Douleur anale aiguë : déjouer les pièges pour bien traiter
POST'U 2025
Colo-proctologie
Objectifs pédagogiques
- Savoir évoquer un diagnostic dès l’interrogatoire
- Savoir traiter une fissure anale aiguë
- Savoir traiter une thrombose hémorroïdaire selon la forme et le terrain
- Savoir identifier et traiter un abcès anal (même en consultation)
- Savoir évoquer une proctalgie fugace et connaître la prise en charge
Les 4 points forts
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La douleur anale aiguë, dont les étiologies sont multiples, est une cause très fréquente de consultation en proctologie et est parfois une urgence chirurgicale.
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Les examens complémentaires sont rarement utiles pour le diagnostic étiologique et le traitement.
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Un examen sous anesthésie générale est parfois nécessaire chez un patient hyperalgique.
- La prescription des anti-inflammatoires non stéroïdiens sans avoir éliminé au préalable une suppuration est une erreur à ne pas commettre en raison du risque de cellulite nécrosante.
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Lien d’intérêt
L’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec sa présentation.
Mots-clés
Douleurs anales aiguës ; Interrogatoire et examen clinique ; Soulager, prévenir l’aggravation, éviter la récidive
Abréviations
FA : fissure anale
THE : thrombose hémorroïdaire externe AINS : anti inflammatoire non stéroidiens
Introduction
Les affections proctologiques sont un motif fréquent de consultation en gastroentérologie. La douleur anale aiguë constitue le principal motif de consultation en proctologie. L’éventail des étiologies en cause derrière ce symptôme non spécifique est varié, allant de causes bénignes à l’urgence chirurgicale. La prise en charge efficace découle du diagnostic étiologique précis avec un objectif triple : 1/ soulager le patient, 2/ prévenir les aggravations éventuelles, 3/ éviter les récidives.
Savoir évoquer un diagnostic dès l’interrogatoire
L’interrogatoire est la première étape dans la prise en charge d’un patient se présentant pour une douleur anale aiguë. Il a tout d’abord pour objectif de rassurer le patient algique souvent (très) anxieux afin de favoriser l’alliance thérapeutique indispensable à toute prise en charge. Il permet ensuite d’élaborer une (des) hypothèse(s) étiologique(s) et d’éliminer l’urgence chirurgicale.
L’interrogatoire
Il doit être orienté à l’aide de questions simples et adaptées à la compréhension du patient. La première étape est la caractérisation de la plainte :
« ressentez-vous une gêne ? une brûlure ? une démangeaison ? une pesanteur ? une douleur ? ». En effet le praticien et le patient ne parlent pas toujours le même langage, s’assurer d’une bonne compréhension mutuelle est un prérequis indispensable. Vient ensuite l’enquête étiologique à proprement dit. Les caractéristiques de la douleur doivent être précisées : sa localisation (intra-canalaire, périanale, fessière), son mode d’installation (brutale ou progressive), son ancienneté, son intensité, ses facteurs favorisants (notamment le rapport avec la défécation) ou calmants et les éventuels signes associés (fièvre, dysurie, constipation réactionnelle, hématochésie…) sont autant d’éléments d’orientation à recueillir. La caractérisation du transit, de manière objective grâce à l’échelle de Bristol, est précisée lors de toute consultation de proctologie. En cas de constipation, le recours aux lavements doit être renseigné du fait des lésions traumatiques parfois secondaires à leur réalisation. La pratique d’une sexualité anale est une information essentielle à connaître aussi bien pour l’enquête étiologique que pour la prise en charge ultérieure. Il en est de même en ce qui concerne les antécédents médico-chirurgicaux. Le terrain (grossesse, allaitement, diabète, immunodépression…) ainsi que les traitements en cours ou passés (radiothérapie) doivent également être pris en compte pour adapter la prise en charge à chaque situation singulière. Le plus souvent dès cette étape une hypothèse étiologique se dégage (tableau 1).
Interrogatoire | Examen clinique | Traitement | |
Fissure anale | Douleur intense en 3 temps rythmée par la défécation avec rectorragie | Ulcération anale « en raquette », hypertonie sphinctérienne | Laxatifs Antalgiques Topiques cicatrisants Myorelaxants Chirurgie |
Thrombose hémorroïdaire | Douleur d’intensité variable, d’apparition brutale à évolution continue, non rythmée par la défécation | Nodule bleuté dur et douloureux +/- congestif sous la peau de la marge anale = THEVolumineuse masse boursouflée par un œdème important circonférentiel avec caillots multiples +/- nécrose sans réintégration possible dans le canal anal = prolapsus hémorroïdaire interne thrombosé |
Laxatifs Antalgiques AINS ou corticoïdes selon terrain Topiques +/- excision +/- hémorroïdectomie |
Abcès anal | Douleur continue, pulsatile, insomniante, rapidement progressive, non rythmée par la défécation | Tuméfaction inflammatoire ou simple déformation anatomique de la marge anale ou plus à distance
Tuméfaction rectale douloureuse de façon exquise au toucher en cas d’abcès intra- mural |
Drainage (en consultation ou au bloc) puis prise en charge adaptée à l’étiologie sous-jacente |
Proctalgie fugace | Douleur brutale, d’emblée maximale, sans facteur déclenchant le plus souvent, décrite comme une crampe, un spasme ou un coup de poignard au niveau du canal anal et/ou du bas rectum sans irradiation et spontanément résolutive Durée et périodicité variable Patient totalement asymptomatique entre les crises |
Examen proctologique normal | Réassurance
Salbutamol inhalé, inhibiteurs calciques, trinitrine, anxiolytique, anti-dépresseur, injection de toxine botulique |
L’examen clinique
L’examen clinique permet de confirmer l’hypothèse étiologique suspectée. Il doit être réalisé après accord du patient et être adapté à la douleur ressentie, à prendre en considération et à réévaluer à chaque étape. Il doit se limiter aux gestes indispensables à la prise en charge ultérieure, l’inspection et la palpation suffisent le plus souvent à ce stade. En effet, la priorité devant une douleur anale aiguë est de soulager le patient et d’éliminer une urgence chirurgicale et non la réalisation d’un examen proctologie exhaustif. Ainsi, il faut parfois savoir renoncer à un toucher anal et une anuscopie à la phase aiguë chez un patient douloureux et revoir le malade pour le compléter. Dans de rares cas, devant un malade hyperalgique intouchable sans diagnostic évident de maladie bénigne, un examen sous anesthésie générale est nécessaire.
Savoir traiter une fissure anale aiguë
La fissure anale (FA) idiopathique est une affection fréquente. Le classique « syndrome fissuraire » caractérisé par une douleur anale en 3 temps rythmée par la défécation permet d’évoquer le diagnostic dès l’interrogatoire. Des rectorragies y sont fréquemment associées. L’examen clinique le confirme avec la visualisation d’une ulcération anale « en raquette », postérieure et médiane le plus souvent, antérieure plus rarement ou en cas de contexte favorisant (grossesse), ne dépassant pas la ligne pectinée (photo 1). Une contracture anale est classiquement retrouvée au toucher. Des bords surélevés fibreux associés à la présence d’une marisque ou encore d’une papille hypertrophique (photo 2) sont évocateurs de chronicité, la contracture sphinctérienne est moins fréquente à ce stade.
Photo 1 : Fissure anale aiguë
Le traitement d’une FA aiguë idiopathique non compliquée est médical en première intention. L’objectif est de soulager les symptômes et traiter le facteur déclenchant (une constipation le plus souvent) afin d’obtenir la cicatrisation et éviter la récidive. La régulation du transit est le prérequis indispensable. Pour ce faire, les règles hygiéno-diététiques sont mises en place (régime riche en fibres) ainsi que des laxatifs (osmotiques ou mucilages) à dose efficace (plus rarement des ralentisseurs du transit), et pour une durée suffisante. Des antalgiques sont souvent nécessaires (les paliers 3 sont à éviter au risque de majorer une constipation sous-jacente). Des crèmes cicatrisantes sont souvent prescrites. Ce traitement permet de guérir près de 90 % des FA aiguës. À ce traitement médical non spécifique peuvent être ajoutés, en première ou deuxième intention, des topiques avec effet myorelaxant sur le sphincter anal. En diminuant la contracture sphinctérienne, ils permettent une diminution de la douleur anale et améliorent la vascularisation locale favorisant ainsi la cicatrisation. Les topiques disponibles sont ceux à base de dérivés nitrés (trinitrate de glycéril, Rectogésic®) ou inhibiteurs calciques (lidocaïne chlorhydrate + nifédipine, Nifexine® ou à défaut préparation magistrale à base de diltiazem ou de nicardipine). Leur efficacité est proche mais la mauvaise tolérance des dérivés nitrées (céphalées) limite leur utilisation. L’injection locale de toxine botulique n’a pas l’AMM en France. Un délai de 6 à 8 semaines est retenu avant de conclure à un échec du traitement médical, après s’être assuré au préalable de son observance et de l’origine idiopathique de la fissure. Un traitement chirurgical est alors proposé. La prise en charge d’une FA aiguë idiopathique compliquée (surinfectée) constitue une urgence et est chirurgicale d’emblée. Le traitement de la FA idiopathique chronique est lui aussi chirurgical, la probabilité de guérison avec un traitement médical étant quasi nulle. Deux techniques sont validées : la fissurectomie avec ou sans anoplastie ou la sphinctérotomie latérale. Les fissures anales spécifiques (non idiopathiques) relèvent quant à elles d’une prise en charge spécifique à l’étiologie sous-jacente (maladie de Crohn, infection sexuellement transmissible, cancer, tuberculose, maladie de système…). (1, 2)
Savoir traiter une thrombose hémorroïdaire selon la forme et le terrain
Les hémorroïdes sont des formations vasculaires physiologiques de l’anus. Les symptômes rapportés en cas de « pathologie hémorroïdaire » sont nombreux. La douleur anale aiguë, en rapport avec la formation de thrombose(s), en fait partie. Aussi bien les hémorroïdes externes (le plus souvent) qu’internes (plus rarement) sont concernés.
Le diagnostic est clinique. La thrombose hémorroïdaire externe (THE) se manifeste sous la forme d’une tuméfaction bleutée, dure, douloureuse, située sous la peau, au niveau de la marge anale dont la taille, l’étendue en circonférence, le nombre et l’œdème sont variables (photo 3). Le prolapsus hémorroïdaire interne thrombosé (photo 4), plus rare, se présente sous la forme d’une volumineuse masse boursouflée par un œdème important, circonférentiel le plus souvent, avec caillots multiples, plus ou moins nécrosée sans réintégration possible dans le canal anal.
Les facteurs favorisants tels que les troubles du transit, la grossesse ou le post partum sont fréquemment retrouvés. La douleur est décrite comme d’apparition brutale, permanente et intense ce d’autant qu’il existe une poly-thrombose hémorroïdaire externe ou en cas de prolapsus hémorroïdaire interne thrombosé. L’évolution naturelle est la résorption spontanée.
Le traitement médical, toujours indiqué en première intention, a pour objectif de soulager des symptômes et prévenir la récidive. Il associe des antalgiques avec en premier lieu et en l’absence de contre-indication des AINS (contre indiqués au troisième trimestre de la grossesse, MICI, …) ou à défaut les corticoïdes arrêtés dès que la douleur a disparu, des topiques associant dermocorticoïdes et anesthésiques locaux et des laxatifs. En cas d’échec du traitement médical bien conduit, une excision peut être proposée en cas de THE non œdémateuse, unique avec un caillot bien palpable. Ce traitement instrumental est contre indiqué en cas de THE multiples, d’œdème associé, de thrombose hémorroïdaire interne, chez la femme enceinte, les patients avec MICI non contrôlée notamment sur le plan ano-périnéal, en cas d’antécédent d’irradiation pelvienne et en cas de troubles de l’hémostase
Le traitement chirurgical est réservé aux THE récidivantes ou en cas de marisques séquellaires invalidantes. Son indication à la phase aiguë est exceptionnelle. (3, 4)
Photo 2 : Fissure anale chronique Photo 3 : Thrombose hémorroïdaire externe Photo 4 : Prolapsus hémorroïdaire interne thrombosé
Savoir identifier et traiter un abcès anal (même en consultation)
L’abcès ano-périnéal est l’urgence à éliminer devant une douleur anale aiguë. Il est suspecté à l’interrogatoire devant une douleur décrite comme continue, pulsatile, insomniante, non rythmée par la défécation. Son intensité est rapidement progressive. Le diagnostic est clinique avec la mise en évidence d’une tuméfaction inflammatoire (rouge, chaude, luisante, rénitente) de la marge anale ou plus à distance (fesse, sillon inter-fessier). La clinique est parfois moins parlante, sans masse évidente, il faut alors savoir rechercher une simple déformation anatomique. Lorsque l’abcès se situe dans l’espace inter-sphinctérien, abcès intra-mural, la marge anale est indemne et c’est la palpation qui permet de confirmer le diagnostic avec la perception d’une induration asymétrique douloureuse. La fièvre est inconstante et les signes associés tels que la dysurie ou encore la constipation réactionnelle sont tardifs et signes de gravité. Le syndrome inflammatoire biologique est lui aussi inconstant, et il ne faut pas attendre de résultats biologiques avant d’initier la prise en charge. Les facteurs aggravants tels que la prise d’anti-inflammatoire non stéroïdien ou d’immunosuppresseurs doivent être recherchés et le terrain pris en considération.
Le traitement est une urgence thérapeutique afin de soulager le patient et éviter la diffusion de l’infection. Aucun examen complémentaire ne doit le retarder. La prise en charge immédiate, quelle que soit l’étiologie de la suppuration, est le drainage en consultation si possible (incision à l’aide d’une lame froide au sommet de la tuméfaction), à défaut au bloc opératoire (abcès intra-mural ou de collection profonde). La place des antibiotiques est très limitée. Ils ne sont prescrits que si les signes généraux sont présents et/ou en cas de terrain fragile (diabète, immunodépression, risque d’endocardite, maladie de Crohn) et toujours en complément du drainage. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont formellement contre indiqués en raison du risque d’évolution vers une cellulite nécrosante. La prise en charge ultérieure est dépendante de l’étiologie sous-jacente. Schématiquement, les suppurations dont le point de départ se situe au niveau de l’anus ou du rectum requièrent le plus souvent une prise en charge chirurgicale au bloc opératoire pour réaliser un drainage large et traiter une fistule sous-jacente afin de prévenir les aggravations et éviter les récidives. Les suppurations indépendantes du tube digestif bas (maladie de Verneuil, infection d’un kyste sébacé, furoncle, anthrax, sinus pilonidal infecté, …) ont quant à elles une prise en charge étiologique spécifique. (5, 6)
Savoir évoquer le diagnostic de proctalgie fugace et connaître la prise en charge
La proctalgie fugace appartient au spectre des douleurs ano-rectales fonctionnelles. Son diagnostic est clinique et repose sur les critères de Rome IV. Elle se caractérise par une douleur brutale et intense, d’emblée maximale, localisée à la région anorectale, sans irradiation. Les termes « spasmes », « crampes » ou « coup de poignard » sont les plus souvent utilisés par les patients pour la décrire. La douleur n’est pas liée à la défécation et dure en moyenne 15 minutes, avec des variations de quelques secondes à 90 minutes. Les patients sont asymptomatiques entre les crises, souvent nocturnes, dont la fréquence est très variable. La physiopathologie reste incomprise, des spasmes des muscles lisses de l’anus ou du bas rectum sont évoqués. Des facteurs tels que le stress, la position assise prolongée et les rapports sexuels peuvent favoriser les épisodes douloureux, mais la plupart des patients ne rapportent pas de facteurs déclenchants spécifiques. L’examen clinique est normal et vise à exclure tout autre pathologie ano-rectale. Aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
Le traitement repose en premier lieu sur la réassurance et l’évitement des facteurs déclenchants lorsque présents. Les bains de siège tièdes, les lavements à l’eau chaude et les manœuvres digitales peuvent être proposés pour obtenir un relâchement plus rapide du sphincter. Des traitements médicamenteux comme les inhibiteurs calciques (diltiazem), les pommades à la nitroglycérine, la trinitrine en patch ou en application locale ont montré une certaine efficacité dans de petites séries, cependant leurs effets secondaires limitent leur utilisation. Un essai randomisé de petit effectif a indiqué que le salbutamol inhalé pouvait réduire la durée de la douleur. L’injection de toxine botulique a également été rapportée comme efficace, bien que non validée par des essais randomisés. (7)
Références
1. Davids JS, Hawkins AT, Bhama AR, et al. The American Society of Colon and Rectal Surgeons Clinical Practice Guidelines for the Management of Anal Fissures. Dis Colon Rectum 2023;66:190-9.
2. L.Spindler La fissure anale, une rupture douloureuse, La Revue Coloproctologie, mai 2024
3. Van Tol RR, J Kleijnen 2, A J M Watson et al European Society of ColoProctology (ESCP) Guideline for haemorrhoidal disease Colorectal Disease 2020
4. Fardet L, Nizard J, GégénreauT. Non-selective and selective non-steroidal anti-inflammatory drugs, administration in pregnancy and breast feeding. Presse Med 2002
5. Gaertner WB, Burgess PL, Davids JS, et al. The American Society of Colon and Rectal Surgeons Clinical Practice Guidelines for the Management of Anorectal Abscess, Fistula-in-Ano, and Rectovaginal Fistula. Dis Colon Rectum August 2022
6. Valentin Mocanu, Jerry T Dang, Farah Ladak, et al Antibiotic use in prevention of anal fistulas following incision and drainage of anorectal abscesses: A systematic review and meta-analysis, Am J Surg, 2019 May
7. Carrington EV, Popa SL, Chiarioni G. Proctalgia Syndromes: Update in Diagnosis and Management. Curr Gastroenterol Rep. 2020 Jun
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