La toxine botulique en colo-proctologie : quel intérêt en pratique quotidienne ?
POST'U 2025
Colo-proctologie
Objectifs pédagogiques
- Connaître le mécanisme d’action de la toxine botulique et les spécialités disponibles
- Connaître les indications en colo-proctologie
- Savoir sélectionner les patients éligibles
- Connaître les modalités pratiques d’utilisation
- Connaître les résultats attendus en fonction des indications thérapeutiques et les effets indésirables
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Les 5 points forts
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La toxine botulinique (TB) a plusieurs indications sans aucune autorisation de mise sur le marché en gastroentérologie, notamment en colo- proctologie.
- Quelle que soit l’indication proctologique, les modalités d’injections et les posologies ne sont actuellement pas standardisées.
- Dans le traitement de la fissure anale, les injections de TB peuvent être proposées en deuxième intention, après échec du traitement médical et avant le recours à une chirurgie.
- Dans le cas de la dyschésie, le traitement par injections de TB pourrait être proposé en cas d’échec de rééducation par biofeedback ou en association avec le biofeedback.
- Les injections de TB dans la paroi rectale sont un traitement récent et prometteur de l’incontinence anale dont la validation et la place dans la stratégie thérapeutique restent à définir.
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Mots-clés
Toxine botulinique, fissure anale, dyschésie, incontinence anale
Abréviations
N/A
Introduction
La première description des effets neurologiques de la toxine botulinique (TB) a été rapportée au 19e siècle par Justinus Kerner, médecin allemand, qui a décrit des symptômes cliniques après l’ingestion d’aliments mal conservés. C’est ensuite Emile Van Ermengem, microbiologiste belge qui, en 1897, a rapporté que les symptômes étaient causés par une bactérie qui allait être connue sous le nom de Clostridium botulinum. Quelques années plus tard, en 1905, Tchitchikine, découvre la sécrétion d’une neurotoxine par cette bactérie. C’est à partir de cette découverte que de nombreux travaux ont étudié le mécanisme d’action de la TB avec, dès les années 1920, la mise en évidence d’une action sur les terminaisons nerveuses parasympathiques et motrices somatiques par les Américains Dickson et Shevry (1). Les recherches suivantes ont poursuivi l’étude de la structure, du mécanisme d’action et des différents sérotypes. En 1946, le Dr Schwantz, biologiste américain, parvient à isoler la TB sous forme cristalline, dont on dénombre à l’heure actuelle sept sérotypes (A, B, C1, D, E, F et G). Parmi ces sérotypes, cinq ont une activité pharmacologique chez l’homme (A, B, E, F, G) et deux sont inactives (C, D). Actuellement, seuls deux sérotypes sont utilisés en thérapeutique, le type A étant le plus largement répandu et le plus puissant, le type B étant le plus récent et avec une durée d’action plus courte.
C’est à cette période que l’action présynaptique de la neurotoxine pour bloquer la libération d’acétylcholine par les terminaisons nerveuses motrices a été identifiée. Néanmoins, ce n’est qu’à partir des années 1970 que les étapes clés du mécanisme d’action au niveau de la plaque motrice (liaison, internalisation, translocation et blocage de la libération des neurotransmetteurs) ont pu être décrites. La TB est un polypeptide à 2 chaînes : une chaîne lourde (Chaine-H 100 kD) et une chaîne légère (Chaine-L 50 kD) reliées par un pont disulfure thermolabile expliquant son inactivation par la chaleur. Elle est en revanche résistante aux acides et sucs digestifs. La chaîne lourde lie la toxine sur le récepteur neuronal. La chaîne légère est une protéase qui bloque le complexe SNARE, empêchant la fusion des vésicules d’acétylcholine à la membrane présynaptique et donc sa libération dans l’espace synaptique. Une fois fixée de façon irréversible sur le récepteur neuronal via sa chaîne lourde, la neurotoxine est internalisée par endocytose. Ainsi, la TB induit une « chimio-dénervation » des organes recevant une innervation cholinergique en bloquant l’exocytose des neurotransmetteurs au niveau des terminaisons nerveuses présynaptiques périphériques. Elle a ainsi également un effet similaire sur d’autres organes sous commande parasympathique cholinergique, notamment sur des muscles lisses, en bloquant la libération d’autres médiateurs que l’acétylcholine comme la noradrénaline, la dopamine, la sérotonine, le GABA, la calcitonine, le calcitonin gene-related peptide, et la substance P au niveau d’autres terminaisons nerveuses périphériques, ce qui expliquerait son effet modulateur des messages afférents en particulier nociceptifs.
Il est important de noter que l’action de la TB est réversible après un délai variable en fonction du sérotype mais qui disparait généralement en 3 à 4 mois, lorsque les terminaisons nerveuses se régénèrent et rétablissent leurs connexions avec la plaque motrice. La récupération anatomique et fonctionnelle des synapses est complète et la TB n’entraîne ni inflammation ni dégénérescence neuronale.
Indications et autorisations de mise sur le marché de la toxine botulinique
La première application thérapeutique de la TB est décrite dans les années 80 par le Dr Alan Scott, ophtalmologue américain, pour le traitement non chirurgical du strabisme. En revanche ce n’est qu’en 1989 que la FDA (Food and Drug Administration) a approuvé l’utilisation de la TB de type A dans le traitement du strabisme, de l’hémi-spasme facial et du blépharo-spasme. À partir de cette date, d’autres autorisations de mise sur le marché (AMM) sont progressivement apparues : dystonie cervicale, hyperhydrose axillaire, spasticité des membres, hyperactivité vésicale et migraine chronique.
En gastro-entérologie, de nombreuses indications existent avec, pour certaines, un niveau de preuve élevé. Il s’agit principalement de l’achalasie, des troubles moteurs œsophagiens non achalasiques, de la gastroparésie, de la fissure anale, de la dyschésie et de l’incontinence anale. Néanmoins, à ce jour, aucune de ces indications ne dispose d’une AMM.
Trois toxines sont actuellement disponibles mais n’ont pas toutes les mêmes AMM : Botox® (Laboratoires ABBVIE), Dysport® (Laboratoires IPSEN) et Xeomin® (Laboratoires MERZ).
Le tableau 1 présente les AMM actuelles de la TB et ses indications en gastroentérologie.
Tableau 1 : AMM actuelles de la TB et ses indications en gastroentérologie
AMM actuelles de la Toxine Botulinique | Indications gastroentérologiques actuelles de la Toxine Botulinique (aucune AMM) |
Blépharospasme Spasme hémi-facial Torticolis spasmodique Hyperhydrose axillaire Spasticité des membres Migraine chronique
Hyperactivité vésicale idiopathique ou neurologique |
Corps œsophagien (spasmes, œsophage hypercontractile) Sphincter œsophagien inférieur (achalasie)
Pylore (gastroparésie) Rectum (incontinence anale) Anus : sphincter anal interne, sphincter anal externe, pubo-rectal (fissure anale, dyschésie) |
Fissure anale
La fissure anale (FA) est définie par une déchirure de l’épithélium et du derme au niveau de la marge anale. Elle peut remonter dans le canal anal mais reste sous la ligne pectinée. Elle est majoritairement localisée au pôle postérieur de la marge anale. Avec une fréquence de 10 à 15 %, elle constitue le deuxième motif de consultation proctologique après la maladie hémorroïdaire. Elle se manifeste habituellement par une douleur anale intense rythmée par la défécation, associée ou non à des rectorragies. Elle est souvent liée à une constipation sous-jacente et peut être déclenchée lors du passage de selles dures. Sa physiopathologie est multifactorielle avec trois principaux mécanismes : 1/ une cause mécanique/traumatique (émission d’une selle dure et/ou volumineuse) à l’origine d’une déchirure de l’anoderme ; 2/ une hypertonie du sphincter anal interne ; 3/ une ischémie locale gênant la cicatrisation de la fissure (2).
Le traitement de première ligne de la FA repose sur l’utilisation de topiques (dérivés nitrés/ anti-calciques) et sur la régularisation du transit, l’objectif étant de réduire le tonus du sphincter anal interne pour favoriser la cicatrisation. En cas d’échec, le recours à la chirurgie par sphinctéromie latérale interne (SLI) ou fissurectomie est souvent le traitement de deuxième intention, en particulier en France, comme l’avait rapporté une enquête de pratique de la Société Nationale Française de Coloproctologie (3). Cependant, non seulement de nombreux travaux ont rapporté l’efficacité de l’injection de TB dans le traitement de la FA chronique, mais son utilisation est recommandée par les sociétés savantes américaines (American Society of Colon and Rectal Surgeons: ASCRS) et anglaises (Association of Coloproctology of Great Britain and Ireland : ACGBI) en deuxième intention, en cas d’échec des traitements locaux de première ligne et avant de proposer un traitement chirurgical (4, 5). Cette position a récemment été confirmée par les recommandations italiennes et belges publiées en 2024 (6, 7). Néanmoins, le niveau de recommandation et de preuve reste modéré (Grade 1B). En effet, plusieurs essais randomisés ont comparé les résultats de l’injection de TB à l’utilisation de topiques ou à la SLI. Ces données ont également fait l’objet de plusieurs méta-analyses et d’une revue de la Cochrane (8). Le taux de succès global est de 27 à 100 % avec une grande variation liée notamment à des définitions variables de l’efficacité (disparition de la douleur, cicatrisation muqueuse) et du délai d’évaluation (2 semaines à 5 ans).
Injection de TB versus placebo
Si une étude ancienne randomisée publiée dans le New England Journal of Medicine a démontré la supériorité de l’injection de TB par rapport à une injection de placebo (15 patients dans chaque groupe) (9), les études disponibles ont essentiellement comparé l’injection de TB aux traitement topiques locaux ou à la chirurgie.
Injection de TB versus traitements topiques locaux
Concernant les résultats de l’injection de TB vs. les topiques nitrés ou anti-calciques, les résultats des essais randomisés restent discordants. Néanmoins, comme souvent, les données sont hétérogènes en termes de critères de jugement, de délai de suivi, de dose de TB et de site d’injection.
Ces différentes études et méta-analyses rapportent que l’injection de TB n’est le plus souvent pas supérieure en termes d’efficacité sur la douleur et la cicatrisation par rapport au traitement topique par dérivés nitrés et que son coût est plus élevé. Elle a pour avantage de pallier le manque de compliance au traitement topique local. En revanche, concernant la survenue d’effets indésirables, l’injection de TB est mieux tolérée que les dérivés nitrés qui peuvent entraîner des céphalées nécessitant l’arrêt du traitement même si elle peut induire une incontinence anale mais cela reste rare et surtout transitoire (10, 11). D’autres travaux randomisés ont également évalué l’intérêt potentiel d’un traitement combiné associant injection de TB et traitement local. Globalement, même si certaines études sont en faveur d’une association thérapeutique, il n’est pas rapporté de supériorité de l’association d’anticalciques (12) ou de dérivés nitrés locaux à la TB par rapport aux injections de TB seules (13, 14). Une étude est en faveur de la supériorité de l’association injection de TB (20 U) et de dérivés nitrés (2,5 mg 3/semaine 3 mois) versus injection de TB seule mais seulement à 6 semaines avec ensuite une absence de différence significative à 8 et 12 semaines (15).
Une étude randomisée originale a comparé l’efficacité de l’association anticalciques topiques (6 semaines) + injection de TB versus SLI. Les taux de cicatrisation était supérieur dans le groupe SLI à partir d’une semaine, puis à 1, 2 et 6 mois avec à 12 mois un taux de succès finalement équivalent dans les deux groupes. Cependant, le taux de récidive était significativement supérieur dans le groupe anticalciques topiques + injection de TB, l’ensemble des résultats étant donc en faveur de la SLI (16).
Injection de TB versus traitement chirurgical
Enfin, plusieurs études randomisées et deux méta-analyses ont comparé l’efficacité de l’injection de TB à la SLI. Là encore les dosages de TB, les délais et les modalités d’évaluation étaient hétérogènes mais dans tous les cas, la SLI était supérieure à l’injection de TB en termes d’amélioration rapide des symptômes (notamment de la douleur) de cicatrisation muqueuse (des taux de succès de 59,4 à 90 % pour la SLI versus 25,4 à 50 % pour les injections de TB) et de moindre récidive (17-23). De plus, si la survenue d’une incontinence anale est plus fréquente avec la réalisation d’une SLI par rapport aux autres techniques conservatrices, la fréquence de survenue reste assez faible, de l’ordre de 3,4 à 4,4 % (8, 24). Il est important de noter qu’en pratique, en cas d’indication chirurgicale, le choix de réaliser une SLI par rapport à une fissurectomie tiendra compte du sexe du patient et des antécédents obstétricaux et que la technique de SLI sera adaptée à chaque patient.
S’il n’y a pas d’étude disponible comparant l’injection de TB à la fissurectomie, une étude a comparé l’efficacité de l’injection de TB + fissurectomie à la SLI. En effet, la SLI reste considérée comme la technique chirurgicale de référence par la plupart des recommandations des différents pays. Dans cette étude, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes en termes de cicatrisation, récidive et taux de complications (25).
Modalités d’injection de la TB
Dans les différentes études publiées, les modalités d’utilisation de la TB sont variables mais son efficacité ne dépend pas de la dose administrée, du volume injecté, du site d’injection, du nombre d’injections ou de la toxine utilisée (Botox® ou Dysport®).
Néanmoins, plusieurs méta-analyses ont étudiés l’impact de la dose et du site d’injection. Il apparait que les petites doses (20 U et moins) correspondent au dosage idéal. En effet, les doses supérieures ne sont pas plus efficaces et peuvent être associées à un risque plus élevé d’incontinence anale. Le site d’injection n’a pas non plus d’impact réel même si certains auteurs suggèrent que c’est l’injection sous-fissuraire qui favorise l’efficacité symptomatique à court terme alors que l’injection de part et d’autre de la fissure diminuerait le risque de récidive à long terme (26-28). De même, si certains auteurs ont proposé de réaliser les injections de TB sous contrôle écho-endoscopique, cela ne paraît pas présenter d’intérêt en pratique (29, 30). Enfin, même s’il n’y a qu’une étude randomisée comparant Botox® à Dysport®, la majorité des travaux publiés a utilisé Botox® et il ne semble pas exister de différence d’efficacité entre les deux toxines (31).
Dans tous les cas, les auteurs, comme les recommandations, valident le fait qu’il est possible de renouveler l’injection de TB avant de proposer une technique chirurgicale.
On peut donc retenir que, dans le traitement de la FA, l’injection de TB peut être proposée en deuxième intention, après échec (ou manque de compliance) des topiques locaux et avant le recours à une chirurgie.
Dyschésie
La dyschésie est un symptôme clinique qui se traduit souvent en manométrie ano-rectale par un défaut de relaxation ou une contraction paradoxale du sphincter anal externe et/ou du muscle pubo-rectal, quel que soit le type d’asynergie manométrique (I à IV). Nous exclurons d’emblée ici les troubles de la statique nécessitant un recours à la chirurgie ou les causes organiques.
Le traitement de première intention de la dyschésie repose sur l’optimisation de la qualité des selles associée ou non à l’utilisation régulière de suppositoires laxatifs. En cas d’échec, une rééducation abdomino-périnéale reposant sur le biofeedback peut être proposée avec un taux de succès de l’ordre de 60 à 70 %. Si cette rééducation est inefficace et qu’il n’y a pas de correction chirurgicale possible, les stratégies thérapeutiques restent limitées.
Dans ce contexte, l’objectif de l’injection de TB est d’induire la relaxation du sphincter anal externe et/ou du muscle pubo-rectal. La première étude pilote a été publiée par Hallan et al en 1988 dans le Lancet. Elle incluait 7 patients qui avaient tous été améliorés sur le plan clinique et manométrique (32). Depuis, moins de 30 études, incluant environ 300 patients au total, ont été publiées avec trois méta-analyses reprenant ces résultats (33-35). Elles rapportent un taux de succès global de 77,4 % (37,5 à 86,7 %) avec une diminution de l’efficacité à 46 % à partir de 4 mois (25-100 %). En dehors des paramètres cliniques, une amélioration de l’angle ano-rectal et une réduction du tonus sphinctérien ont été rapportées. Les trois études randomisées, essentiellement de la même équipe égyptienne, ont comparé l’injection de TB soit au biofeedback, soit à la division chirurgicale du pubo-rectal (36). Dans l’étude comparant le biofeedback à l’injection de TB, les patients (n=48) réalisaient 2 séances par mois pendant 4 semaines. Les injections étaient réalisées de manière bilatérale dans le pubo-rectal à 5 et 7 h (36). L’évaluation initiale à 1 mois reposait sur la clinique, le test d’expulsion du ballonnet et les données manométriques. Les patients étaient ensuite revus régulièrement jusqu’à 1 an (évaluation clinique seule). Si à un mois l’amélioration clinique était significativement supérieure dans le groupe injection de TB (pas de différence en termes d’amélioration manométrique), à long terme, l’efficacité et le taux de satisfaction n’étaient pas différents dans les deux groupes. Les deux autres études randomisées de la même équipe ont comparé l’injection de TB dans le pubo-rectal à sa section partielle ou le biofeedback à l’injection de TB et à la section partielle du pubo-rectal (37, 38). Cette technique chirurgicale est en pratique peu utilisée. Néanmoins, dans les deux études, le traitement chirurgical avait une efficacité supérieure à l’injection de TB à court et long-terme avec une efficacité initiale de l’injection de TB de 50 et 86 % qui ne se maintenait pas à long terme. Ce taux de succès est celui rapporté dans la plupart des études non randomisées sur le sujet mais cet effet est le plus souvent de courte durée, entre 2 et 4 mois avec une perte d’efficacité au-delà. Cependant, les critères de jugement sont variables, pouvant être simplement clinique à l’aide du test d’expulsion du ballonnet, manométrique, électromyographique ou par défécographie. Si des troubles importants de la statique pelvienne peuvent être un obstacle à l’efficacité des traitements conservateurs, Maria et al a rapporté une étude pilote sur 14 patientes évaluant l’efficacité des injection de TB (30 U en 3 points, 2 au niveau du pubo-rectal et 1 dans le sphincter anal externe) dans le traitement de la dyschésie associée à la rectocèle (39). Deux mois après le traitement 9 patientes étaient améliorées sur le plan clinique, ainsi qu’à la manométrie (réduction de l’asynergie) et à la défécographie (réduction significative de la profondeur de la rectocèle). Cette étude reste néanmoins une étude pilote isolée et il n’y a pas eu à ce jour de nouvelles données en ce sens.
Comme pour la fissure anale, les posologies et les modalités d’injection varient selon les études. Néanmoins, concernant les posologies (12 à 100 U), il semble que des doses plus élevées de TB soient associées à une efficacité supérieure mais également à un risque majoré d’incontinence anale. Il est noté que, de manière générale, le taux d’effets indésirables des injections de TB en cas de dyschésie est non négligeable, de l’ordre de 10,8 % (incontinence anale, fissure anale, douleur). Concernant les modalités d’injection, les données de la littérature ne permettent pas de trancher concernant l’impact de la position du patient lors de l’injection ou de la réalisation sous contrôle digital, écho-endoscopique ou EMG. Les études ont utilisé soit Botox® soit Dysport®. Les principaux sites d’injection sont le faisceau pubo-rectal et le sphincter anal externe avec le plus souvent une à deux zones d’injection. La présence d’une pathologie neurologique comme la maladie de Parkinson ne semble pas avoir d’impact sur les résultats. En effet, dans cette pathologie, la dyschésie est fréquente et souvent en lien avec un spasme musculaire (34, 40, 41). Enfin, si des travaux ont rapporté que le sexe féminin et un âge plus élevé seraient associés à un taux d’échec plus important, cela n’est pas retenu par l’ensemble des études et méta-analyses. Dans tous les cas, l’utilisation de la TB dans cette indication est simple, peu de complications ont été rapportées et la répétition des injections est possible sans augmentation du taux de complications.
Les données actuelles de la littérature sont actuellement insuffisantes pour définir sa place dans la stratégie thérapeutique de la dyschésie. Néanmoins, comme le suggèrent certaines études, les injections de TB pourraient être proposées en cas d’échec de rééducation par biofeedback ou en association avec le biofeedback (42-44).
Incontinence anale
La continence anale repose sur un système capacitif (le rectum), un système résistif (l’appareil sphinctérien) et un système sensitif (les terminaisons nerveuses de la partie haute du canal anal qui permettent d’analyser le contenu rectal).
Le rationnel de l’utilisation des injections de TB dans le traitement de l’incontinence anale (IA) repose sur l’observation des résultats positifs du traitement de l’hyperactivité vésicale par ce type d’injections. Les premiers résultats publiés sont ceux de l’équipe de Rouen en 2012 (45). [ Dans cette première étude pilote incluant 6 patients souffrant d’IA active réfractaire au traitement médical, une amélioration du score de sévérité clinique de plus de 50 % ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie, étaient observées à 3 mois, après injection de TB. Ces résultats ont par la suite été confirmés par une seconde étude publiée en 2016 par la même équipe, s’appuyant cette fois-ci sur une cohorte de 26 patients (46).
Plus récemment, en 2023, Leroi et al ont démontré par le biais d’une étude nationale multicentrique randomisée contrôlée contre placebo incluant 191 patients, une réduction significative du nombre d’épisodes d’IA et d’impériosités au sein du groupe traité par TB, après un suivi de 3 mois (47). Dans cette étude, les injections de Botox® étaient réalisées lors d’une coloscopie courte sans anesthésie mais après préparation colique complète.
La dose injectée était de 200 U et les injections étaient réparties en 10 sites : 1 au niveau de la charnière recto-sigmoïdienne puis de manière « circonférentielle » 3 au tiers supérieur du rectum, 3 au niveau du tiers moyen et 3 au niveau du tiers inférieur. Il n’y avait pas d’effets indésirables majeurs rapportés en dehors d’une constipation dont la fréquence était de 40 %… dans les deux groupes ! Si les premiers résultats, de cet essai de bon niveau méthodologique, sont très intéressants, l’efficacité n’a été évaluée qu’à très court terme mais sont encourageants. Dans le cas de l’IA, l’évaluation de l’efficacité à long terme sera primordiale, avec l’évaluation de la possibilité de réinjections et la précision des modalités et du rythme de réinjections. La sélection des patients sera aussi importante à définir même si, dès à présent, il apparaît que ce sont les patients souffrants d’IA active qui bénéficieront de ce traitement. Il faudra également être très prudent avec les patients aux antécédents de dyschésie et probablement ne pas proposer ce traitement aux patients souffrant d’IA à rectum plein (fausse diarrhée des constipés). Dans tous les cas, les effets de la TB sont transitoires.
Des premiers éléments de réponses ont tout récemment été apportés par une étude rétrospective monocentrique. Dans ce travail incluant 41 patients (34 femmes) le protocole d’injection était celui décrit par Leroi et al. Une amélioration significative du score médian d’IA (Cleveland Clinic Incontinence Score) et des symptômes évalués par une EVA (échelle visuelle analogique) était observée. De plus, 53 % des patients rapportaient une amélioration de plus de 50 % du score d’IA avec un suivi médian de 24,9 mois [3,2-70,3] et un intervalle médian de réinjection de 9,8 mois [5,3- 47,9] (48).
Conclusion
Les injections de TB ont trois principales indications en coloproctologie : fissure anale, dyschésie et incontinence anale mais n’ont aucune AMM. Le niveau de preuve scientifique n’est pas très élevé et, dans les différentes indications, il y a un manque de standardisation des techniques. Néanmoins, leur utilisation peut être utile dans différentes situations cliniques, en espérant que l’avenir permette de mieux situer cette stratégie thérapeutique dans les différentes indications.
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