Fissures anales : du diagnostic au traitement

Objectifs pédagogiques

  • Savoir évoquer le diagnostic de fissure anale à l’interrogatoire
  • Comment examiner un anus hypertonique et douloureux ?
  • Connaître les différentes présentations de la fissure anale
  • Connaître les formes cliniques : fissure classique de la commissure postérieure, fissure antérieure, fissure anale de l’enfant, fissure anale du vieillard, états préfissulaires
  • Savoir évoquer les diagnostics différentiels de la douleur, de la contracture et de l’ulcération
  • Connaître les traitements médicaux et leurs modes d’action
  • Connaître les traitements chirurgicaux et leurs résultats

La fissure anale est une déchirure de l’épithélium et du derme de la partie distale du canal anal. De forme ovalaire ou en raquette, elle constitue une maladie acquise et autonome, localisée au niveau d’une commissure de la marge anale.

Le diagnostic est exclusivement basé sur la clinique

Le symptôme essentiel est une douleur à type de déchirure ou de brûlure. Elle est discontinue et rythmée par la ­défécation. Elle va persister après ou reprendre à l’issue d’une accalmie transitoire (douleur en deux temps) pour une durée variable, quelques minutes ou quelques heures, avant de disparaître jusqu’à la défécation suivante. Cette chronologie est très spécifique, permettant d’évoquer le diagnostic avant même l’examen physique. Elle peut irradier dans le dos, les fesses, les organes génitaux et urinaires. Une constipation réflexe peut coexister ; elle est même parfois recherchée par le patient qui craint les défécations. Un saignement balisant la selle est possible [1].

Examen physique

Le déplissement des plis radiés, redouté par le patient, permet de constater l’ulcération de la fissure jeune, superficielle. Elle est allongée en raquette et déborde à peine sur la marge anale par son extrémité externe ; son extrémité interne effilée s’insère dans le canal anal sans jamais atteindre la ligne pectinée. La fissure aiguë est superficielle, à bords nets et fins et à fond rosé. La fissure chronique est masquée par le capuchon mariscal qu’il faut récliner doucement pour apercevoir le plancher de fibres blanchâtres et les bords fibreux.

La lésion est le plus souvent localisée à la commissure postérieure de l’anus ; elle peut être antérieure dans 5 % des cas chez la femme. La contracture, conséquence de l’hypertonie spastique du sphincter, soupçonnée lors de la traction sur la marge, peut entraver l’examen. Le toucher confirme l’hypertonie, réveille une douleur exquise au niveau même de l’ulcération canalaire et palpe les bords indurés. Pour réduire l’inconfort, on réalise l’examen en décubitus latéral, après application de lidocaïne visqueuse. Quand l’examen est impossible, ce qui en fait est assez rare, on peut avoir recours à un examen sous anesthésie générale. Il est aussi licite de proposer un examen en deux temps en demandant au patient de revenir impérativement après une réduction des symptômes pour compléter la simple inspection.

Formes cliniques

La prévalence de la fissure anale est la même dans les deux sexes, mais est plus élevée chez l’adulte jeune ou d’âge moyen (36-39 ans) que chez l’enfant ou le sujet âgé. La lésion initiale est constituée par la fissure aiguë, jeune. Son évolution est imprévisible, capricieuse, volontiers récidivante. Si elle ne cicatrise pas rapidement, son évolution est ponctuée de poussées successives entrecoupées de rémissions. La déchirure subit alors des transformations dues aux phénomènes inflammatoires, infectieux et scléreux, qui vont modifier son aspect : ses bords s’épaississent, se décollent et s’infiltrent, notamment au pôle externe, pour former un capuchon cutané œdémateux qui perdure sous forme d’une marisque. Le fond se creuse pour reposer sur les fibres blanches du sphincter interne mis à nu. À l’extrémité proximale, la papille anale s’hypertrophie pour former un polype fibreux de taille variable. La fissure peut être le point de départ d’une infection qui va se propager en sous-cutané et former une fistule superficielle perforant la marisque au pied de laquelle elle s’extériorise. La fissure anale chronique n’a pas de définition consensuelle mais on retient en général une période de 8 à 12 semaines d’évolution. Mais c’est surtout l’aspect de la fissure et l’apparition des annexes qui sont évocateurs, ainsi qu’un faible taux de cicatrisation spontanée (35 %). Elle est aussi moins douloureuse.

Il y a fissure et fissure

Le diagnostic de fissure anale est facilement établi par la clinique. En constatant la fissure, on élimine les autres causes de douleurs anales aiguës non fissuraires, qui sont permanentes, même si la défécation peut les exacerber (thrombose, abcès). Certaines affections peuvent néanmoins prendre le masque anatomique d’une fissure : (a) le cancer épidermoïde dans sa forme fissuraire (lésion avec des berges saillantes et un fond infiltré et dur) ; il s’agit d’une femme d’âge mur ou d’un homosexuel masculin VIH+ ; (b) la maladie de Crohn qui peut débuter par une fissure anale isolée. D’autres affections peuvent mimer une fissure mais se présentent plus souvent sous forme d’ulcérations que de fissure : l’herpès anal ; les ulcérations par immuno-supression (chimiothérapie, hémopathie maligne ou SIDA) ; IST (LGV, syphilis). Ailleurs, malgré une douleur typique, l’examen semble normal. Il peut quand même s’agir d’une fissure anale, mais elle est très limitée et superficielle (état préfissuraire), enfouie au sein des plis radiés, difficile à voir car petite ou du fait de l’obésité du sujet. Les pièges comportent : le prolapsus hémorroïdaire grade III, douloureux jusqu’à sa réintégration dans le canal anal en cas d’hypertonie ; la sténose anale et l’impaction fécale. Une douleur chronique pseudo-fissuraire peut être notée au cours des troubles de la statique pelvienne ; mais il s’agit de sujets nettement plus âgés, chez lesquels les fissures essentielles sont rares, notamment du fait de l’hypotonie du plancher pelvien. Chez l’enfant, la plainte mise en avant est une douleur abdominale, un refus de la selle et des saignements, habituellement rapportés par la mère. L’examen, en présence d’un des parents, doit être doux et prudent.

Traitement médical

L’objectif du traitement est de guérir les symptômes, définitivement et sans séquelle. Au sein d’un long catalogue, seuls le traitement médical traditionnel et les dérivés nitrés atteignent cet objectif de façon validée. Le traitement traditionnel agit sur la composante traumatique en évitant de façon prolongée le passage de selles dures, répétées, ou les efforts défécatoires. Il lutte ainsi contre la constipation, la dyschésie et la douleur. Il a recours à la ­panoplie habituelle des conseils hygiéno-diététiques et des laxatifs. Les exonérations sont aidées par l’introduction au coucher de suppositoires favorisant le glissement de la selle. Des pommades associant des anesthésiques locaux et de l’hydrocortisone sont classiquement utilisés sans niveau de preuve. Ce traitement conventionnel, conservateur, permet un taux de cicatrisation de 45 % [2]. La principale cause de l’échec initial semble la mauvaise observance. La lutte contre la douleur participe à la levée du spasme douloureux (anti-inflammatoires non stéroïdiens, paracétamol). Les dérivés nitrés agissent sur la composante sphinctérienne de la fissure en induisant une relaxation du sphincter interne afin d’améliorer la perfusion sanguine ano-dermique. [3]. Plusieurs études contre placebo utilisant en général une application locale à 0,2 % ont mis en évidence un taux de cicatrisation très prometteur, surtout dans les premières études (68 % versus 8 %)[4]. Une mauvaise observance est fréquente, principalement du fait de céphalées ou d’une irritation cutanée, qui dégradent le degré de satisfaction des patients. Enfin par un phénomène de tachyphylaxie on constate l’épuisement de l’effet thérapeutique. Il n’y a pas de bénéfice à prolonger le traitement au-delà de 40 jours [5]. L’innocuité du produit et un taux de cicatrisation entre 30 et 80 % en font souvent un traitement de première ligne. Le produit n’est pas pris en charge par l’assurance maladie en France. D’autres substances ont donné lieu à des publications parfois anecdotiques ; elles font un peu mieux que le placebo tout en restant très loin des résultats de la chirurgie [6].

Le traitement instrumental par injection sous fissuraire de kinine-urée à 5 % après anesthésie sphinctérienne est peu pratiqué et générateur dans les fissures vieillies d’infection sous-fissuraire.

Traitement chirurgical

La chirurgie reste le traitement le plus efficace même si la littérature ignore les formes simples, guérissant spontanément ou à l’issue d’un traitement traditionnel bref. C’est la seule à pouvoir traiter les annexes de la fissure. La dilatation est abandonnée. La sphinctérotomie latérale interne (SLI) est la méthode la plus étudiée à travers le monde. Elle est considérée comme la technique de référence dans la littérature internationale. L’objectif est d’agir exclusivement sur l’hypertonie par une section du sphincter interne, la fissure cicatrisant secondairement sans autre geste complémentaire. La section est partielle en hauteur et partielle ou complète en épaisseur [7]. Le principal effet secondaire est la survenue de troubles de la continence, dans des proportions variables (0 à 37,5 %) selon les séries, leur ancienneté et le type d’incontinence [8]. Le plus souvent il s’agit d’une simple incontinence au gaz, d’urgences ou d’un suintement. Il est difficile de recommander la SLI en première ligne thérapeutique même si elle est proposée par certains rapidement après échec du traitement conventionnel[9]. Au cours de la fissurectomie, l’objectif est de retirer le tissu fissuraire. La fissurectomie est bien adaptée aux fissures chroniques pour lesquelles la part de l’hypertonie sphinctérienne dans l’ischémie chronique est moindre. Le principal bénéfice serait un moindre risque sphinctérien ainsi que de disposer d’une analyse histologique permettant de ne pas passer à côté d’une lésion dégénérée débutante. Elle permet l’ablation simultanée des annexes (hypertrophie papillaire et marisque sentinelle). La fissurectomie peut être isolée ou combinée avec une sphinctérotomie , une plastie de recouvrement, ou les deux. La fissurectomie seule fait moins bien que la sphinctérotomie latérale interne pour le contrôle de la douleur[10, 11]. Elle ne supprime pas complètement le risque d’incontinence de novo [12]. Le recouvrement par un lambeau de muqueuse glandulaire (fissurectomie – anoplastie) est associé à un taux de cicatrisation identique à celle de la fissurectomie simple mais plus rapide avec une différence modeste et non significative (17 j vs 21j) [13].

Références

  1. Godeberge P. La fissure anale. EMC traité de gastroentérologie. Vol. 9: Elsevier, 2015:9-087-A-10 (in press)
  2. Hananel N, Gordon PH. Re-examination of clinical manifestations and response to therapy of fissure-in-ano. Dis Colon Rectum 1997;40:229-33.
  3. Steele SR, Madoff RD. Systematic review: the treatment of anal fissure. Aliment Pharmacol Ther 2006;24:247-57.
  4. Lund JN, Scholefield JH. A randomised, prospective, double-blind, placebo-controlled trial of glyceryl trinitrate ointment in treatment of anal fissure. Lancet 1997;349:11-4.
  5. Gagliardi G, Pascariello A, Altomare DF, et al. Optimal treatment duration of glyceryl trinitrate for chronic anal fissure: results of a prospective randomized multicenter trial. Tech Coloproctol 2010;14:241-8.
  6. Nelson RL, Chattopadhyay A, Brooks W, Platt I, Paavana T, Earl S. Operative procedures for fissure in ano. Cochrane Database Syst Rev 2011:CD002199.
  7. Littlejohn DR, Newstead GL. Tailored lateral sphincterotomy for anal fissure. Dis Colon Rectum 1997;40:1439-42.
  8. Lindsey I, Jones OM, Cunningham C, Mortensen NJ. Chronic anal fissure. Br J Surg 2004;91:270-9.
  9. Perry WB, Dykes SL, Buie WD, Rafferty JF. Practice parameters for the management of anal fissures (3rd revision). Dis Colon Rectum United States 2010;53:1110-5.
  10. Oh C, Divino CM, Steinhagen RM. Anal fissure. 20-year experience. Dis Colon Rectum 1995;38:378-82.
  11. Leong AF, Seow-Choen F. Lateral sphincterotomy compared with anal advancement flap for chronic anal fissure. Dis Colon Rectum 1995;38:69-71.
  12. Abramowitz L, Bouchard D, Souffran M, et al. Sphincter-sparing anal-fissure surgery: a 1-year prospective, observational, multicentre study of fissurectomy with anoplasty. Colorectal Dis 2013;15:359-67.
  13. Wang ZY, Liu H, Sun JH, et al. Mucosa advancement flap anoplasty in treatment of chronic anal fissures: a prospective, multicenter, randomized controlled trial. Zhong Xi Yi Jie He Xue Bao China 2011;9:402-9.

Les Six points forts

  1. La fissure est la première cause de douleur anale. La fissure anale est une maladie fréquente et bénigne mais invalidante à cause de la douleur qui peut être très violente et de son évolution récidivante.
  2. Le diagnostic est le plus souvent évident cliniquement, mais peut être entravé par l’inconfort de l’examen et l’intensité des douleurs.
  3. la fissure essentielle doit être distinguée des fissurations spécifiques : MICI, infection, cancer.
  4. Aucun examen complémentaire n’est utile en routine. Une histologie est nécessaire si la lésion est atypique : douleurs absente ou minime, aspect atone, fissure non commissurale ou remontant en amont de la ligne pectinée.
  5. Le traitement médical est la première ligne habituellement recommandée.
  6. La chirurgie est le traitement de recours. Son principal inconvénient est le risque d’incontinence.