Infection du liquide d’ascite : diagnostic, traitement et prévention

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les facteurs favorisant l’infection du liquide d’ascite chez le malade cirrhotique
  • Connaître les éléments diagnostiques de l’infection du liquide ¬d’ascite
  • Connaître le traitement de l’infection du liquide d’ascite
  • Connaître les moyens de prévention de l’infection du liquide d’ascite

Introduction

L’infection spontanée du liquide d’ascite (ISLA) est une complication fréquente au cours de la cirrhose et associée à un mauvais pronostic [1]. Elle est définie par la présence d’un nombre de polynucléaires neutrophiles (PNN) ≥ 250/ mm3 dans l’ascite, en l’absence de perforation digestive et de foyer infectieux intra-abdominal [2]. Le ­diagnostic doit être rapide afin de ­commencer un traitement antibiotique probabiliste. La prise en charge a été significativement améliorée au cours des 30 dernières années, et la mortalité hospitalière a diminué de 90 % à environ 20 % [3]. Plusieurs points font l’objet de controverses et d’études : a) les moyens diagnostiques ; b) l’antibioprophylaxie susceptible d’améliorer la survie, mais aussi à l’origine de résistances bactériennes, c) le traitement, dans la mesure où il existe une émergence de bactéries multi­résistantes.

Épidémiologie et facteurs de risque

L’infection du liquide d’ascite est une complication fréquente au cours de la cirrhose, représentant 10 à 30 % des infections bactériennes chez les malades hospitalisés. Après un premier épisode d’ISLA, la mortalité hospitalière varie de 10 % à 50 % [3] et la mortalité à un an varie selon les périodes, les études, et les facteurs de risque entre 31 % et 93 %.

La bactérascitie, définie par une culture positive du liquide d’ascite associée à un nombre de PNN inférieur à 250/mm3, est moins fréquente. Son incidence est de 2 à 3 % chez les patients ambulatoires et peut atteindre 11 % chez les patients hospitalisés [4]. Les patients ayant une bactérascitie sont généralement peu ou pas symptomatiques et il peut s’agir d’une ­colonisation transitoire de l’ascite, notamment chez les patients asymptomatiques, tandis que chez d’autres patients, il peut s’agir d’une phase initiale de développement d’une ISLA [2]. La bactérascitie est associée à une mortalité hospitalière parfois élevée (jusqu’à 21 % dans l’étude de Chu et al.)[4] et elle est un témoin indirect de la sévérité de l’atteinte hépatique. En cas de signes cliniques d’infection, une bactérascitie doit être traitée comme une ISLA.

La translocation bactérienne est le principal mécanisme pathogénique de l’ISLA [5]. Trois facteurs augmentent la translocation bactérienne : l’augmentation de la perméabilité intestinale, des modifications de la flore intestinale et une baisse des défenses immunitaires locales [5]. Les bactéries les plus susceptibles de transloquer dans les ganglions mésentériques sont Escherichia coli, Klebsiella pneumoniæ et d’autres entérobactéries. La flore intestinale est variable chez les patients atteints de cirrhose et la ­prévalence des entérobactéries pathogènes est accrue. De plus, la pullulation bactérienne du grêle est plus fréquente chez les malades atteints de cirrhose, en raison d’une diminution de la ­motilité intestinale, d’une entéro­pathie portale. La pullulation bactérienne est nécessaire à la translocation bactérienne, mais pas suffisante. Les défenses locales sont diminuées, avec une baisse du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, une diminution de l’activité opsonisante de l’ascite, une diminution de la fraction C3 du complément. La concentration de l’ascite en protides reflète l’activité opsonisante, une faible concentration inférieure à 15 g/L étant associée à un risque plus élevé d’ISLA [6].

Prise en charge thérapeutique d’une infection spontanée du liquide d’ascite

Figure 1. Prise en charge thérapeutique d’une infection spontanée du liquide d’ascite

* Bilirubinémie inférieure à 68,4 µmol/L et créatininémie inférieure à 88,4 µmol/L

 

Des facteurs systémiques et généraux augmentent le risque d’ISLA : le degré d’insuffisance hépatique, et une ­prédisposition génétique. Une insuffisance hépatocellulaire grave au stade C de Child, une hyperbilirubinémie > 54 µmol/L, une thrombopénie < 98 Giga/L, augmentent significativement la probabilité de survenue d’une ISLA [7]. Une altération de l’immunité innée, comme en témoignent des polymorphismes des gènes NOD2 [8] et TLR2 [9], expose à l’augmentation du risque d’ISLA chez un patient atteint de cirrhose.

Il existe une association entre l’infection du liquide d’ascite et la prise d’inhibiteurs de la pompe à protons, qui facilitent la pullulation bactérienne du grêle. Quatre études rétrospectives ont été réalisées et une méta-analyse a montré un risque 2,7 fois supérieur d’ISLA en cas d’utilisation d’IPP [10]. Dans une étude prospective, l’utilisation d’IPP était associée à un risque significativement supérieur d’infections (OR 2,94) [11]. L’utilisation des IPP chez les malades atteints de cirrhose doit être limitée aux indications strictes et dont le bénéfice a été prouvé.

Il a été suggéré que les bêtabloquants non cardio-sélectifs réduisaient significativement l’incidence de l’ISLA [12], en diminuant la perméabilité intestinale indépendamment de la réponse hémodynamique [13]. Cependant, cet effet bénéfique est controversé, une étude récente portant sur un grand effectif n’ayant pas observé de différence d’incidence de l’ISLA [14]. D’autre part, une étude récente a montré qu’après un premier épisode d’ISLA, les bêtabloquants augmentaient le risque de syndrome hépatorénal et diminuaient la survie sans transplantation [14]. Cela suggère que la fenêtre thérapeutique des bêtabloquants est étroite, et que ceux-ci doivent être interrompus lorsque survient une ISLA.

Diagnostic de l’ISLA

La présentation clinique est variable, l’ISLA pouvant être peu ou pas symptomatique, de telle sorte qu’une ponction d’ascite à visée diagnostique doit être réalisée chez tout patient admis à l’hôpital. L’ISLA doit être suspectée en cas de douleurs abdominales, de diarrhée, de signes péritonéaux, de défense abdominale, de diarrhée, d’hypothermie < 36°5C, ou d’hyperthermie > 38°C, de frissons, de tachycardie, de polypnée. Une ponction diagnostique doit être réalisée en cas d’hémorragie digestive, de signes de choc ou d’inflammation, d’aggravation de la fonction rénale et/ou hépatique, d’encéphalopathie.

Une exception aux examens cytologiques et microbiologiques systématiques pourrait concerner les malades asymptomatiques ayant des ponctions itératives pour une ascite réfractaire et une faible probabilité d’ISLA selon des critères clinico-biologiques stricts [15].

Le diagnostic est classiquement posé sur le nombre de PNN dans l’ascite, défini par Runyon et al. au-delà de 250/ mm3, seuil associé à la plus grande sensibilité, tandis que le seuil de 500 PNN/ mm3 avait la meilleure spécificité. Comme il ne faut méconnaître aucune ISLA, le seuil de sensibilité maximale a été retenu. Celui-ci est pourtant arbitraire et a été déterminé chez des patients ayant une culture du liquide d’ascite positive. De plus, il a été montré que ISLA liées à des cocci Gram positif étaient associées à des nombres de PNN inférieurs à 250/mm3 [16].

Le comptage manuel des PNN est recommandé par les groupes d’experts internationaux [17]. Le comptage automatique a fait l’objet de plusieurs études avec des résultats insuffisants en termes de sensibilité. Une étude récente a suggéré une excellente sensibilité de nouvelles techniques [18], cependant le comptage automatique ne peut être recommandé en raison du faible nombre d’appareils répondant aux critères de qualité et de précision diagnostique.

Comme pour le diagnostic de l’infection du liquide péritonéal chez les patients ayant une dialyse péritonéale, l’utilisation de bandelettes urinaires semblait prometteuse après les résultats de quelques études pilotes, portant sur de faibles effectifs, Cependant, des études menées sur de plus grands effectifs ont montré une faible sensibilité et une faible valeur prédictive des bandelettes dédiées à la détection des infections urinaires [19], ne permettant pas de recommander l’utilisation de ces bandelettes. L’équipe de Runyon a mis au point une bandelette plus sensible et spécifique [20] avec un seuil de détection à 250/mm3, qu’il reste à évaluer dans des essais à large échelle.

De nombreux autres marqueurs indirects d’inflammation ont été étudiés sans apporter de valeur supplémentaire au comptage des PNN : pH du liquide d’ascite, lactate, gradient de lactate artériel-ascitique. Le dosage de lactoferrine dans l’ascite, libérée par les PNN, pourrait être une alternative avec une sensibilité et une spécificité supérieure à 95 %, toutefois cette étude était limitée par le faible nombre de patients atteints d’ISLA (n = 22) et ayant un nombre élevé de PNN, supérieur à 630/mm3 [21].

La culture du liquide d’ascite sur milieux usuels peut être négative dans près de 60 % des cas [3] et un ensemencement dans des flacons d’hémo­cultures est recommandé [17], améliorant la sensibilité jusqu’à 80 % dans quelques études [22]. Les hémocultures doivent être systématiques, sachant que l’existence d’une bactériémie est associée à un moins bon pronostic [23].

La recherche d’ADN bactérien dans l’ascite a été évaluée dans la mesure où il s’agit d’une technique très sensible et rapide, toutefois la présence d’ADN bactérien est fréquemment détectée chez les malades cirrhotiques (40 %) et elle ne semble pas prédire la survenue d’une infection d’ascite [24], bien qu’elle soit un facteur pronostique indépendant chez ces malades.

Traitement de l’ISLA

Une antibiothérapie probabiliste doit être débutée dès que le diagnostic est établi ou évoqué. Les recommandations internationales ne distinguent pas les infections du liquide d’ascite communautaires et nosocomiales. Les ISLA nosocomiales sont plus difficiles à traiter, plus fréquemment associées à des bactéries Gram positif et associées à un risque plus élevé d’insuffisance rénale et de mortalité.

Traitement des ISLA communautaires

Il concerne les patients n’ayant pas été hospitalisés, ou n’ayant pas reçu une antibiothérapie préalable. Il s’agit dans la majorité des cas d’entérobactéries, principalement d’Escherichia coli et de Klebsiella pneumoniæ, et de cocci Gram-positif (principalement streptocoques et entérocoques). Plusieurs traitements ont une efficacité comparable dans les essais thérapeutiques : les céphalosporines de 3e génération, les quinolones et l’association amoxicilline-acide clavulanique.

Les recommandations européennes et nord-américaines ont par conséquent proposé l’utilisation de première intention des céphalosporines de 3e génération, d’amoxicilline-acide clavulanique et de quinolones [17, 25]. Cependant, ces recommandations reposent sur des essais thérapeutiques conduits au cours des 20 dernières années alors que E. Coli était impliqué dans la moitié des ISLA. Or, il existe un changement épidémiologique dans les bactéries responsables d’ISLA et de bactérascitie. L’antibiothérapie probabiliste, fondée sur les céphalosporines de 3e génération (céfotaxime ou ceftriaxone) est devenu le traitement de première intention. Même en cas d’infection communautaire, il existe un taux d’échec élevé et l’antibiothérapie doit être réévaluée précocement. La réalisation d’une ponction d’ascite à 48 heures apparaît d’autant plus nécessaire que l’identification des bactéries responsables d’ISLA est souvent tardive.

Traitement des ISLA nosocomiales

Il concerne les patients ayant fait un séjour en soins intensifs dans les 3 mois précédents, ou recevant une antibioprophylaxie, ou ayant eu une intervention chirurgicale récente. Des études récentes ont montré que 25 % à 50 % des bactéries identifiées au cours des ISLA nosocomiales sont résistantes aux antibiotiques habituellement utilisés. Des résistances aux quinolones ont été mises en évidence dans 40 à 50 % des cas [26]. Des entérobactéries sécrétrices de bêtalactamase à spectre étendu ont été documentées dans 4 à 30 % des cas, associées à des difficultés thérapeutiques croissantes, car conférant une résistance aux pénicillines, aux céphalosporines, à l’aztreonam [26-28]. D’autres bacilles Gram négatifs tels que Pseudomonas æruginosa, Acinetobacter baumanii, Stenotrophomonas maltophilia ont été identifiés.

Des Staphylococcus aureus résistants à la méthicilline (SARM) ont été isolés dans 8 % des cas dans une étude française [29]. Les infections liées à ces bactéries multirésistantes ont augmenté dans la population générale, en raison de la sélection de clones à haut risque, non seulement chez les malades hospitalisés mais aussi chez les malades ayant des infections communautaires.

La mortalité chez les patients ayant une ISLA nosocomiale avec bactérie résistante est 2 fois supérieure à celle des patients n’ayant pas de bactérie résistante [27]. D’autre part, il a été montré que l’échec d’un traitement de première intention en cas d’infection nosocomiale était associé à un taux de mortalité supérieur à celui d’un traitement adapté d’emblée (66,7 % vs 30 %) [30].

L’antibiothérapie de première intention (C3G en monothérapie) ne couvre qu’un tiers des infections, contrairement à l’efficacité des traitements conduits dans les essais au cours des années 80 et 90. De nouvelles stratégies doivent être développées, en particulier des combinaisons d’antibiotiques. Piroth et al. ont suggéré que l’association de C3G et d’amoxicilline, de C3G et d’amoxicilline-acide clavulanique, d’amoxicilline-acide clavulanique + cotrimoxazole étaient des options efficaces en cas d’infection sévère et/ou d’absence d’amélioration à 48 heures [28]. En cas d’infection nosocomiale, un groupe d’experts européens a récemment recommandé l’association de piperacilline-tazobactam (Tazocilline®) ou carbapenems et d’un glycopeptide. Le choix de l’antibiothérapie doit prendre en compte l’épidémiologie bactérienne de chaque établissement et de l’unité de soins.

L’utilisation systématique de carbapenems chez des patients cirrhotiques réadmis pour infection a été déconseillée par quelques équipes [27], en raison de l’émergence de bactéries produisant des carbapenemases, par exemple des bactéries produisant des KPC (Klebsiella pneumoniæ carbapenemases).

Évaluation de l’efficacité du traitement

La diminution de plus de 25 % du nombre de polynucléaires neutrophiles dans l’ascite à 48 heures est un témoin d’efficacité du traitement selon l’International Ascites Club [2] et ce critère arbitraire reste fiable, sachant que cette diminution est observée dans plus de 90 % des cas chez les survivants, tandis qu’elle n’est observée que chez moins de 70 % des cas chez les non-­survivants.

Durée de l’antibiothérapie

Il a été montré que l’efficacité des antibiotiques était similaire selon que le traitement était de 5 jours ou de 10 jours chez des patients ayant une infection communautaire [2]. Il n’existe pas d’étude randomisée concernant le traitement des ISLA nosocomiales. Néanmoins, une durée minimale de 5 jours est recommandée [31].

Utilisation de l’albumine

Les facteurs prédictifs de mortalité lors d’une ISLA sont : a) l’insuffisance hépato­cellulaire avec hyperbilirubinémie supérieure à 68 µmol/L, b) une insuffisance rénale associée à une urée supérieure à 10,7 mmol/L et une créatininémie supérieure à 105 µmol/L, c) une infection nosocomiale, d) un sepsis sévère avec des hémocultures positives, e) un état de choc.

L’insuffisance rénale est le facteur pronostique majeur, démontré dans l’étude de Follo [32] chez 252 malades. La mortalité était de 100 % en cas d’altération progressive de la fonction rénale, de 31 % en cas de fonction rénale stable, et de 7 % lorsque la fonction rénale était normale.

L’essai conduit par Sort et al. du groupe de Barcelone a montré une diminution de l’incidence de l’insuffisance rénale de 33 % dans le groupe recevant de l’albumine à fortes doses à J1 et J3 en association avec du céfotaxime, contre 10 % dans le groupe recevant du céfotaxime seul, et une diminution de la mortalité à 3 mois de 29 % à 10 % respectivement [33]. Chez les malades ayant une ISLA non sévère, avec une créatininémie normale basse, il est possible que l’utilisation d’albumine ne soit pas nécessaire. Dans l’étude de Sigal et al., réalisée chez 38 malades [34], aucun des 15 malades ayant une bilirubinémie inférieure à 68,4 µmol/L, et une créatininémie inférieure à 88,4 µmol/L n’a développé une insuffisance rénale. Dans ce groupe de malades, l’activité rénine plasmatique était significativement plus basse que dans le groupe ayant une créatininémie supérieure à 88 µmol/L, et les troubles hémodynamiques ne survenaient pas. Ces données suggèrent qu’avec ces critères, les malades ayant une ISLA pourraient ne pas être traités par albumine.

La dose d’albumine était arbitraire dans l’étude de Sort et al. Un essai contrôlé mené chez 46 patients a comparé les doses standard et des doses réduites à 1 g/kg à J1 et 0,5 g/kg à J3 et n’a pas noté de différence significative [35].

Cas particulier de la bactérascitie

En cas de signe d’inflammation ou d’infection, un patient ayant une bactérascitie doit être traité par antibiotiques. Sinon, une deuxième ponction diagnostique doit être réalisée. Si le nombre de PNN est ≥ à 250/mm3, un traitement doit être entrepris. Si le nombre de PNN est < à 250/mm3, une surveillance est nécessaire.

Prophylaxie de l’ISLA

La récidive de l’ISLA est fréquente, évaluée de 32 à 70 % à 12 mois. La prévention de la récidive repose à ce jour sur une antibioprophylaxie par quinolones, compte tenu de leur bonne diffusion dans l’ascite, de leur efficacité et de leur bonne tolérance au long cours. L’antibioprophylaxie réduit le risque de récidive et la mortalité.

Hémorragie digestive

Chez les patients ayant une hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes ou gastriques, les quinolones ont fait la preuve de leur efficacité, de même chez les patients sans autre complication (encéphalopathie, insuffisance rénale, choc). Plusieurs méta-analyses ont montré qu’une antibioprophylaxie lors d’une hémorragie digestive chez un cirrhotique et dans la semaine suivant l’hémorragie diminuait l’incidence des infections bactériennes et améliorait la survie dans le groupe traité par rapport au groupe témoin [36]. La norfloxacine orale à la dose de 400 mg/j est recommandée. Les quinolones ne doivent pas être utilisées chez les patients recevant une prophylaxie par quinolones. Chez les patients ayant une cirrhose sévère (avec au moins 2 des complications parmi les suivantes : ascite, malnutrition sévère, encéphalopathie, ictère) l’utilisation de ceftriaxone à la dose de 1 g/j par voie veineuse est recommandée [17].

Prophylaxie primaire en cas de cirrhose sévère

Une faible concentration en protides dans l’ascite (moins de 15 g/L) expose à un risque d’infection [27]. Huit essais randomisés contrôlés ont été réalisés. Deux méta-analyses ont été publiées avec des résultats discordants. Cependant, une méta-analyse n’ayant inclus que 3 essais portant exclusivement sur la prophylaxie primaire, en ayant exclu les malades avec antécédent d’infection, a montré l’efficacité des quinolones [5]. Les nombres de patients à traiter pour réduire l’incidence d’une ISLA et la mortalité à 6 mois étaient respectivement de 8,4 et 8,6. Malgré ces niveaux de preuve, la plupart des experts ne recommandent pas une antibioprophylaxie primaire chez tous les malades ayant une faible concentration protidique dans l’ascite, sauf s’il existe un facteur de risque supplémentaire [17]. En effet, dans l’étude de Terg et al. [37], il n’avait pas été observé de différence significative dans le groupe ayant une faible concentration en protides. Par contre, Fernandez et al. ont étudié un groupe très sélectionné de malades à haut risque ayant les critères suivants : a) insuffisance hépatique définie par un score de Child-Pugh supérieur ou égal à 9, et une bilirubinémie totale supérieure à 51 µmol/L, ou b) insuffisance rénale définie par une créatininémie ≥ 105 µmol/L ou urémie ≥ à 8,9 mmol/L, ou une hyponatrémie ≤ 130 mmol/L [38]. La probabilité de survenue d’une ISLA à 1 an était de 7 % dans le groupe ayant une prophylaxie par norfloxacine contre 61 % dans le groupe témoin (p < 0,001) et la survie était de 60 % vs 48 % (p = 0,05), la différence n’étant pas statistiquement significative, ­probablement par un manque de puissance.

Le risque de développement de bactéries multirésistantes aux quinolones est susceptible de diminuer le bénéfice de survie à moyen terme. Fernandez et al. ont montré une augmentation significative de la proportion de bactéries multirésistantes entre 2005 et 2011, les entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu représentant 73 % des bactéries multirésistantes dans l’ISLA [27]. Le groupe de Barcelone a montré que la mortalité liée aux ISLA était plus élevée en cas d’infection liée à des bactéries multi­résistantes (50 % vs 15 %, p = 0,01). En analyse multivariée, l’utilisation au long cours de norfloxacine était indépendamment associée au risque d’infections multirésistantes [27].

Il paraît donc prudent de limiter la prescription d’une antibioprophylaxie primaire aux malades ayant des critères de gravité et en attente de transplantation hépatique, l’amélioration de la survie à 3 mois étant nettement significative dans l’étude de Fernandez et al. (94 % vs 62 % ; p = 0,003). Chez certains malades chez lesquels la régression de l’ascite est prévisible sous l’effet des diurétiques et de l’arrêt de la consommation d’alcool, une prophylaxie primaire peut être envisagée pour une courte durée.

Lorsqu’il existe un projet de transplantation hépatique, la durée de ce traitement est limitée, mais lorsque l’accès à la transplantation est limité dans certains pays ou si les malades ne sont pas candidats à une greffe, des alternatives doivent être envisagées. L’intérêt du traitement par la rifaximine, un antibiotique non absorbable, efficace contre les entérobactéries Gram négatif et associé à un risque plus faible de résistance, doit être évalué.

Prophylaxie secondaire

Après un épisode d’ISLA, le risque de récidive est élevé en l’absence de prophylaxie. L’administration de norfloxacine 400 mg/j per os est efficace pour la prévention de la récidive. En effet, il a été montré que la récidive à un an était de 20 % chez les patients traités par norfloxacine contre 68 % dans le groupe placebo [39].

Conclusion

L’infection spontanée du liquide d’ascite est un événement potentiellement grave chez un malade cirrhotique, malgré des progrès significatifs dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique.

L’amélioration de la survie est obtenue grâce à un diagnostic précoce et à un traitement antibiotique rapidement efficace. Les antibiotiques de première intention sont les céphalosporines de 3e génération. Cependant, avec l’apparition de bactéries multirésistantes, le traitement antibiotique doit tenir compte du caractère communautaire ou nosocomial de ces infections.

L’utilisation d’albumine diminue l’incidence du syndrome hépatorénal et améliore la survie chez les malades ayant une bilirubinémie supérieure à 68 µmol/L, et une créatininémie supérieure à 88 µmol/L.

Une antibioprophylaxie doit être utilisée chez les malades hospitalisés pour une hémorragie digestive, et/ou ayant eu une ISLA.

La survenue d’une ISLA doit faire envisager une transplantation hépatique lorsque celle-ci est possible, en raison d’une faible survie de ces malades à long terme. Une antibioprophylaxie chez les malades ayant une concentration protidique dans l’ascite inférieure à 15 g/L devrait être restreinte aux malades ayant des critères de gravité et en attente de transplantation compte tenu du risque d’émergence de bactéries multirésistantes.

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Les Six points forts

  1. L’infection spontanée du liquide d’ascite (ISLA) est un événement grave au cours de la cirrhose associée à une mortalité élevée. L’indication d’une transplantation doit toujours être discutée après une ISLA.
  2. Le diagnostic repose sur un nombre de polynucléaires neutrophiles dans l’ascite supérieur à 250/mm3. L’identification du germe n’est possible que dans la moitié des cas.
  3. Le traitement associe un antibiotique visant les bacilles Gram négatif et la perfusion d’albumine.
  4. Le choix de l’antibiothérapie probabiliste doit tenir compte du caractère communautaire ou nosocomial de l’infection, compte tenu de l’émergence de bactéries multirésistantes.
  5. Une antibioprophylaxie après ISLA réduit le risque de récidive et la mortalité précoce par récidive.
  6. Une antibioprophylaxie chez les malades ayant une ascite pauvre en protides (< 15 g/L) devrait être limitée aux malades ayant une cirrhose sévère et en attente de transplantation hépatique.