Les manifestations hépato-biliaires des MICI

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les différentes atteintes hépato‑biliaires pouvant être associées aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)
  • Connaître le bilan à réaliser devant une suspicion d’atteintes hépatobiliaires et quand les rechercher
  • Connaître l’influence de ces atteintes hépato‑biliaires sur l’histoire naturelle des MICI
  • Connaître lesmodalitésdutraitement de ces atteintes hépato‑biliaires.

Les atteintes hépatiques associées aux MICI sont fréquentes et variées selon le type de MICI (maladie de Crohn (MC) ou rectocolite hémorragique, RCH) [1]. Les anomalies biologiques hépatiques observées, peuvent être transitoires et surviennent habituellement au cours d’une poussée de la maladie ou bien sont durables et persistent en phase de rémission de la MICI.

On distingue de façon schématique :

  • les hépatopathies dites « auto-immunes » qui comprennent la cholangite sclérosante primitive (CSP) la plus fréquente, la cholangite à IgG4, les hépatites auto-immunes, la cholangite biliaire primitive ainsi que les formes de passage et les hépatites granulomateuses plus rares ;
  • les manifestations hépato-biliaires et vasculaires compliquant les poussées de MICI : lithiase biliaire, stéatose, amylose, thrombose portale, abcès hépatiques. La stéatose, souvent asymptomatique est présente au cours des MICI chez prés de 40 % des patients [2] ;
  • les conséquences ou complications hépatiques de la prise en charge thérapeutique des MICI, notamment par les médicaments ou la nutrition parentérale.

La cholangite sclérosante primitive (CSP)

Elle est une entité particulière associée au MICI.

La CSP correspond à une atteinte inflammatoire et fibrosante des voies biliaires intra- et/ou extrahépatiques pouvant évoluer vers la cirrhose. C’est la manifestation hépato-biliaire la plus spécifique associée aux MICI. Elle prédomine chez l’homme jeune (moins de 40 ans) avec un mode de révélation très polymorphe allant de l’angiocholite à de discrètes perturbations biologiques hépatiques [3]. Elle peut précéder la MICI.

Son diagnostic est parfois difficile à poser et repose sur l’association d’au moins deux des quatre critères suivants (incluant au moins le critère radiologique ou histologique) :

  • des anomalies des tests biologiques hépatiques sous forme d’une cholestase parfois fluctuante et modérée (pANCA présents dans 1/4 à 3/4 des cas) ;
  • des anomalies radiologiques des voies biliaires intra- er/ou extrahépatiques détectées en cholangio-IRM ;
  • des signes histopathologiques compa­tibles avec une hépatopathie cholestatique chronique et justifés dans les formes intra-hépatiques pures (allant de la classique mais rare cholangite fibreuse et oblitérante qui est pathognomonique, à l’inflammation portale péri-biliaire, l’atrophie des canaux biliaires, ou la simple prolifération ductulaire voire la ­ductopénie) ;
  • l’association à une MICI.

Deux risques majeurs sont associés à l’évolution et au pronostic de la CSP : la survenue d’une cirrhose biliaire secondaire et la dégénérescence sous forme d’un cholangiocarcinome, souvent de topographie hilaire et pouvant survenir très pécocement après le diagnostic de CSP [4].

Une surveillance annuelle par ima­gerie (échographie, cholangio-IRM) peut être proposée avec un dosage du ca 19-9.

L’association fréquente de la CSP à une MICI (dans environ 50 % des cas) doit conduire à réaliser une coloscopie et des biopsies coliques étagées systématiques à la recherche de signes endoscopiques et/ou histologiques compatibles avec une MICI.

La CSP est un facteur de risque indépendant de survenue d’un cancer colorectal associé à l’inflammation intestinale et doit conduire à inclure le patient dans un programme régulier (tous les ans) de surveillance endoscopique avec chromomendoscopie dès le diagnostic de CSP [4]. Une chimio-prévention de la dysplasie colique par l’acide ursodesoxycholique (AUDC) a montré son bénéfice dans ce contexte et doit donc être proposée [5].

Les traitements des MICI et surtout les IS peuvent entraîner des hépatopathies : sous thiopurines, il faudra éliminer devant une cytolyse et une cholestase tardive une HNR. Le risque de développer une HNR après 10 ans de traitement par azathioprine est estimé à 11 % et concernerait particulièrement l’homme jeune aux antécédents de résection iléo-cæcale [6, 7].

Sous immunosuppresseur et/ou biothérapies, il faudra également se méfier d’une réactivation virale du VHB. Le statut viral B des patients doit être systématiquement exploré au moment du diagnostic d’une MICI et lors de la mise en route d’un traitement immunosuppresseur. Une vaccination est fortement recommandée dans ce contexte [8, 9].

Quel bilan demander devant des perturbations du bilan hépatique ?

  • En présence d’une élévation de l’activité des transaminases (+/– GGT), il faudra rechercher une hépatite ou une cholestase aiguë d’origine médicamenteuse, virales (A, B, C, E, CMV, EBV, herpes) une hépatite autoimmune, une cholangite sclérosante, une migration lithiasique, ou un sepsis.
  • En présence d’une élévation des phosphatases alcalines (+/– GGT) il faudra éliminer une hépatite chronique comme une CSP, une hyperplasie nodulaire régénérative, une hépatite chronique virale B et C, un trouble de l’usage de l’alcool, une hépatite auto-immune, une stéato-hépatite métabolique ou exceptionnellement une amylose.

En première intention, on pourra réaliser le bilan suivant :

  • Hémogramme, électrophorèse des protides, glycémie, bilan lipidique, sérologies virales B et C, ACAN, Ac anti-muscles lisses, ac anti-LKM et ac anti-mitochondrie, TSH.
  • En présence d’une hépatite d’allure aiguë, on pourra rajouter les sérologies virales A, E, CMV, EBV, Herpes.
  • Échographie hépatique devra rechercher une stéatose, une pathologie lithiasique, des anomalies des petites voies biliaires et des vaisseaux.

En deuxième intention :

  • Cholangio IRM : rechercher CSP, en première intention si forte suspicion.
  • PBH : rechercher HNR, surtout si le patient est traité par Azathioprine depuis quelques années.
  • Coloscopie annuelle si CSP et RCH ou Crohn colique.

Avant d’instaurer un traitement immuno­suppresseur, il est nécessaire d’effectuer le bilan suivant :

  • NFS, ALAT, ASAT, GGT, PAL, bilirubine, sérologies virales B, C, E, CMV, EBV.
  • Une échographie hépatique peut se discuter chez certains patients à risque de syndrome métabolique.
  • Une élastométrie peut également se discuter avant la mise en route d’un traitement par Méthotrexate et en surveillance.

Conclusion

Les anomalies hépato-biliaires biologiques sont très fréquentes au cours des MICI (près d’un patient sur deux) et nécessitent des explorations afin de ne pas méconnaître non seulement une pathologie spécifiquement associée aux MICI (CSP, hépatite auto-immune ou granulomateuse, origine médicamenteuse), mais aussi une cause indépendante de la MICI (hépatite virale B, C, E). La stéatose est la manifestation hépatique la plus fréquente associée aux MICI tandis que la CSP est spécifique mais rare.

Un diagnostic précoce est important en raison des implications thérapeutiques : arrêt d’un médicament hépato-toxique, mise en route d’un traite­ment par acide ursodésoxycholique ou antiviral préventif, règles hygiéno-diététiques, inclusion dans un programme de surveillance stricte en cas de CSP.

Références

  1. Mendes FD, Levy C, Enders FB, et al. Abnormal hepatic biochemistries in patients with inflammatory bowel disease. Am J Gastroenterol 2007;102:344-50.
  2. Bargiggia S, Maconi G, Elli M, et al. Sonographic prevalence of liver steatosis and biliary tract stones in patients with inflammatory bowel disease: study of 511 subjects at a single center. J Clin Gastroenterol 2003;36:417-20.
  3. Broomé U, Olsson R, Lööf L, Bodemar G, Hultcrantz R, Danielsson A, Prytz H, Sandberg-Gertzén H, Wallerstedt S, Lindberg G. Natural history and prognostic factors in 305 Swedish patients with primary sclerosing cholangitis. Gut 1996;38:610-5.
  4. Ngu JH, Gearry RB, Wright AJ, Stedman CA. Inflammatory bowel disease is associated witth poor outcomes of patients with primary sclerosing cholangitis. Clin Gastro­enterol Hepatol 2011;9:1092-107.
  5. Lindor KD, Kowdley KV, Luketic VA, Harrison ME, McCashland T, Befeler AS, Harnois D, Jorgensen R, Petz J, Keach J, et al. High-dose ursodeoxycholic acid for the ­treatment of primary sclerosing cholangitis. Hepatology 2009;50:808-14.
  6. Gisbert JP, Gonzalez-Lama Y, Mate J. Thiopurine-induced liver injury in patients with inflammatory bowel disease: a systematic review. Am J Gastroenterol 2007;102:
    1518-27.
  7. Seksik P, Mary JY, Beaugerie L, et al. Incidence of nodular regenerative hyperplasia in inflammatory bowel disease patients treated with azathioprine. Inflamm Bowel Dis 2011;
    17: 565-72.
  8. Loras C, Gisbert JP, Mínguez M, Merino O, Bujanda L, Saro C, Domenech E, Barrio J, Andreu M, Ordás I, et al. Liver dysfunction related to hepatitis B and C in patients with inflammatory bowel disease treated with immunosuppressive therapy. Gut 2010;59:1340-6.
  9. Rahier JF, Ben-Horin S, Chowers Y, Conlon C, De Munter P, D’Haens G, Domènech E, Eliakim R, Eser A, Frater J, et al. European evidence-based Consensus on the prevention, diagnosis and management of opportunistic infections in inflammatory bowel disease. J Crohns Colitis 2009;3:47-91.

Les Cinq points forts

  1. Toute anomalie du bilan hépatique chez un patient atteint de MICI doit conduire à des explorations complémentaires afin de diagnostiquer une maladie hépato-biliaire spécifique, telle la CSP sans oublier les causes partagées avec la population générale.
  2. La stéatose est la manifestation hépatique la plus fréquente observée chez les patients atteints de MICI. La CSP est plus spécifique mais rare.
  3. La cholangio IRM est effectuée en cas de suspicion diagnostique de CSP. Cet examen permet également une surveillance dans le but de rechercher des signes en faveur d’un cholangiocarcinome.
  4. Le sur-risque de dysplasie et de cancer colorectal en cas de CSP associée à une RCH justifie un protocole de surveillance endoscopique annuel dès le diagnostic de CSP.
  5. Les traitements des MICI peuvent induire, rarement, des hépatopathies spécifiques ou être associées à des hépatopathies chroniques. En cas de traitements immunosuppresseurs, le statut viral B du patient doit être connu afin de proposer une surveillance ou une vaccination ou un traitement anti-viral.