Place des bio-marqueurs dans la prise en charge de la maladie de Crohn (Recommandations de l’Association Américaine de Gastroentérologie 2023)

POST'U 2025

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Les 5 points forts

  1. En cas de maladie de Crohn (MC) asymptomatique, une calprotectine fécale (CF)< 150 µg/g et une CRP< 5 mg/l excluent une inflammation et permettent d’éviter une évaluation endoscopique à l’exception de l’examen de dépistage de la dysplasie.
  2. En cas de MC ayant des symptômes modérés à sévères, une CF> 150 µg/g et/ou CRP> 5 mg/l témoignent d’une activité de la maladie et une adaptation thérapeutique sans évaluation endoscopique est possible.
  3. En cas de MC asymptomatique après chirurgie de moins de 1 an ayant un faible risque de récidive post-opératoire ou sous traitement prophylactique post-opératoire, une CF< 50 µg/g confirme l’absence d’inflammation et évite une endoscopie.
  4. L’interprétation des biomarqueurs a des limites : absence de spécificité, variabilité inter-individuelle, inter-laboratoire, en fonction de l’atteinte et de l’étendue de la maladie.
  5. Les biomarqueurs ne remplacent pas l’endoscopie pour évaluer l’étendue de l’inflammation, la gravité des lésions, la présence de dysplasie et l’importance d’une sténose.

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Lien d’intérêt

Laboratoire Amgen

Mots-clés

Maladie de Crohn ; calprotectine fécale : évaluation endoscopique

Abréviations

MC : maladie de Crohn

BM : biomarqueurs

CF : calprotectine fécale

Introduction

La maladie de Crohn (MC) voit son incidence et sa prévalence augmenter dans le monde entier (1, 2). Elle se caractérise par une évolution prolongée et récurrente avec des lésions intestinales progressives, à l’origine d’une destruction pariétale progressive du tractus gastro-intestinal (3). L’arsenal thérapeutique de la MC s’est énormément élargi au cours de la dernière décennie. Pourtant, près de la moitié des patients atteints de MC nécessiteront une intervention chirurgicale au cours de leur maladie (4, 5).

Afin de modifier durablement l’histoire naturelle de la MC, un concept est apparu : la mise en place précoce d’un traitement efficace, réévalué et ajusté en continu en s’appuyant sur des signes objectifs d’inflammation, pour prévenir la survenue de complications et une évolution invalidante de la maladie (6-9).

Or, les symptômes de la MC sont peu corrélés à l’activité endoscopique (10-12). L’évaluation objective de l’inflammation reposait donc sur l’endoscopie pour prévenir la survenue de complications et une évolution invalidante de la MC. Une méta-analyse récente confirmait l’association de la cicatrisation muqueuse endoscopique à une rémission clinique soutenue au long-cours (13).

Cependant le recours à la seule endoscopie pour l’évaluation répétée de l’activité de la maladie est limité par le coût, la morbidité et la faible acceptabilité de cet examen. Dans l’essai CALM comparant une stratégie thérapeutique basée sur les symptômes à une stratégie basée sur les biomarqueurs, l’utilisation de mesures fréquentes des biomarqueurs pour guider l’escalade thérapeutique était associée à une amélioration des résultats sur 2 ans (14).

Les performances des biomarqueurs sériques et fécaux et la détermination des seuils pouvant se substituer à une endoscopie n’ont pas été explorées de façon exhaustive.

Les recommandations de l’association américaine de gastroentérologie (AGA) ont été récemment publiées (15) avec pour objectif d’informer les praticiens sur le rôle des biomarqueurs sériques et fécaux pour l’évaluation et la surveillance des patients ayant un diagnostic établi de MC et également dans l’évaluation de la récidive post-opératoire. Les biomarqueurs étudiés étaient la CRP et la calprotectine fécale.

La performance diagnostique globale des biomarqueurs a ainsi été explorée.

Vingt études rapportaient la performance diagnostique de la CRP pour la plupart avec un seuil de 5 mg/l. La sensibilité d’une CRP> 5 mg/l pour détecter une maladie endoscopiquement active était de 67 %, et la spécificité de 73 %.

De même, la sensibilité d’une calprotectine> 150 µg/g+/- 50 pour détecter une maladie endoscopiquement active était de 81 % et sa spécificité de 72 %.

Méthode

Ces recommandations se basent sur une méthodologie robuste avec une analyse de la littérature selon la classification GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation methodology) et à défaut sur un consensus issu de l’expertise des membres du groupe de travail. La méthodologie est celle classiquement utilisée pour l’élaboration de guidelines avec la formulation de questions de recherche (PICO : Population ; Intervention ; Comparateur ; Outcomes/Résultats) et l’élaboration des recommandations avec niveaux d’évidence. Des déclarations et des recommandations ont ainsi été élaborées par des groupes de travail composés de gastro-entérologues, de méthodologistes et l’avis d’un représentant de patients.

Définitions

Les patients symptomatiques étaient définis par des PRO-2> 8 ou PRO-3> 13 (figure 1). L’activité endoscopique était définie par un score SED-CD> 3 (figure 2).

Figure 1 : Calcul des PRO 2 et 3

Patients Reported Outcomes 2
Moyenne sur 7 jours Points pondération Total
Nombre selles Liquides ou molles X 2=
Douleurs abdominales (0 = aucune, 1 = légères

2 = modérées, 3 = sévères)

X3=

 

Patients Reported Outcomes 3
Moyenne sur 7 jours Points pondération Total
Nombre selles Liquides ou molles X 2=
Douleurs abdominales (0 = aucune, 1 = légères

2 = modérées, 3 = sévères)

X3=
Bien être général X 7=

Figure 2 : Calcul du score endoscopique SES-CD dans la maladie de Crohn

Taille des ulcérations surface des lésions sténoses
Iléon 0-3 0-3 0-3 0-3
Colon droit 0-3 0-3 0-3 0-3
Transverse 0-3 0-3 0-3 0-3
Colon gauche 0-3 0-3 0-3 0-3
Rectum 0-3 0-3 0-3 0-3

Les points sont attribués en fonction des observations résultant de l’examen de chacun des segments et doivent ensuite être additionnés

  • Tailles des ulcérations

Aucune = 0 ; aphtes = 1 ; ulcérations importantes = 2 ; très importantes > 2 cm) = 3

  • Etendue des ulcérations

Aucune = 0 ; < 10 % = -1 ; 10 à 30 % = -2 ; > 30 % = -3

  • Etendue des lésions

Segment non touché = 0 ; < 50 % = 1 ; 50 à 75 % = 2 ; > 75 % = 3

  • Sténoses

Aucune = 0 ; unique franchissable = 1 ; multiples franchissables = 2 : non franchissable = 3

La récidive endoscopique post-opératoire était définie par un score de Rutgeerts> ou égale à i2 (figure 3).

Figure 3 : Score endoscopique pronostique de récidive après résection iléo colique : Rutgeerts

Stade i,0 Absence de lésion
Stade i,1 Ulcérations iléales aphtoïdes inférieures ou égale à 5
Stade i,2 Ulcérations iléales aphtoïdes supérieures à 5
Stade i,3 Iléite aphtoïde diffuse avec muqueuse intercalaire inflammatoire
Stade i,4 Iléite diffuse avec ulcérations plus larges, nodules et/ou sténose

Les facteurs de risque de récidive post-opératoires étaient : l’âge précoce au diagnostic, le tabagisme, une atteinte étendue, une résection intestinale antérieure, le phénotype pénétrant de la MC, l’absence de traitement immunosuppresseur post-opératoire.

Points importants

  • Ni la CRP, ni la calprotectine fécale ne sont spécifiques de l’activité de la La CRP peut être élevée dans tous les processus inflammatoires systémiques.

La calprotectine fécale est plus spécifique de l’inflammation gastro-intestinale mais peut être élevée notamment en cas d’infection gastro- intestinale concomitante. Une coproculture avec recherche de clostridium difficile en cas de CF élevée chez un patient MC est donc recommandée.

  • L’évaluation endoscopique est justifiée pour déterminer l’étendue et la gravité des lésions, la détection et la surveillance de la dysplasie, l’évaluation et le traitement de sténoses, l’exclusion d’une colite à CMV. Dans ces situations, les biomarqueurs n’ont pas d’utilité.
  • Il a été choisi de comparer la performance des biomarqueurs avec une rémission endoscopique SES-CD<3. La précision des biomarqueurs pour détecter une cicatrisation endoscopique, transmurale ou histologique définie par un SES CD 0 pourrait être moins optimale.
  • La calprotectine fécale peut être légèrement moins précise pour détecter l’atteinte endoscopique en cas d’atteinte du grêle ou du tube digestif supérieur, que chez les patients ayant une atteinte colique prédominante ou étendue.
  • Les taux de biomarqueurs varient d’un laboratoire à l’autre, d’où l’importance de les doser dans le même laboratoire à chaque
  • Hétérogénéité interindividuelle des BM : jusque 20 % des patients ayant une activité endoscopique ont des BM D’où l’importance de les doser initialement au moment d’une poussée prouvée endoscopiquement, avant de décider une stratégie thérapeutique basée sur les BM.

Recommandations

13 recommandations sont formulées par l’AGA, pour 3 situations cliniques différentes.

MC asymptomatiques (figure 4)

  • L’AGA suggère une surveillance sur les symptômes ET les BM tous les 6 à 12 Celle-ci sera particulièrement utile chez les patients pour lesquels les BM étaient corrélés à l’activité endoscopique.
  • En cas de confirmation récente (< 3 ans) d’une rémission endoscopique, les seuils de calprotectine fécale < 150 mg/g et/ou CRP< 5 mg/l peuvent exclure une inflammation active et éviter une endoscopie de contrôle.
  • En cas d’endoscopie de plus de 3 ans, l’AGA suggère une évaluation endoscopique pour exclure une inflammation active.
  • Si la Calprotectine> 150 mg/g et/ou CRP> 5 mg, une évaluation endoscopique est préférable à un ajustement empirique du traitement. Cependant un contrôle des BM à 3 ou 6 mois peut être une alternative si l’endoscopie est très récente.

Figure 4 : : Arbre décisionnel en cas de MC asymptomatique

MC symptomatiques (figure 5)

  • L’AGA suggère une évaluation de l’inflammation basée sur les BM et une stratégie d’ajustement du traitement
  • L’évaluation des biomarqueurs peut être réalisée tous les 2 à 4 mois chez les patients traités et symptomatiques.
  • Après résolution des symptômes et normalisation des BM, une évaluation endoscopique doit être réalisée pour exclure une inflammation active 6 à 12 mois après le début ou l’ajustement du traitement.
  • L’intensité des symptômes est à prendre en compte dans la stratégie.

En cas de symptômes légers, une évaluation endoscopique sera préférable avant tout changement thérapeutique même en cas de BM élevés (CRP> 5 mg/l, CF> 150 µg/g).

En cas de symptômes modérés à sévère, des BM élevés confirment une inflammation active. L’endoscopie n’est pas nécessaire avant changement thérapeutique. A contrario, si les BM ne sont pas élevés, une évaluation endoscopique pour confirmer l’inflammation est préférable avant changement thérapeutique.

Figure 5 : Arbre décisionnel en cas de MC symptomatique

Prise en charge post-opératoire de la MC (figure 6)

  • Chez les patients asymptomatiques après une rémission induite chirurgicalement au cours des 12 derniers mois qui présentent un faible risque de récidive postopératoire ou qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque de récidive mais sont sous traitement prophylactique postopératoire, l’AGA suggère d’utiliser la calprotectine fécale< 50 µg/g, pour éviter une évaluation endoscopique de routine de l’activité de la maladie.
  • Chez les patients asymptomatiques atteints de MC après une rémission induite chirurgicalement au cours des 12 derniers mois, qui présentent un risque initial élevé de récidive et qui ne reçoivent pas de traitement prophylactique postopératoire, l’AGA suggère une évaluation endoscopique, plutôt que de s’appuyer uniquement sur des biomarqueurs, pour évaluer la récidive endoscopique.

Figure 6 : Arbre décisionnel en cas de MC en rémission induite par une chirurgie

Indice de guérison endoscopique

Chez les patients atteints de MC, l’AGA ne formule pas de recommandation concernant l’utilisation de l’indice de guérison endoscopique (EHI, Monitr®) pour surveiller l’inflammation et les décisions de traitement.

Amélioration des résultats à long terme de la maladie de Crohn

Chez les patients atteints de MC, l’AGA ne fait aucune recommandation en faveur ou contre une stratégie de surveillance basée sur des biomarqueurs par rapport à une stratégie de surveillance basée sur l’endoscopie pour améliorer les résultats à long terme.

En conclusion, ces recommandations permettent de clarifier l’intérêt des biomarqueurs dans la surveillance et la stratégie thérapeutique de la maladie de Crohn, asymptomatique, symptomatique ou dans les situations post-opératoires, et de valider des valeurs seuils de ces BM dans ces situations.

Elles sont d’autant plus utiles que le dosage de la CF est maintenant remboursé en France pour la maladie de Crohn dans la limite d’une prescription par un gastro-entérologue, en l’absence de rectorragies et/ou d’élévation de la CRP et dans la limite de 2 dosages par an. Ces recommandations plaident en faveur d’un élargissement du remboursement en cas d’apparition de symptômes modérés à sévère chez un patient ayant une maladie de Crohn, et en surveillance tous les 3 à 6 mois en cas de biomarqueurs élevés chez des patients asymptomatiques ayant une endoscopie récente.

La performance diagnostique de la CRP avec un seuil de 5 mg/l est intéressante. Elle est notamment discriminante dans les 2 situations suivantes : CRP< 5 mg/l chez le patient asymptomatique ayant une rémission endoscopique connue < 3 ans et CRP > 5 mg/l chez le patient symptomatique avec symptômes modérés à sévères.

Il est important de connaître les limites des BM : absence de spécificité, variabilité inter-individuelle, variabilité d’un laboratoire à l’autre, manque de précision en fonction de l’atteinte endoscopique et de son étendue…

Des recommandations similaires ont été publiées pour la RCH par l’AGA (16), la différence principale étant une meilleure corrélation entre les symptômes et l’inflammation endoscopique dans la RCH.

Références

  1. Burisch J, Zhao M, Odes S, et al. The cost of inflam-matory bowel disease in high-income settings: a Lancet Gastroenterology & Hepatology Commission. Lancet Gastroenterol Hepatol 2023;8:458–492.
  2. Ng SC, Shi HY, Hamidi N, et al. Worldwide incidence and prevalence of inflammatory bowel disease in the 21st century: a systematic review of population-based studies. Lancet 2017;390:2769–2778.
  3. Torres J, Mehandru S, Colombel JF, et al. Crohn’s dis- Lancet 2017;389:1741–1755.
  4. Lowe SC, Sauk JS, Limketkai BN, et al. Declining rates of surgery for inflammatory bowel disease in the era of biologic J Gastrointest Surg 2021;25:211–219.
  5. Tsai L, Ma C, Dulai PS, et Contemporary risk of sur- gery in patients with ulcerative colitis and Crohn’s dis- ease: a meta-analysis of population-based cohorts. Clin Gastroenterol Hepatol 2021;19:2031–2045.e11.
  6. Agrawal M, Colombel Treat-to-target in inflammatory bowel diseases, what is the target and how do we treat? Gastrointest Endosc Clin North Am 2019;29:421–436.
  7. Colombel J, Panaccione R, Bossuyt P, et al. A treat-to-target approach decreases the rate of CD-related adverse outcomes versus a clinical approach in pa- tients with moderate to severely active Crohn’s disease: data from United European Gastroenterol J 2017; 5:A97–A98.
  8. Colombel JF, Panaccione R, Bossuyt P, et al. Superior endoscopic and deep remission outcomes in adults with moderate to severe Crohn’s disease managed with treat to target approach versus clinical symptoms: data from CALM. Gastroenterology 2017;152:S155.
  9. Ungaro RC, Yzet C, Bossuyt P, et al. Deep remission at 1 year prevents progression of early Crohn’s Gastroenterology 2020;159:139– 147.
  10. Tse CS, Singh S, Valasek MA, et Prevalence and correlations of gastrointestinal symptoms with endo- scopic and histologic mucosal healing in Crohn’s disease. Am J Gastroenterol 2023;118:748–751.
  11. Carman N, Tomalty D, Church PC, et al. Clinical disease activity and endoscopic severity correlate poorly in children newly diagnosed with Crohn’s disease. Gastrointest Endosc 2019;89:364–372.
  12. Lewis JD, Rutgeerts P, Feagan BG, et Correlation of stool frequency and abdominal pain measures with Simple Endoscopic Score for Crohn’s Disease. Inflamm Bowel Dis 2020;26:304–313.
  13. Shah SC, Colombel JF, Sands BE, et Systematic review with meta-analysis: mucosalhealing is associated with improved long-term outcomes in Crohn’s disease. Aliment Pharmacol Ther 2016;43:317-33. 17.
  14. Colombel J-F, Panaccione R, Bossuyt P, et al. Effect of Tight Control Management on Crohn’s Disease (CALM): a multicentre, randomised, controlled phase 3 trial. Lancet 2017;390:2779–2789
  15. Ananthakrishnan AN, Adler J, Chachu KA et AGA Clinical Practice Guideline on the Role of Biomarkers for the Management of Crohn’s Disease. Gastroenterology. 2023 Dec;165(6):1367-1399
  16. Singh S, Ananthakrishnan AN, Nguyen Nh, et AGA Clinical Practice Guideline on the Role of Biomarkers for the Management of Ulcerative Colitis. Gastroenterology. 2023 Mar;164(3):344-372