement chez le sujet de plus de 60 ans. La recherche peut se faire par PCR spécifique ou examen direct des selles fraîchement émises (< 4 h) pour identifier les formes végétatives hématophages (non kystiques). Il n’est toutefois pas possible de différencier les kystes d’Entamoeba histolytica de ceux d’Entamoeba dispar qui est non pathogène. Comme pour tout examen parasitologique des selles, un examen négatif ne suffit pas et il faut, dans l’idéal, réaliser l’examen 3 jours non consécutifs sur un intervalle maximal de 10 jours (source BioBook – Hospices Civils de Lyon).
Tableau 2 : Principaux pathogènes impliqués dans les formes sévères d’iléocolites infectieuses et leurs traitements
Bactéries | Nombre d’hospitalisation estimée/ an | Contexte | Traitement de 1re intention après documentation | Mesures associées |
Campylobacter spp |
~6900* |
Contamination alimentaire. Epidémie estivale (Juillet- Août-Septembre) |
AZT 500mg/jour – 3 jours – (<2% de résistance sauf pour C. coli aux alentours de 7%)
Si hospitalisation : AMOX/Ac. CLAV 1g/8h (<1% de résistance) |
DO si TIAC associée |
Clostriodioides difficile |
~6800** |
TOUT contexte |
FIDAXOMICINE 200mg/12h ou
VANCOMYCINE per os 125mg/6h Si ICD sévère-compliquée : Vancomycine per os 500Mg/6h + lavement vancomycine 500mg/100mL /6h +/- ajout MZD IV 500mg/8h ou TIGECYCLINE IV 50mg/12h (dose de charge 100mg) |
Isolement précautions contact spécifiques C. difficile (cf texte).
Signalement au CCLIN et à l’ARS de tout cas sévère d’ICD nosocomiale et de tous cas groupés ou épidémie |
Salmonella enterica non typhi |
~4400* |
Contamination alimentaire. Epidémie estivale (Juillet à Octobre) | AZT 500mg/jour – 3 jours (<1% de résistance)
Si hospitalisation : C3G – 7 jours |
DO si TIAC associée Isolement précautions contact si hospitalisation |
E. coli productrice de Shiga-Toxine |
~510* |
Contamination alimentaire. Syndrome dysentérique – Syndrome hémolytique et urémique notamment chez l’enfant |
Indication discutée – Possibilité de traiter par AZT 500mg/ jour – 3jours |
DO si TIAC associée Isolement précautions contact si hospitalisation |
Shigella spp |
~250* |
Transmission inter-humaine par transmission oro-fécale – incluant des pratiques sexuelles à risque | AZT 500mg/jour – 3 jours
Si hospitalisation : C3G – et à orienter selon l’antibiogramme du fait de l’émergence de souches multi-résistantes – 7 jours |
DO si TIAC associée Isolement précautions contact si hospitalisation |
Yersinia spp |
~220* |
Contamination alimentaire ou par contact avec animaux infectés (porcs+++) |
Ofloxacine 200mg/12h – 7 jours Alternative : Doxycycline 100mg/12h – 7 jours
En cas de forme sévère : C3G +/- GENTA – 7 jours |
DO si TIAC associée |
Klebsiella oxytoca |
NC |
Traitement antibiotique en cours ou récent (amoxicilline, pristinamycine+++) – Tableau de colite hémorragique |
Arrêt de l’antibiothérapie en cours si possible C3G – 7 jours |
– |
Entamoeba histolytica |
NC |
Retour de voyage en zone de faible niveau d’hygiène Syndrome dysentérique avec diarrhée glairo-sanglante sans fièvre | Métronidazole 500mg per os /8h – 7 jours
+ amoebicide de contact : sulfate de paromomycine 25mg/kg/jour en trois prises lors des repas – 10 jours |
– |
Chlamydia trachomatis |
NC |
Rectite principalement en contexte de pratique sexuelle à risque |
Doxycycline 100mg/12h pendant 7 jours |
Dépistage des partenaires et des autres IST |
Cytomégalovirus |
NC |
RCH réfractaire à la corticothérapie Immunodépression ou réanimation | Ganciclovir IV 5mg/kg/12h 14-21 jours avec relai per os possible (valganciclovir 900mg/12h |
– |
A AMOX/ Ac. CLAV : amoxicilline/acide clavulanique ; AZT : azithromycine ; C3G : céphalosporine de 3ème génération ; CCLIN : Centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales ; CIP : ciprofloxacine ; FQ : fluoroquinolones ; GENTA : gentamicine ; IST : infections sexuellement transmissibles ; MZD : métronidazole ; NC : Non connu ; TIAC : toxi-infection alimentaire collective. A partir de : www.ePOPI.fr.
* Estimation période 2008-13 (dernières estimations disponibles en France) ; ** Estimation Rapport HAS 2016 – Modification de la nomenclature des actes de biologie médicale pour les actes de diagnostic biologique des infections à Clostridium difficile. Source : (17) ; (18) ; (19).
Bilan initial en cas de colite grave présumée infectieuse
En cas de colite aiguë avec élément de sévérité clinique, biologique ou radiologique se présentant au service d’accueil des urgences, on recherchera une immunodépression en particulier une neutropénie, un terrain de MICI connu, et des facteurs de risque épidémiologiques spécifiques orientant vers un pathogène particulier : voyage à l’étranger, contexte de prise alimentaire ou conduite sexuelle à risque, contexte de contage ou de toxi- infection alimentaire collective (TIAC ; ≥ 2 cas groupés d’une symptomatologie similaire, en général gastro-intestinale, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire) ou de prise d’antibiotique récente. La démarche diagnostique et thérapeutique initiale est résumée figure 1.
Le bilan paraclinique initial devra comporter au minimum :
Un bilan étiologique :
- une recherche de pathogènes dans les selles par PCR syndromique ou coprocultures standards selon la technique disponible ;
- une recherche associée systématique même en l’absence de facteur de risque identifié de Clostridioides difficile toxinogène.
En cas de fièvre : une hémoculture aérobie et anaérobie+ Bandelette Urinaire+/- ECBU pour la recherche d’un diagnostic différentiel ou d’une complication de la diarrhée.
Un bilan du retentissement : Numération Formule Sanguine, Ionogramme sanguin, créatinine, protéine-C-réactive. Gaz du sang et lactates artériels en cas de signe de mauvaise tolérance hémodynamique ou qSOFA≥2.
Un examen morphologique :
- tomodensitométrie abdomino-pelvienne avec injection de produit de contraste à la recherche d’une complication chirurgicale en particulier en cas d’anomalie de la palpation abdominale ou choc septique.
- Si possible : recto-sigmoïdoscopie + biopsies pour examen histologique avec recherche d’inclusion La PCR CMV sur biopsie reste d’interprétation non consensuelle et l’examen histologique doit être privilégié pour orienter la décision de débuter un traitement antiviral.
Suivant le contexte :
- Retour de voyage en pays tropical :
- Examen parasitologique à la recherche d’Entamoeba histolytica
- Dépistage de BMR/BHRe rectal
- Immunodépression suspectée ou MICI : PCR CMV sanguine
- Contexte de pratique sexuelle anale à risque :
- PCR Chlamydiae trachomatis
- Sérologie VIH
En France, près de 30 % des cas d’ICD surviennent dorénavant en dehors de tout facteur de risque d’ICD et de manière communautaire. Cela implique de rechercher de manière systématique une ICD dans un contexte de diarrhée aiguë prolongée ou avec des éléments de sévérité même en l’absence de prise d’antibiotiques récente ou d’hospitalisation.
Le diagnostic d’ICD en 2024 en France est centré sur la recherche par PCR de la toxine B dans les selles. En cas de positivité, le diagnostic d’ICD sera confirmée par la recherche de toxine libre par méthode immuno-enzymatique ou immuno-chromatographique (9) toutefois certains centres à grand volume ne réalisent pas cette deuxième étape de manière systématique, considérant que l’association d’un test PCR positif et d’une clinique évocatrice est suffisante dans la très grande majorité des cas.
Une stratégie diagnostique utilisant uniquement les méthodes immuno-enzymatique ou immuno-chromatographique reposant sur la détection conjointe de la glutamate deshydrogénase (GDH), signant la présence de C.difficile, et de la toxine A/B libre, signant sa pathogénicité, est également possible. L’association de la détection conjointe de la GDH et de la toxine libre ou de la GDH et du gène de la toxine B confirme le diagnostic chez un patient présentant un tableau clinique d’ICD. Les délais de rendus normalement courts (< 24 h) de ces différentes techniques doivent permettre de débuter rapidement un traitement antibiotique adapté.
Infections à C.difficile sévères et sévère-compliquées
L’ICD sévère et sévère-compliquée sont des entités cliniques à bien connaître du fait de leur prise en charge spécifique et de leur forte mortalité estimée entre 30 et 80 % notamment en cas de colite pseudo-membraneuse (10).
On distingue deux entités nosologiques différentes dans les formes graves d’ICD :
- L’ICD sévère-compliquée qui présente des critères de sepsis, de mégacôlon toxique (colectasie associée à un sepsis), d’iléus ou d’insuffisance circulatoire (hyperlactatémie) devant faire hospitaliser le patient en service de soins intensifs ou réanimation ;
- l’ICD sévère, qui ne nécessite pas forcément de manœuvre réanimatoire, mais une surveillance rapprochée du fait d’un risque d’évolution vers une forme compliquée.
Les critères de sévérité ne sont pas strictement consensuels entre les sociétés américaines (11) et européennes d’Infectiologie (12) mais les critères communs à connaître lors d’une première évaluation clinique sont :
- Une hyperleucocytose > 15 G/L : celle-ci est le signe d’une réaction inflammatoire majeure traduisant l’importance de l’atteinte muqueuse ;
- Une insuffisance rénale aiguë définie par une augmentation de plus de 50 % de la créatinine de base traduisant l’intensité des pertes hydrosodées et du retentissement hémodynamique ;
- Une fièvre > 5°C : l’ICD est classiquement une maladie muqueuse sans retentissement systémique inflammatoire majeure. Une fièvre élevée dans ce contexte doit faire réaliser des hémocultures sanguines à la recherche d’une bactériémie par translocation intestinale et une évaluation morphologique à la recherche de signe de gravité radiologique ou endoscopique de l’ICD en particulier dans le contexte d’une palpation abdominale présentant des anomalies notables (météorisme douloureux, défense, …) ;
- Des signes de gravité radiologiques : défaut de rehaussement ou amincissement de la paroi colique, épanchement abdominal abondant, infiltrat inflammatoire du mésentère notamment.
Une hypoalbuminémie < 30 g/L, d’interprétation parfois plus compliquée en contexte inflammatoire et de dénutrition chronique a également été décrite comme associée à la sévérité. La présence de ces différents critères de sévérité doit faire hospitaliser le patient pour une surveillance rapprochée en début de traitement.
Le traitement de l’ICD sévère ne diffère pas de celui de l’ICD non sévère avec la fidaxomicine 200 mg/12 h à privilégier en première intention en France en 2024 pour un premier épisode. En cas d’ICD sévère compliquée en réanimation, les données sont limitées concernant l’utilisation de la fidaxomicine et un traitement par vancomycine per os à 500 mg/6 h est recommandé associé à un traitement par métronidazole IV 500 mg/8 h. La tigécycline IV 50 mg deux fois par jour (dose de charge de 100 mg) en traitement alternatif au métronidazole est possible et à évaluer au cas par cas. À noter qu’il existe une discordance entre les recommandations américaines et européennes sur la place et le choix du traitement parentéral pour l’ICD sévère-compliquée mais que les recommandations pratiques de la société française d’infectiologie proposent en systématique l’ajout d’un traitement parentéral dans ce contexte. Dans la forme compliquée sans possibilité d‘une administration orale ou par SNG, un traitement par vancomycine 500 mg à diluer dans 100 ml en lavement/6 h est recommandé (12).
En l’absence d’évolution clinique favorable après 3 à 5 jours de traitement bien conduit, l’ICD est dite réfractaire et doit faire discuter un changement thérapeutique. Un switch thérapeutique (par fidaxomicine si traitement préalable par vancomycine ou vancomycine si traitement préalable par fidaxomicine) a pu être décrit comme efficace en cas d’échec primaire d’un de ces deux traitements et semble raisonnable dans l’ICD sévère non compliquée.
Toutefois en cas d’ICD sévère-compliquée réfractaire un traitement par transplantation de microbiote fécal (TMF) devrait être systématiquement discuté du fait d’une diminution de la mortalité associée à la TMF en alternative à la colectomie, chirurgie à haut risque dans ce contexte (13). L’efficacité de la TMF dans cette indication a également été confirmée dans l’expérience française de TMF pour ICD publiée récemment avec un taux de guérison à 8 semaines de près de 60 % et une bonne tolérance malgré la sévérité de l’atteinte colique (14). Plusieurs TMF peuvent être répétées pour une efficacité thérapeutique optimale en particulier en cas de pseudo-membranes persistantes. La liste des centres de TMF
opérationnels à contacter pouvant délivrer des transplants en urgence est disponible sur le site du Groupe Français de Transplantation Fécale (https://www.gftf.fr/53+centres-ry-fy-rents-y-contacter.html).
Les schémas thérapeutiques pour l’ICD sévère, l’ICD sévère-compliquée et leur forme réfractaire sont résumés figure 2. La figure 3 illustre deux exemples d’évolution et de prise en charge d’une ICD sévère-compliquée réfractaire dans un cas traité par colectomie (figure 3, panel A et B) et dans l’autre cas résolutive après transplantation de microbiote fécal (figure 3, panel C et D).
Figure 2 : Prise en charge thérapeutique dans les infections à C.difficile (ICD) sévères et sévère- compliquées
Figure 3 : Exemples d’imageries de colites sévère-compliquées réfractaires à C.difficile. A-B et C-D sont issus des mêmes patients respectivement
A. TDM abdomino-pelvien avec injection au temps portal à l’admission du patient en réanimation, on observe un œdème muqueux sans signe de gravité radiologique.
B. TDM abdomino-pelvien avec injection au temps portal du même patient
après 5 jours d’évolution défavorable sous traitement par vancomycine + métronidazole avec apparition de signes de souffrance pariétale avec un amincissement de la paroi colique sans défaut de rehaussement (flèches pointillées) et un épanchement intra-abdominal (flèche pleine). La patiente a été colectomisée sans complication au décours.
C. TDM abdomino-pelvien avec injection au temps portal montrant une colite sévère avec défaut de rehaussement pariétal (flèche pleine).
D. Aspect endoscopique en recto- sigmoïdoscopie de la patiente du panel C. On observe les pseudo-membranes pathognomoniques de l’infection à C.difficile avec des éléments nécrotiques et spontanément hémorragiques. La patiente non éligible à la chirurgie a été traitée par transplantation de microbiote fécal ayant permis une amélioration rapide du tableau de choc septique et de la diarrhée en moins de 24 h avec une évolution finalement favorable et un retour à domicile.
Prise en charge thérapeutique d’une iléocolite bactérienne sévère hors ICD
Devant une colite infectieuse suspectée bactérienne, le traitement antibiotique associé au spectre le plus large et au moindre risque de résistance est l’azithromycine. Il présente l’avantage d’une demi-vie longue (40 h) et d’une diffusion tissulaire importante (jusqu’à x 50 des concentrations plasmatiques) permettant un traitement court (500 mg/jour pendant 3 jours) pour cet antibiotique d’efficacité temps-dépendante.
En cas de signe de sévérité imposant l’hospitalisation, un traitement parentéral sera à débuter en première intention devant couvrir les principaux pathogènes intra-abdominaux (entérobactéries, streptocoques et anaérobies), par l’association céphalosporines de 3e génération (ceftriaxone 1 g/24 h ou cefotaxime 1 g/8 h) couvrant la plupart des entérobactéries (y compris Salmonella, Shigella) et les streptocoques en association avec du métronidazole (500 mg/8 h IV), ciblant les anaérobies.
La présence de signe de défaillance hémodynamique ou de sepsis (qSOFA≥2) devra faire débuter un traitement par pipéracilline/tazobactam (4 g/8 h ou idéalement 12 g/24 h au pousse-seringue électrique après dose de charge) + amikacine (25 mg/kg IV- 30 min). En cas de facteur de risque de bactéries à bêta-lactamase à spectre élargie (BLSE), un traitement par carbapénèmes et aminosides sera à privilégier. Ces facteurs de risques d’infections à BLSE sont dans ce contexte un traitement par pipéracilline/tazobactam datant de moins de 1 mois ou un antécédent de colonisation/ infection à entérobactéries BLSE (15).
Il faut en effet considérer que la très grande majorité des infections gastro-intestinales sont auto-limitées et que le pathogène responsable de la colite reste la plupart du temps au niveau du tractus digestif. En revanche, la sévérité de l’atteinte muqueuse va favoriser la translocation de germes digestifs responsables de bactériémie ou de complications loco-régionales qui doivent être prioritairement couverts dans un contexte d’urgence clinique. En particulier, Campylobacter coli ou jejuni, les pathogènes les plus fréquents en dehors du C.difficile, ne sont associés à une bactériémie que dans seulement 1 % des cas (16). Toutefois, il est primordial d’adapter le traitement en cas de bactériémie prouvée à Campylobacter spp, du fait de la résistance naturelle des Campylobacter aux céphalosporines de 3e génération et à l’association pipéracilline/tazobactam. Une bactériémie à Campylobacter spp pourra notamment être suspectée dès le rendu de l’examen direct des hémocultures avec la mise en évidence de bacilles gram-négatifs spiralés mobiles. L’association amoxicilline/acide clavulanique (1 à 2 g/8 h IV) est alors à privilégier car associée à moins de 1 % de résistance (tableau 2).
Dans les autres situations, l’antibiothérapie sera à simplifier suivant les données de l’antibiogramme en cas d’identification d’un pathogène spécifique pour un traitement de 7 jours au total sauf complication secondaire.
En l’absence de réponse clinique après 48-72 h du traitement initial de l’iléo-colite présumée infectieuse, une endoscopie digestive (recto- sigmoïdoscopie) diagnostique devra être réalisée si celle-ci n’a pas déjà été faite, pour l’obtention de biopsies à la recherche d’éléments en faveur d’un diagnostic différentiel comme une MICI ou une cause ischémique notamment.
Le tableau 2 fait la synthèse des différents traitements recommandés en fonction des pathogènes identifiés. À noter qu’un contrôle des selles n’est indiqué que dans 2 situations :
- La colite amibienne : examen parasitologique des selles à 4 semaines de la fin du traitement ;
- La lymphogranulomatose vénérienne à Chlamydiae trachomatis : contrôle PCR sur écouvillon rectal à 4 semaines de
Il n’y a en particulier aucun intérêt à réaliser de manière systématique une recherche de C.difficile toxinogène en cas de normalisation des symptômes, la prévalence de patient guéris avec une PCR toxine B positive dans les selles étant de 50 % à 4 semaines de la fin de l’antibiothérapie. Un résultat positif sans symptôme associé ne doit donc surtout pas faire débuter de nouveau traitement et il convient de rassurer le patient sur ce résultat qui n’implique pas non plus la nécessité d’isoler de nouveau le patient ou un risque accru de transmission à l’entourage, inquiétudes fréquentes des patients dans ce contexte.
Complications aiguës associées aux colites infectieuses sévères
Les complications à surveiller sont de 3 ordres :
- les complications hydro-électrolytiques sur l’intensité des pertes hydriques dont on surveillera la survenue notamment par une évaluation de la diurèse quotidienne et la surveillance biologique du ionogramme sanguin et de la créatinine. En particulier en cas de survenue d’un iléus paralytique, la constitution d’un troisième secteur et l’intolérance alimentaire peuvent favoriser la survenue d’un choc hypovolémique et d’une hypokaliémie sévère ;
- les complications septiques et inflammatoires associées à une défaillance hémodynamique dans un contexte de choc septique à la prise en charge réanimatoire spécifique ;
- les complications chirurgicales, dont la perforation, compliquant une nécrose pariétale qui sont à évoquer devant la survenue d’une défense/ contracture, de douleur projetée à l’épaule évocatrice de pneumopéritoine ou de signe de gravité radiologique (pneumatose pariétale, aéroportie, pneumopéritoine, colectasie ≥ 5,5 cm, cf. ci-dessus).
Enfin, étant donné le caractère très inflammatoire et l’exsudation protéique importante associés à une hypoalbuminémie parfois profonde, le risque thrombo-embolique devra être particulièrement surveillé chez ces patients et un traitement anti-coagulant à visée préventive devra être systématiquement débuté, sauf contre-indication spécifique.
Mesures associées
Déclaration aux autorités de santé
Toute infection survenant dans le cadre d’une TIAC doit faire l’objet d’une déclaration obligatoire à l’ARS. Dans le cas des ICD, un signalement au Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et à l’ARS devra être réalisé en cas de forme sévère d’ICD nosocomiale et de tous cas groupés ou épidémie.
Mesures d’isolement
Il existe un risque (faible) de transmission croisée pour les patients présentant une infection à Salmonella, Shigella, E.coli entéro-hémorragique imposant donc la mise en place de mesures d’isolement précautions contact en cas d’hospitalisation (chambre individuelle, tablier à usage unique si contact direct avec le patient, friction hydro-alcoolique avant et après entrée dans la chambre, pas de port de gant systématique).
Du fait de la persistance des spores de C.difficile dans l’environnement, des mesures d’isolement spécifique sont à mettre en place en cas d’ICD et ce dès la suspicion diagnostique comportant :
- Une friction hydroalcoolique, puis le port de gants à l’entrée dans la chambre ;
- Le retrait des gants puis lavage des mains prolongé simple au savon doux pour éliminer les spores de difficile, puis friction hydroalcoolique ;
- Le port de surblouse à manches longues dans la chambre ; tablier en plastique imperméable en cas de soins avec contact avec des sécrétions du patients ;
- L’utilisation de petit matériel de soin à usage unique et dédié ;
- Le nettoyage des chambres puis désinfection par eau de Javel diluée au 1/5e (1 litre d’eau de Javel et 4 litres d’eau pour un volume final de 5 litres).
Les mesures d’isolement ICD peuvent être en théorie levées après nettoyage de la chambre selon la procédure spécifique décrite ci-dessus et après > 48 h de résolution de la diarrhée (< 3 selles liquides par jour).
Conclusion
Le raisonnement diagnostique et thérapeutique dans les colites graves infectieuses est le même que pour les formes non sévères. La prise en charge initiale doit être centrée au plan diagnostique sur (i) la réalisation des examens complémentaires microbiologiques sanguins et dans les selles avec en particulier la recherche de C.difficile toxinogène systématique, (ii) un bilan morphologique rapide si possible incluant une endoscopie courte. Au plan thérapeutique, l’urgence initiale est à la mise en place (i) des mesures réanimatoires et de ré-équilibration hydro-électrolytiques adaptées et (ii) d’un traitement antibiotique large spectre qui pourra être orienté suivant le contexte mais associant en première intention une combinaison de céphalosporine de 3e génération et métronidazole par voie parentérale ou l’association pipéracilline/tazobactam + amikacine en cas de choc septique. Une évolution défavorable d’une ICD sévère-compliquée doit faire systématiquement discuter une TMF de sauvetage en alternative d’une prise en charge chirurgicale à la morbi-mortalité majeure.
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